Le Rouge et le Noir
7.2
Le Rouge et le Noir

livre de Stendhal (1830)

Lu en Août 2021. Ed Étonnants Classiques. 8,5/10


Mon premier Stendhal. Content d’avoir comblé cette grosse lacune dans ma littérature du XIXeme siècle. Content aussi de ne pas en avoir eu trop entendu parlé car j'avais une idée de la trame narrative mais je ne savais, en réalité, pas à quoi à m'attendre.


Tout d’abord ce fût un plaisir de retrouver le cadre du XIXème siècle qui m’avait manqué après mes lectures « d’antiques ». J’aime cet univers de chaos politique, de transition entre l’ancien régime et l’avènement de la république. Ça crée des péripéties romanesques toutes trouvées. D’ailleurs Stendhal le dit lui même « un roman, c’est le miroir qu’on promène le long d’un chemin ». Son livre est donc très ancré dans son époque car IL SE DOIT d’être ancré dans son époque pour intéresser. J’ai été de nombreuses fois étonné de l’actualité du roman par rapport à sa date de parution. Il relate des évènements historiques de contextualisation qui se réfèrent à l’année même (1830).  
Enfin bref, Le Rouge et le Noir c’est au début du roman une histoire d'amour qui paraissait malsaine, puis qui devient progressivement très belle. Ça a tout du roman a l'eau de rose. Ça a tout pour m'ennuyer, et d'ailleurs ça m'ennuie, mais pourtant je trouve ça excellent. Car le roman est porté par la grande complexité des personnages. Beaucoup d’entre eux s’expriment à travers le monologue intérieur, élément de style que je n’ai jamais vu autant et aussi bien utilisé. Ces monologues intérieurs donnent de la densité aux personnages, leur refus d’être uniforme, tout blanc ou tout noir, complètement amoureux ou absolument pas, est palpable et ça nous accroche à des histoires d’amours peu intéressantes mais mêlant de très intéressants personnages auxquels on a accès à l’intimité. En effet, tous les personnages pensent, réfléchissent, font leur vie. Les monologues intérieurs fusent et font la narration plus que le narrateur lui même. Ce sont des personnages qui réfléchissent énormément sur leur vie. C'est très autocentré, très maniéré mais ça semble bien coller à leur mode de vie et à l’époque que Stendhal veut refléter.
Mais Le Rouge et le Noir ce n’est pas qu’une histoire d’amour. Les quelques chapitres à la fin de la première partie qui nous décrivent la période où Julien vit au séminaire m’ont vraiment plu. C’est une grosse rupture dans le rythme, ça n’a rien à voir avec ce qu’on a vu depuis 200 pages mais ça renforce l’intérêt autour de Julien et surtout ça donne une idée intéressante de qui sont les religieux en 1830. L’hypocrisie, les conflits d’intérêts dépassent la rigueur théologique et c’est dingue de voir que Julien, obsédé par le pouvoir, la gloire et Napoléon, puisse être le plus sain de tous ces « hommes de Dieu ».
Ainsi, j’ai espéré au début de la deuxième partie du livre que Julien Sorel soit enfin un vrai "héros" de roman. En effet, son caractère sort largement du lot et il s’accoutume peu à peu au monde parisien noble et bourgeois. Il semble tenir les ficelles de son ascension vers les plus hauts postes de pouvoir…. Mais non Julien reste un insupportable petit personnage gêné par un plafond de verre qu’il ne brisera jamais vraiment. Bien qu’il ait attrapé dans ses griffes Mlle de La Mole (ou l’inverse justement), ce n’est que pour mieux atteindre la déchéance à la fin de son aventure.
Dans son aventure justement, il est parfois difficile de s’y retrouver. Et je dois dire que j’ai été souvent étonné voir déconcerté par l’enchaînement ou le non-enchaînement des évènements. Mme de Rênal met un temps fou avant de réapparaître. L’idylle (et surtout bien plus) avec Mlle de la Mole est d’un romantisme grotesque. Les conjurés royalistes sont presque aussi grotesques. Autant de choses qui pourraient sembler négatives mais qui donnent à lire et à vivre le roman. Rien ne s’enchaîne comme on s’y attend, c’est grotesque mais c’est la vie.

Mlle Mathilde est vraiment infecte, en plus d’être superbe elle est une caricature d’elle même comme tous les personnages, mais elle caricature aussi toute une classe de la société, ce roman possède donc une vraie facette critique de la société de son temps, sous façade de l’honorer.


Mais la question est complexe, les personnages sont complexes, le roman est complexe et les intentions de narrations sont soumises à de nombreuses interprétations que j’ai dû mal à cerner en entier. D’ailleurs, j’ai cru comprendre que l'opacité du désir des personnages et les incohérences semblent être une critique récurrente du roman et ce depuis sa parution. 
Heureusement, le style de Stendhal est très vif, l’ensemble du livre, qui a été rédigé en peu de temps, est écrit avec une énergie rare. La diversité des styles, du roman d’apprentissage, à celui à l’eau de rose en passant par le roman politique et même le thriller sont l’apanage des grands et longs romans.

De même, le romantisme du Rouge et le Noir n'a jamais été autant mis en avant que durant ces forcés monologues intérieurs de prisonnier solitaire et sont contrebalancés par la fin d’un réalisme extrêmement sobre, crû, moderne.


Cette œuvre de Stendhal n’a pas été très agréable à lire, les personnages sont désagréables et l’ensemble n’a pas forcément bien vieilli, d’ailleurs l’auteur en a conscience. Mais ce roman fait preuve d’une grande modernité dans son époque et Stendhal a un grand sens de l’équilibre, chaque touche qu’il appose sur son tableau sont construites avec le regard de l’artiste qui du recul sur son monde et sur son œuvre.

« Quand Bonaparte fit parler de lui, le mérite militaire était à la mode […] Voilà ce juge de paix, si bonne tête si honnête homme jusqu’ici, si vieux, qui se déshonore par crainte de déplaire à un jeune vicaire de trente ans. Il faut être prêtre » (5-I, p31)
« Si vos personnages ne parlent pas politique, reprend l’éditeur, ce ne sont plus des français de 1830, et votre livre n’est plus un miroir, comme vous en avez la prétention » (22-II, p458 )
« Grand Dieu ! Pourquoi suis-je moi ? » (23-II, p501)

Arimaakousei
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le 29 août 2021

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Arimaa_kousei

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