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The West Wing c'est avant tout la Maison Blanche, décor sans nul pareil ; son aile gauche et son dédale de couloirs, de corridors et de bureaux surchargés de lourde paperasse plongés dans un semi-clair-obscur permanent pour un huis-clos sans fin autour de l'antre ovale du POTUS Jed Bartlet. A l'instar des urgences du Cook County, c'est une véritable ville dans la ville, un microcosme autarcique dont on ne sort que très rarement lors des premières saisons et d'où il est bien difficile de dire s'il fait jour ou nuit.
Comme la série de Crichton (les deux partagent d'ailleurs le producteur John Wells), cette esthétique du bureau est sublimée par le "Walk & Talk" de Schlamme, popularisé par la série et à présent bien ancré dans la réalisation télévisuelle : de longs et amples travellings qui accompagnent comme un fil d'Ariane les personnages puis bifurquent vers d'autres corridors et d'autres épaules. Une série sans cesse en mouvement, toujours en palabres.


Si ce décor mythique est un protagoniste à part entière qui donne corps et consistance à la série, elle parvient en plus à le remplir de personnages non moins épais : Josh, Toby, Léo, C.J, Donna, Sam, Charlie, Matt et toute une pléïades de personnages secondaires, toute une cohorte de tertiaires gravitant plus ou moins loin du pouvoir, toujours nuancés, parfois denses et le plus souvent terriblement attachants. Le Président en deviendrait presque le personnage le moins intéressant, correspondant par trop à un idéal américain que même les républicains auront pu admirer. Quand bien même les scénaristes le feront douter, vaciller, voire trébucher, il restera pour tous un point fixe solidement ancré dans son bureau ovale en figure paternelle rassurante soutenue par le charisme de Martin Sheen : ce n'est pas pour rien que Charlie, qui comme le spectateur découvre la Maison Blanche dans le pilote, deviendra le fils qu'il n'aura jamais eu.

Comme les décors amplement servis par une réalisation de premier choix, ces personnages ont pour voix la fameuse et si souvent louée écriture d'Aaron Sorkin. Certes, elle tourne parfois au gimmick, à l'artifice facile ou aux croisades didactiques, mais on ne peut nier la qualité, l'intelligence, l'humour, le rythme et la musicalité de son écriture. Une fois le créateur parti après la quatrième saison, elle manquera quelque peu aux dialogues. On a souvent reproché à la série, comme récemment à the Newsroom, son prosélytisme démocrate un brin systématique teinté d'optimiste et d'idéalisme... d'aucuns parlent même de naïveté ou de niaiserie. Sorkin et the West Wing sont sans doute un contre-poids nécessaire à Simon et the Wire : deux pôles opposés mais complémentaires partageant toutefois la même intelligence, la même précision et la même envie de hisser leur téléspectateur. Il est cependant vrai que l'équipe, fiers, purs et intègres paladins, semble être la seule à vouloir améliorer le pays, tandis que les républicains, ces vils gripsous pro-lifes créationnistes, ne cherchent qu'à faire de la politique partisane et acheter toujours plus de fusils. Heureusement, cela se verra dilué, non pas par les deux-trois républicains embauchés ni par quelques contre-répliques de-ci de-là mais bien par l'angle Vinick. (qui reste toutefois très centriste, la question de l'avortement semblant être la pierre angulaire nous permettant la sympathie)

Bien sur, on pourra reprocher un ton parfois un peu trop "cheesy", jouant de la corde sensible et comme de nombreuses séries, cédant aux sirènes du cast mis en danger, l'on sera aussi quelque peu agacé de voir pour toute la bande des storylines en pointillés, oubliant dans les limbes de bien trop nombreux arcs, oblitérant carrément des personnages ! pour parfois les faire rejaillir ex nihilo quelques saisons plus tard. On pourrait aussi gloser sur un manque d'homogénité certains et les inévitables répétitions dans ce dense tissu narratif s'étalant sur de longues saisons ou bien encore que, certains acteurs quittant la série qu'ils veulent un cachet plus important ou qu'ils décèdent, l'alchimie parfaite des débuts se trouve amplement altérée. Toutes les intrigues amoureuses suivront le redondant schéma du "on s'aime sans oser se l'avouer et tout nous empêche d'être ensemble" pour ensuite être soit glissé sous le tapis, soit rapidement bâclé.
Mais ces quelques anicroches s'oublient bien vite et n'entament que fort peu la qualité de l'histoire qui nous est racontée, celle de ces grands hommes, ces quelques hommes d'honneur, intègres, entiers mais non sans failles qui veulent simplement élever les choses plus haut. Et comme toute grande série, on pourrait énumérer de nombreux épisodes, maintes scènes, véritables pépites qui surbrillent dans la trame des saisons ; un nombre incalculables de discours, des colères qui explosent, quelques enterrements, des reproches en latin, un chancellement en pleine forêt, un débat en direct, Bartlet for America.


De 1999 à 2006, en sept saisons, 155 épisodes, TWW aura plongé ses téléspectateurs au plus profond du grand bain de la démocratie américaine, depuis les décisions au sein du bureau ovale ou dans l'ombre de la situation room jusqu'à leurs difficiles conséquences face aux médias dans la Press Room et avec l'opposition et différents cocus dans la Roosevelt Room. Elle aura brassé à peu près tous les thèmes récurrents, toutes les facettes, toutes les possibilités et toutes les angoisses de la politique des Etats-Unis dans un va et vient constant avec la réalité en s'inspirant tout particulièrement du double mandat de Bill Clinton : conflit israëlo-palestinien, Iran et Corée nucléaires, conflits raciaux, avortement, religion, éducation, couverture sociale, scandales médiatiques, etc.
Sans surprise aucune à peine une décennie plus tard, la plupart de ces questions restent pleinement d'actualité et font écho à des crises récentes. Elle aura surtout vécu de plein fouet le 11 septembre, bouleversant l'écriture de la saison 3 qui conlut alors en deux coups de cuiller à pot son intrigue pour une autre et fait définitivement obliquer la série vers les conflits internationaux (Qumran, l'Iran puis le Kazakhstan un brin lassants).
Aussi peut-on louer son double arc final qui après une saison 5 tournant à vide, ressassant une ritournelle bien connue, aura eu l'intelligence de délaisser et carrément de déliter la Maison Blanche pour suivre de A à Z le processus des élections, les primaires puis les deux camps jusqu'à l'investiture ; raccrochant alors la série tant à ses propres débuts off screen — la saison 1 commençant après un an de pouvoir — qu'au mandat d'Obama. Matt Santos a, il faut le savoir, été modelé d'après un Obama alors tout juste naissant sur la scène politique.

Enfin, prouvant que la série demeure d'actualité, voici un dialogue écrit par Sorkin après le premier débat : http://tinyurl.com/TWWObama et en cadeau-bonus une réunion d'une partie du cast : http://tinyurl.com/TWWreunion .

En un mot, À la Maison Blanche s'est à juste titre très rapidement hissée au rang des classiques, un des derniers pics émergés de l'iceberg fin-90's, au même titre que Twin Peaks, X Files, Friends, Seinfeld, les Simpsons. Oeuvres devenues mètre-étalon de leurs genres respectifs. Sans surprise aucune, le spectre de TWW plane encore sur toute série politique voyant le jour, de Boss aux propres créations de Sorkin en passant par le remake de la série BBC House of Cards à venir début 2013.

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le 20 oct. 2012

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Nushku

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