Euphoria
7.8
Euphoria

Série HBO (2019)

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Saison 1 + épisodes de Noël :


J'ai été longtemps réticent à me plonger dans "Euphoria", car j'ai une aversion profonde pour les récits d'addiction. Je crois bien n'avoir jamais aimé, réellement aimé, un film racontant une addiction, particulièrement aux drogues : j'ai su reconnaître quelques fois les qualités du film, mais j'ai toujours ressenti un profond ennui devant ces récits prévisibles de déchéance, et peu d'empathie devant des personnages que, au fond de moi, j'ai toujours - injustement, je le sais - considéré comme des faibles, victimes non pas de systèmes sociaux destructeurs, mais bien de leur propres erreurs.


J'ai fini par regarder "Euphoria" quand on m'a expliqué qu'il s'agissait d'une version US de ce "Sex Education" anglais que j'adore. Et, de fait, j'ai apprécié ce portrait lucide de la sexualité des adolescents, confrontés à la mutation accélérée des comportements, des valeurs, des modes de communication individuels, dans un contexte d'angoisse générale quant à l'avenir de nos sociétés : les dommages causés par la virtualisation des rapports, la difficulté croissante de se choisir des repères moraux qui permettent d'effectuer une difficile transition vers l'âge adulte, le poids décuplé par les réseaux sociaux de l'image et du regard de l'autre, tout cela est en effet pertinent, et la plupart du temps, absolument passionnant. Même en prenant en compte l'exagération (ou l'avance ?) états-unienne - déliquescence de la cellule familiale, omniprésence des drogues, recours immédiat à la violence, goût pour la pornographie associé à une pudibonderie profonde -, il est facile de voir en "Euphoria" une description juste, et qui plus est, empathique, des épreuves que traversent nos enfants. Et cela rend le visionnage de la série tout simplement indispensable pour quiconque s'intéresse un minimum à ces questions, assez déterminantes quand même pour notre avenir à tous.


Ce qui ne veut pas dire que "Euphoria" soit le chef d'oeuvre que beaucoup de gens célèbrent en ce moment. Si j'ai réussi, personnellement, à surmonter partiellement mon aversion pour les histoires de camés, c'est surtout grâce au talent de la jeune Zendaya, impeccablement crédible dans toutes les situations - souvent extrêmes - qu'elle traverse : reste néanmoins que je n'ai pas pu éviter de soupirer d'ennui devant ses diverses rechutes, et l'inévitable répétitivité de ce parcours sans surprise.


J'ai aussi trouvé le scénario ainsi que la crédibilité générale de l'écriture des personnages (en particulier celui, central, de Nate Jacobs, qui ne fonctionne absolument pas, malgré le charme de son acteur, Jacob Elordi) assez erratiques, et très inférieurs de fait à leurs équivalents dans "Sex Education". Franchement, sur toutes les questions "sexuelles" et "comportementales", "Euphoria" me semble bien inférieure à sa série sœur anglaise, et souffre des habituels clichés doloristes et lourdement psychologiques du cinéma commercial US standard... Moins de légèreté, moins d'humour, moins de "respiration" pour des personnages très stéréotypés dans des situations trop écrites, moins de vérité humaine : il suffit pour en être convaincu de comparer les scènes quasiment identiques de l'avortement dans les deux séries, pour réaliser combien le montage et la réalisation de Sam Levinson manquent de cette grâce pourtant essentielle à la description de l'adolescence (on est également loin du travail de grands réalisateurs comme Larry Clark, Greg Araki et surtout Gus Van Sant !).


En écrivant ça, je sais combien je suis en désaccord avec nombre de fans qui s'émerveillent devant les prouesses techniques de la photographie et de la mise en scène : si en effet, certaines scènes sont belles, ou simplement spectaculaires, elles restent à mon sens plus dans l'artificialité du clip vidéo commercial que dans la vérité du Cinéma. C'est d'ailleurs une très agréable surprise de constater que les deux épisodes supplémentaires (de Noël ?), chacun consacré quasi uniquement à un dialogue - le premier entre Rue, l'addict, et son "guide" qui essaie de l'aider à décrocher, et le second entre Jules et sa psychologue - en viennent à l'essentiel, en se débarrassant enfin de toutes les scories de mise en scène qui ne servaient guère que comme technique de séduction d'un public ado.


