Un univers passionnant, cohérent, original et d'une richesse folle

Une telle richesse en 600 pages, je ne pensais pas cela possible. Les Jardins de la Lune dépeint un univers cohérent et captivant qui ne ressemble en rien à tout ce que vous avez pu lire ailleurs. Alors oui, je rentre dans le vif du sujet dès mon intro, mais ce n’est que pour mieux respecter la façon de faire de Steven Erikson qui commence son récit in medias res, attrape le lecteur par la taille, le jette sur son épaule et le trimballe dans son univers sans jamais le lâcher. Voilà à quoi Les Jardins de la Lune me fait penser.
Mais sinon, précisons tout de même que c’est le premier tome d’une décalogie à grand succès, en cours de traduction chez Leha Editions. Ah, et histoire de bien me faire comprendre, c’est du tonnerre ce bouquin !


Comme je le disais, Erikson ne prend pas le lecteur par la main, ce qui pourrait lui être reproché et ce dont il s’explique très bien dans sa préface (que vous DEVEZ lire, c’est très instructif et permet d’aborder l’œuvre en connaissance de cause), mais cette approche lui permet aussi de montrer la montagne que le lecteur s’apprête à gravir, de lui faire ressentir rapidement la richesse de son univers et la profondeur de l’intrigue.
Pour apprécier Les Jardins de la Lune, il faut accepter le pacte que nous propose son auteur : vous ne comprendrez pas tout, il y aura de nombreuses zones d’ombres, mais rassurez-vous, je sais ce que je fais et vous finirez par tout comprendre. Une fois ce contrat accepté, on décide de se lancer dans cette aventure qui ne nous explique pas tout, mais qui nous entraîne dans un monde original, cohérent, passionnant et d’une richesse folle.


Je ne vais rien raconter de l'intrigue ou des personnages, c'est à vous de le découvrir. Ce que je peux dire, en revanche, c'est que l’univers du Livre des Martyrs possède cet immense avantage qu’est l’originalité. La fantasy nous a tellement habitué à ses poncifs habituels qu’il est diablement rafraîchissant de s’en éloigner pour trouver des peuplades inconnues, des destins inhabituels et des personnages peu communs. Steven Erikson semble avoir créé son univers sans se baser sur une quelconque autre œuvre. Il ne s’est encombré d’aucun carcan, n’a voulu respecter aucun schéma typique. Il a voulu créer une fantasy qui épouse toutes les possibilités qu’offre le genre (et elles sont nombreuses puisqu’on est dans l’imaginaire), mais tout en restant toujours cohérente et bien ciselée, car son histoire, précisons-le, a été mûrement réfléchie pendant une quinzaine d’années avant d’être écrite. Le résultat est un livre unique, une histoire qu’on n’a jamais lue ailleurs et qui marque d’autant plus le lecteur.


Lorsque j’ai débuté ma lecture, j’avais peur de me noyer dans des conflits divins et des histoires géopolitiques, car j’ai toujours préféré explorer les micro-histoires plutôt que la macro. Mais j’ai eu la surprise de découvrir un récit qui ne se concentre pas sur le contexte global, mais plutôt sur le destin des personnages, ballottés par les choix politiques et les ingérences divines. Le contexte politico-mythologique est donc bien présent dans chaque page du livre, mais il tapisse le fond, il est le blanc des pages alors que les personnages en sont le noir des mots.


Avec tout ce que j'avais entendu sur ce livre, j'en attendais beaucoup, et je n'ai pourtant pas été déçu. Comme je le disais plus haut, c'est l'univers qui m'a happé très rapidement, mais pas seulement. Les personnages sont souvent pointés du doigt dans ce premier tome, car ils constituent le principal reproche que les lecteur font à l'encontre des Jardins de la Lune. Ils ne sont pas assez attachants, dites-vous ? Eh bien je trouve que si. Erikson réussit admirablement bien à créer des passages touchants avec simplement une ou deux lignes de dialogues, ce qui renforce instantanément l’attachement au personnage concerné. Une phrase, une seule, qui donne alors une tout autre profondeur au personnage en question. Alors oui, ils ne se valent pas tous, c'est évident, d'autant qu'ils sont nombreux à se partager les principaux rôles. Mais plusieurs d'entre eux m'ont paru tout à fait attachants et cela m'a amplement suffi. Ils sont trop archétypaux, dites-vous ? Je vois ce que vous voulez dire, c'est vrai qu'ils se définissent avant tout par leur fonction tout droit venue du jeu de rôle (mage, assassin, voleur...), mais ça va plus loin que cela, ils sont assez profonds, mystérieux et humains pour donner bien plus d'épaisseur à ces personnages qu'à de simples héros tirés d'un JDR. Je peux vous assurer qu’on est bien loin des archétypes qu’on retrouve dans Terremer d'Ursula Le Guin, par exemple.


Mais il y a bien quelque chose que je reprocherais vraiment à ce premier tome du Livre des Martyrs. Mon principal grief est le manque de clarté de certains passages, rendant difficilement compréhensibles les réactions des personnages. Ça m’a laissé perplexe à plusieurs reprises, que ce soit dans des dialogues ou dans les actions de certains personnages. Mais mes critiques s'arrêtent là. Je n’ai franchement pas grand-chose à reprocher aux Jardins de la Lune. C’est un très bon premier tome qui pose de solides bases pour la saga.


Je finirai en précisant que l'écriture est extrêmement agréable. Je ne sais pas si c'est la plume de l'auteur ou le talent du traducteur (ou les deux), mais c'est un vrai plaisir de lecture. D'ailleurs, ajoutons aussi que les traducteurs (car ils sont deux) ont pris le parti de franciser les noms (lieux, personnages, etc.), ce qui donne une couleur authentique à cet univers qui nous paraît tout à coup plus proche. C'est un choix que j'approuve entièrement et qui rehausse, selon moi, l'attachement que l'on peut avoir pour cette œuvre.


Ma lecture des Jardins de la Lune a été comme un tourbillon dans lequel j’ai plongé la tête la première. J’ai été happé par ce monde riche, par cette histoire passionnante et par ces personnages uniques. Vous n’avez jamais rien lu de similaire, je peux vous le garantir. Steven Erikson semble avoir choisi de s'éloigner de tous les poncifs de la fantasy pour créer son propre univers et faire fi des règles habituelles tout en conservant un monde très cohérent. Acceptez-le, vous ne comprendrez pas tout au début, car c'est ainsi que l'auteur l'a conçu. Si vous acceptez les zones d'ombre et la richesse folle de cette œuvre, vous risquez de vous passionner pour cet univers qui le mérite amplement.

roifingolfin
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le 27 mai 2019

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