J'ai eu du mal à terminer Après l'Histoire. Ce n'est pas que le texte soit difficile d'accès, c'est plutôt que le ton contempteur, méprisant et dépréciatif de Muray a fini par me saouler, si bien que j'ai dû en suspendre plusieurs fois la lecture pour pouvoir préserver - n'en déplaise à l'auteur - un peu d'optimisme à vivre dans mon monde posthistorique.


On ne peut pas faire à Muray le reproche d'un discours filandreux. Sa position est claire, il brocarde avec son style caustique une société festive, il la rejette sans cesse, la conspue même, et - c'est tout le problème de son analyse - il s'en tient à cela.


Cette attitude truculente peut avoir dans un premier élan de lecture quelque chose de savoureux. J'ai pu apprécier son ironie cinglante, mais un temps seulement. À force, la complexion furibonde de Muray devient répétitive, quasiment radoteuse, d'autant qu'elle manque de profondeur.


Sa thèse d'une société festive me parait un peu fragile et très étroite. Que la promesse hégélienne d'une fin de l'Histoire soit advenue pour le pire, soit. Il n'est pas le premier à le dire, certainement pas le dernier non plus. Mais réduire cette sorte d'aboulie civilisationnelle à un totalitarisme festif, cela parait moins pertinent qu'étriqué. Il me semble que son regard reste limité au cercle citadin (si ce n'est parisien) et qu'il dissimule en creux une nostalgie, peut être légitime mais pas déterminante. Muray s'accroche à cette perception décadente de la société-fête, y apporte certes beaucoup d'exemples, mais ces superbes imprécations ne font hélas qu'illustrer un raisonnement essentiellement déclaratif et peu démonstratif.


L'ossature sociale d'un festivisme posthistorique n'est jamais dépeinte par l'auteur qui se contente de déverser son fiel sublime sur ce qu'il considère comme étant des manifestations évidentes, donc des preuves de son si cher concept.


Je ne dis pas que derrière le ton rogue de Muray il n'y a rien. Je dis qu'il n'y a pas assez. Je concède et je comprends que l'on puisse exprimer une peine existentielle devant la disparition (ou la réduction) d'un monde dans lequel la négativité, l'humour et la prévalence intellectuelle dominaient. Mais Muray n'explique jamais ce tropisme que par une compulsion d'articles de presse et d'actualités diverses (Coupe du monde 1998, Gay Pride, tourisme de masse, Hallowenn, et même l'avénement des rollers à Paris...).
Le postulat festiviste devient finalement un dogme. Il reste à démontrer.


Après l'Histoire est une forme d'élégie paradoxale. On pleure une société qui disparait et on se gausse dans le même temps de ce crépuscule. Cette lecture ne vaut au final que par la force et l'esthétique du discours de Muray, encore qu'il ne puisse être supportable qu'à petite dose.

Motherfuck
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le 29 mars 2020

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Motherfuck

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