Irma Vep
6.9
Irma Vep

Série HBO (2022)

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1996, un film dans le film

En 1996, Olivier Assayas tourne le film "Irma Vep" avec, en vedette, Maggie Cheung, la star chinoise qui deviendra sa femme de 1998 à 2001. Il met en scène le tournage mouvementé d’une adaptation du feuilleton de Louis Feuillade, « les Vampires », qu’Henri Vidal, un réalisateur un peu has-been, tente de remettre au goût du jour. Datant de 1916, cette série raconte les aventures d’un groupe de truands (les fameux Vampires) dont Irma Vep, toute de noire vêtue, fait partie. Mais cette organisation de malfaiteurs se voit rapidement entrée en compétition avec Moreno, un autre malfrat tout aussi machiavélique. Et comme si cela ne suffisait pas, elle se retrouve également poursuivie par un enquêteur zélé, Philippe Guérande, qui rêve de tous les mettre sous les verrous. Dans cette histoire, Maggie Cheung est censée incarner le rôle d’Irma Vep. Mais, une fois sur place, elle va rapidement assister aux prises de bec régulières entre les membres de l’équipe de tournage et se confronter aux exigences exacerbées de son metteur en scène. Loin de ces considérations tumultueuses, elle s’imprègne tant et si bien de son personnage qu’elle finit par arpenter les toits de Paris, s’introduit dans des appartements et y vole même un magnifique bijou. Ainsi, par le biais de ces deux histoires entremêlées, Assayas composait une ode à sa vedette principale et nous proposait une vision assez désenchantée du milieu du cinéma.

Une réalité mise en fiction

Plus de 25 ans plus tard, le cinéaste français remet ça sous la forme d’une série, comme l’œuvre originelle de Feuillade, avec la suédoise Alicia Vikander en lieu et place de Maggie Cheung dans le rôle principal. L’occasion pour lui de pousser encore plus loin son concept sous des contours moins âpres que lors de son premier opus. En effet, ce dernier revêtait une forme assez frustre, tant du point de vue du montage que de l’effervescence un brin confuse qui régnait entre les membres de l’équipe. Ici, cela s’invective moins, tout y est plus nuancé, poli, réfléchi… drôle aussi. Et disons-le, plus abouti. Il existe bien sûr de nombreux points communs entre les deux œuvres, en témoigne le nom de René Vidal, ce réalisateur névrosé qui ne semble être qu’un miroir à peine déformé de celui de son créateur... Mais cette fois,la corrélation entre la fiction et la réalité est poussée à son paroxysme puisque Vidal avait lui-aussi porté « Irma Vep » au cinéma et connu une idylle avec son actrice principale, Chinoise elle aussi, et dont il a bien du mal à se remettre.

Quand l’écriture est là

Alors bien sûr, le premier changement constaté dans cette nouvelle mouture s’appelle Alicia Vikander dans un rôle autrefois dévolu à la femme de son réalisateur. Lourd fardeau quand on s’aperçoit que la figure de Maggie Cheung parvient à plusieurs reprises à se frayer fugacement un chemin jusqu’à nos rétines. Par ailleurs, contrairement au film où « Les Vampires » était plus évoqué que détaillé, on prend cette fois-ci connaissance de l’entièreté du récit grâce aux scènes tournées en plateau et aux images originelles de Feuillade. Assayas pousse même le vice jusqu’à incorporer des scènes, au rendu granuleux mais coloré, qui font part des mémoires existantes de Musidora, l’interprète d’Irma Vep en 1916. Or, ce sont bien Vikander et ses acolytes qui ont la charge de se plonger dans la peau des différents protagonistes de l’époque. Une question se pose alors naturellement : quel intérêt y avait-t-il pour son auteur de complexifier ainsi le récit en s’essayant à de tels mélanges ? Et bien, à vrai dire, il n’est du tout certain que l’histoire de « les Vampires » ne nous ait intéressée si elle avait été contée de manière conventionnelle. Ce faisant, elle procure au spectateur un plaisir ludique tout à fait singulier. Les plans du film de Vidal ont de surcroît une vraie personnalité : image bleutée irréelle, musique dissonante d’une modernité indéniable... Sans résistance, on se laisse entraîner par ce récit envoûtant. Cependant, « Irma Vep » aurait pu sombrer dans la confusion la plus totale mais la fluidité de son script et du montage permet de balayer magistralement cet éventuel écueil d’un revers de main. Le construction est complexe mais pourtant, les plans s’enchaînent avec une étonnante harmonie et la cohérence narrative ne pâtit jamais de ces mises en abîme successives. Du grand art !

L’amour, toujours l’amour !

