un gros coup de coeur
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Le narrateur Liam vit loin du monde, dans une région de montagnes et de forêts encore sauvages, où il subsiste de la chasse et de la trappe, laissant seuls à la maison, pendant ses longues et très fréquentes absences, sa compagne Ava et son fils de cinq ans, Aru. Mais un jour, l’attend à son retour le corps sans vie de la jeune femme, tuée par un ours dont elle a juste pu protéger l’enfant. Déchiré entre son rôle de père et la gageure d’élever seul un bambin dans l’isolement de ces contrées inhospitalières, l’homme décide de se séparer de son fils et s’engage avec lui dans un périple dont les péripéties vont pourtant s’acharner à contrecarrer ses plans…
D’emblée, l’on pense à John Haines, le poète et écrivain américain qui, lui aussi, choisit la solitude dans une nature âpre et sauvage – dans son cas, l’Alaska –, subsistant en quasi autarcie de la pêche, de la chasse et de la trappe au rythme de tâches éprouvantes et physiques, la moindre négligence l’exposant à d’imparables dangers si loin de tout secours. Mais, contrairement à l’auteur du récit Les étoiles, la neige, le feu, le personnage imaginé par Sandrine Collette est un homme rustre, issu de la misère et de la maltraitance, qui, tel un loup quittant la meute, n’a trouvé de salut qu’en fuyant ses congénères, leur méchanceté et la rage qu’elle déclenche en lui.
Sous ces dehors brutaux, cet homme, que l’on pourrait dire revenu à une forme de primitivité presque animale dans sa vie toute entière consacrée à la simple subsistance en milieu naturel, est en vérité étranger, contrairement à bon nombre de ses semblables « civilisés », à toute forme de cruauté gratuite. Lui ne se comporte en loup que pour survivre et se nourrir. Et s’il fait d’abord montre d’une dureté extrême, tout en se résolvant à un choix impossible, en ce qui concerne son fils, c’est dans un réflexe de défense paniquée, leur dépendance mutuelle les mettant gravement en péril l’un comme l’autre. Au final, le contact des hommes s’avérera au moins aussi dangereux, en tous les cas plus cruel, que celui des fauves, ouvrant la question de qui sont vraiment les plus inhumains et les plus bestiaux…
Epousant, sans filtre ni apprêt, l’écoulement désordonné des pensées de ce taiseux sans éducation qu’est Liam, plus prompt à l’action instinctive qu’à l’introspection et à l’expression de ses sentiments, le récit court au rythme saccadé de phrases tantôt hachées et incomplètes, tantôt sinuant en un fleuve à peine ponctué de virgules, dans une langue dont l’aspect cru et fruste n’exclut pas une certaine poésie. Ainsi introduit dans la tête du personnage, au plus près de ses ressentis, le lecteur n’en est que plus happé par une de ces narrations haletantes dont Sandrine Collette a le secret, et qui, dans nombre de ses romans, resserre sa spirale autour de proies et de prédateurs lancés dans une traque éperdue.
C’est avec le plus grand plaisir que l’on suit l’auteur dans cette nouvelle exploration réussie de ses thèmes favoris, « à la frontière entre humanité et animalité », comme elle l’explique elle-même, et, toujours, dans le cadre inquiétant d’une nature aux beautés âpres et écrasantes.
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le 4 sept. 2022
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