«Muses héliconiennes, ce commencement soit le vôtre!»


Ah, Hésiode ! L’autre grand nom à l’aube de notre Histoire, deuxième père fondateur de la culture et de la mythologie Grecques. Hérodote le disait déjà, Homère et Hésiode sont les deux génies qui ont donné leurs lettres de noblesse à la Mythologie ; mieux, ils ont donné leur nom aux dieux. Et pourtant, Hésiode est peu à peu passé dans l’ombre de son grand «concurrent». On pense régulièrement à Homère, rarement à Hésiode. Et pourtant, il ne faudrait l’oublier et passer à côté de sa poésie, tout aussi riche, tout aussi belle, tout aussi fondamentale que celle d’Homère.


La Théogonie


Bien sûr, quand je parle de «poème parfait», c’est à la Théogonie que je pense, le poème ordonnateur qui chante la création du monde, la naissance des dieux et l’ascension de Zeus. La Théogonie est vraiment fascinante et nous emporte par son souffle épique dès le premier vers, nous faisant entrevoir l’Histoire des dieux d’un point du vue presque divin. Oui, la poésie d’Hésiode semble bel et bien insufflée par les Muses en personne !


Outre le façonnement de l’univers et des dieux, la notion fondamentale de la Théogonie réside dans la manière dont l’ordre, l’unité, et la justice s’installent et règlent le chaos primitif. Et bien entendu, toute la perfection du poème se trouve dans sa structure «circulaire» qui sert à merveille la vision du poète. La paix initiale est brisée par Cronos, vient une période de trouble jusqu’à la fameuse Titanomachie, si puissante, si évocatrice. Zeus vainc les Titans, fils du Ciel et de la Terre, avec l’aide des Cent-Bras, et peut commencer à mettre en ordre le monde. Mais Typhée, fils de la Terre et du Tartare, menace cet équilibre et fait courir le danger de revenir au chaos primitif. Zeus le terrasse, seul cette fois, et instaure ainsi son règne sur l’ensemble du monde, souterrain comme céleste. Cette fois, la justice et l’ordre sont établies pour de bon et assurent l’unité, la paix de l’univers : le monde est né. Tant dans sa forme que par son fond, la Théogonie incarne la perfection, juste hommage à la grandeur des divinités.


Les Travaux et les Jours


Les Travaux et les Jours n’en est pas moins une grande œuvre également, véritable poème didactique et moral tourné vers l’avenir. Le soucis premier d’Hésiode est bien entendu de conseiller les hommes afin de leur garantir la vie la plus droite et la meilleure possible. Nous pouvons nous lamenter de faire partie de cet Âge de Fer, mais c’est à nous qu’il revient de nous améliorer et de faire en sorte que l’humanité ne sombre pas vers cet avenir sombre qui attend les «vieux» hommes de cet Âge de Fer. Et c’est toute la force du poème : 2700 ans plus tard, ses conseils moraux restent d’actualité et nous frappent de stupeur par la précision et l’intelligence de la pensée d’Hésiode. Certains passages sur les malheurs qui attendent les hommes ne peuvent que faire penser à des évènements récents et à notre pauvre Occident, qui dépérit, peu à peu. Cela semble inéluctable, et pourtant Les Travaux et les Jours nous insufflent cette flamme qui nous rappellent qu’il faut continuer à nous battre pour préserver nos valeurs.


Enfin, il est très intéressant de retrouver, déjà chez Hésiode, ce soucis de «dichotomie», de balance entre deux forces contraires, qui sera par la suite une notion fondamentale pour bon nombre de penseurs Grecs. Chaque chose, chaque notion possède deux penchants, un bon et un mauvais, qu’il convient de distinguer afin de s’orienter vers ce qui est bon et juste. Déjà, l’honneur, comme chez Homère, était une notion fondamentale qui perdurera chez les Grecs comme chez les Européens, et tout particulièrement en France.


Tout le poème est porté par cette double dynamique interne, cette distinction entre «bien» et «mal», jusque dans le fameux Mythe des Races qui brise la structure de décadence traditionnelle, témoignant encore une fois de la singularité de la civilisation grecque. L’Âge d’or fait écho par la vertu de ses hommes à l’Âge des Héros, mais entre les deux viennent s’intercaler deux Âges d’hommes mauvais, accaparés par la guerre et qui se détournent des dieux. Enfin, l’Âge de Fer clôt le Mythe et possède en lui cette double distinction. Certes, les «hommes de Fer» sont moins vertueux que les Héros ou qu’à l’Âge d’or, mais il leur revient encore de travailler pour établir un meilleur futur.


Les Travaux et les Jours n’a donc rien perdu de sa superbe et de son intérêt, même pour un humble lecteur du XXIe Siècle, et demeure parmi les géants de la littérature, aux côtés de la Théogonie, de l’Iliade, de l’Odyssée. Le poème clôt l’histoire du monde commencée par la Théogonie : après la création de l’univers et du règne des dieux, il restait à chanter l’histoire des hommes.


Le Bouclier & fragments


Le Bouclier est une référence on ne peut plus claire au fameuse passage de la description du bouclier d’Achille dans l’Iliade. Le poème est un peu laborieux et moins riche que le passage d’Homère, et son authenticité est grandement mise en doute. Il est maintenant régulièrement admis que le Bouclier n’est pas l’œuvre d’Hésiode. Les autres fragments, dont le Catalogue des Femmes, ont davantage un intérêt historique que littéraire. Le Catalogue des Femmes représentait dans l’antiquité un inventaire assez complet de toutes les généalogies et grands noms de la Mythologie, en provenance de tous les coins de la Grèce, et témoigne encore une fois de la volonté d’Hésiode d’ordonner et d’unifier tout la culture grecque, ainsi que de sa grande érudition. Enfin, le bouquin se termine sur la sympathique Dispute d’Homère et d’Hésiode, mettant en scène de manière imaginée la lutte poétique entre les deux aèdes, avec des anecdotes, un peu à la manière d’Hérodote. C’est un passage un peu frivole qui vient clore l’ouvrage, avec une petite touche agréable, par contraste avec le caractère très sérieux et systématique des autres fragments.


La figure d’Hésiode m’a toujours intrigué et fasciné ; je suis bien heureux d’avoir découvert son œuvre sans pareille. Hésiode est vraiment un poète à la pensée unique, avec une vision ordonnatrice très poussée, très rigoureuse, et s’il est le deuxième poète à avoir donné ses lettres de noblesse à la Mythologie avec Homère, son œuvre se distingue totalement de l’Iliade et l’Odyssée. Hésiode est le deuxième génie primordial grec, dont les poèmes possèdent ce charme primitif si envoûteur et qui sont les précurseurs, d’une certaine manière, des systèmes d’explication du monde que développeront les philosophes grecs de la nature.

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le 25 oct. 2020

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