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En France, Buffy est perçue comme une série mièvre exclusivement destinée aux filles prépubères en mal de vampires ténébreux, d'amourettes maudites, au même titre que de véritables purges comme Charmed, Smallville, Roswell ou plus récemment Twilight. Réputation désolante au cou tenace, pourtant fort à l'opposé de la réalité. Sûrement la faute à un doublage désastreux, édulcorant et lénifiant, à une programmation malheureuse entre deux épisodes de Charmed et à un marketing gothisant mensonger. Certes, la série a toujours conservé son aspect de série Z inhérent aux problèmes de budget et de production (Même Mad Men, en ce moment, doit faire face à ce genre de complications, alors sur une chaîne du siècle dernier...). Les vampires sont un folklore lassant, il y a bien trop de kung-fu et certains fils rouges sont maladroits. La série plaît en effet aux adolescents mais est loin de s'y restreindre. Les quelques scènes longuettes avec Angel le boudeur ne permettent vraiment pas de définir le ton de la série. Et même dans ce domaine elle se place au-dessus du lot et virera plutôt vers le sadomasochisme malsain.
Buffy ne peut être ainsi réduite, Buffy n'est pas niaise, Buffy n'est pas stupide, c'est une série fine, cohérente et contrastée, originale, qui se révèle sur la longueur.

En premier lieu, elle s'approprie les codes du genre fantastique et de la sitcom adolescente pour mieux les détourner comme le faisait déjà Wes Craven dans Scream mais ici le format permettra d'aller plus loin et de dépasser le simple pastiche, multipliant les métaphores plus ou moins subtiles mais toujours justes. La qualité d'écriture est ainsi l'un des points forts du show. C'est ici l'art de Joss Whedon dans toute sa splendeur : catchlines qui ricochent, second degré omniprésent, le renversement incessant des conventions, l'humour pinçant, les références et autres clins d'œil. Une excellente écriture et une construction narrative portée par des acteurs débutants, certes pas toujours très à l'aise, certains même carrément mauvais, mais qui sauront progresser et incarner à la perfection leur personnage.

En second lieu, ce qui fait toute la force de Buffy et qui, il faut bien l'avouer ne saute pas directement aux yeux, c'est l'évolution des personnages au cours des sept saisons. Elle est sans doute la première du genre à réellement fouiller ses protagonistes. Ce sont ainsi des personnages fortement stéréotypés qui s'affinent et grandissent. Buffy, Willow et Alex se cherchent, se perdent et se trouvent - ils vont au lycée, à la fac puis rentrent dans la vie active et deviennent adultes avec une logique et une cohérence étonnante, implacable. Tandis que d'autres comme Giles, Andrew, Angel ou Spike chercheront la rédemption. Ici pas de twists, pas de pathos ou d'avances rapides saccadées, tout s'imbrique lentement, tout est en germe dès les premiers épisodes. Une progression digne par exemple de Six Feet Under. Cette progression incessante des personnages et de leurs relations annonce en quelques sorte les séries feuilletonnantes et psychologisantes alors à venir. Le show construit toute une mythologie, conséquente et ordonnée, autour de laquelle gravitent une pléiade de personnages secondaires, vampires, démons, monstres, collègues ou ennemis tous intéressants.

Par ailleurs, l'équipe de scénaristes gagnant de plus en plus de liberté, elle a pu aborder des thèmes tels que l'homosexualité féminine, le viol, la mort, la souffrance de manière frontale de façon originale et inédite à l'époque, avec intelligence et sans jamais prendre son audience pour des idiots. Si Buffy était une série plaisante par son humour et son parfum de série B, elle devient profonde et unique dans son aspect psychologique et la densité de son univers.
Chaque saison est émaillée de quelques épisodes extraordinaires et audacieux qui sortent du lot par leur charge émotionnelle ("Passion", "Innocence", "Connivence"), leur volonté de repousser les limites de la production TV ("Hush", "Once more, with feeling", "the Body"), leur mise en scène ("Restless"), leur humour ("Superstar", "Tabula Rasa", "Older and Far Away"), leur symbolique ("Halloween", "Band Candy"). Tous sont des perles qui on fait avancer le domaine des séries à petits pas. Ainsi, l'épisode "the Fly" de Breaking Bad rappelle ces expériences osées.

L'influence de Buffy sur la culture populaire et surtout sur la petite lucarne est incroyable. Outre les parodies et moult références, la pléthore de copies fades qui n'ont retenu que l'aspect faussement guimauve et le vernis fantastique, elle est en partie mère de nombreuses séries récentes ; autant pour avoir imposé un personnage principal féminin - axiome devenu depuis éculé, pour avoir démontré que l'on pouvait raconter des histoires fantastiques sans sacrifier à la qualité d'écriture et de sens, pour avoir dessiné une véritable évolution de ses personnages. True Blood, Dead Like Me, Dr Who, Lost, Heroes, Carnivàle, Supernatural sont les héritiers directs plus ou moins ratés de Buffy et bien d'autres en sont les cousins éloignés. Elle a marqué toute une génération de scénaristes et de showrunners.
Russel T. Davies, ressuscitant la franchise Dr Who déclara ""Buffy showed the whole world, and an entire sprawling industry, that writing monsters and demons and end-of-the world isn't hack-work, it can challenge the best. Joss Whedon raised the bar for every writer—not just genre/niche writers, but every single one of us."

Évidemment, si le facteur nostalgique n'est pas à exclure, il existe toutefois des admirateurs de the Wire, de Mad Men et des Sopranos qui la découvrent une fois adultes, accrochent et lui reconnaissent toutes ces qualités à l'aune de leur culture télévisuelle.


En bref, sous de fausses apparences de série teenager, au-delà des nombreux préjugés et par-delà le reflet fallacieux que la série possède, Buffy est bien l'une des séries les plus novatrices des années 90, pourtant coincée dans l'étroit carcan des chaînes de l'époque. Elle se place alors en véritable charnière entre les vieilles sitcoms affables et l'âge d'or du nouveau siècle où les séries concurrencent le cinéma, incarné par HBO : Les Sopranos et Oz commençaient à peine et toutes les autres étaient à venir.

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le 25 août 2011

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Nushku

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