Oui, c'est réellement d'une expérience que l'on peut parler avec Wastburg. L'auteur choisit ici de casser la narration, de la déconstruire au travers d'une dizaine de personnages qui ne survivront bien souvent pas à la fin de leur chapitre, nous donnant à voir le fil conducteur par une multitude d'yeux différents.
Cédric Ferrand a cherché avec Wastburg à raconter non pas une intrigue, non pas un évènement dans son univers, mais bien un univers complet, une ville aux milles visages, à travers ses classes sociales, ses peuples, ses gardoches et ses pouilleux, ses noblions et ses marchands, ses hommes de lois et ses crapules. Et c'est une réussite, car chaque chapitre emmène sa petite pierre à l'édifice qu'est Wastburg, et si l'on commence par une découverte hésitante des toits de la ville, on la termine par une marche dans ses ruelles crasseuses en maîtres des lieux, reconnaissant les quartiers, les monuments, l'histoire qui s'y terre. En cela, Ferrand se rapproche effectivement de Jaworski de par sa construction d'un univers complet, profond, cohérent. J'y ai aussi ressenti les mêmes impressions qu'à la lecture de The City and the City de Mieville, où l'on pénètre dans une ville-état incompréhensible et brouillonne au premier abord, avant de totalement se l'approprier.
On a clairement affaire à un monument de fantasy urbaine, un cas d'école.


Et pourtant, je comprend les critiques négatives que j'ai pu lire en me baladant sur cette fiche.
Il est vrai que le choix de noyer le fil conducteur sous cette multitude de regards, parfois très éloignés de l'intrigue, peut déranger le lecteur. On ne se sent pas pris, pas investi dans cette histoire pourtant essentielle à l'époque où se jouent les évènements. On voit cela de loin. Difficile de dire que Wastburg est palpitant ; difficile de dire que l'on retient son souffle à chaque page. Non, on le parcourt plutôt comme on lirait un évènement historique passionnant mais loin derrière nous : intéressé, mais avec un détachement dû au passage du temps. Et c'est bien de cela qu'il est question dans Wastburg : les évènements passent, explosions dans la vie des contemporains, puis finissent en fête populaires des décennies plus tard. Les contemporains en question ne sont même pas tous concernés, seulement une poignée d'entre eux, et encore, de loin. La masse n'est que victime des retombées aléatoires d'un coup d'état où de la destruction de tel ou tel bâtiment. Il y a ce détachement tout au fil de la lecture de Wastburg qui semble vouloir nous dire : "regarde comme le monde avance, comme sa roue tourne en t'embarquant avec sans jamais te demander ton avis, et comme cela n'a finalement que peu d'importance face à tous ce que tu dois gérer dans ta vie au quotidien". Et cela s'applique à ce monde miédiéval fantastique autant qu'au nôtre, peut-être...


C'est une certaine vision de l'histoire et de la société qui est présentée dans Wastburg. L'idée selon laquelle les choses avancent sans nous, qu'on le veuille ou non. Notre implication semble brouillée dans un dessin plus vaste que personne ne semble comprendre dans son entier, à l'image de Polkan qui organise un coup d'état mais ne le voit jamais débouler, ou du Burgmaster et de sa fin rocambolesque.


Alors on referme Wastburg en étant déçu de ne pas avoir eu droit à une véritable implication dans cet univers que l'on prendrait plaisir à parcourir de plus près. Comme on aurait aimé y voir un Benvenutto s'y couvrir d'emmerdes, un Lock Lamora y extorquer des fortunes ! Comme on aurait pris plaisir à lire la Geste de Polkan ou la lente vengeance d'un Majeer enfermé toute une vie durant !
Mais ce n'était pas ce que souhaitait faire l'auteur de Wastburg, et il serait inutile de regretter une telle lecture ; il convient plutôt de la conseiller aux amateur avec prudence. Lis ça, mais ne t'attend pas à t'enticher des personnages. Tu vas découvrir une cité fabuleusement crasse, tu vas te plonger dans ses entrailles et en ressortir à la fois salis et grandis, et peut-être bien totalement inchangé en même temps. Tu vas y gouter un peu de notre histoire, aussi. Vivre une véritable expérience littéraire.

wildsevens
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le 9 oct. 2016

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