J'ai lu L'Origine des espèces en même temps que le livre de Menno Schilthuizen, "Comme les bêtes : Ce que les animaux nous apprennent de notre sexualité" avec comme angle "est-ce que, comme l'être humain, les animaux pratiquent le sexe dans le simple but de kiffer leur race". Sexualité rime-t-elle toujours avec reproduction ? Si la réponse est des plus évidentes pour l’espèce humaine, elle est en revanche plus ambiguë, on en conviendra facilement, lorsqu’on appréhende le règne animal dans son ensemble. La rumeur court en effet que chez nos cousins, l’acte sexuel relèverait de la nécessité, n’ayant d’autres rôles que perpétuer l’espèce. Qu’en est-il réellement ?


Avant toute chose, il est indispensable de dissocier les deux termes. On entend par sexualité l’ensemble des phénomènes sexuels ou liés au sexe que l’on peut observer dans le monde vivant et, par reproduction, le processus au cours duquel et par lequel un être vivant produit d’autres êtres vivants. Les deux termes sont donc déjà, d'un point de vue de la langue française, distingués. Faut-il de plus rappeler que durant près de 3 milliards d’années, la vie s’est déployée et renouvelée sur Terre sans sexualité ? Une grande partie des bactéries se reproduit d’ailleurs encore aujourd’hui en se divisant. Inversement, on sait maintenant que la sexualité existe dans le monde bactérien indépendamment de la reproduction (échange de gènes ou de chromosomes entiers par transduction par exemple). Notons enfin que le règne végétal, pour des raisons évidentes, échappe à une telle considération alors même qu’il prouve que la vie est possible sans sexualité.


« Les animaux se reproduisent et assurent de cette manière la survie de leur espèce. »
Cette assertion, qu’on pardonnerait à l’homme du 19e siècle et d’avant, qui avait trop bien appris à séparer (et notamment l’homme de l’animal), devient plus problématique lorsqu’on l’entend de la bouche d’un de nos contemporains. Depuis que Charles Darwin a jeté les bases de sa théorie de l’évolution dans son ouvrage L’origine des espèces en 1859, nous savons en effet que le seul moteur qui fait subsister, ou au contraire s’évanouir, les espèces est la sélection naturelle. Et non la reproduction, qui fait plutôt figure d’outil. Aussi, une espèce qui ne serait plus adaptée à la vie sur Terre, et donc vouée à s’éteindre, ne saurait déjouer le destin quand bien même elle se reproduirait avec zèle : elle disparaîtrait avec ses derniers représentants.


Un autre argument en faveur d’une sexualité animale exempte de toute nécessité nous vient encore de Darwin. D’après sa théorie, en plus de la sélection naturelle, qui permet aux caractères favorisant la survie de voir leur fréquence augmenter au fil des générations, il existe une autre sélection, dite sexuelle, qui permet à certains traits héréditaires, parfaitement futiles, de persister. La majestueuse queue du paon et les architecturaux bois du cerf en sont les plus fameux exemples. Remarquablement inutiles du simple point de vue de la survie, ces derniers n’en demeurent pas moins nécessaires à la séduction, en faisant l’objet d’une compétition intraspécifique pour s’adjuger les faveurs du futur conjoint. Si la sélection naturelle conserve donc les caractères nécessaires à la survie de l’espèce, la sélection sexuelle conserve elle les caractères nécessaires à sa vie sexuelle (appelés caractères sexuels secondaires), distinguant définitivement sexualité et reproduction.


Enfin, il serait bien orgueilleux de refuser aux animaux le plaisir que nous-même trouvons dans la sexualité. Tout comme l’homme, les animaux s’adonnent en effet au sexe pour l'acte en lui-même. Leur comportement homosexuel, bien documenté, et la similitude entre leur pratique sexuelle et la notre en témoignent. Ainsi, l’homosexualité a été observée chez plus de 1500 espèces. Les girafes mâles se livrent par exemple au necking (enlacement du cou pouvant d’accompagner d’une érection) alors que les bisons mâles d’Amérique pratiquent la pénétration anale. Quant à leurs pratiques sexuelles, les animaux n’ont rien à envier à l’homme en terme d’imagination. Les Orang-Outans se servent par exemple de branches comme de sex-toys alors que les dauphins utilisent la bouche des poissons morts pour se masturber. Enfin, la chauve-souris est réputée pour sa pratique du cunnilingus.


L’hédonisme n’est donc plus, et n’a d'ailleurs jamais, été l’apanage de l’Homme. Toutefois, toutes les fonctions vitales aux êtres vivants étant associées au plaisir (boire, dormir, manger), d’aucuns répondraient que le plaisir de la sexualité serait une énième ruse de la nature pour obliger à remplir la fonction... En attendant de la poser au(x) Concepteur(s), ma question n'aura donc qu'une moitié de réponse...

blig
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le 18 janv. 2017

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