Quand le fond est mis sur la touche & que la forme touche le fond

607. C'est le nombre d'ouvrages sortis durant la "rentrée littéraire 2014" (soit la période allant de la mi-août à la fin octobre). 607 livres donc, tout un barnum et une mise en scène cachant de manière assez maladroite un malaise sur le pourquoi du comment tel ouvrage aura le privilège de paraître sur une des prestigieuses listes de prix et pas un autre.

Modiano, Beigbeder, Nothomb, Murakami, Carrère sont autant de noms célèbres et sur lesquels les maisons d'édition comptaient construire le sempiternel mythe de "l'ouvrage de l'année", "l'indispensable" et du fameux bandeau rouge entourant le livre et mentionnant l'obtention d'un prix. Néanmoins, ces auteurs et leurs ouvrages ont dû s'incliner devant l'ouragan médiatique que constituait "Merci pour ce moment". C'est un peu comme si un seul ouvrage venait mettre en lumière de manière outrancière la “magie” entourant le couronnement d’un livre, soit ce "mélange" entre remontées médiatiques, lobbying des maisons d'édition et promotion en tête de gondole dans tous les points de vente...oui nous parlons de livres (bien sûr tous les livres n'empruntent pas ce "circuit"). Le cas du livre de Valérie Trierweiler peut être considéré comme un cas d'école.

Ainsi l'auteur est journaliste politique depuis près de 30 ans dans un hebdomadaire propriété d’un grand groupe de presse. Si on reviendra par la suite sur le contenu, il est quand même intéressant de s’attarder sur l’arsenal mis en place à l’orée de ce sacro-saint mois de septembre pour arriver à faire de "Merci pour ce moment" LE titre dont tout le monde parle et un succès commercial indéniable. Ouvrage n'apparaissant dans aucune des "listes" de la "rentrée littéraire", la parution des "bonnes feuilles" dans l’hebdomadaire en question fera l’effet d’une bombe et génèrera retombées et reprises. Puis, suit l'interview exclusive du patron de l’hebdomadaire sur la radio de ce grand groupe de presse (détenteurs donc du titre en question et de la radio conduisant l’interview). La campagne de promotion du livre est savamment orchestrée et permet de lancer de manière explosive la mise en vente de "Merci pour ce moment".

La tentative de procès (procédure en cours) de "Closer" pour faire condamner l’auteur de l’ouvrage souligne un peu plus ce "jeu" médiatique: ainsi le titre de presse avait été le premier à révéler en une la relation entre Julie Gayet et François Hollande. Au-delà des images, c’est surtout le récit par le menu des allers et venues (et par-là même de la relative inconscience du 1er personnage de l’Etat à circuler en scooter et avec un seul agent de sécurité) qui avait fini de convaincre la journaliste d’intenter un procès. Outre l’intrusion et la révélation de la vie privée, c’est surtout la véracité des faits qui étaient remis en cause par la journaliste. Ironie du sort de constater que "Closer" attaque à son tour la reporter, accusant cette dernière d'avoir osé qualifier de diffamatoire... des propos avancés au final dans l'ouvrage "Merci pour ce moment". De bonne guerre donc. Pourquoi "régaler" un potentiel lectorat pour 1€ quand on peut le faire pour un peu plus de 18€ et quelques 180 pages.

Et c'est ce qui m'a "attiré" (ce qui ne veut pas dire que je l'ai acheté ein) au moment de la sortie de ce livre. Terme à la mode, l'appellation "bonnes feuilles" semblent s'apparenter au pendant de la bande-annonce pour la littérature. En lisant cet ouvrage, il y avait la possibilité de décrypter en quelque sorte ce que l'on entend par cette expression. C'était aussi une manière de mettre en perspective ce qui est jugé digne d’intérêt, repris et est donc propulsé comme "passages majeurs" d'un ouvrage. Point de portrait à charge ou à décharge de l’entreprise de promotion d’un ouvrage, simplement la volonté de comprendre comment cet ouvrage a pu phagocyter l'actualité tout court (on a quand même eu le privilège d'avoir 2 prix Nobel français notamment).

Tout le long de l’ouvrage, l’auteur tente bien de faire comprendre que les événements comme le protocole l’ont littéralement broyé. Là où certaines ont profité (Bernadette Chirac) ou méprisé ce poids (Cécilia Sarkozy), Valérie Trierweiler a subi. Paradoxe donc quand on sait qu’elle était coutumière des arcanes du pouvoir, de la salle des Quatre Colonnes en passant par la rue Solférino.

Dans un environnement où l’annonce et la forme de l’annonce supplante l’acte politique, l’ouvrage tente de narrer combien le temps médiatique dicte le temps politique. Le choix de l’auteur de laisser cette mauvaise presse se répandre n’est au final ni bon ni mauvais, il n’est que prétexte à commentaire, spéculation et conclusion. Au-delà de la véracité des propos mentionnés, ce silence ne fera que renforcer l’image supposée distante et froide de l’auteur. De silence, on passe à des condamnations et à un emballement renforcé par cette parole rare de l'auteur.

Mais ce choix a un prix et referme bien des pièges. En l'occurrence, celui de plus encaisser, laisser la rumeur vivre en espérant qu'elle s'évanouisse. Et surtout, cette attente presque insupportable (selon l'auteur) d’un éventuel démenti autoritaire de la part de son compagnon qui viendrait siffler la fin des joyeusetés.

