La jouissance c'est, paraît-il, expérimenter un plaisir tel qu'il nous sort de nous, qu'il nous arrache un peu au corps, et au cerveau, nous donne l'impression (à travers l'expérience sensoriel ou mental le temps d'un instant) d'une nouvelle perspective complète, comme une sensation qui nous informe soudainement que nous n'avions pas encore tout tester.
Qu'est-ce donc chez Jimmy McGill qui me donne ce sentiment? Et bien c'est une combinaison, de l'éloquence (celle de la voix sonore, et de l'attitude, et non celle du texte, pour autant que l'on puisse parler d'éloquence du texte) au sein de la transgression. La capacité à s'exprimer et à jouer sur tous les modes de communication utiles, et sur toutes les sournoiseries, au sein d'une discussion vocale décisive, ou délibérative. La jouissance est d'autant plus forte que je sais parler, et que je sais transgresser, mais que je me ridiculise toujours dans la combinaison des deux. Si je sais parler c'est peut-être parce que je connais l'importance des mots, et pour cette raison je n'aime pas les emporter dans ma transgression, qui sinon dans l'intonation me paraît trop lourde d'implication. Contre l'autorité par exemple, je bafouille, je bave, je me contredis, je m'excuse dans les gestes.
Je préfère le texte où je suis plus entier que nulle part ailleurs.
Ce qu'il y a de jouissif chez Jimmy, c'est qu'il connaît l'importance des mots, c'est son métier de formation, avocat, mais qu'il connaît aussi le plaisir d'une bonne transgression, c'est son métier de nature, l'arnaque. Jusque-là lui et moi sommes au coude à coude, mais là où lui me laisse dans son rétro c'est dans son impertinence à compiler ces deux métiers.
L'impertinence de la parole est ma jouissance toujours refoulée, que je satisfait comme un substitut dans l'écriture, où elle reste sous contrôle, tempéré, et mûe par le plaisir et les fautes d'orthographe.
L'impertinence spontanée mûe par les nécessités de la vie, celles de l'instinct et de l'argent par exemple, et à l'échelle en force de ces nécessités, voilà la jouissance qu'il me manque parfois pour me sentir tout à fait vivant, Better Call Saul donc me sort de ma torpeur, elle me suggère qu'il puisse exister dans une réalité parallèle un drame rebondissant et terrible dont je serais moi-même l'acteur impertinent.