Je n'ai pas vu passer les 600 pages et quelques d'À l'est d'Eden, mais j'ai du mal à en parler. John Steinbeck appuie sa saga familiale sur les quelques versets de La Bible qui relatent le meurtre d'Abel par Caïn. Ou quand un dilemme sémantique change tout le sens d'un texte :
Dieu, préférant le cadeau d'Abel et témoin du courroux de Caïn, le met en garde contre la tentation de mal agir en représailles : la tentation en tant que telle n'est pas le pêché, tant qu'il reste la liberté de faire le bien ou le mal... timshel, "tu domineras" ou "tu contrôleras" en hébreu, est-ce plutôt une injonction déterministe ou une possibilité du choix ?
À l'est d'Eden c'est cette lutte intérieure biblique réécrite à la sauce californienne de la fin du XIXème siècle. On retrouve pléthore de parallèles avec le récit de l'Ancien Testament, et des dialogues incroyablement vivants et empreints de sagesse, à la façon Socratique. La galerie des personnages est haute en couleurs et finement dépeintes, attachants ou odieux, c'est un crève-coeur de les laisser à leurs vies !
La puissance d'À l'est d'Eden c'est d'offrir un divertissement populaire et riche en émotions, sans élitisme ni faux artifices pour plaire aux érudits. Mais si on veut aller plus loin, on trouvera matière à réfléchir comme rarement dans un roman populaire. Le seul reproche que je lui ferai c'est son éparpillement : beaucoup d'axes narratifs (plaisants à suivre néanmoins) m'ont paru inutiles pour le message final. J'ai eu l'impression que Steinbeck prenait un réel plaisir à décrire sa vallée natale et n'a pas compté les pages pour arriver aux termes de son roman...