Altered Carbon
6.6
Altered Carbon

Série Netflix (2018)

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"la technologie a évolué, les hommes sont restés les mêmes"

Dans un futur indéterminé où l’humanité a conquis plusieurs planètes, des puces à l’arrière du crâne permettent désormais de stocker l’intégralité de ce qui constitue un esprit humain. Lorsque le corps meurt, la conscience est ainsi sauvegardée et peut être transférée dans une autre enveloppe corporelle. Cette technologie révolutionnaire permet de faire évoluer la condition humaine, de dépasser l’inéluctabilité de la mort et de la perte déchirante pour les proches, de permettre à des victimes de meurtre de s’exprimer pour désigner leurs agresseurs. Mais ce qui apparaissait au début comme une révolution pour l’humanité a été, comme souvent, corrompu, et a permis aux gens les plus riches à augmenter encore leur statut privilégié par rapport aux plus pauvres, en accédant à une forme d’immortalité (réserve d’enveloppe et sauvegardes régulières). Là où auparavant tout le monde était logé à la même enseigne, la mort se chargeant de délivrer le même sort à tous, maintenant l’inégalité est devenue encore plus criante et inacceptable.
« Dieu est mort, nous l’avons remplacé ». Ces élites n’ayant plus peur de la mort, vivent au-dessus des nuages, comme pour mettre plus de distance encore avec la lie repoussante de l’humanité, et se rapprocher encore plus d’un paradis céleste réservé aux êtres évolués. Ils se voient au-dessus des lois, certains revendiquant clairement leur supériorité et leur statut presque divin. Et il y en a même pour les vénérer comme des Dieux.
« Depuis quand tout est devenu compliqué ? » La religion, d’ailleurs, est complètement bouleversée par ce bouleversement du cycle de la vie. Sans surprise, nombre de croyants s’opposent fermement au retour des vivants par transfert de conscience, persuadé qu’une telle résurrection leur fermerait la porte du paradis, tandis que d’autres tentent de rester ouvert et de s’adapter. Dans un monde où les gens ne vieillissent plus, la famille est elle aussi complétement perturbée. Comment la nouvelle génération peut-elle évoluer et grandir, lorsque les parents sont toujours là pour régner ?
Mais à force de vivre trop longtemps, cette supériorité, cette longévité rajoutée finit par se retourner contre ces prétendus Dieux, dévorés par leurs propres pulsions et ambitions. Avec des cycles de la vie complètement perturbés, les ainés qui ne vieillissent plus ne laissent plus la place aux générations suivantes, condamnés à une éternelle jeunesse immature. L’entourage devient dés lors un dommage collatéral de leur perversité exacerbé. Privés de repères moraux et naturels, ces supposés élites perdent ce qui faisait d’eux des êtres humains, comme s’ils se dévoraient eux-mêmes par leur appétit insatiable, tel Ourobouros, le serpent qui se mord la queue. Une perversion bien démontrée par la famille Bancroft.
« La technologie a évolué, les hommes sont restés les mêmes ». En effet, s’il y a une réalité qui n’a pas changé dans cet inquiétant futur c’est que ce sont toujours les mêmes pulsions qui guident les hommes, qui s’apparentent seulement à des animaux évolués. Sexe, avidité, violence restent les principales moteurs, et les sociétés proposant ces services ne manquent pas de clients, et elles n’ont aucun scrupule à utiliser les nouvelles technologies pour satisfaire une clientèle « qui recherche ce qu’elle ne trouve plus dans la réalité ». Combattants à mort qui change d’enveloppe en cas de défaite, esclaves synthétiques à la Westworld propre à endurer les excès de violence des clients fortunés, fantasmes de toute sorte en virtuel…
La possibilité de copier la conscience est également un moyen de créer de nouvelles méthodes horribles de torture, les bourreaux pouvant à tout loisir occasionner les pires souffrances à leurs prisonniers sans craindre de les blesser mortellement, pour extorquer des informations ou par pur sadisme. Une dérive effroyable qui n’a rien à envier à un épisode de « black mirror, « altered carbon » pouvant être comparé à une histoire de black mirror en plusieurs épisodes. A noter que comme cette dernière, « altered carbon » montre un certain parti pris sur la technologie en la diabolisant, insistant d’avantage sur ses effets négatifs de la technologie plus que sur ses bienfaits.
En s’affranchissant de l’enveloppe corporelle, la technologie des puces bouleverse également la barrière des genres, puisqu’une femme peut se retrouver dans le corps d’une femme, et inversement. Même si ce thème reste plutôt secondaire, il n’est pas sans susciter quelques réflexions troublantes.