Aussi, face à cet amoncellement de racontars, cet ouvrage fait office de thérapie. Une manière de rétablir une biographie quelque peu tendancieuse (issue des quartiers populaires d’Angers et d’une famille nombreuse et non bourgeoise comme aimait à le préciser la presse), de revenir sur un parcours professionnel résolument marqué à gauche mais plus par conviction que pour raison sentimentale (du moins c’est le cas dans un premier temps) et une manière aussi d’exorciser ces démons en évoquant son statut particulier, cette place qu’elle n’aura jamais su se faire et qu’on aura bien fait de savonner selon elle.

Cependant la forme comme le fond se heurtent à une constante celle d’un pathos annihilant toute forme d’analyse. On peine à faire le tri entre ce qui est du domaine du ressenti, de l’analyse à froid ou de la prophétie auto réalisatrice. Loin de remettre en cause la peine et les dégâts causés, l’ouvrage pourrait se résumer en un journal intime envoyé à un éditeur et imprimé. A l’exception près que ce journal intime prend place dans un haut lieu du pouvoir français et qu’il a pour protagonistes la clé de voûte du régime & sa compagne.

La structure souffre incontestablement de ce caractère "instinctif" : en dépit de chapitres, on navigue à vue entre souvenirs de campagne, souvenirs de cette rencontre, souvenirs des précédents mariages de l’auteur et réflexion sur ces moments. Les retours dans le temps censés donner un peu plus de consistance au raisonnement noient encore un peu plus le propos et ajoutent à la confusion (des genres ?).

Entre cette valse de souvenirs et ces anecdotes, il est difficile de sortir un élément "objectif" (dans le sens dénué de tout préjugé et a priori) et remarquable de cet ouvrage. Journaliste politique de son état (jusqu’à la course à la présidentielle 2012), l’ouvrage aurait peut-être gagné en audace si les rares décisions politiques évoquées dans l’ouvrage était dénuée d’analyse et résumées en un antagonisme avec son compagnon d’alors et ce sentiment qu’elle "savait" (et que de facto, il avait donc tort).

Du sensible donc mais au détriment du reste, du recul et d’une certaine relativité. Au final, on a presque l’impression d’un contre-temps : en se livrant de la sorte, l’auteur semble vouloir se plier à un exercice jadis exécré, celui de se livrer, de s’ouvrir, figure imposée du personnage publique en l’occurrence. L’auteur se heurte du coup à un double-effet : celui des reproches (pourquoi maintenant ?) et celui du supposé calcul (dans quel but ?). On pourrait y ajouter un soupçon d'impulsivité, tellement on a l’impression que l’ouvrage aurait nécessité un peu plus de "maturation" histoire de nourrir un peu plus le sujet et se défaire de futurs procès en aigreur et revanche. Cette spontanéité soudaine est rédhibitoire tant l’auteur revendiquait, autrefois, ce détachement et cette volonté de ne pas céder à l’immédiateté. Elle est d’autant plus discriminante que la presse comme l’opinion publique s’est chargée auparavant de cataloguer le personnage comme briseuse de ménage, hautaine et imbue d’elle-même. Plus que de vérité et d’analyse, l’ouvrage tend à l’entreprise de réhabilitation d’un monument en péril.

Du coup, tout cela paraît préjudiciable dans la mesure où c’est effectivement plus l’addition d’anecdotes qui l’emporte dans cet ouvrage. Censé "raconter" l'histoire peu commune en politique, d'un homme qui, pour parvenir à ses fins, aura conjugué vie (extra-)conjugale et destinée politique, le livre se perd dans l'intime voire le superficiel plus que dans la narration (argumentée et objective) de faits avérés. Et cette brèche, la presse aura su l’exploiter en allant à l’essentiel (quitte à ramener l'ouvrage aux simples expressions de "sans-dents"), en l’occurrence en "isolant" les expressions qui illustrent un peu plus que l’on a affaire à un homme, un animal politique et donc à son cortège de calculs, d’ajustements intéressés et de déconnexion croissante avec ceux qu’il prétend représenter.

Raccourcis, certes, mais comme un résumé du rapport entre l’auteur et la presse : des non-dits, des malentendus, des silences, termes incompatibles avec le caractère instantané et justifié de la presse aujourd’hui. En somme, quand bien même le silence devait s’imposer selon l’auteur, on se chargeait pour elle de répondre. Triste donc de constater que cette réponse nourrisse autant ceux qui l’ont cloué au pilori au détriment de propos plus nuancés, moins "à fleur de peau" et donc plus à même de ne pas être repris par la presse pour la condamner un peu plus. Les derniers développements autour du montant que Valérie Trierweiler devrait toucher suite à la vente de cet ouvrage vont dans ce sens: croyant pouvoir prendre à contre-pied une opinion (médiatique, publique) défavorable, voire clore cette longue ère faite d'acharnement et rumeurs, l'auteur provoquera de plus vives condamnations de personnes qui auront pourtant participées à la bonne vente de "Merci pour ce moment"...en en assurant une promotion continue (articles, interviews, reprise, reportage...). Et de comprendre le caractère à double-tranchant du principe des "bonnes feuilles": loin d'être un digest ou un point d'entrée pour l'ouvrage, il aura été une source intarissable d'approximations, d'emballements et de dires quand bien même il assurait la fonction de publicité pour le dit ouvrage. Succès commercial mais pas pour autant de "réconciliation" entre l'auteur et ses éventuels lecteurs. La qualité de l'ouvrage ne participera sûrement pas à cette entreprise.
RaZom

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