La Colline aux Lapins
7.2
La Colline aux Lapins

Dessin animé (cartoons) BBC One (2018)

Voir la série

Pouvez-vous vous imaginer dans la peau d’un animal, d’un vrai – pas ces copies anthropomorphiques auxquelles la maison Disney nous a habitués depuis presqu’un siècle ? D’un lapin de garenne, par exemple, constamment soumis à la crainte des dizaines de prédateurs qui le menacent – l’homme n’étant pas le dernier – et auxquels il ne peut échapper que grâce à sa course, à l’exiguïté de son terrier, et à la vigilance du groupe tout entier auquel il appartient… Lire le remarquable livre de Richard Adams, "Watership Down", - que nombre de critiques anglais mettent au même niveau qu’un "Seigneur des Anneaux" en termes d’importance dans la construction d’une culture adolescente – c’est vivre cette expérience-là, être « dans la peau d’un lapin », avec une acuité et une vraisemblance ahurissantes.


Le génie d’Adams, au-delà d’une langue et d’une mythologie spécifiques inventées pour la circonstance, c’est d’éviter de tomber dans la simple copie de mythes humains : le périple de cette petite troupe de lapins chassée par la destruction de leur garenne et à la recherche d’un nouveau foyer, n’est-ce pas une nouvelle "Anabase" de Xénophon ? Oui, et non, car Adams ne quitte jamais le point de vue de l’animal – survivre, se protéger des intempéries, manger, trouver des femelles pour se reproduire,… mourir –, même lorsqu’il confronte ses voyageurs à des modèles sociaux aisément transposables en une critique des sociétés humaines. De plus, une indéniable radicalité dans la description des violents combats entre animaux et de la brutalité de la mort distingue le livre d’une simple fiction animalière bien-pensante… et en a toujours rendu sa transposition à l’écran périlleuse (… sans même parler de la difficulté de représenter de manière différenciée un grand nombre de personnages qui sont tous des lapins de garenne de la même couleur de pelage !).


La première adaptation fut faite au cinéma en 1978, sous la forme d’une animation traditionnelle simple mais élégante, à partir d’un script simplifié – moins de personnages, moins de péripéties pour tenir en 1h40 – assez habile… mais qui souffrit rapidement d’une réputation de "film le plus sanglant et le plus traumatisant jamais tourné pour les enfants" ! On imagine que personne n’avait prévenu le public français en particulier que "Watership Down" n’a rien d’une histoire pour enfants ! Une première série TV fut ensuite réalisée à partir de 1999, mais c’est évidemment l’annonce d’une co-production BBC-Netflix qui ralluma la flamme de l’espoir chez les fans : avec l’évolution de la technologie, on allait enfin voir à l’écran ce qu’on avait imaginé en lisant la dramatique épopée de "Watership Down" !


… Les premières images s’avèrent donc une sévère désillusion : une fois encore, comme pour les deux récentes adaptations du Livre de la Jungle, la re-création "réaliste" d’animaux à coup de CGI débouche sur une terrible laideur, rien de leur grâce et leur beauté "naturelle" ne survivant à ce traitement… Par contre, on saisit rapidement le sérieux du travail d’adaptation du livre, la durée de la mini-série permettant d’en respecter le rythme mais aussi la richesse scénaristique, avec un soupçon de modernisation qui n’est jamais gênant. Comme souvent lorsqu’on parle d’une production de la BBC, le casting – vocal - est impeccable, et contribue beaucoup à la force de nombreuses scènes, le choix de faire souvent murmurer, ou au moins "parler bas", les acteurs fonctionnant parfaitement. La grande caractéristique de cette adaptation réside toutefois dans le choix de la noirceur absolue – une noirceur qui est certes inhérente au livre -, quasiment jamais tempérée par des moments de bonheur, ou même des pauses ensoleillées dans la vie de nos lapins : la petite troupe de Hazel, Bigwig et Fiver survit clairement dans un monde "en guerre" contre elle, dans un stress permanent qui colore de gris ou de noir la quasi intégralité de la série.


Fidèle au texte d’Adams, "Watership Down" nous fait visiter tour à tour trois formes de société, dont il est facile de reconnaître le modèle "humain", et qui représentent chacune une forme d’asservissement de l’individu à la structure sociale : le meilleur des quatre épisodes réside dans la dernière partie de la série, centrée sur l’affrontement de nos héros avec l’organisation totalitaire de la garenne d’Effrefa, où toute liberté individuelle a été abandonnée en échange d’une protection complète contre les ennemis extérieurs. Bien sûr, le livre ayant été écrit avant l’effondrement de l’URSS, c’est le modèle soviétique qui est clairement visé ici, avec son système d’espionnage et de délation généralisés qui déshumanise – pardon "délapinise" ! – chaque individu… Et c’est la destruction finale d’Effrefa qui permet à nos exilés de jouir enfin d’une vie paisible dans un système qui semble d’ailleurs plus monarchique que réellement démocratique !


En résumé, il faut reconnaître que ce qui est réellement passionnant, et même fort émotionnellement, dans cette série, c’est avant tout à son respect de l’œuvre original qu’elle le doit, tandis que ses limites sont encore et toujours inhérentes à la difficulté de montrer de manière réaliste un tel univers, non anthropomorphe mais néanmoins agité de conflits universels à toutes les espèces.


|Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/01/27/watership-down-le-best-seller-anglais-de-richard-adams-adape-en-mini-serie-sur-netflix/

EricDebarnot
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleures séries de 2018

Créée

le 15 janv. 2019

Critique lue 3.2K fois

9 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 3.2K fois

9

D'autres avis sur La Colline aux Lapins

La Colline aux Lapins
EricDebarnot
6

La garenne sanglante

Pouvez-vous vous imaginer dans la peau d’un animal, d’un vrai – pas ces copies anthropomorphiques auxquelles la maison Disney nous a habitués depuis presqu’un siècle ? D’un lapin de garenne, par...

le 15 janv. 2019

9 j'aime

La Colline aux Lapins
SubwaySam
9

Prince aux milles ennemis, cours sans te retourner.

La Terre tout entière sera ton ennemie, Prince-aux-mille-ennemies, chaque fois qu'ils t'attraperont, ils te tueront. Mais d'abord, ils devront t'attraper... Toi qui creuses, toi qui écoutes,...

le 29 déc. 2018

6 j'aime

5

La Colline aux Lapins
Julie_Dorville
9

"There's a terrible evil in the world, and it comes from men".

Jamais une mini-série animée ne m'aura autant bouleversée. Diatribe de l'humanité, abordant tant la destruction que l'avilissement perpétrés par notre espèce, cette série m'a rendue profondément...

le 23 janv. 2019

3 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

101

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

183 j'aime

25