Cette courte "critique" est provisoire, elle n'a pas d'autres buts que d'expliquer (parce que j'en ai envie) pourquoi ma note est aussi basse pour un roman qui est incontestablement un chef d'œuvre.


Pour commencer, contrairement aux Ames mortes de Gogol -à lequel Les Démons fait écho- je ne suis pas spécialement passé à côté de la grande qualité de ce roman et de son fort message politique, philosophique, social, métaphorique, etc. (même si aujourd'hui je ne peux pas prétendre l'avoir compris)..., et du portrait fascinant (ou plutôt de la photo de groupe) qu'il dresse de la société russe de son époque.


Dostoïevski est un vrais "psychologue", il dressera toujours des portraits crédibles et subtiles de ses personnages sans jamais les caricaturer, les réduire à quelques attributs; tous les personnages ont de vrais personnalités plus ou moins ambiguës plus ou moins complexes, et, même pour les personnages les plus atroces, Dostoïevski ne les rendra jamais grotesques et encore moins manichéens, c'est donc à vous de les juger...


Dostoïevski est aussi très partisan, et Les Démons est sûrement une des ses œuvres les plus politiques, toujours dans la mesure où c'est à vous et seulement à vous de vous faire une opinion sur les idéologies et les motivations de ses protagonistes, qu'ils soient représentants de l'ordre tsariste, de la religion orthodoxe, des slavophiles, des conservateurs, des occidentalistes, du libéralisme, du progrès, de la liberté ou de la coercition, du socialisme, de l'anarchie, de l'égalité ou du totalitarisme...


Je le dit, Les Démons de Dostoïevski est un très grand roman, mais c'est aussi et surtout un véritable roman fleuve.


Et c'est pour cela que cette lecture m'a frustré, surtout qu'elle y est riche de superbes passages d'anthologie dans un style toujours excellent. Et apparemment, je suis toujours tombé sur de bonnes traductions !


Mais alors où est le problème ?


C'est que justement il y a trop d'informations, il y a trop de personnages et ces personnages ne sont en aucun cas des personnages secondaires, en aucuns cas des "meubles", car ils ont tous leur vie et leur évolution propre..., leur destin, leurs idées, leur tragédie (et celle de Chatov et de Marie me fait encore trembler d'horreur).


Ce n'est donc pas la trame d'un roman classique qui se tisse au fil des pages mais, comme dans Guerre et Paix de Tolstoï, c'est une chronique, un portrait, un cliché photographique d'une époque de la Russie tsariste (je reviens sur ma métaphore), une Russie pré-révolutionnaire, bouillonnante et sclérosée, une société complexe et vacillante; mal connue et grossièrement fantasmée en Europe comme tout ce qui touche à la Russie en général: cette "Europe" alternative bénéficiant du charme d'un certain exotisme oriental...


Seulement Les Démons de Dostoïevski est relativement court, relativement condensé, grosso modo "seulement" 850 pages, et 200 pages de plus n'aurait pas été un luxe..., ce qui en fait un roman d'une incroyable densité, et une lecture un peu trop complexe pour moi, je l'admet, en tout cas c'est ce que j'ai ressenti pendant tout le temps que j'ai passé avec.


J'avais eu un peu le même problème avec L'Education sentimentale de Flaubert, en moins important car c'est un roman plus classique, plus conforme à ce que j'avais lu auparavant (et centré sur les déceptions de Frédéric Moreau - d'ailleurs est-ce une vision romanesque de Flaubert ?-), et, détail absolument pas négligeable, je connais quand même beaucoup mieux l'histoire de France que l'histoire de Russie, (même si en l'occurrence, connaître d'avantage l'histoire de France post 1789 m'aurait grandement aidé à réellement apprécier L'Education sentimentale à sa juste valeur).


Or, Les Démons et L'Education sentimentale sont deux romans éminemment historiques, éminemment psychologiques et politiques, ils sont témoins des luttes et des angoisses de "leur époque", une époque que nous rejouons peut être un peu aujourd'hui, ils sont partisans, ils sont aussi riches en informations et en détails les rendant si vivant, retranscrivant d'une manière si palpable le siècle qui a bâti notre "monde contemporain" avec ses vices et ses vertus, ce sont des romans qui ne sont, de toute évidence, pas destinés à une lecture unique mais à vous accompagner toute une vie...

AXEL-F
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le 15 oct. 2021

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Axel

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