Fargo
8.2
Fargo

Série FX (2014)

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On ne fait pas d'omelettes sans battre les oeufs en neige

Il y a des séries qui te font réfléchir. Pas parce qu'elles ont une quelconque portée philosophique ou autre piste de réflexion, mais parce qu'une fois que tu as terminé le visionnage, tu te retrouves comme un con sur ton canapé (ou lit ou fauteuil ou chaise ou toilettes ou autre (je ne juge personne, chacun choisit son lieu de visionnage)), à essayer de comprendre la douleur qui s'est abattue sur ta joue. Il arrive parfois que tu n'aies pas d'explications, mais tout simplement que ce que tu viens de regarder est un putain de chef d’œuvre. Voilà l'effet produit par Fargo, série adaptée du film éponyme, véritable OVNI dans le paysage audiovisuel américain.



"Just one word. Yes or no ?"



Et pourtant, c'était loin d'être gagné. Capter l'essence du film des frères Coen, et en proposer quelque chose de nouveau est probablement une des tâches les plus compliquées à faire. Car les frangins ont un style bien à eux, une précision dans l'écriture qui bouscule complètement la réalité dans laquelle ils plongent leurs personnages, qui sont eux-mêmes d'une profondeur incroyable, jouant sur plusieurs niveaux de lectures. Et Fargo (le film) est le digne représentant du style coenien, peut-être l'apogée de leur style, l'absurdité macabre poussée à la jouissance et la peur. Et c'est là que s'exprime le génie de Noah Hawley.


Car non seulement il a parfaitement réussi son pari, mais il a fait mieux. Ou comment pousser cet univers décalé, sombre et dérangeant à son paroxysme. Et c'est bien là qu'est la principale force de la série, son écriture et la mise en place des situations. Si des similarités avec le film sont à souligner, Hawley réussit à construire un univers qui lui est propre à partir d'une base, certes fournie, mais finalement loin d'être exhaustive dans son traitement, ce qui sied à merveille à une galerie de personnages tous plus barrés les uns que les autres.



"I just wanted to be someone."



Si la saison 1 calque plus ou moins des personnalités déjà présentes dans le film, chacun des protagonistes se retrouve affublé d'un petite touche en plus. Si Lorne Malvo fait énormément penser au personnage de Peter Stormare, il a ce côté calculateur et érudit qui le rend un peu plus glaçant dans sa façon d'agir (sans parler du fait que chaque nouvelle scène dans laquelle il apparait est un pur moment de folie furieuse). Si Lester Nygaard rappelle le personnage de William H. Macy, il n'empêche qu'il dégage une violence et une colère assez forte lorsqu'il se retrouve dos au mur. Même discours pour le duo de flic que représentent Molly et Gus, formidable substituts de la non moins formidable Frances McDormand, ainsi que pour quasiment tous les autres. Et aussi improbable que cela puisse paraître, aussi incongrues et incroyable puissent être les différentes situations dans lesquelles ils se retrouvent tous, chaque scène s'emboîte parfaitement avec la suivante pour former un tout merveilleusement cohérent. Et c'est cette cohérence qui permet de se rendre compte de la grande réussite de la série. Peu importe le grand n'importe quoi qu'elle donne l'impression de dégager, il y aura toujours une justification, que ce soit dans la mise en scène ou dans les dialogues, comme pour rappeler que le spectateur ne contrôlera jamais ce récit. Le but est bien évidemment de brouiller les pistes pour perdre ce même spectateur, et les quelques lignes qui débutent chaque épisodes ("This is a true story ...") sont également là comme rappel.



"I have heard of you. And may I say, brother, I like your style."



Si la première saison est une énorme réussite, la seconde est un chef d’œuvre. En reprenant les bases qui ont construit le succès de sa prédécesseure (je ne sais pas si ce mot existe...), Hawley poursuit son exploration de la folie de l'être humain, magnifiquement représentée par l'épisode 8 qui restera le sommet de cette saison, et même de la série. C'est le point d'orgue à l'absurde violent, drôle et dérangeant cher aux frangins Coen. L'épisode est magnifiquement composé, sans baisse de rythme, écrit à la perfection, tant par les dialogues que par les actions des personnages. Tout ce qui se déroule à ce moment précis découle de la préparation de toute la saison. Et l'épisode suivant viendra mettre KO un spectateur qui restera à coup sûr groggy devant une séquence finale empreinte de la folie de l’œuvre de son créateur.


Évidemment, la mise en scène est bien au-dessus de la moyenne du reste de la production télévisuelle actuelle de part la qualité de son image, du travail sur les couleurs, la quantité d'idées qui habitent chaque plan. Et évidemment le casting est absolument remarquable, chaque acteur s'inscrivant parfaitement dans cet univers si particulier et c'est certain que la série ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans sa BO phénoménale qui l'habille de manière remarquable.


Fargo aura donc réussi le pari de prolonger un univers complètement fou, empreint d'une violence certaine et d'un humour noir sur fond blanc qui lui sied à merveille. L'inventivité dont elle fait preuve, le casting qui réalise un sans faute, la qualité technique qui en découle et tout simplement le plaisir qu'elle provoque en la regardant en font assurément la meilleure production de ces dernières années, peut-être même depuis la fin de Breaking Bad.

Strangelove
9
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le 20 juin 2016

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