D'une délicatesse vivifiante, Le voyage à Nuremberg est un pur concentré de Hesse. Deux mois de voyage pour un saut de puce du Tessin à Nuremberg avec quelques conférences littéraires en toile de fond, et déjà tant de questions et si peu de réponses. Quand Hermann Hesse prend le train en égrenant villes, séjours, amis et paysages c'est pour mieux écouter comment le monde retentit en lui-même. Avec cette magistrale spécificité : parce qu'il est profondément humaniste, Hesse n'aime pas être dérangé.
Entre constante recherche de soi, quête de connaissance et farouche indépendance, dans un style d'une absolue limpidité, Hesse se met lui-même en scène, comme dans tous ses écrits, sorte d'aller-retour entre artiste et penseur, sans jamais dévoiler toute la profondeur de ses secrets. Maintenir ce fragile équilibre quasi musical entre moi profond condensé sur sa quête de sens et expansion de l'homme dans le monde. Armé de ses seules confidences à moitié offertes, Hesse l'émotif ne s'épanche jamais : il prend son temps, sa façon à lui de détourner lois et conventions, en rebelle tranquille. Quand il effleure ses déchirures, Hesse n'en donne jamais les dimensions.


Suivre les empreintes d'Hermann Hesse et ce retour à pas de velours sur son enfance Souabe où Hölderlin, sa lune et ses élans sont omniprésents. Merveille entendue, à l'adolescence, enchantement poétique, car Hesse est habité de poésie. Eternel chercheur d'instants de grâce, il se promène dans sa mémoire et ses tentations. Tentations du rêve.
Car la part du rêve est une part du chemin, et ce rêve est issu de l'écriture, mais sans jamais fuir la souffrance de vivre. Pour lui, toute route est élan initiatique où la béatitude suprême serait dans la sincérité mystique d'un paysage naturel, le temps d'une promenade, plutôt que dans un sacerdoce. Errance du regard pour suspendre la course du temps et capter un instant d'extase fécond de questionnement.
Mais aussi refus de la modernité industrielle et surtout de sa vitesse, car Hesse-le-rêveur exècre le monde pressé, la vie hâtive mécanisée, qui condamnent l'humaine promenade pour instaurer une course manufacturée peuplée de travailleurs inquiets. Exister prend du temps, comme l'amitié et ses fidélités autour d'un verre de vin nouveau, comme prennent du temps les voûtes d'une église ou l'angle fleuri d'un jardin.
Et enfin cet humour de Hesse qui exige d'avoir assez souffert pour s'ennuyer des vanités intellectuelles et ne pas prendre la littérature trop au sérieux, bien au contraire : écrire entre espoir et anxiété, expérimentant chute et plénitude, pour librement participer au monde mais sans la certitude de savoir d'où pourrait bien venir notre Salut.



Tous ces lieux étaient d'une grande beauté, mais ils étaient à présent cernés par la grande ville affairiste, froide et triste, par le bruit des moteurs pétaradants, par les files de voitures. Tout frémissait légèrement au rythme d'une époque nouvelle. Mais cette époque ne construisait pas de voûtes sur croisées d'ogives et ignorait l'art d'orner les cours silencieuses de fontaines aussi gracieuses que des fleurs. Tout semblait prêt à s'effondrer dans l'heure suivante car plus rien n'avait de sens ni d'âme.


SophieChalandre
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le 28 avr. 2022

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Soph CH

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