Je suis un grand amateur d’horreur au cinéma. Les ambiances pesantes et malsaines qui se dégagent généralement de ces films lorsqu’ils sont réussis me permet d’éprouver la peur en toute sécurité, depuis mon fauteuil ou mon lit. Résultat : je flippe, mais je peux gérer.  D’une manière générale, j’aime aussi les films de monstres. Je parle ici de Godzilla, King Kong etc. L’horreur et les monstres nous disent quelque chose de nous. S’interroger sur la créature de Frankenstein ou sur la figure du vampire, c’est interroger, à chaque fois une part sombre qui est en nous. Et ne le nions pas, je pense que nous avons tous une part sombre. Sous-contrôle certes (pour la plupart en tout cas). Des idées parfois morbides, des pulsions. Si bien que lorsque nous perdons le contrôle (un mot de travers, le ton qui monte), on se sent assez rapidement « hors de soi » (mais au fond, on est toujours « soi », juste pas celui que l’on voudrais). 

Cette petite introduction sert à avancer le fait que finalement, la fiction est un bon moyen d’explorer une part plus obscure de nos psychés. Je peux voir un Freddy tuer de jeunes adolescents ou un Pinhead s’en prendre à ceux et celles qui percent le secret de ses boîtes de Lemarchand sans problème. Je ne dis pas que je n’ai pas peur, que ça ne m’effraie pas (affronter la mort, même fictionnalisée peut parfois être difficile). Toutefois j’ai toujours une attirance pour ceux et celles qui osent aborder ces sujets, que ce soit de façon frontale (La fin de vie avec The Father par exemple) ou métaphorique (Hellraiser précédemment cité ou Candyman), où la mort n’est pas seulement un artifice pour montrer que le héros est fort et peut dézinguer des types sans être affecté (la plupart des films d’action) et asseoir une forme de domination sur ses antagonistes (ce n’est pas forcément un mauvais procédé, hein ? Juste que la mort est généralement minimisée dans ce genre de film et c’est normal, ce n’est pas le sujet). 

Concluons sur cette longue introduction : la mort et la monstruosité sont  des sujets lourds que tout le monde n’arrive pas aborder, mais la fiction est un bon moyen de les explorer.  Et là où je veux en venir : La réalité de ces sujets me fait flipper. Les tueurs en séries, avec leur méticulosité, leurs obsessions, leurs modus operandi me font singulièrement flipper dans la "vraie vie". Imaginer les pauvres victimes d’un Ted Bundy, d’un John Wayne Gacy ou dans le cas présent d’un Jeffrey Dahmer m’est assez insoutenable. Et bien souvent, je suis à la fois partagé entre l’horreur des faits et l’horreur des fans. Puisqu’il existe des fans adorateurs de ces personnages, assez friands de ce type d’horreur, iconisant leurs « idoles ». Eux me font tout aussi flipper que leurs icônes. Ils m’apparaissent comme de potentiels « monstres » eux aussi. 

Maintenant que j’ai un peu parlé de mon rapport à tout ça, parlons un peu de la série Netflix qui nous concerne aujourd’hui. Il s’agit d’une nouvelle adaptation de la vie de Jeffrey Dahmer après de nombreuses œuvres de fiction (que je n’ai jamais vues mais dont il semble qu’elles soient pour la plupart assez médiocres), avec un personnage principal campé par Evan Peters (que j’adore dans American Horror Story notamment). Et pour ainsi dire, peu de choses m’attiraient à l’origine. Premièrement, j’avais un peu peur de l’aspect « iconisant » que peut avoir ce genre d’œuvres qui entretiennent un mythe un peu morbide autour d’un personnage bien réel ayant commis des actes graves, moralement insupportables. Je déteste les « fans » de ces personnes. Donc chaque œuvre qui en parle me met un peu en alerte. A-t-on réellement besoin de déterrer encore ce genre d’histoire ? Deuxièmement, il s’agissait d’une série Netflix, et je me méfie toujours un peu de la qualité de ces dernières (il y a de très bonnes choses, mais il faut admettre qu’on peut vite déchanter avec certains de leurs projets même les plus alléchants). 

