
Altered Carbon est la démonstration par l'exemple d'un fait simple : une production qui se donne les moyens ne suffit pas à faire un bon film, et encore moins une bonne série.
Pourtant, sur le papier, ça semblait plutôt prometteur. Un héros mélancolique en grand manteau noir, ramené de la mort deux siècles et demi après une rébellion ratée, dans un monde où l'injustice qu'il combattait naguère a triomphé partout. Joli potentiel. Mais en fait, non.
Pour commencer, philosophiquement, on reste à la surface des choses. Il n'y a pas d'effort de réflexion pour se projeter dans un possible futur – ce qui, il me semble, est quand même le principe fondamental de la SF.
La réflexion d'Altered Carbon sur l'immortalité se borne ainsi à dire que ça n'est pas naturel, et que si un mariage a déjà du mal à tenir une vie, il ne peut certainement pas tenir l'éternité. Donc l'immortalité, c'est mal. Ce qui est aussi surprenant, en particulier pour un récit de cyberpunk, c'est que finalement l'être humain n'est pas modifié dans son comportement par l'incorporation de la machine. De la même manière, il ne suffit pas de parler en voix off de la mort et de la guerre avec fatalisme pour être profond, c'est simplement être dramatique. Plus le temps passe et plus ces monologues servis d'une voie d'outre-tombe (certes convaincante) virent même au comique, en particulier quand ils en viennent à se contredire par besoin de remplissage.
En fait, la série se contente d'égrainer les poncifs de la SF et du cyberpunk pour faire genre, mais au-delà de ça, les questions soulevées n'obtiennent pas de réponses.
Outre ce problème de profondeur, l'écriture du scénario à proprement parler rentre très vite dans un cercle vicieux, caractéristique des grosses productions d'action. Pour chercher à tenir le spectateur en haleine, on booste l'intensité des événements. On tombe alors dans une surenchère permanente de l'intensité, qui pour pouvoir produire son émotion sur le spectateur, n'a pas d'autre choix que de chercher à augmenter toujours plus – ce qui est impossible. On finit par obtenir le résultat inverse à celui recherché, c'est-à-dire qu'on crée chez le spectateur une apathie (« Bof, après ce qu'il a enduré, c'est pas grand chose... ») On oublie là un des principes de la fiction : l'économie de l'émotion. Car en renonçant à graduer l'intensité et l'émotion, on perd dans le même temps la possibilité de créer un suspense.
L'autre conséquence de cette recherche d'intensité c'est qu'on se retrouve avec à peu près une scène de cul et une scène de baston par épisode – à se demander si ce n'était pas inscrit noir sur blanc dans le cahier des charges de la production. Les dialogues, du coup, sont très vite prisonniers de ce système et finissent par combler les blancs entre les scènes « divertissantes ». Ils deviennent donc rapidement répétitifs et courus d'avance, en particulier dans les derniers épisodes.
Parlons-en, des derniers épisodes. On peut encore passer de bons moments à peu près jusqu'à l'épisode sept. L'épisode de la torture mentale par exemple, est intéressant (même si il porte l'action à un degré d'intensité dramatique difficile à dépasser par la suite, alors qu'on est à peu près à la moitié). Mais à partir du moment où, comme par magie, la sœur disparue fait un numéro de ninja dans l'arène pour venir sauver le personnage principal, on comprend qu'il n'y a plus rien à sauver.
Et que dire des acteurs ? James Purefoy (Laurens Bancroft) est visiblement resté qué-blo depuis les années 2000 dans la peau du Marc Antoine qu'il campait pour la série Rome, là où Martha Higareda (Kristin Ortega) a été de toute évidence embauchée pour ses formes bombées et sa capacité à jurer en espagnol. Je veux bien admettre que Joel Kinnaman (Takeshi Kovacs) est plutôt bon et a su rentrer dans le personnage... et à la limite que Chris Conner (Poe) passe. Mais pour le reste, c'est vraiment pas folichon.
Cette série rate donc tous ses objectifs, par paresse, en grillant toutes les étapes avec avidité afin d'aller tout de suite à la jouissance. C'est un peu comme renoncer d'emblée, dans une relation amoureuse, au désir, à la séduction, aux préliminaires, pour passer directement à la grosse baise. C'est exactement ce que fait Altered Carbon – littéralement, d'ailleurs, dans ses scènes de sexe – autrement dit, prostituer la SF (Notez que je n'ai pas lu le roman dont la série est adaptée. Peut-être est-il aussi mauvais, ou peut-être le travail a-t-il juste été bâclé par Netflix). Le résultat, c'est que ça s'essouffle au bout d'un épisode. Alors arrivé au septième, c'est carrément épuisé.
Je pourrais continuer à taper sur cette série pendant des plombes (la fin qui ne ressemble à rien, l'intrigue du polar qui ne fonctionne pas, etc), mais ça ne nous mènerait nulle part. Je pense qu'à ce stade, vous savez à quoi vous en tenir. Je m'en vais donc boire seul et passer la nuit avec Ghost In The Shell, afin d'oublier au plus vite Altered Carbon.