"Les stratégies de la non-violence ne peuvent pas défaire l’État – elles tendent à refléter un manque de compréhension de la nature même de l’État. Le pouvoir de l’État est auto-perpétué ; il attaquera les mouvements de libération par tous les moyens dont il dispose. Si les tentatives de renverser une telle structure de pouvoir survivent aux premières phases de la répression, l'élite transformera le conflit en conflit militaire et les gens qui n'utilisent que des tactiques non-violentes ne peuvent vaincre une armée. Le pacifisme ne peut se défendre contre l'extermination générale."


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Excellent, tout à fait excellent, Peter Gelderloos dépiaute pièce par pièce l'argumentaire pacifiste.
Et ça fait plaisir, faut dire. La domination, qu'elle soit marchande ou étatique, a désarmé les individus, matériellement et intellectuellement, avec des décennies de non-violence vulgaire et dogmatique. Pour nous faire croire qu'elle serait une tactique efficace, les pacifistes falsifient l'Histoire, édulcorent des figures historiques, et déversent un tombereau d'arguments tous plus malhonnêtes les uns que les autres pour forcer chacun à ne surtout pas pratiquer la moindre résistance qui serait un tant soi peu radicale. Et à chaque fois que la non-violence échoue (c'est-à-dire toujours), les pacifistes rejettent la faute sur les militants radicaux.


Il faut cependant bien retenir que Gelderloos ne théorise pas de méthodes de lutte violentes, mais se contente surtout de démonter l'argumentaire pacifiste, en démontrant entre autres l'échec de la non-violence à travers l'histoire : il va ainsi montrer que Martin Luther King, loin d'être la figure de proue de la mouvance antiraciste de son époque, n'était qu'une figure antiraciste parmi d'autres, et que les Black Panthers étaient bien plus populaires. Il en est de même pour Gandhi, qui n'est surtout connu que grâce à la surexposition que lui donnèrent les médias occidentaux. En omettant délibérément son passif misogyne et homophobe, ainsi que ses citations où il se plaignait que son plus grand obstacle se révélait être les blancs modérés. Ces individus répéteront ad nauseam les mêmes poncifs non-violents simplistes en disant que la violence ne résout rien, qu'il faut vaincre ses adversaires avec l'arme de l'amour, qu'en utilisant la violence tu deviens aussi méchant que ceux que tu combats et


blablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablablabla...vous m'avez compris.


Plus encore, il montre que la non-violence est raciste et sexiste. Les apôtres les plus acharnés du pacifisme étant souvent des blancs et/ou des individus issus de la petite bourgeoisie, ils ne savent pas ce que c'est que de subir la misère et le racisme (et non, le racisme anti-blanc et la misandrie n'existent pas, à aucun moment dans l'Histoire on n'a bâti d'idéologie censée minorer les blancs ou les hommes) au quotidien, et n'en ressentent donc pas l'urgence. Ce n'est pas cela qui les empêche d'aller dire d'une manière affreusement paternaliste aux personnes de couleur de bien se laisser exterminer gentiment en attendant qu'un jour peut-être, on fasse une manifestation pacifique tellement gigantesque que l'Etat daignera enfin arrêter de les persécuter. Ils nous diront alors que la lutte pacifique, à terme, fera prendre conscience aux oppresseurs de leur ignominie. Absolument naïf, si c'était le cas cela ferait des décennies qu'ils nous laisseraient tranquilles, et les rares capitalistes, policiers et agents de l'Etat qui se prennent de sympathie pour la justice sociale sont aussitôt virés et remplacés.


Or, l'Etat n'agit contre son intérêt que si nous incarnons une menace réelle pour lui, une minorité armée sera toujours plus efficace qu'une majorité pacifique, une force qui agit atteindra bien plus facilement ses objectifs : les personnes LGBT n'ont commencé à acquérir des droits aux Etats-Unis qu'après les émeutes de Stonewall, les nazis n'ont pu être vaincu que par la violence, et non grâce à des rassemblements pacifiques, la liste continue jusqu'à plus soif...la non-violence est de plus une solution de facilité, puisqu'en étant pacifiste on risque en règle générale d'être moins menacé, il suffit pour s'en rendre compte de voir le nombre de militants pacifistes morts de vieillesse.
Stratégiquement, la lutte pacifique est moins efficace que la lutte radicale : le Black Block, en pratiquant la propagande par le fait, montre que le peuple n'est pas aussi docile qu'il n'y paraît. Les palestiniens, s'ils ne faisaient pas en sorte de rendre chaque opération de répression coûteuse et dangereuse pour Israël, seraient presque tous exterminés à l'heure qu'il est.


