"Je découvre - pauvre imbécile - la morsure du sentiment amoureux"

Besson, c'est un peu comme avec cette amie de l'enfance - que j'ai perdue de vue, la faute à elle, la faute à moi, sans doute les deux, comme dans toutes les histoires d'amitié et d'amour - avec qui je passais une bonne partie de mon temps, mais jamais trop. Quand c'était par touches régulières, c'était fabuleux. Quand c'était les vacances, qu'on n'avait que ça à faire de tuer le temps ensemble au fil de nos jeux évoluant avec nous, il y avait toujours un moment où ça pétait. C'était comme ça, on le savait, le lendemain ou le surlendemain, on avait le même plaisir de se retrouver. Bon. Besson n'a aucun plaisir à me retrouver, il ne sait pas que j'aime le retrouver dans ses livres. Nouveau livre, retrouvailles non guettées car je ne surveille pas les sorties, je suis toujours un peu dans cette surprise, dans ce "oh tiens il a sorti un livre", ça marche aussi pour les disques, les films... J'aime bien l'inattendu.


Je n'ai pas encore tout lu de Besson, je ne lirai peut-être pas tout. J'aime ses livres, j'aime même relire ses livres, les rouvrir, trouver une belle phrase. Pas que ce soit toujours alambiqué mais il y a cette justesse, cette précision. Mais il y a aussi ses obsessions, ses thèmes qui reviennent - au fond un auteur sait-il parler d'autre chose que de lui et de ses obsessions ? - qui peuvent parfois lasser. Il n'y a pas de clash comme avec cette amie de l'enfance mais il y a ce trop plein, trop d'un coup. Alors Besson, je fais des pauses. Et c'est compliqué car après un livre comme "Arrête avec tes mensonges", je veux plus de Besson.


Besson nous annonce que ça y est, il va nous parler de lui. Et il nous parle de lui, il nous parle de Thomas aussi. C'est un récit non linéaire, plein des apartés de celui qui a déjà appris de ce qu'il nous raconte, plein de la nostalgie de celui qui connaît la suite, qui sait que ces instants là sont perdus. Pas vraiment perdus puisqu'ils sont posés là, qu'avant ils étaient en lui, qu'il y sont encore, qu'il y seront toujours. Mais perdus pour le présent. Il nous parle de lui, et alors qu'il se raconte, on comprend qu'il s'est toujours raconté, qu'il suffisait de lire entre ce qu'il appelle ici ses "mensonges".


La différence est dans le "je", un je qui dit la douceur et l'amertume, l'urgence et le désarroi que provoquent le sentiment amoureux, le premier amour avec, malgré une écriture assez directe, une forme de pudeur dans le choix des mots. Car Besson est un peseur de mots. Ses phrases peuvent faire des pages entières mais jamais il n'y a un mot de trop. Jamais un mot n'est mal choisi. Besson cherche l'exact. L'exact est parfois cru, l'exact ne prend pas de pincettes, mais l'exact n'en fait jamais trop, et ne dévoile précisément que ce qu'il souhaite dévoiler.


Il y a de la nostalgie, des apartés dans lesquels se reconnaîtront ceux de sa génération, et même les un peu plus jeunes, mais ce n'est pas une nostalgie triste, c'est une nostalgie du peut-être, du "et si". Il ne les dit pas vraiment, mais il y en a beaucoup, des "et si". Après tout, quand on se retourne pour regarder sa vie, les embranchements, elle n'est construite que de "et si".


Il y a l'intimité, cette impression d'être invité dans une intimité, et en même temps une universalité, car on ne se reconnaîtra pas partout, car chaque histoire est différente, mais on se reconnaîtra toujours, à un moment. La justesse, la précision ne peuvent que toucher, et finalement Besson parvient à mettre les mots sur ce que l'on pensait trop complexe, trop unique ou simplement trop personnel pour être dit.


C'est à la fois tellement simple et tellement magique que c'est tout le sel de la vie que l'on retrouve dans ce livre, qui fait tourner les pages, presque sans s'en apercevoir.

Nomenale
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le 23 févr. 2017

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