J'ai un toc incontrôlable. Je ne peux pas entrer dans une librairie sans sortir avec, au moins, un bouquin. C'est comme ça, il y en a toujours un qui attire mon regard, ou quelque chose qui figure sur ma liste depuis longtemps et qui me tombe entre les pattes. Ce bouquin est un bouquin acheté tout à fait par hasard, dans une petite librairie de Landerneau qui sentait bon le bois et les vieux papiers. Il était en évidence sur une étagère, et la couverture (en illustration ci-dessus) m'a scotchée sur place. Chose rare pour un livre de poche... Je n'ai même pas lu le résumé, je l'ai pris et je l'ai acheté.
Une fois que j'ai eu terminé Les Guerriers du Silence, il y a donc une dizaine de jours, je me suis lancée dans la lecture sans trop savoir à quoi m'attendre.
Je n'ai pas été frappée d'émerveillement tout de suite, j'ai trouvé le style un peu passe partout, le portrait de cette femme de 40 ans qui s'ennuie m'a ennuyé un peu aussi... La traduction ne doit pas être très bonne, il y a parfois des phrases qui surgissent, de petits morceaux d'une grande beauté au sein d'autres phrases passe-partout. En anglais, c'est sûrement moins laborieux. Et en turc, s'il existe en turc, ça doit être splendide.
Bref, Ella est donc chargée de lire un manuscrit et nous le lisons en même temps que nous lisons sa propre histoire. Et la magie opère au fil des chapitres, relativement courts, qui ne laissent finalement pas le temps de s'ennuyer des personnages. On navigue entre le XIIIe siècle et le XXIe, entre des personnages historiques, Shamd et Rûmi et des personnages fictifs, Aziz et Ella, on lit surtout les 40 règles Soufies. Je me suis parfois trouvée forcée de fermer le bouquin pour réfléchir à ce que j'y avais lu.

» Tout l'univers est contenu dans un seul être humain : toi. Tout ce que tu vois autour de toi, y compris les choses que tu n'aimes guère, y compris les gens que tu méprises ou détestes, est présent en toi à divers degrés. Ne cherche donc pas non plus Sheitan hors de toi. Le diable n'est as une force extraordinaire qui t'attaque du dehors. C'est une voix ordinaire en toi. Si tu parviens à te connaître totalement, si tu peux affronter honnêtement et durement à la fois tes côtés sombres et tes côtés lumineux, tu arriveras à une forme suprême de conscience. Quand une personne se connaît, elle connait Dieu. »

Pour ce genre de bouquin, je crois que c'est inutile de se perdre dans des considérations classiques... Oui, le style n'est pas parfait, pas lisse et la traduction laisse à désirer. Oui, les personnages apparaissent plus comme une excuse que comme le centre du bouquin. Mais le cœur du bouquin est tellement beau, que le reste on s'en fiche un peu... C'est comme ça que je ne me suis rendue compte qu'aux remerciements que l'auteur est une femme, née de parents turcs, prof de Gender & Women Studies, dans le Michigan... C'est vrai que j'aurai pu m'en douter en lisant la traduction qu'elle donne du fameux verset 34 de la sourate An-Nisâ' qui fait controverse, sur les femmes :

« Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu'ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes et protègent ce qui doit être protégé, pendant l'absence de leurs époux, avec la protection de Dieu. Quant à celles, dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de raison contre elles, car Allah est, certes, Haut et Grand ! »

C'est sûr, dit comme ça, elle ne fait pas envie. Mais voici la traduction donnée par Shams, le sufi, dans ce bouquin :

« Les hommes sont les soutiens des femmes car Dieu a donné à certains plus de moyens qu'à d'autres, et parce qu'ils dépensent leurs richesses (pour subvenir à leurs besoins). Les femmes qui sont vertueuses sont donc béissantes à Dieu et préservent ce qui est caché, comme Dieu l'a préservé. Quant aux femmes que vous sentez rétives, parlez-leur gentiment puis laissez-les seules au lit (sans les molester), et venez au lit avec elles (si elles le souhaitent). Si elles s'ouvrent à vous, ne cherchez pas d'excuses pour les blâmer car Dieu est, certes, Haut et Grand. »