Mais ne le nions pas : j’ai été attiré par cette série à cause d’Evan Peters (qui a un charme assez magnétique, j’aime le regarder à l’écran) et par Ryan Murphy en créateur. Sur American Horror Story, il y a un travail assez intéressant pour présenter un discours assez social sur les sujets traités (je pense notamment à la saison Cult puisque c’est la plus évidente à ce niveau, mais chaque saison mérite qu’on s’attarde sur ce qu’elle dit des Etats-Unis et son histoire, ses fantasmes). Peut-être un peu de complaisance, mais il y a toujours de quoi discuter dans chaque saison de cette série. Donc pour un travail sur la figure du monstre, traiter du personnage réel de Jeffrey Dahmer était au moins un défi intéressant à relever. 

J’ai donc lancé le premier épisode. Malaise, horreur, frissons. J’ai été parcouru de tant d’émotions malsaines dans ce premier épisode que j’ai dû regarder quelque chose de léger avant d’aller dormir après. C’est cru, sans énormément de fioritures. J’avais un peu peur tout de même que la série ne revienne que sur ses meurtres et cherche d’une manière ou d’une autre à justifier les actions de Jeffrey. Puis j’ai enchaîné le reste.

Je ne vais pas rentrer dans les détails de chaque épisode, mais voici ce que je pense de la série (« il était temps » me direz-vous). J’ai vraiment aimé cette série. Mes craintes quant à une forme de fantasme du personnage ont vite été balayées. Jeffrey Dahmer n’est jamais (ou peut-être cela m’a échappé) montré comme une victime ou un héros de cette histoire. Des choses le dépassent, certes, mais il assume ce qu’il fait. La série fait le choix assez judicieux, pour nous amener à nous interroger sur le monstre, d’appuyer son côté humain. Mais pas pour nous attacher à lui. Plutôt pour le rattacher lui à l’humanité. Parce qu’on le veuille ou non, Jeffrey Dahmer était un humain. Un humain non pas dans ce qu’on aime appeler « être humain », c’est-à-dire tout un ensemble de qualités positives (bienveillant, coopératif, bon etc.). Non, il est humain dans ce qu’il peut y avoir de pire. Et ce qu’il y a de pire, nous l’avons aussi d’une certaine manière en nous. Mais nous gardons le contrôle généralement. Nous avons des règles de politesse, des comportements contrôlés de manière à ce que lorsque nous croisons quelqu’un dans la rue, nous ne l’insultons pas. Nous ne volons généralement pas ce qui appartient à autrui. Croiser le regard de celui ou celle à qui on fait mal ou blesse par des mots ou des actes nous fait généralement nous arrêter. Bref, il y a des instances de contrôle en nous. Mais le monstre est là, sous des apparences parfois (trop ?) propres. Jean-Claude Romand avait l’air d’un bon père de famille, d’un bon fils. Ça ne l’a pas empêché de mentir à toute sa famille et à ses amis pendant 20 ans, de finir par tenter de tuer une amie, et de mettre fin à la vie de sa femme, ses enfants puis ses propres parents. Le monstre a pris le dessus. Pourtant, il restait humain et rien ne sert de le sortir de cette catégorie de l’« humanité ». C’est un exercice un peu paresseux que de désigner les monstres des autres en oubliant les siens je trouve. Et la série ne rentre pas là-dedans (à mon sens). Elle offre justement ce qu’il faut d’humanité à Jeffrey Dahmer en s’arrêtant sur des morceaux bien choisis de sa vie pour le ramener à l’humanité. Encore une fois, pas pour qu’on le plaigne mais pour que l’exercice du visionnage ne soit pas aussi simple. Notons à ce sujet par exemple tout l’épisode tourné autour de Tony. Un épisode assez magnifique, avec le personnage de Tony qui est clairement un des plus touchants montré dans cette série. Le fait de passer une heure avec lui et Jeffrey permet de mettre en évidence le fait que Jeffrey est en quelque sorte capable d’aimer. Qu’il a des sentiments. Puisqu’il est capable d’entretenir cette relation sur quelques temps. Dans ce cas, il ne ramène pas juste Tony chez lui pour le droguer et mutiler/manger son cadavre/avoir du sexe avec. Non, il renonce à ça. Un peu. C’est finalement dans les moments où Jeffrey résiste qu’il est difficile de lui ôter toute « humanité ». Non, il est là, avec nous (malheureusement ?). 

