Un livre qui fait plus parler de l'auteur que du contenu.

Alain Soral est un écrivain qui fait couler des monceaux d'encre, tant pour l'apologie que pour l'objurgation de ses travaux. Il est à ce propos édifiant d'observer que le médisant de base semble incapable de concevoir un rapport aux propos de Soral qui ne soit ni le fanatisme béat ni le rejet compulsif. Encore une fois transparaît l'insondable pusillanimité de ces individus. Pis encore, l'engouement ou le mépris populaire de l'artiste est tel que je ne vis transparaître aucune critique des oeuvres en question, mais une anthologie malsaine de propos exclusivement binaires à son sujet ( qu'ils soient totalement dithyrambiques ou haineux ). Il est bien dommage de réduire le personnage à une immense scène de ménage, d'autant plus qu'il mérite bien des louanges de part son courage politique, et l'intérêt de ses concepts, même si sa diabolisation tend à le dresser comme le centre d'une haine viscérale juive en omettant toute la critique qui se dresse autour d'une centralisation excessive aux caractères sémantiquement polémiques ( antisémitisme, homophobie et tout le cortège nazi ), jouant en sa défaveur. En effet, il me semble quant à moi que les analyses politiques de Soral se fondent sur une clé de compréhension assez intelligente du jeu politique : l'idée que le véritable moteur de la politique et de l'histoire ne se trouve ni dans les grands hommes ni dans les masses populaires mais dans une strate intermédiaire : les réseaux organisés. Qu'à partir de là on lui reproche de fournir des analyses imprécises ou erronées, de trop taper sur certains et pas assez sur d'autres ou de cacher derrière sa démarche des intérêts stratégiques louches, aucun problème. Je ne dis pas non plus qu'il est un penseur de la trempe de Rousseau ou de Hobbes ; loin s'en faut sans doute.

D'ailleurs, pour soutenir la thèse plus ou moins claire que la France - le monde en général - est un état de dictature, je crois que ce n'est pas une réalité politique qu'il faut viser, tombant ainsi dans d'infinies arguties sur ce que donne à voir le jeu politique mais bien plutôt un principe à la fois infra- et méta-politique.
Pasolini a écrit il y a une quarantaine d'année un article qui est paru dans un excellent recueil qui a pour titre "Écrits corsaires". Dans cet article il rappelle que le projet totalitaire du fascisme visant à transformer l'homme dans sa nature même a échoué. Il y dit que si Mussolini a réussi à embrigader les corps des jeunes Italiens, les transformant certes parfois en machines à tuer, il n'a pas réussi à les atteindre au fond de l'âme. Ces jeunes étaient devenus, pendant les années du pouvoir mussolinien, des pantins macabres mais dès que ce pouvoir a cessé, ils sont redevenus eux-mêmes, semblables à leurs parents et à leurs grands-parents. Pasolini ajoute qu'en revanche, il y a bien un projet qui a réussi à transformer les hommes. Qu'il y a bien un processus qui a réussi à changer durablement nos façons de vivre, de rêver, de désirer, de nous représenter le monde. Et ce processus ne s'appelle pas le fascisme, certains sociologues l'ont appelé la société de consommation. Si donc nous entendons par fascisme un pouvoir excessivement autoritaire, alors la société de consommation est la seule à ce jour qui l'ait porté si loin. Et pourquoi a-t-elle à ce point réussi ? Parce qu'elle l'a fait dans la gaieté et avec le mot de progrès à la bouche. Si nous entendons par totalitarisme la tentative de transformer l'homme dans sa nature profonde alors, là encore, c'est la société de consommation qui a réussi le plus radicalement cette tentative. Qu'y a-t-il encore de commun entre nos façons de vivre, de nous divertir, de nous rapporter à l'autre sexe (cette façon de parler même sera bientôt remise en cause par la théorie du genre) et celles de nos grands-parents ?

La véritable dictature n'est donc pas, en ce qui nous concerne maintenant, d'abord politique. Elle est à la fois infra-politique, parce qu'elle s'est imposée à nous par nos vies privées et non par nos vies publiques, et en même temps méta-politique car les forces majeures qui mènent et qui profitent le plus de cet état de fait, à savoir les grands opérateurs des marchés, sont maintenant en position de gouverner les gouvernants des nations. Puisque cette dictature prend sa source en nous-mêmes et qu'elle a réussi à transformer nos façons de nous représenter le monde, les autres et nous, c'est donc avec joie et satisfaction que nous nous y soumettons. D'ailleurs quels sont les grands problèmes communs pointés aussi bien par les forces politiques que par les forces médiatiques dont il était question tout à l'heure ? La croissance, la dette, le déficit public, etc... C'est-à-dire ce qui nous empêche de consommer encore davantage. Quelle dictature plus efficace que celle qui n'a pas besoin de la coercition ?

