Arcane
8.2
Arcane

Dessin animé (cartoons) Netflix (2021)

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Faut-il choisir entre la Beauté et l’Emotion ?

Pour ceux qui ne seraient pas gamers (eh oui, il en reste…), League of Legends est le top du top en termes de jeux de type « multiplayer on line battle arena » (c’est-à-dire où les joueurs s’affrontent en équipe, en ligne) et ce n’était qu’une question de temps avant que son univers ne donne lieu à une adaptation en film ou en série. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est la maison (US) d’édition du jeux, Riot Games, qui a pris en main la production de la série TV Netflix, chargée de capitaliser sur le succès populaire colossal du jeu (on parle quand même de 44 millions de personnes connectées en même temps au pic de son succès en 2019 !). Ce genre d’information en soi n’est néanmoins que peu susceptible d’émouvoir les cinéphiles, tant on serait en mal de citer une seule adaptation audiovisuelle d’un jeu vidéo qui présente un réel intérêt… euh artistique…


Et puis, peu à peu, le buzz a grandi, et il est devenu difficile d’ignorer l’enthousiasme délirant qui semblait s’emparer de ceux ayant regardé la série, relayé – un peu à la traîne – par la critique, qui n’avait rien vu venir : "Arcane" serait ni plus ni moins que le plus BEAU (on parle d’esthétique, là !) film d’animation jamais réalisé, enterrant la totalité des studios spécialisés, qu’ils soient états-uniens, français ou même japonais !


Et de fait, il est impossible de ne pas être immédiatement soufflé par ce qu’on voit à l’écran, soit pour résumer en une phrase : de la splendeur graphique, de l’imagination artistique, le tout soutenu par une réalisation à l’inventivité constante (trois Français sont à la manœuvre, Pascal Charrue, Arnaud Delord et Jérôme Combe). Et une impression de jamais-vu qui nous replace dans cette situation tellement agréable de l’enfant émerveillé qui assiste à sa première « séance de cinéma ». Eh oui, "Arcane", c’est de ce niveau-là : à couper littéralement le souffle, à arrêter les conversations. Totalement hypnotique, fascinant. Dangereux presque, peut-être, parce qu’addictif : on va engloutir les épisodes les uns après les autres pour festoyer de toute cette beauté, et pour ce plaisir en permanence renouvelé de la surprise « esthétique », dont on n’arrive pas à se lasser, même arrivés à la fin du neuvième épisode, qui s’interrompt sur l’inévitable cliffhanger diabolique.


Les perfectionnistes noteront que certains personnages ne bénéficient pas du même raffinement dans la représentation que d’autres, et que certaines scènes sont moins bien traitées que d’autres, mais on comprend bien qu’un travail aussi colossal artistiquement et techniquement peut laisser passer quelques irrégularités. Et puis, même si les surprises visuelles sont incessantes, on peut, avec un soupçon de mauvaise foi quand même, reconnaître pas mal de codes des fictions « steampunk » classiques depuis une vingtaine d’années, qu’"Arcane" ne renouvelle pas fondamentalement.


Après, là où le débat entre les « pour » (innombrables) et les « contre » (très minoritaires, mais dont il faut écouter les voix, pertinentes) fait rage, c’est sur… bien entendu… le scénario. Car l’exigence de Riot Games a clairement été de mettre tout ce talent à la disposition d’une vraie histoire, qui ne se réduise pas uniquement les habituelles justifications infantiles apportées à des combats spectaculaires. "Arcane" se veut adulte : on multiplie les personnages ambigus (même les affreux méchants sont humains, voire touchants, tandis que les « bons » font des erreurs et se montrent moralement discutables), et on les place dans un récit qui ne recule pas devant une complexité parfois délirante. A partir du thème classique depuis le "Metropolis" de Fritz Lang de l’opposition entre une ville riche « à l’air libre », Piltover, et une ville misérable, souterraine, Zaun, et d’un fond surnaturel intégrant magie et technologie, "Arcane" construit des jeux politiques et économiques qui ressemblent bien à ceux agitant le monde capitaliste qui est le nôtre (on notera avec tristesse que la notion de révolte sociale est ignorée au détriment du désir de puissance, de domination et d’avoir « une part du gâteau »). Comme dans les séries TV adultes, les protagonistes peuvent mourir (d’où le fameux épisode 3, le meilleur des 9, celui de la rupture…), et comme dans la vie, ils changent d’avis, les alliances se font et se défont… bref, le chaos règne.


Mais là où on est bien obligé de reconnaître qu’"Arcane" ne réussit pas son coup, c’est que l’impression générale reste celle d’une artificialité forcée : en dépit de toutes ces crises existentielles, crises de nerfs, crisses de folies, figurées à l’écran par moult convulsions des personnages, on ne sent pas réellement concernés. Pour figurer notre frustration, disons qu’il y a plus d’émotion dans trente secondes d’un plan fixe sur un visage simplement dessiné ou sur un paysage campagnard sous le soleil dans un film de Miyazaki que dans la totalité des sept heures d’"Arcane".


Problème de rythme (souvent trop rapide) ? Problème d’interprétation (pas de vrais acteurs pour faire vivre les personnages) ? Problème d’écriture (les injonctions à « faire du cinéma adulte » échouant devant la facilité d’user de schémas réducteurs sur la folie – avec le personnage spectaculaire mais absurde de Jinx / Powder -, sur l’amour fraternel, sur l’amitié, etc.) ? Problème d’auto-censure (puisque malgré tout, la violence extrême ne tue pas aussi « logiquement » qu’elle le devrait, et que la crédibilité de nombreuses scènes d’en ressent) ?


… Ou, plus grave peut-être, problème endémique de l’adaptation d’un jeu vidéo ? Malgré l’argent, malgré le talent artistique, malgré les ambitions, "Arcane" n’arrive pas à se défaire complètement de l’artificialité de ces mondes virtuels où l’imagination n’a pas de limite, mais où l’être humain – c’est-à-dire ce qui est vraiment passionnant – se dissout dans l’image.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/11/27/netflix-arcane-faut-il-choisir-entre-la-beaute-et-lemotion/

EricDebarnot
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le 27 nov. 2021

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Eric BBYoda

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