Breaking Bad
8.6
Breaking Bad

Série AMC (2008)

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Breaking Bad, c'est une série à suspense. On ne s'ennuie pas et c'est bien pour ça qu'on ne remet pas en cause les idées sous- jacentes, pourtant assez claires.


Walter White porte bien son nom: c'est un blanc, un petit blanc américain, qui n'a a priori rien à voir avec le crime organisé, plutôt dominé par les latinos dans le sud-ouest des Etats-Unis.
L'histoire est connue: atteint d'un cancer et désireux d'apporter de l'argent à sa famille, il se lance tout seul (avec un autre petit blanc, l'"homme rose", Jesse Pinkman) dans la fabrication et le commerce de la méthamphétamine. Rien de vraiment sordide sur la drogue nous est montré, ni les origines sociales de sa consommation. En revanche Breaking Bad nous invite à aimer des personnages plutôt que d'autres, et c'est là qu'il y a un problème.


Walter White est évidemment le héros, flanqué de son fils d'adoption, maladroit et sympathique, en la personne de Jesse Pinkman. Ce ne sont pas des gens de la rue: White est un bourgeois, un professeur de lycée coincé, Pinkman vient de la bonne bourgeoisie d'Albuquerque.
Et ces deux personnes, le spectateur lambda, en l'occurence moi, pourra facilement s'y identifier: pas de relations avec le milieu de la drogue, pas de connaissance du monde de la rue, des noobs complets. En face si je peux dire, des latinos présentés comme assoiffés de sang, avec en premier lieu Tuco, caricature de psychopathe qui, un peu comme le nazi de La liste de Schindler, fait passer le trafic de drogue pour un problème personnel (lié à sa folie) et non pour un sujet social, en lien avec l'économie réelle.


Après, ce personnage de Tuco est vite tué par le biais de nos héros, par le représentant, lui aussi sympathique, de la morale conservatrice: Hank Schrader, policier des stups. Il expose clairement ses idées: les trafiquants surgissent de nulle part, on ne sait pas pourquoi, et ce sont des salauds à supprimer. Le problème n'est pas que ce personnage pense cela, c'est cohérent avec sa situation, mais plutôt que le spectateur est amené à être d'accord avec lui car c'est un personnage sympathique.
Et il faut bien voir que les personnages non-blancs dans cette série sont soit secondaires (Steve Gomez, la petite amie de Jesse et son fils) soit méchants, mais en aucun cas charismatiques et sympathiques à la fois. Le charisme sympathique est réservé aux blancs, au sens américain du terme "caucasien".
Hank Schrader, Walter White, Jesse Pinkman, Mike Ehrmantraut, Gale Boetticher, sont tous charismatiques et sympathiques à la fois, on montre leur côté humain: Ehrmantraut est un grand-père merveilleux et protège ses hommes, Boetticher est un nerd arrivé par hasard dans le grand banditisme, Schrader est un faux dur qui a subi un traumatisme en allant au Texas et en se rapprochant trop de la barbarie des cartels mexicains.


Le seul bémol ici est Walter White: il est à la fois humain et inhumain par bien des aspects. Mais c'est le héros, on s'identifie forcément à lui et je lui trouve des circonstances atténuantes: son cancer, et la spirale de la violence qui l'amène malgré lui à aller de plus en plus loin dans le banditisme.
En revanche Gustavo Fring est un vrai méchant: il n'a pas de circonstances atténuantes, son comportement est inhumain. Même le fait que le cartel ait tué son meilleur ami devant ses yeux n'excuse pas son côté fourbe, froid, antipathique. Car c'est bien ce qui se dégage de la série: seuls les blancs peuvent à la fois être charismatiques et sympathiques, Gus Fring n'étant que charismatique.
On entrevoit alors une série écrite par des blancs, pour des blancs, ayant comme contexte le trafic de drogue, et comme environnement Albuquerque, zone où les Latinos sont très nombreux.
Les héros, les vrais héros, ceux à qui on peut s'identifier, sont tous blancs. Et cette série résume assez bien les Etats-Unis: un pays de blancs, mené par des blancs, et dont les minorités de couleur sont au mieux des éléments sympathiques mais annexes de décor, au pire d'affreux bandits qu'il faut supprimer.


Il n'y a qu'un personnage qui contredit un peu ce que j'avance: Steve Gomez, à la fois charismatique et sympathique, latino d'origine mais intégré (son prénom est Steve, pas Esteban), qui contredit Schrader quand celui-ci le provoque avec des blagues racistes. Le seul personnage non-WASP à qui l'on peut s'identifier. Mais il est par ailleurs un piètre policier, et on ne peut pas l'admirer comme on admire la perspicacité de Schrader qui devine tout seul que Fring se cache derrière le trafic de drogue à Albuquerque.
Un personnage qui en revanche vient corroborer ma thèse est Saul Goodman, de son vrai nom Jimmy Mac Gill. Il est totalement irréaliste et montre bien que cette série, écrite par des petits bourgeois blancs pour des petits bourgeois blancs, a créé un personnage de petit bourgeois blanc en lui donnant des responsabilités peu réalistes: celui d'avocat de la pègre. Au lieu d'avoir Tom Hagen, on a Saul Goodman, un clown très sympathique et très charismatique.
Ce que je reproche à Breaking Bad, c'est de ne voir dans le trafic de drogue et la violence qu'un décor pour planter des personnages (surtout blancs) sympathiques, en jouant sur un mécanisme de décalage qui provoque l'humour. Mais jamais Breaking Bad n'attaque, ne surprend, dans son analyse des rapports humains au milieu de ce trafic: tout n'y est que violence inexpliquée, chefs fous furieux qui empêchent de voir la violence systémique du trafic.


En somme on s"amuse bien, mais on ne réfléchit pas: qu'est ce qui provoque ce trafic? Que provoque la drogue?
La seule fois où la série remet en question la société, c'est quand Walter White explique que la notion de drogue est toute relative: ainsi les Etats-Unis ayant fut un temps prohibé l'alcool.
Des blancs sympathiques au milieu d'un monde latino barbare, ou inoffensif, telle est l'histoire de Breaking Bad. Inoffensif en ce que ce monde latino, cette culture, ne fait jamais se questionner Walter White: il ne s'y intéresse pas, il veut juste ramener de l'argent, ce qui est le coeur de la culture WASP.


En tout cas nos héros restent blancs, la caméra ne tourne pas, ne nous montrera pas une famille latino si ce n'est celle d'Emily et son fils.
On ne voit le trafic de drogue que par les yeux de bourgeois blancs, qu'ils soient définis comme tels (Walter White) ou déguisés (Saul Goodman, et même Mike Ehrmantraut qui est un ancien policier, et pas un gars de la rue).

Lanster
7
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le 30 mai 2019

Critique lue 271 fois

Lanster

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