"Dans une situation qui implique une intimidation ou un appareil de pouvoir centralisé, riposter
physiquement décourage de futures attaques parce que cela fait augmenter les coûts que l'oppresseur doit dépenser pour maintenir l'oppression. La résistance molle de la non-violence ne font que rendre la tâche plus facile aux attaques et à ce que celles-ci se reproduisent. Par exemple,
lors de la prochaine manifestation, observez à quel point la police est frileuse dans le fait d'encercler des groupes militants tels que le Black Bloc et de les soumettre à des arrestations de masse.
Les flics savent qu'il leur faudra un ou deux d'entre eux pour chaque manifestant-e et que certains d'entre eux finiront assez salement blessés. Les pacifiques, de leur côté, peuvent être bloqué-e-s par un nombre relativement restreint de policiers, qui peuvent alors pénétrer dans la foule à leur guise et emporter les manifestant-e-s un-e par un-e
."


Les pacifistes sont de plus d'une tartufferie sans nom, nul ne peut être véritablement non-violent dans cette société : acheter des vêtements fabriqués dans une usine en Asie où des enfants travaillent douze heures par jour, payer des impôts qui serviront à financer des bombes qui seront déversées sur des hôpitaux au Moyen-Orient, travailler dans une usine dont les déchets polluent la rivière d'à-côté, seront tous des actes infiniment plus violents que casser la vitre d'une banque en manif ou corriger une petite brute fascistoïde.
Concrètement, toutes les idéologies légitiment la violence, tout ce qui diffère étant l'intensité de cette violence, vers qui elle est dirigée et dans quel but. C'est bien pour cela qu'on ne peut pas dire que les extrêmes se rejoignent, puisque les violences respectives de l'extrême-gauche et de l'extrême-droite diffèrent énormément, tant en termes d'intensité que de personnes visées et de buts. Penser que la violence des dominants et celle des dominés sont similaires est donc d'un ridicule consommé.


Pire encore, certains pacifistes vont souvent considérer que la violence du Dieu-Etat est neutre, et qu'elle ne s'exerce que contre ceux qui ont osé user de violence. Sornettes, si l'Etat attendait d'avoir une quelconque justification pour faire sonner les trompettes de la répression, ça se saurait. Par-dessus le marché, l'Etat ne réprime pas un mouvement en fonction de sa violence, mais en fonction des idées qu'il porte : on ne compte plus le nombre de Gilets Jaunes mutilés par la machine policière et brisés par l'engrenage judiciaire, tandis que les militants de Génération Identitaire, dont l'ultraviolence et la nocivité ne sont plus à prouver, sont en règle générale laissés tranquilles par la police. Pour la simple et bonne raison qu'ils servent les intérêts de l'Etat et du capitalisme en aidant à maintenir un climat de terreur.


"Les pacifistes affirment peut-être que personne ne mérite de subir des violences ; pourtant, ils utilisent souvent l'argument classique selon lequel les révolutionnaires ne devraient pas recourir à la violence parce que cela sera alors utilisé par l'Etat pour "justifier" une répression violente. Eh bien, auprès de qui cette répression violente est-elle justifiée, et pourquoi ceux qui se prétendent opposés à la violence ne s'efforcent-ils pas de démolir cette justification ?
Pourquoi les activistes non-violents cherchent-ils à changer la moralité de la société dans sa vision de l'oppression ou de la guerre, tout en acceptant la moralité de la répression comme si elle était naturelle et intouchable ?"


Certains ont poussé des cris d'orfraie devant la radicalité des manifestations apparues spontanément à la suite de l'assassinat de Georges Floyd. Au contraire, ça, c'était le minimum syndical. Quand on est dos au mur, l'usage de la violence devient légitime, pour faire valoir ses droits et renverser le pouvoir en place, il faut s'armer, ne pas s'asseoir à la table des négociations, éviter les fausses mains tendues, les faux appels au débat, prendre des territoires, les occuper, les défendre et les étendre par tous les moyens, détruire les Hauts Lieux de l'Etat et du capitalisme, prendre de force ce qu'il y a à prendre dans les magasins, exproprier les riches et collectiviser les terres et les moyens de production. A défaut d'avoir l'avantage matériel, nous avons celui du nombre et de l'initiative, en allumant partout des foyers de rébellion et en pratiquant des tactiques de guérilla, il est possible de forcer la police et l'armée à être partout, et si elles sont partout, alors elles ne sont efficaces nulle part...oulah, mon côté anarcho-bolchévique a resurgi l'espace d'un instant...et puis, la violence peut être aussi tant instrument de domination...que de libération, l'idée selon laquelle la violence serait ou bien impulsive et irraisonnée, ou bien se servirait qu'à reproduire de nouvelles dominations est propre à notre mode de pensée occidental (Zeus qui détrône Chronos, Héraklès fou qui massacre sa famille). Dans le reste du monde, le rapport à la violence est souvent plus nuancé que cela.