Il me reste à souligner l'élément le plus évident de "Euphoria", qui lui permet de transcender sans efforts toutes ses limites, c'est la présence littéralement stupéfiante de Hunter Schaffer, acteur trans, dans le rôle pivotal de Jules : véritable incarnation angélique au cœur d'une série qui se complait plutôt dans les enfers de la société, Schaffer porte à elle seule toute la Beauté du monde. Ce n'est pas rien.


[Critique écrite en 2022]


Saison 2 :


… Ce qui nous amène à la terrible déception qu’a constitué cette seconde saison d’une série qui a visiblement perdu le Nord. A moins que ce ne soit Sam Levinson, qui, enivré par le succès de sa première saison (on parle de "Euphoria" comme de la série TV la plus “commentée en direct sur les réseaux sociaux”, quoi que ce soit que ça signifie…), a pensé qu’il pouvait faire tout ce qui lui passait par la tête. Comme commencer par deux épisodes jusqu’au-boutistes et extrêmement malaisants, transformer la partie de l’intrigue relative aux drogues en version bâclée de "Breaking Bad", utiliser un épisode entier pour faire la démonstration de sa maîtrise formelle (un exercice de virtuosité passablement insupportable de vacuité), et puis terminer sa saison sur une idée a priori intéressante, mais qui se révèle catastrophique : à travers l’adaptation par Lexi (soit quand même le personnage le moins bien écrit de toute la série) de la vie de la petite troupe sous forme de pièce de théâtre, proposer une mise en abyme de l’intrigue, et confronter les personnages à leur propre image passée par le prisme subjectif de l’Art.


Cette idée du théâtre et de l’insoutenable réalisation de sa propre vérité est en effet si mal réalisée qu’elle se retourne complètement contre la série : au lieu d’élever les différents thèmes de "Euphoria" vers le symbolisme, ou au moins vers la métaphore, elle fait redescendre toute l’intrigue de plusieurs niveaux. En ne jouant pas le jeu du réalisme d’une pièce de théâtre montée par des lycéens (comme c’était, encore une fois, le cas avec la formidable théâtralisation provocatrice de la sexualité dans "Sex Education", décidément le modèle que poursuit Levinson sans jamais l’égaler…) mais en adoptant les codes de la comédie musicale hollywoodienne, Levinson brise le pacte avec ses spectateurs de la “suspension consentie de l’incrédulité” : si la pièce de théâtre n’est pas vraie, alors rien n’est vrai. En faisant réagir ses personnages littéralement au premier degré face au miroir qui leur est tendu, il contredit le principe fondamental de la “représentation symbolique” qu’offre l’Art. Le résultat est absolument mortel pour cette seconde saison : les septième et huitième épisodes nous détachent totalement de "Euphoria", condamnent la série à n’être qu’un jeu intellectuel imaginé par une équipe qui n’en avait, justement, pas l’intelligence. Pire, la conclusion de la saison, mêlant bain de sang, démolition convenue du quatrième mur, et happy end doucereux (avec l'annonce improbable faite par Rue à Jules...) confirme tragiquement la perte complète de direction de la série.


Et c’est dommage, parce qu’il reste au milieu de ce naufrage deux épisodes qui nous ont littéralement soulevés. D’abord le quatrième ("You Who Cannot See, Think of Those Who Can"), grand moment cathartique où le très beau personnage de Cal (Eric Dane, absolument formidable !) affronte enfin son homosexualité devant sa famille horrifiée. Et ensuite le cinquième épisode ("Stand Still Like the Hummingbird"), harassante course folle de Rue poursuivie par son addiction et par la police : en passant à un jeu purement physique qui la délivre de ses mimiques répétitives, Zendaya devient l’héroïne magnifique et pitoyable d’un thriller éprouvant, et Levinson met pour la première fois la virtuosité de sa mise en scène totalement au service de son histoire et de son personnage.


Deux épisodes parfaits au milieu d’une seconde saison ratée. A suivre ?


[Critique écrite en 2022]

EricDebarnot
6
Écrit par

Créée

le 21 janv. 2022

Critique lue 1.7K fois

16 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

16

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