Quittons maintenant Pasolini pour essayer de penser la situation de façon plus large, à la fois historiquement et dans son principe. Comment ce processus a-t-il triomphé ? Est-il sorti de nulle part ? Non, ce n'est en réalité que l'expression la plus violente et la plus efficace d'un mal qui a toujours existé chez les hommes : le triomphe du ventre sur l'esprit.

Une vie raisonnable voudrait qu'une fois que l'on a accumulé suffisamment de valeur économique pour pouvoir vivre décemment, on commence enfin à s'occuper des choses sérieuses, à savoir les activités libres et non productives (ce que les Grecs par exemple appelaient scholè, c'est-à-dire loisir) : la poésie, la politique, la science, la philosophie, la peinture, la musique, le sport, etc... Car comme disait Aristote, on ne commence à philosopher que le ventre plein, avant on a autre chose à foutre. Mais parfois, même quand un homme a accumulé suffisamment pour vivre et faire vivre sa famille (et il arrive même que plus il accumule, plus ce soit vrai), son ventre continue de le rappeler à l'ordre en lui criant que c'est de lui qu'il faut s'occuper, délaissant ainsi toutes les facultés supérieures de l'esprit et accumulant sans cesse toujours plus de richesse. C'est une pathologie qui a, aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire, toujours touché quelques individus. Mais aux XVIe, XVIIe et surtout XVIIIe siècle, c'est une pathologie qui a fini par atteindre voire par constituer une classe sociale entière : la bourgeoisie. Cette classe sociale a effectué diverses révolutions justement au XVIIIe siècle en Europe, s'emparant ainsi du pouvoir politique et enclenchant la formation d'une société entière fondée sur cette pathologie. A partir de là, les progrès techniques extraordinaires du XIXe et du XXe ont permis, en augmentant de façon exponentielle la productivité, non pas seulement à une classe sociale minoritaire de rêver à l'accumulation perpétuelle mais à toute une population de se mettre à désirer la consommation et l'accumulation ad libitum (c'est-à-dire ad aeternam, Epicure ayant déjà remarqué il y a 2500 ans que les désirs artificiels sont insatiables).

Force est de constater que ce petit examen corrobore le fait que le squelette argumentatif principal de Soral n'est évidemment pas tiré par les cheveux, d'autant plus qu'il ne s'attaque pas au jeu politique, mais à la partie métapolitique, c'est à dire aux opérateurs de la société marchande, dont les banques jouent un rôle éminemment central, de même que ce qu'il appelle les réseaux organisés. Rappelez-vous, camarades, que toute base en politique est le rapport de force. Comment le maintenir au mieux ? Par l'entraide, tels que le font les réseaux organisés.

Pour en revenir au bouquin, j'ai eu beaucoup de mal à m'y plonger, probablement à cause de la mise en forme assez déroutante. Hormis cette frontière qui nous séparait, l'oeuvre me paraît être un excellent recueil de concepts, toujours appuyés par de l'argumentation, même si le format ne s'y prête pas toujours. Je conseille vivement, et monsieur Soral serait probablement d'accord avec moi, de prendre ce bouquin pour une synthèse qui nécessite à côté une forteresse culturelle que sont des œuvres plus orientées, plus précises sur des sujets qu'il tend à survoler volontairement - ce qui ne nuit en aucun cas à la pertinence des textes -. Parfois, le fait de se focaliser sur le global permet de mieux appréhender la notion, comme l'ont prouvé Hegel ou le Dr André Gernez, pour ne citer qu'eux. Je profite donc de cette critique pour le remercier de toutes ses vidéos de conseils de lecture et de l'humilité dont il fait preuve. En effet, il faut distinguer deux faits: Soral ne se déclare pas omniscient, comme s'amusent à le faire remarquer ses détracteurs, mais affirme - à juste titre - que ses analyses synthétiques viennent très souvent corroborer les faits d'actualité qui en découlent. Cependant, lui même affirme lors de nombreuses conférences - bien plus intéressantes que ses vidéos du mois - qu'il joue un rôle d'instituteur général, une sorte d'introducteur à tous les sujets, qui conseille parallèlement des lectures permettant à l'avenir d'approfondir des connaissances plus précises sur les sujets en question. Je témoigne donc de ma satisfaction envers cette très bonne synthèse, que je m'amuse à compléter avec de nombreuses lectures tout aussi intéressantes.
Oddworld
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le 22 févr. 2014

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le 19 mars 2014

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