L'atlas d'images, de mots et de souvenirs "Pinterest" de Mona Chollet

Marie Kondo star des internets apprend à chacun à ordonner son intérieur et sa conscience, se défaire de l’aspect trop sentimental porté aux objets, aux habits ; les jeter à grosses larmes tout en se disant que c’est pour le mieux.

À côté, des émissions télévisuelles sur le ménage rappellent que le syndrome de Diogène fait ripaille des âmes et coule dans les maisons et appartements où les journaux, les bibelots et autres « au cas où ça servirait" s'entassent sans logique apparente hormis la crainte du manque.


L’accumulation n’est pas nouvelle. Elle touche les riches et les pauvres. C’est le jeu de la collection, parfois maladive, parfois esthétique, tout le temps nécessaire. Elle rassure sans doute, dit tout d’un être, le compose. Comme si les objets disaient plus sur quelqu’un que le « quelqu’un » lui-même. Exister à travers ses images, à travers la carte postale ou la matriochka pleine de poussière qui est posée sur le buffet de l’entrée.


Ce n’est pas tant à cet aspect de la collection que s’attaque Mona Chollet dans son dernier ouvrage qu’à l’accumulation numérique plutôt. Pinterest, Instagram, Tumblr et les autres réseaux sociaux sont devenus les valises sans fond des collectionneurs goulus. D’un geste maniaque, il y a les tableaux thématiques créés ici et là : chats, soleil, nuages, vêtements, etc. Ils forment sur la toile des tableaux structurés et rassurants pour qui les font...


Dans un entre-deux entre éléments biographiques et analyses, Mona Chollet parle de cette compulsion iconographique qui, si on prend un léger recul dessus dresse le portrait psychologique d’un individu.

Avec tendresse et élégance, elle se perd dans la contemplation de fenêtres accumulées sur Pinterest. Elle convoque d’autres collectionneurs, pour se ramener à une famille tangible. C’est drôle comme les noms invoqués (Walter Benjamin, John Berger), de « gros noms » finalement, semblent porter en eux toute la crédibilité de l’accumulateur. Un peu comme si c’était une honte. Un monde à soi que pour soi, qu’il faudrait éviter de divulguer.



Je me demande alors, si Mona Chollet en livrant là sa passion des chatons et des vêtements aux lignes minimales, ne se défausse pas, derrière d’autres, d’un hobby qui devrait en rester un, du moins ne pas s’afficher sur le mur des autres. Ou bien son livre n’est-il pas lui-même un rouage de l’agrégat d’images et de symboles qui ricochent depuis le regard de Susan Sontag à celui d’une très vieille scène indienne où une jeune femme court chez son amant sous la pluie. Que disent les allers et retours entre le portrait de la sorcière et militante écoféministe Starhawk et l’image presque banale d’un salon ultra design ?


C’est peut-être du monde, de nous dont ces icônes parlent. De notre nouveau rapport à l’image que l’on entretient. Rapport déjà théorisé par Walter Benjamin dans son célèbre texte l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité où il prophétisait la perte de l’aura de l’original et le gain de l’image facile, le passage du spectateur au regardeur, du « je » au « jeu » finalement…


Et puis, Sei Shonagon me saute aux yeux.

Et puis, une peinture médiévale accroche encore plus.

Et puis…



Souvenir aussi d’Aby Warburg que Mona Chollet - à mon grand étonnement, n’évoque jamais !! Lui, le plus esthète des accumulateurs. Le plus théoricien, qui traqua dans le flot des icônes, une histoire de l’art par l’image et de l’être. Lui et le fameux atlas Mnémosyne à jamais inachevé, mais qui fut en parti publié par les éditions de l’Ecarquillé…

Et cela dit, Mona Chollet parle de John Berger. Or lui-même est publié aux éditions l’Ecarquillé. Alors quoi ? Quels ricochets demeurent ? Quelles accumulations, liens, arborescences se font et se feront… ?


D’images et d’eau fraîche réussit dans sa manière qu'il a de pointer une source (pour filer la métaphore) et de laisser le regard de chacun s’y poser, tracer sa route, y déceler les cailloux et poissons, y accumuler sa propre expérience, ses propres morceaux d’images, de citations à retenir ou à oublier. D’ailleurs, c’est drôle, mais de citations, je n’en ai souligné aucune, tant absorbée par ma lecture...


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SPDD
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le 27 oct. 2022

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