On va essayer d’aller un peu plus vite, je sens que je prends trop de temps à développer cette critique. Mais notons le choix de la série de se diviser globalement en deux grosses parties. La première centrée sur Jeffrey, la deuxième sur l’impact à la fois sur son entourage (le père est clairement un personnage assez bien traité dans sa propre complexité et culpabilité), sur la voisine (incroyable de force). Cette deuxième partie montre le procès, des familles détruites, dans l’incapacité de se remettre de la disparition de leurs proches. L’impact de la monstruosité de Jeffrey.  L’intelligence de la série est également visible dans sa façon de montrer l’absurde adoration de certain.e.s fans. Et surtout, l’aspect politique qui découle de cette affaire. Que nous dit Jeffrey Dahmer des Etats-Unis des années 80 ? Un pays largement raciste où les personnes de couleur sont stigmatisées. Un pays assez largement homophobe. Un pays où la police croira plus une personne blanche aux comportements bizarres qu’un jeune noir visiblement en panique. Un pays promettant le « rêve américain » mais qui laisse des populations immigrées dans la misère, des noirs parqués dans des quartiers abandonnés, loins de toute considération. Tout cela est bien évidemment encore largement d'actualité.

Dernier point intéressant de la série : servir d’hommage aux victimes en l’absence de tout monument commémoratif existant. La série se termine sur le combat de Glenda pour obtenir un monument commemoratif afin que les familles puissent faire leur deuil et sur une série de portraits de victimes. La série essaye d'être ce monument. Est-ce réussi ? De mon côté je trouve que rien n’est fait pour que l’on finisse sur une compassion envers Jeffrey. On s’interrogera plutôt comment surmonter ça. En tant que père, en tant que famille des victimes, en tant qu’étatsunien. En tant qu’ "humain" tout simplement.  

Arrivé à la fin de cette série, je m’interroge. Sur mes propres pensées, ma personnalité, sur mes forces, mes faiblesses. Sur ce que je contrôle et ce qui me dépasse. Et je suis admiratif. Mais pas de Jeffrey Dahmer (l'interprétation d'Evan Peters est tout de même très bonne, c'est à souligner). Je suis admiratif des gens comme Glenda et de sa force, mais je suis aussi admiratif des faiblesses de certains (car je me reconnais dans cette incapacité à faire son deuil du père de Konerak Sinthasomphone) et d’une certaine manière, le chemin effectué par Lionel Dahmer pour comprendre son fils, entre culpabilité et pardon. Qu’il doit être difficile d’être père dans ces situations là… 

En bref, j’ai aimé la série. Elle est intelligente, bien filmée, oppressante, malaisante. Les choix de narration sont assez bons, permettant plusieurs points de vue sur la situation tout en évitant une redondance. On évite une icônisation abusive du personnage et on offre une opportunité de mettre en avant les victimes (directes et collatérales) du "cannibale de Milwaukee". 

La série nous permet de regarder le monstre en nous. De le regarder en nous à travers l’autre. 

PS : J’espère qu’Evan Peters a un bon psy.

Solid_Seneque
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le 25 sept. 2022

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