L'Idiot
8.4
L'Idiot

livre de Fiodor Dostoïevski (1870)

Né d'un accouchement difficile, long pendant lequel Dostoïevski aura retravaillé son œuvre (ou en tous cas certaines de ses parties) plusieurs fois, L'idiot forme un ensemble qui trouble le lecteur. Les digressions, le traitement des personnages laissent perplexe quant à l'idée directrice du récit.
Si l'on prend l'exemple de Rogojine, son cas est assez symbolique de l'ensemble du récit et de son manque d'homogénéité. Ainsi ce personnage attise la curiosité notamment dans sa relation avec Nastassia Filippovna mais plus particulièrement lorsque le prince vient lui rendre visite ; puis plus rien pendant de nombreuses pages, même lorsque Nastassia le repousse au profit du prince où il se contente d'esquisser un sourire. Et puis vient l'acte final où il passe au premier plan, acte mémorable pour le lecteur dans la façon dont il est traité.
Cette scène à elle seule vaut à ce roman un statut de chef d'œuvre (encore un !). L'esthétique qui se dégage du passage où Nastassia est allongé morte sur le lit, son "pied de porcelaine" dépassant du drap, la luminosité quasi absente... tout cela renvoie à une forme d'art presque visuelle. Et l'auteur de jouer pendant quelque secondes avec son lectorat quant à savoir si Rogojine a vraiment tué sa bien aimée.
D'autres moments restent gravés dans la mémoire du lecteur pourtant abasourdi après telle fin ; on pense au discours rédigé d'Hippolyte ou aux questions réponses entre le prince et les dames de la famille Epantchine lors de leur première rencontre.

Pourtant Dostoïevski lui-même n'était pas content du résultat de son œuvre ; il jugeait n'avoir traduit qu'un dixième de ce qu'il voulait mettre en place dans son récit. Le prince quant à lui devait être un personnage hors norme, parfait même selon les dires de son auteur, ce dernier considérant que ce "genre" de personnages n'existaient plus à cette époque (milieu du 19e siècle) en Russie.
Que constate-t-on aujourd'hui ? Que le prince apparaît comme un être quelque peu ingénu (dans sa relation avec Aglaia par exemple), bizarre pour les autres, malade même ; et pourtant on le voit aussi "christique" lorsqu'il pardonne même à Rogojine, lorsqu'il fait une montagne d'un vase brisé, lorsqu'il se montre gentil et compréhensif tout simplement... n'osant refuser la demande de Nastassia Filipovna.

Au final L'idiot peut apparaître comme incohérent, manquant d'un fil directeur (bien que l'on retrouve la plupart des thèmes chers à Dostoïevski comme la foi, le socialisme, le crime...) mais il reste un incontournable de la littérature russe et de la littérature en général. Son nombre hallucinants de personnages n'empêche pas que l'on s'intéresse à tous, renforçant ainsi notre sentiment de frustration.
Le roman se place peut-être derrière Les Frères Karamazov et Crimes Et Châtiments mais ce n'est pas un déshonneur, non ?
ngc111
8
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le 19 déc. 2010

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ngc111

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