Plus qu’un exercice de style vain et prétentieux, Assayas parvient même à transmettre son Amour. Son amour pour ces histoires universelles qui parviennent à traverser le temps. Mais aussi l’amour qu’il voue aux réalisateurs prêts à tout pour porter à l’écran ce qu’ils ont au fond des tripes, quitte à mettre la vie de leurs acteurs en danger. De fait, Assayas n’est pas forcément tendre envers lui-même. Si Vidal et lui ne font qu’un, il apparaît presque comme un illuminé obsédé par la vision qu’il a de son œuvre et de celle qu’il adapte.Certes, la voix fluette de Vincent Macaigne rend Vidal profondément fragile et sympathique. Il est drôle aussi car Assayas semble capable d’auto-dérision. Mais même à l’écoute de ses collègues de travail, il invective ceux qui ne parviennent pas à spontanément ressentir ses attentes, ce qui le rend irascible pour ne pas dire désagréable. L’amour enfin pour celles et ceux qui, à travers leur jeu et leur sensibilité, transmettent à leur personnage une âme dont le metteur en scène est le principal vecteur. Chaque directeur d’acteurs a besoin de « grâces » telles que Mira (le vrai nom de Vikander dans la série) et Maggie Cheung pour faire entendre sa voix. Une voix dont elles prennent possession et qu’elles incarnent sans la trahir. La posture résiliente et bienveillante que toutes deux ont su adopter par des moyens différents leur a permis d’acquérir le super-pouvoir du lâcher-prise. Grâce à lui, elles peuvent se laisser envahir par leur rôle jusqu’à devenir leur personnage, d’où ces instants fantastiques improbables dans une série longtemps ancrée dans le réel. Dès lors, celle-ci se couvre d’une part de mystère qui enveloppe longuement le spectateur après le visionnage. Qu’Assayas définisse ainsi le métier d’acteur en lui insufflant un telle poésie, et ce sont tous nos sens qui vibrent devant la beauté d’une telle déclaration amour.

Le monde du cinéma à la loupe

Pour le reste, nous sommes plus dans la description d’un univers cinématographique où tout le monde n’est pas montré à son avantage. Du bord de sa piscine aux États-Unis, l’agent de Mira tente d’imposer à sa cliente des blockbusters qui ne l’intéressent pas mais pourraient rapporter gros. Et d’argent, il est bien évidemment question pour les marques qui exportent leur image à travers celle de Mira. Pour ceux-là, le monde peut bien s’écrouler tant que leur protégée garde sa virginité commerciale intacte. Et puis, il y a les assurances qui peuvent couper un budget soudainement et interrompre un tournage, les producteurs qui mettent la pression… Même parmi les acteurs, Vidal voit son rôle de directeur menacé. Dialogues pas assez ceci, personnages pas assez cela… Suite aux prérogatives sociétales actuelles, la créativité de ce dernier se trouve également contrariée par ce qu’un réalisateur peut mettre en scène de ses fantasmes inconscients. D’ailleurs, quand on voit la manière dont ces problématiques sortent hypocritement du tapis dès lors qu’il y a désaccord personnel, il ne faut pas être un génie pour deviner ce que pense Assayas à leur sujet. Et en contrepartie, il y a ces portraits de personnages tous plus truculents les uns que les autres : l’acteur reconnu qui a besoin de sa dose de crack pour pouvoir tourner, les rapports de séduction entre les membres de l’équipe, une costumière qui veut « prendre soin » de sa star. Alors bien sûr,Vikander éclabousse la série de toute sa classe au travers d’un charme naturel hallucinant et d’une intelligence d’interprétation impressionnante. Mais, qu’il s’agisse de Jeanne Balibar ou de Hippolyte Girardot et Lars Eidinger (aperçu dans Babylon Berlin), tous sont formidables de désinvolture et de naturel même si certaines scènes s’appuient sur un comique de situation un peu forcé. Sur ce plan, « Irma vep » reste cependant largement plus sobre et moins caricaturale que sa consœur « Dix pour cent » qui traite des mêmes thématiques.

Un cinéaste militant

Outre toutes ces qualités, impossible de terminer cette chronique sans préciser qu’« Irma Vep » est aussi une œuvre qui se charge de défendre le cinéma d’auteurs. Et si celui-ci est qualifié d’« élitiste » par Assayas lui-même dans son film, l’ironie de ce passage ne fait aucun doute et constitue plus une charge contre ceux qui uniformisent le 7ème art et à laquelle n'échappe pas le mode de production sérielle... Mais que ce soit Mira ou Maggie Cheung, elles sont venues auprès de Vidal pour se trouver une identité en tant qu’actrice, hors des sentiers battus et du formatage des grosses écuries cinématographiques. Aussi torturé et imprévisible soit-il, être dirigée par ce tendre looser au succès confidentiel reste une vraie source de motivation pour Mira. Visiblement bien plus qu’Herman, ce réalisateur mainstream qui sait pourtant gagner des prix honorifiques. La vraie Maggie Cheung et Alicia Vikander ont-elles vécu les choses de cette façon quand elles ont dû endosser leur rôle auprès d’Olivier Assayas ? L’histoire ne le dit pas. Mais au vue de la qualité de cette série unique et personnelle, on se prend d’envie de le penser.

Disponible sur MyCanal

Question bonus : si Mira est un anagramme de « Irma », quel est celui de « Irma Vep » ?

vosarno
9
Écrit par

Créée

le 23 mars 2023

Critique lue 39 fois

vosarno

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