Ca y est, Community est annulée après trois premières saisons excellentes, une laborieuse quatrième saison et une cinquième qui reprenait en qualités, six seasons and a movie il n'y aura sûrement pas, du moins pas chez NBC qui a tout bonnement saccagé le travail de Dan Harmon avant de l'abandonner inopinément, lui refusant par ailleurs un final digne de ce nom. Tellement dommage quand on connaît le potentiel de cette série unique et intelligente. En tout cas, je retournerai à Greendale pour recevoir ma dose de fou rire assurée en compagnie des Sept.
Community, c'est l'histoire d'un groupe d'étude dans un de ces fameux community college américain, universités publiques de dernières chances pour les plus dépossédés. Tous ces personnages sont des archétypes de personnages typiques de sitcom - la mama, le dom juan, l'activiste végétarienne, le sportif populaire, le xénophobe assumé -, à l'exception faite qu'ils vont progressivement s'affiner et être conduits à dépasser les caractéristiques inhérentes à leur personne qui pourraient éventuellement les enchaîner à une condition sociale restreinte : ils vont s'améliorer, dépasser leurs défauts premiers et d'archétypes devenir individus. Exactement à la manière d'un Breakfast Club (volontairement cité dans la série), Community utilise des figures caractérielles ancrées dans la conscience populaire collective de sorte à déconstruire leurs images pour en transcender la caricature initiale, renverser le système de représentation.
Nous rencontrerons ainsi Jeff, Annie, Britta, Troy, Pierce, Shirley, Dean le doyen ou encore Chang, et enfin Abed, véritable point d'orgue de la série. Abed est un jeune adulte atteint du syndrome d'Asperger. Ne cernant pas la nature des relations humaines et préférant se renfermer dans l'imaginaire, univers plus rassurant, Abed n'arrive à communiquer avec ses pairs qu'en s'inspirant directement de personnages fictifs qu'il chérit (Don Draper de Mad Men, Gregory de My dinner with Andre, Han Solo de Star Wars...), se faisant alors caméléon des émotions humaines qu'il rend avec brio : Abed est persuadé d'être dans une série dont il serait le scénariste spontané. En effet, il est passionné par le cinéma, les séries et la culture populaire en générale. Ainsi, Community est une série ultra-référencée, bercée par des clins d’œils en tout genre et n'hésitant pas à offrir des épisodes spéciaux réguliers (souvent les meilleurs) en alternant d'un genre à l'autre : le film de guerre, le western, le documentaire, le dessin-animé, la SF, le survival zombie, le huit-clos ou le jeu-vidéo.
Abed sert de catalyseur à la série, il est l'intermédiaire entre la fiction et notre réalité. Car Community est avant tout méta - on y regarde Kickpuncher aka Terminator, Inspector Spacetime aka Doctor Who, Bloodlines of Conquest aka Game of Thrones -, consciente de son statut de série et qui nous le fait part, à la fois lorsque Abed s'adresse directement à la caméra, mais aussi dans le fond, en témoigne l'épisode complexe "Messianic Myths and Ancient Peoples" où Abed crée un film sur un film en plein tournage tournant autour d'un prophète. Rarement une série aura autant brisé le quatrième mur.
Si Community est une sitcom atypique, c'est bien parce qu'elle est va à contre-courant des autres sitcoms en s'en faisant à la fois satire et imitation volontaire. Elle en réutilise habilement les codes et poncifs habituels, que les scénaristes connaissent par cœur, pour les contre-carrer. Les personnages eux-mêmes parlent et agissent en étant conscients du rôle qu'ils tiennent et des attentes du spectateur, qu'ils décident de combler ou non (le triangle amoureux Jeff-Annie-Britta, jamais abouti et toujours surprenant) : Jeff désigne Shirley en disant "Sorry, I was raised on TV. I was conditioned to believe that every black woman over 50 is a mentor of some kind.", nous mettant en interaction avec la série, nous y plongeant entièrement, comme si nous la faisions vivre, comme si nous étions son essence-même.
Ainsi, elle peut être appréciée de deux façons et propose une double-lecture riche et pertinente. Au-déca de l'intrigue sérielle en elle-même, avec son lot de rebondissements, elle permet une mise en abîme. Community, c'est en fait plus une étude de la sitcom qu'une sitcom à proprement parler, et c'est pourquoi il faut la voir impérativement. Car sous ses airs peu sérieux et son utilisation géniale de l'humour absurde et du non-sens le plus total -fou rire garantis comme rarement !-, elle est bien plus profonde qu'elle en a l'air, dépasse le statut strict de série. Elle aura tantôt fait de vous émouvoir (le départ de Troy, le décès de Pierce) grâce au capital sympathie de personnages attachants et déjantés, se retrouvant perpétuellement dans des situations improbables et surréalistes, surfant presque sur la corde du fantasmagorique et trouvant source dans l'imaginaire de notre enfance, les yeux illuminés par une innocence désinvolte. Des personnages compliqués et, comme nous, incertains, qu'on voit s'aimer puis se détester, se déchirer et renaître pendant six ans, six merveilleuses années qui se terminent, là maintenant. Au revoir les doux yeux d'Annie, la maladresse de Britta et les beaux discours de Jeff. Adieu les rendez-vous matinal jouissifs de Troy et Abed (in the morning !), les délires de Dean et les complots de Chang. On se console en se disant que si Community s'est éteinte, Greendale, elle, a été sauvé, et ça, ils ne pourront pas nous en priver.