Puis de comparer le Coran à une rivière constituée de multiples courant, la surface étant l'interprétation simpliste et plus le courant est profond, plus l'interprétation est mystique... Ainsi, ce verset pourrait très bien traiter de la féminité et de la masculinité en chaque être humain, et non pas seulement des rapports entre hommes et femmes. Tout cela pour dire que le lecteur est constamment invité à réviser son jugement, sur l'histoire qu'il lit et sur les personnages qui ne sont finalement jamais ce qu'on croyait qu'ils sont... Nous sommes amenés à plonger dans cet amour inconditionnel du Sufi tout en étant confronté à un personnage qui est loin d'être exempt de torts... Cette perpétuelle remise en question, ces multiples niveaux de lecture, tout ça est vraiment bien amené et fascinant.

Bref, ce n'est qu'un exemple de ce qu'on peut trouver dans ce livre pour donner à réfléchir.
Tout s'efface au profit des quelques enseignements disséminés au fil des pages, de l'enseignement global d'aimer sans a priori, une vraie bouffée d'air frais, et d'amour. Passé la première centaine, je ne lisais plus pour savoir ce qu'il adviendrait des différents protagonistes (c'est cousu de fil blanc de bout en bout), mais simplement pour découvrir quelle serait la prochaine règle, d'en savoir plus sur cette philosophie qui change tellement de l'image qu'on se fait de l'islam... Cet Islam institutionnel en prend d'ailleurs pour son grade !
Un ovni, qui n'est ni un roman, ni un guide spirituel, ni une encyclopédie du soufisme, de la mystique musulmane... Des bribes de sagesse qui ont eu le mérite de me donner envie de lire les poèmes de Rûmi !
Isatis
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 18 sept. 2011

Critique lue 3.3K fois

9 j'aime

Isatis

Écrit par

Critique lue 3.3K fois

9

D'autres avis sur Soufi, mon amour

Soufi, mon amour
Isatis
9

Critique de Soufi, mon amour par Isatis

J'ai un toc incontrôlable. Je ne peux pas entrer dans une librairie sans sortir avec, au moins, un bouquin. C'est comme ça, il y en a toujours un qui attire mon regard, ou quelque chose qui figure...

le 18 sept. 2011

9 j'aime

Soufi, mon amour
EmmanuelLorenzi
7

Critique de Soufi, mon amour par Emmanuel Lorenzi

Érudit, poète de langue persane et figure incontournable du soufisme (le courant mystique de l’Islam), Rûmî naquit en 1207 dans l’actuelle Afghanistan et mourut à Konya (Turquie) en 1273. Connu pour...

le 26 juin 2018

8 j'aime

20

Soufi, mon amour
Boudh
7

Un livre qui donne envie d'en lire 10 autres...

"Soufi, mon amour" est une lecture agréable mais pas le plus grand roman que j'aie pu lire. Le livre est divisé en deux parties alternées, une contemporaine, qui met en scène une américaine d'âge...

le 14 juil. 2015

4 j'aime

Du même critique

Soufi, mon amour
Isatis
9

Critique de Soufi, mon amour par Isatis

J'ai un toc incontrôlable. Je ne peux pas entrer dans une librairie sans sortir avec, au moins, un bouquin. C'est comme ça, il y en a toujours un qui attire mon regard, ou quelque chose qui figure...

le 18 sept. 2011

9 j'aime

Le Trône de fer
Isatis
10

Critique de Le Trône de fer par Isatis

(Cette critique est pour toute la saga, tome par tome, ce serait vraiment de la monomanie) J'ai eu du mal à me lancer, dans cette histoire. Pour tout vous dire, je m'y suis même reprise à deux fois...

le 18 janv. 2011

7 j'aime

Kaamelott
Isatis
10

Critique de Kaamelott par Isatis

Que dire, que dire ? Voilà bien longtemps que la TV française ne nous avait pas offert quelque chose d'aussi délectable. Le génie d'Astier y est pour beaucoup... J'ai apprécié, en tant qu'historienne...

le 19 janv. 2011

6 j'aime