La filmographie de William Friedkin est très inégale, mais il a fait une poignée de grands films qui suffisent à imposer le respect, et surtout, c’est toujours captivant de l’entendre parler, aussi bien en interview que lors de débats ; la première fois que je l’ai vu, suite à une projection de Sorcerer, sans être particulièrement fan du bonhomme, il m’a frappé par son éloquence et son intelligence.
De la même manière, son autobiographie m’a accroché dès l’intro, un savant mélange d’anecdotes marquantes et de réflexions pertinentes.
Le cinéaste admet lui-même d’emblée qu’il est passé à côté de grands projets, et qu’il a fait des films qu’il n’aurait pas dû ; un aveu d’une lucidité rafraichissante, loin de la langue de bois habituellement pratiquée à Hollywood.


Friedkin aborde sa jeunesse, et ce qui surprend aussi, c’est la vivacité et le niveau de détails avec lesquels il se remémore son vécu, étant capable de se rappeler de tenues lors de rendez-vous qui datent d’il y a 50 ans.
Il narre des évènements importants avec une précision et un certain lyrisme empreints d’émotion, comme la première fois qu’il a eu le cœur brisé. C’est à se demander s’il n’invente pas des fois, pour combler les trous de ses souvenirs.
Et comme souvent lorsqu’il parle d’œuvres qu’il admire et qui ont été décisives dans sa vie, il le fait avec une passion communicative, en se plaçant toujours dans la position d’un élève par rapport aux grands maîtres, qu’il estime encore aujourd’hui n’avoir pas égalés.


Plus de 40 ans après la sortie de ses deux films oscarisés, Friedkin pourrait se vanter et donner l’air qu’il savait ce qu’il faisait, mais c’est tout l’inverse, il minimise toujours ses qualités et celles de ses œuvres, même les plus acclamées.
Ce n’est pas la principale raison pour laquelle j’admire le réalisateur, mais c’est l’une d’elles ; je constate à force que les artistes que je trouve les plus géniaux sont ceux qui restent modestes, sûrement parce qu’ils sous-estiment ce qu’ils font et qu’ils poussent alors leurs capacités à fond.
Il n’en a pas toujours été ainsi pour William Friedkin, qui est aujourd’hui lucide sur une époque où, parce qu’il était trop sûr de son talent et parce que son succès lui est monté à la tête, il a adopté un comportement odieux.
Mais dans son bouquin, il relate régulièrement des anecdotes attestant de son inexpérience et de sa naïveté sur ses premiers films, passant souvent à côté d’un désastre (le chef-opérateur qu’il voulait engager pour The French connection sans avoir vu ses essais, l’original de la pellicule utilisé lors du montage de The people vs Paul Crump, …)


Il y a beaucoup d’anecdotes insolites qu’on n’aurait pas imaginées pour des films réussis qui donnent l’illusion d’avoir été maîtrisés. C’est souvent l’instinct plus que la raison qui a poussé Friedkin à prendre des décisions, parfois irrationnelles, comme remplacer un acteur principal de L’exorciste juste après lui avoir fait signer un contrat. Mais il a l’audace de maintenir ses choix, même si ça a des conséquences considérables… parfois à raison, parfois à tort. Je trouve absurde par exemple la façon dont il a choisi les acteurs pour incarner les Français dans The French connection, mais plusieurs de ses films ont été basés sur des méthodes surprenantes et contre-intuitives ; une anecdote qui m’a vraiment marqué et que Friedkin n’évoque pas dans le livre, c’est qu’il y a des scènes de To live and die in LA où il a uniquement filmé les répétitions des acteurs, et n’a pas fait de vraie prise ensuite. Ça paraît insensé, et pourtant, visiblement, ça marche ; ce film est pour moi son meilleur.


Mais au-delà des anecdotes sur sa filmographie, l’autobiographie de William Friedkin est intéressante par ce qu’elle raconte ou laisse entendre plus globalement sur les Etats-Unis, l’industrie du cinéma, ou simplement la façon de mener sa vie.
Au fil de ses projets, Friedkin semble avoir vécu des expériences dingues et avoir fait des rencontres formidables, et à défaut d’être positives pour certaines (comme sa rencontre avec Bernard Hermann), elles ont été intéressantes. Le cinéaste a l’air d’avoir saisi toutes les opportunités d’expériences nouvelles qui se présentaient à lui, même si elles étaient dangereuses, qu’il s’agisse de se retrouver dans la cage d’un dresseur de lions ou dans un camp d’adorateurs du Sheitan en Irak.
Une intrépidité qui se répercute sur les risques inconsidérés qu’il a pris ou les lois qu’il a enfreintes pour ses films, et par conséquent sur la qualité de ces derniers. Je pense à la course-poursuite de The French connection tournée clandestinement, ou la séquence du pont dans Sorcerer. Friedkin admet avoir mis les autres et lui-même en danger, et aujourd’hui il le regrette, mais sans ça, certaines séquences mémorables n’auraient pas existé.
Ca me fait m’interroger à nouveau sur la limite jusqu’à laquelle il est tolérable d’aller pour le bien de l’art. Est-ce que ça vaut la peine de prendre de tels risques, même si ça donne un spectacle inoubliable ? Le point de vue aurait été radicalement différent si les risques pris par le cinéaste avaient causé la mort de quelqu’un, mais ça n’a pas été le cas.