L’histoire, Takeshi Kovacs, un ancien rebelle tué par des soldats du régime, est ramené à la vie 250 ans plus tard par un membre de l’élite, Laurens Bancroft. Ce dernier lui demande d’enquêter sur ce qui s’apparente à un suicide mais dont il est persuadé qu’il s’agit d’un assassinat. Son enquête l’amènera à découvrir les perversions de Bancroft et de sa famille, en même temps qu’il comprendra que sa nouvelle enveloppe n’a pas été choisie par hasard. Il sera associé à une détective de police farouche et déterminée, une IA atypique avec un penchant pour les humains, et un homme désespéré qui a été éloigné de sa famille. Il n’a pas oublié sa relation avec la leadeuse de la rébellion, sans savoir que c’est dans son passé que se trouve la pièce principale du puzzle qui a entrainé sa résurrection.
L’intrigue est une sorte d’enquête policière futuriste, si elle est loin d’atteindre la complexité d’un True Detective, elle contient suffisamment d’éléments, de pistes potentielles, pour susciter l’intérêt. On devine qu’il y a là une base littéraire (la série étant une adaptation d’un livre, premier tome d’une trilogie), et que tout ne découle pas de l’imagination d’un scénariste. On pourra regretter toutefois qu’un seul élément soit la cause de toutes les intrigues qui étaient apparues au début de la série, l’histoire générale n’apparaissant pas aussi complexe qu’elle semblait l’être. Tandis que certaines pièces du puzzle semblent parfois être liées de façon artificielle.


C’est un constat qui saute aux yeux, Netflix a mis le paquet sur les effets spéciaux, qui n’ont rien à envier aux films. Des cités futuristes, des voitures volantes, des hologrammes omniprésents… Pour ma part, je n’ai pas pour autant l’impression d’une débauche de moyen, projeté à la rétine des spectateurs pour l’impressionner. Des scènes émouvantes sur une autre planète, avec un couple de lune dans le ciel, apportent une certaine touche de poésie. Même si je regrette que, contrairement à Blade Runner qui était très contemplatif dans ses séquences de cité futuriste, la série passe très rapidement sur ces passages là, sans toujours donner vraiment la possibilité de s’immerger dans le monde dépeint, du moins au début.


La série n’est pas avare en scène de combat, souvent mené au corps à corps, et très efficace. Si parfois la pertinence de tels combats peut être remise en question, ils participent à procurer un certain plaisir coupable, à la manière de Sense 8. Leur maîtrise, la qualité des effets spéciaux, et leur nombre judicieusement disséminé au gré des épisodes empêche d’avoir l’impression qu’elles sont là pour meubler l’intrigue. Il en va de même pour les scènes érotiques, les corps nus ne sont en effet pas rares (essentiellement féminin), sans vraiment atteindre non plus la fréquence de game of throne avec la sensation d’un cahier des charges à remplir. Il y a même un vrai aspect sensuel qui se dégage des scènes entre Takeshi et Ortega, qui se sont trouvés malgré toutes les tensions initiales.


Des effets spéciaux très présents, des scènes d’action et de sexe pour satisfaire le public masculin, une histoire qui aurait pu être plus complexe, cela suffit pour que certains reprochent à la série de tout miser sur l’apparence et de rien n’avoir à raconter, d’être belle mais creuse en somme. D’autant plus que, thèmes de science fiction obligent, les technologies évoquent une multitude d’œuvre sorti avant et décrivant des mondes futuristes. De quoi pousser des spectateurs à reprocher à la série de faire du copier-coller paresseux… Oubliant que les œuvres s’inspirent mutuellement, et qu’un même thème (IA, mondes virtuels, transfert de conscience…) ne sont pas l’apanage d’une seule œuvre mais appartiennent au genre plus vaste de la science-fiction. Si l’on écoutait certains, on ne créerait plus rien de nouveau, puisque l’on ne pourrait plus traiter des robots, des mondes virtuels, de dystopies inquiétantes, de transhumanisme…
Je reconnais qu’il est tentant de recourir à de tels critiques courantes face à de telles productions alignant les billets verts en images de synthèse, mais pour ma part je trouve ces accusations exagérées. Il y a une réelle réflexion sur la technologie, sur la façon dont elle peut bouleverser les sociétés, les plans visuels sont esthétiques, les personnages variés et plutôt bien interprétés, largement de quoi permettre aux adeptes de SF de trouver leur compte. A condition bien sûr de ne pas s’arrêter aux critiques faciles et inexactes….


Pour ma part, « altered carbon » est une nouvelle pépite de Netflix qui s’impose toujours d’avantage dans le domaine des séries. Et même un diamant imparfait peut briller…

Enlak
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le 6 mars 2018

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