"J'ai récemment été assez chanceux pour correspondre avec Joseph Bowen, un prisonnier de la Black Liberation Army qui a été mis derrière les barreaux après que le policier qui essayait de le tuer finisse par être tué luimême. ''Joe-Joe'' a gagné le respect des autres prisonniers après que lui et un autre prisonnier assassinent le gardien et le surveillant en chef de la Prison Holrnesburg de Philadelphie en 1973 en réponse à la répression intense et à la persécution religieuse. En 1981, alors qu'une évasion de masse de la prison de Graterford qu'il avait aidé à organiser échouait et se transformait en prise d'otage, les médias dirigèrent une attention énorme aux conditions de détention horribles dans les prisons de Pennsylvanie. Au cours des cinq jours de tension, des douzaines d'articles furent publiés dans le Philadeplhia Inquirer et dans la presse nationale, mettant en lumière la combat des prisonniers contre la répression et ces mauvaises conditions. Certains de ces articles mainstream étaient même favorables à Joe-Joe, et le gouvernement accepta finalement de transférer une douzaine des rebelles dans une autre prison plutôt que de déclencher une tempête de balles – leur tactique préférée. De fait, dans les temps qui ont suivi le siège, Bowen avait tellement renversé les échelles du pouvoir politique que les politiciens étaient sur la défensive et durent mettre sur pied une enquête sur les conditions de détention dans la prison de Graterford. A travers cet exemple, et bien d'autres tels que les Zapatistes en 1994 et les mineurs des Appalaches en 1921, ont voit que les gens s'humanisent précisément lorsqu'ils prennent les armes pour lutter contre l'oppression."


Alors non, tous les pacifistes ne sont pas des fanatiques de la non-violence ou des larbins au service de toutes les dominations, ils sont en règle générale victimes d'un conditionnement culturel les poussant à ne jamais envisager l'action radicale pour lutter contre l'injustice, il n'y a pas si longtemps j'étais encore moi-même l'un d'eux. Le but n'est pas non plus de culpabiliser qui que ce soit, mais simplement de faire comprendre que seuls les mouvement révolutionnaires admettant en leur sein une diversité de tactiques peut aboutir à des résultats concrets. Il va également de soi que la violence irraisonnée est exclue, mais j'espère au moins qu'après la lecture de cet étripage de la vulgate pacifiste (disponible gratuitement en pdf), les gens comprendront que la non-violence est inefficace, riche en beaux discours mais pauvre en actions concrètes, et mène à la centralisation des mouvements, et que l'anarchisme c'est super. Et n'oubliez pas que quand on vous demande si vous condamnez la violence des manifestants, il faut répondre qu'elle est bien dérisoire comparée à celle de l'Etat et du capitalisme. Allez, dernière petite citation pour la route :


"Nous devons accepter réalistement le fait que la révolution est une guerre sociale, non pas parce que nous aimons la guerre, mais parce que nous reconnaissons que le statu quo est une guerre de basse intensité et que s'opposer à l’État mène à une intensification de cet état de guerre. Nous devons aussi accepter que la révolution a besoin de conflits interpersonnels parce que certaines classes du peuple sont utilisées pour défendre les institutions centrales que nous devons détruire. Les gens qui continuent à se déshumaniser en tant qu'agents de la loi et de l'ordre doivent être vaincus par tous les moyens nécessaires jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus enrayer la réalisation autonome des besoins du peuple. J'espère que nous pourrons construire, au sein de ce processus, une culture du respect de nos ennemi-e-s (un bon nombre de cultures non-occidentales ont montré qu'il est en effet possible de respecter une personne ou un animal qu'il faut tuer), ce qui aiderait à éviter les purges ou l'émergence d'une nouvelle autorité lorsque l’État actuel aura été défait. Il pourrait par exemple être considéré comme acceptable le fait de tuer un ennemi plus puissant (par exemple, quelqu'un qui doit être pris pour cible clandestinement par peur de représailles étatiques), défavorable de tuer quelqu'un du même niveau de puissance (de telle façon qu'il ne serait justifié de le faire qu'en cas de circonstances précises et d'autodéfense) et complètement immoral et méprisable de tuer quelqu'un de plus faible (par exemple, quelqu'un qui soit déjà vaincu).


Nous pouvons réussir à porter un activisme révolutionnaire en nous concentrant sur des buts à long terme précis, mais nous ne devons pas oublier nos victoires à court-terme. Dans ce même temps, les gens doivent survivre et se nourrir. Et nous devons reconnaître que la lutte violente contre un ennemi extrêmement puissant au sein de laquelle la victoire peut sembler inatteignable peut mener à de petites victoires à court-terme. Perdre des batailles peut être mieux que de ne pas se battre du tout ; le combat renforce les gens et nous apprend que nous pouvons nous battre. En se référant à la défaite de la Bataille de Blair Mountain lors de la Guerre des Mines en Virginie occidentale en 1921, le réalisateur John Sayles écrit : « La victoire psychologique de ces jours violents a peut-être été plus importante. Lorsqu'un peuple colonisé apprend qu'il peut combattre, la vie ne sera plus jamais aussi confortable pour ses exploiteurs


Avec assez de résistance renforcée, nous pouvons aller au-delà des petites victoires pour remporter une victoire plus définitive contre l’État, le patriarcat, le capitalisme et la suprématie blanche. La révolution est impérative, et la révolution a besoin de la lutte. Il existe de nombreuses formes efficaces de lutte, et certaines de ces méthodes peuvent conduire au monde dont nous rêvons. Pour trouver une des bonnes voies, nous devons observer, analyser, critiquer, communiquer et, surtout, apprendre en agissant."

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le 6 juil. 2020

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