L’auteur aborde également des aspects de sa carrière qu’on voit peu souvent un artiste aborder : les projets qui n’ont pas décollé. Mais parfois, cela donne lieu à des rencontres décisives pour la suite.
Le bouquin suit à peu près la chronologie des évènements, même si certains n’ont eu un impact sur la carrière de Friedkin que des années après ; quand on connaît assez bien sa filmographie, ça donne la sensation que ses rencontres font partie d’un destin.
Avec un regard extérieur, on peut se demander comment le réalisateur de L’exorciste a pu débuter en tournant une comédie musicale avec Sonny et Cher. Mais mes lectures accumulées sur le cinéma (et un peu mon expérience perso) m’aident de mieux en mieux à comprendre le fonctionnement de l’industrie, ce qui guide une carrière, et ce qui provoque ou non les succès.
Et là, en lisant "Friedkin connection", on constate que le réalisateur ignorait où irait sa carrière, et que sa filmographie est le résultat de hasards et de rencontres.
J’ai souvent lu ou entendu des cinéastes dire que leur expérience de tournage préférée ne correspondait pas forcément à leurs meilleurs films, mais maintenant je le comprends vraiment, en lisant les récits de William Friedkin sur des films oubliables qu’il a faits.
En général on aurait tendance à distinguer les grands cinéastes, qui ont une vision, des simples faiseurs qui tournent des films car ils répondent à la demande d’un producteur par exemple.
Friedkin ne se place dans aucune des deux catégories ; il a rarement fait des films dont l’idée venait de lui, mais il l’a souvent fait avec application et talent, se distinguant des tacherons.
On ne s’en rend pas forcément compte, mais il n’y a probablement aucun cinéaste, même parmi les auteurs les plus réputés, qui font tous les films qu’ils veulent, ou comme ils le veulent, peu importe le succès public ou critique. En faisant un film de studio, on risque d’avoir sa vision compromise, et en faisant un film indé, on est limité par le budget et une distribution réduite. William Friedkin ayant connu les deux cas, et comme il l’explique, le fait qu’il ait remporté plusieurs Oscars ne signifie pas grand chose.


"Friedkin connection" fait à peu près 600 pages mais aurait pu en faire plus ; à part pour son enfance et son adolescence, l’auteur occulte presque entièrement sa vie privée (il évoque à peine ses fils et ses premières femmes, peut-être par respect pour son épouse actuelle), et relate essentiellement la création de ses films. Les plus appréciés du public ont plusieurs chapitres qui leur sont dédiés, d’autres seulement quelques pages… et certains ne sont même pas mentionnés, comme s’ils n’avaient jamais été tournés (Le coup du siècle, La nurse, et des téléfilms).

Fry3000
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs livres sur le cinéma

Créée

le 27 nov. 2019

Critique lue 201 fois

4 j'aime

8 commentaires

Wykydtron IV

Écrit par

Critique lue 201 fois

4
8

D'autres avis sur Friedkin connection

Friedkin connection
cinemusic
9

Quand William Friedkin se livre...!

Tous les passionnés de cinéma connaissent évidemment William Friedkin.Il a réalisé plusieurs films qui sont devenus des références,qu'on aime ou pas ces films:"French Connection","L'exorciste","Le...

le 23 déc. 2017

5 j'aime

2

Friedkin connection
Aymic
7

Indispensable

Impossible de faire l'impasse sur le cinéma de William Friedkin. Avec des oeuvres aussi diverses et marquantes que French Connection, L'Exorciste, Le Convoi de la Peur, etc jusqu'au tétanisant Killer...

le 16 mars 2015

5 j'aime

Friedkin connection
Fry3000
7

Friedkin connection

La filmographie de William Friedkin est très inégale, mais il a fait une poignée de grands films qui suffisent à imposer le respect, et surtout, c’est toujours captivant de l’entendre parler, aussi...

le 27 nov. 2019

4 j'aime

8

Du même critique

Mr. Robot
Fry3000
4

L'hacker a ses raisons (Saison 1)

Spoilers ahead. Je suis du genre à me méfier des séries qui font le buzz ; ce n'est que lorsque l'enthousiasme des débuts retombe et que les avis sont plus variés qu'on peut se faire une meilleure...

le 23 août 2016

54 j'aime

3

Breaking Bad
Fry3000
4

Le daron de la drogue

En dépit de tout le bien que je lisais ou entendais de toutes parts sur la série, c’est suite à la lecture, il y a presque deux ans, de la fameuse lettre totalement élogieuse d’Anthony Hopkins...

le 18 juil. 2015

54 j'aime

61