Après la hype autour de Ted Bundy, les séries You, Don't fuck with the cat, Mindhunter, The fall, les serial killer psychopathes séduisants ont le vent en poupe, et on n'est pas loin de frôler l'overdose de fictions à easter eggs sordides, au point d'avoir envie de se plonger dans des séries plus réconfortantes et inoffensives (Parlement, seul face à l'abeille) histoire de respirer un air pas vicié par les tripes et boyaux fumants. Même la série Disney sur les Sex Pistols redonne plus la patate, c'est dire si la production actuelle tire sur la corde.

Alors imaginez une série de pas loin de 10 heures sur le tueur en série cannibale Jeff Dahmer, signée Ryan Murphy, capable également des pires atrocités filmiques, notoirement connu en raisoon de sa passion pour les scènes gerbantes et racoleuses, c'est peu dire que j'y suis allé à reculons.

Outre les critiques positives, je ne perds pas de vue que Ryan Murphy est capable du meilleur (la première saison d'American Horror Story) comme du pire (les dernières saisons d'American Horror Story, Hollywood). Et c'est vrai que Dahmer est éprouvant à regarder car infiniment glauque - mais comment pourrait-il en être autrement ? Surtout les deux premiers épisodes. Elle jouit pourtant de qualités rares dans le paysage du moment : elle est rigoureuse sur beaucoup de points et l'écriture s'en inspire sans se reposer dessus à 100%. Je craignais que Murphy ne fasse paresseusement la même chose qu'avec Halston, coller un vieux schéma rebattu en se contentant de jouer la carte diversité de genres, caser des scènes de cul à gogo et ne rien proposer d'autre qu'un choc bourgeois (encore qu'en matière de sexe, c'est le prolo qui est plus coincé du cul en 2022, n'importe quelle discussion avec un chauffeur de taxi, ou un ouvrier vous le dira, le numéro spécial sex des Inrocks n'est pas acheté par des agriculteurs au bord du suicide, fin de la parenthèse trop longue visant à combattre un stéréotype daté).

Murphy évite (en partie) le piège et plonge en détail dans l'enquête, reconstitue des faits véridiques, comble les trous avec des bonnes intuitions et une mise en scène bluffante. Tout est soigné : les dialogues, l'interprétation, le montage, l'aspect technique sont comme souvent proches du cinéma malgré ce fameux "filtre" Netflix qui donne l'impression de standardisation. On n'est pas loin de David Fincher disons-le, et la production a dû couter un bras.

Sur Dahmer j'avais surtout aimé la B.D "Mon ami Dahmer" de Derf Backderff qui s'attarde sur son adolescence. On y apprend à connaître ce pauvre type à travers le récit d'un camarade de classe. Et on a fatalement de l'empathie pour ce marginal alcoolique délaissé par sa famille, car il ne s'est encore rien produit de grave. Le truc compliqué avec la série Dahmer et qui a dérangé pas mal de monde - et je m'inclus dedans - c'est qu'elle tente quand même de faire éprouver de l'empathie envers ce personnage qui commet les crimes les plus abominables. Et c'est inévitable, on peut pas faire visionner 10 H de fiction sur le quotidien sordide d'un serial killer maboule sans qu'un peu d'humanité ne soit palpable à l'écran (à moins d'être psychopathe et de l'accompagner sourire aux lèvres devant ses atrocités). Ou alors il aurait fallu ramener la fiction à une durée plus raisonnable, en se focalisant sur le monstre qu'il était. Donc, 10 heures, faut les combler, et sur la fin il tire beaucoup sur la corde, Glenda Cleveland la voisine qui a alerté la police en vain devient le personnage principal et le propos autour d'elle devient bien trop redondant, même s'il était important de montrer comment Dahmer avait pu tuer autant de gens. Et le fait que ses victimes soient noires et homosexuelles a eu une tragique incidence sur le désintérêt de la police locale. Le personnage de Lionel Dahmer (l'excellent Richard Jenkins) aurait peut-être du exploiter plus. Mais une chose est sûre, il aurait fallu condenser tout ça en 6 épisodes.

La réalisation est effectivement impeccable et Evan Peters est un super acteur, ceux qui ont regardé AHS saison 1 le savent.

Dahmer n'est pas une série pour tout le monde, il est logique et rassurant qu'elle révulse plus de monde qu'elle n'en fascine. Mais il en faut du talent pour faire passer un univers éprouvant et donner l'envie d'y plonger à 10 reprises. C'est une réaction bien plus saine que celle de ceux qui se trouvent exhalés par le personnage au point d'adopter le look du monstre ou de créer des halloween party sur le thème. Ou pire encore, Djebarri l'ancien ministre des transports, complètement demeuré, qui a trouvé opportun d'en faire une vidéo TikTok pour blaguer sur le 59-3.

On en vient à se dire que le succès de la série est contreproductif...

Negreanu
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le 18 nov. 2022

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