J’aime Emmanuel Ruben. J’aime sa manière d’écrire en géographe, son attention aux reliefs et aux frontières, son sens de la poésie des fleuves et des forêts qu’il emprunte à Julien Gracq dont il est un grand admirateur. J’aime sa façon de construire des pays imaginaires qui dédoublent le réel, comme dans La ligne des glaces, sa façon de parcourir la carte et le territoire comme dans Jérusalem terrestre ou Sur la route du Danube. J’aime, livre après livre, retrouver son double de fiction, Samuel Vidouble, et toutes ses projections de papier qui tournent pour beaucoup autour de la question de ce que signifie, aujourd’hui, habiter cette grande Europe qui se termine sur le Bosphore à l’est et dans les pays Baltes au Nord, cette Europe dont le centre de gravité sont les Balkans et les Carpates qui lui sont si chers, et qui à bien des égards est elle aussi une fiction. 


J’aime Emmanuel Ruben et c’est une chance car, sans ça, je n’aurais sans doute pas distingué ses Nouvelles ukrainiennes d’un certain nombre de projets éditoriaux de circonstance, pour certains vaguement opportunistes, qui fleurissent depuis le mois de mars. Pas d’opportunisme bien sûr ici (les bénéfices du livre étant reversés à Bibliothèques sans frontières pour l’Ukraine), pas plus que de textes de circonstance : plutôt que des textes écrits dans l’urgence de la guerre en cours, Emmanuel Ruben rassemble ici une poignée de nouvelles écrites au retour de ses différents voyages en Ukraine, datant pour la plupart du début des années 2010, pour certains déjà publiés en revue. 


L’ensemble est inévitablement inégal, mais a précisément le mérite de ne pas se vouloir une radiographie définitive du pays ou une sorte de recueil explicatif permettant au pauvre lecteur français un peu perdu de tout comprendre des relations Ukraine-Russie. Le recueil avance au contraire au hasard des voyages et des rencontres, trace ici le portrait d’une Ukraine sylvestre qui se ressent comme une muraille de l’Europe, là celui de l’Ukraine des fleuves et des confluences, voie royale des échanges au sein des Carpates, et confronte dans la très belle nouvelle Retour à Kiev le portrait de la jeunesse urbaine de la révolution de 2014 à celui des nationalistes glorifiant un héros de la nation bien douteux, le fasciste Bandera. Un beau recueil, résolument en mouvement - Ruben affectionnant tout particulièrement les récits en train, en bateau, à vélo - nuancé et riche, dans lequel on collectera de plus, pour ceux qui comme moi aiment Ruben, quelques nouvelles pièces de son puzzle autobiographique. 

Cyril-spoile
7
Écrit par

Créée

le 5 nov. 2022

Critique lue 34 fois

3 j'aime

1 commentaire

Cyril T

Écrit par

Critique lue 34 fois

3
1

Du même critique

Nouvelles ukrainiennes
Cyril-spoile
7

Critique de Nouvelles ukrainiennes par Cyril T

J’aime Emmanuel Ruben. J’aime sa manière d’écrire en géographe, son attention aux reliefs et aux frontières, son sens de la poésie des fleuves et des forêts qu’il emprunte à Julien Gracq dont il est...

le 5 nov. 2022

3 j'aime

1

Alexis Zorba
Cyril-spoile
5

Critique de Alexis Zorba par Cyril T

Zorba, c’est bien sûr ce type qui danse sur une plage crétoise, un cliché ambulant d’office du tourisme grec - dont la fameuse danse, c’est bien connu, n’est même pas traditionnelle mais a été...

le 5 nov. 2022

3 j'aime

Tous ceux qui tombent
Cyril-spoile
8

Critique de Tous ceux qui tombent par Cyril T

Qui étaient-ils, les 10 à 30000 morts de la Saint Barthélémy ? Et à qui appartenaient les mains qui, cette nuit de 1572 puis pendant plusieurs semaines partout en France, ont frappé, blessé, embroché...

le 5 nov. 2022

3 j'aime

1