Pas nul, pas exceptionnel

Réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, 3x Manon est un bon exemple de la singulière indulgence que peut susciter une fiction sociale française un peu ambitieuse auprès du public. On y suit l'histoire de Manon, adolescente de 15 ans envoyée en centre éducatif fermé après avoir poignardé sa mère, sur trois épisodes d'une petite heure – un procédé qui permet de rendre acceptable un film de trois heures qui serait mal rythmé ; je n'arrive toujours pas à déterminer si c'est de l'intelligence ou de la fainéantise.

Passons là-dessus et intéressons-nous au principal défaut de cette mini-série : tout d'abord, c'est médiocrement joué. Certains comédiens s'en sortent tout de même avec les honneurs, notamment Alba Gaïa Bellugi qui incarne une Manon crédible dans l'ensemble (on a fait le rapprochement avec la Charlotte Gainsbourg de L'effrontée : il y a de ça, en plus paumée). Marina Foïs (la mère) a un peu de mal à garder le ton de son personnage au début mais cela s'arrange par la suite. Les petites pestes adolescentes ressemblent bien à des petites pestes adolescentes. En revanche le jeu des adultes est franchement inégal : c'est particulièrement le cas d'Alix Poisson, la professeur de Français (au passage, il semble que dans ce type de centre on n'enseigne que le Français).

Il faut dire qu'elle n'est pas aidée par un personnage exaspérant de bons sentiments, et c'est le deuxième défaut principal de 3x Manon : c'est du réalisme mou. Mal joué et beaucoup trop simpliste pour être crédible. Le propos de Jean-Xavier de Lestrade est le suivant : il y a dans les centres éducatifs fermés des formateurs inventifs qui pourraient tout à fait remettre ces adolescents dans le droit chemin en travaillant sur leurs passions et leurs centres d'intérêt, mais leurs efforts sont contrecarrés par une administration rigide et des collègues sceptiques qui croient bien plus volontiers à une discipline de fer. Dans l'absolu, pourquoi pas, mais dans les faits les personnages de la première catégorie sont dégoulinants de gentillesse et d'optimisme et ceux de la deuxième catégorie sont des abrutis. Et surtout, Jean-Xavier de Lestrade donne beaucoup trop facilement raison à la première catégorie !

Un exemple édifiant : la prof de Français organise un atelier théâtre pour permettre aux élèves d'exprimer leurs émotions, leur colère et leurs frustrations autrement que dans les insultes et les bagarres. Deux adolescentes rivales incarnent respectivement le rôle du Cerbère et d'Orphée (Orphée devant convaincre Cerbère de le laisser passer pour retrouver Eurydice). Évidemment, elles en profitent d'abord pour se vanner et c'est Cerbère qui prend l'avantage. Là-dessus, une copine souffle une suggestion à Orphée. D'abord récalcitrante (« Trop pas je lui dis pas ça moi ! »), elle cède finalement et fait une longue tirade sur l'amour qu'elle porte pour Eurydice, que Cerbère ne peut pas comprendre sans l'avoir vu mais que c'est trop beau et que si elle la laisse passer elle pourra le lui montrer. Et Cerbère tout penaud la laisse passer.

C'est bien mignon mais ce n'est absolument pas crédible. Dans la vraie vie et connaissant les personnages, Orphée ce serait arrêtée à « Trop pas je lui dis pas ça moi ! » et vexée aurait commencé à cogner ou serait sortie bouder dans le couloir. Et même si elle avait fait cette tirade, Cerbère et ses comparses se seraient grassement foutu de sa gueule et ne se seraient pas dégonflés pour si peu : c'est la prof qui serait intervenue pour dire « Bon je pense qu'Orphée a marqué un point et que tu peux la laisser passer ».

Autre exemple : les résultats au brevet des élèves du centre étant catastrophiques, la pédagogie de la prof de Français est questionnée et on envoie un inspecteur. Celui-ci grimace d'abord devant l'insolence des adolescentes et la structure du cours (la prof a en effet pour habitude de leur raconter des contes) mais son opinion bascule quand la prof envoie un élève au tableau pour noter les suites possibles du conte :
« Avant de continuer les enfants on va faire quelque chose.
— Oh non madame trop relou on vous voit venir.
— Eh oui mais c'est comme ça. On va faire...?
— Pff... UN DÉTOUR PAR LA GRAMMAIRE... »
Et les adolescentes dociles de corriger les fautes au tableau. L'inspecteur repartira tout content. Mais les notes catastrophiques au brevet ? Oh, on s'en fout finalement.

Côté éducateurs rigides on se contentera de dire qu'ils aboient et font des prises de self-défense pour un oui ou pour un non. Ah, et ce dialogue entre la psychologue (donc dans le camp des gentils) et une nouvelle éducatrice :
« Vous avez suivi une formation avant d'arriver ici ?
— Oui. Une semaine pour apprendre les principales prises, les clefs de bras, tout ça... »
Subtil.

Passons rapidement aussi sur certaines incohérences :

• La rivale de Manon planque de la drogue sous son matelas pour qu'elle se fasse virer. Les éducateurs débarquent en cuisine et accusent Manon, mais la femme-à-tout-faire prend sa défense « Excusez-moi mais j'ai fait son lit ce matin et il n'y avait rien sous le matelas... » Les éducateurs : « Vous êtes sûre ? Bon ben on s'est trompé. Désolé ! » Mais... il y avait bien de la drogue ! L'enquête s'arrête là ?


• Trois adolescentes font le mur et croisent deux loubards qui les emmènent dans un coin isolé. Mais quand l'un d'eux tente d'abuser de l'une d'elle, elles leur cassent la gueule. Oui, oui, trois jeunes filles de 15 ans cassent la gueule de deux loubards de 25 ans à mains nues, et facilement.

Je reconnais bien volontiers que je suis sévère et que ceux qui ont été charmés par cette mini-série me liront avec dépit, aussi terminerai-je en nuançant un peu mes propos : malgré tout ce que j'ai dit, 3x Manon, ce n'est pas nul. À voir par curiosité si cela repasse à la télé.

Mais ça ne mérite pas l'achat d'un coffret DVD, contrairement à ce que laisserait sous-entendre la moyenne des notes.