Il est bien oublié aujourd'hui, ce Pierre Benoit. On le retrouve surtout dans les vide-greniers. Et pourtant, durant son vivant, il a enchainé comme ce n'est pas permis les best-sellers. Pourquoi cet oubli ? Peut-être parce que l'exotisme, parsemant un nombre important de ses romans, n'a pas su traverser les époques, étant donné que les paysages politiques des pays lointains évoqués ont énormément changé depuis. Peut-être parce qu'il était catalogué comme écrivain de droite germanophile (comme si admirer Goethe était obligatoirement synonyme de lécher les bottes d'un certain moustachu !)... oh mon Dieu, vade retro satana... ayant même été vu comme un collabo (alors qu'il avait été résistant... certes de la dernière heure, mais vrai résistant... il fallait en avoir une sacrée paire, y compris en 1944 !).


Reste que, dans son œuvre abondante, y a quelques petites perles (dénuées du moindre exotisme !), d'analyse psychologique, comme Mademoiselle de la Ferté, ou de romantisme, comme Axelle (se déroulant dans un camp de prisonniers en Allemagne, lors de la Première Guerre mondiale, dans une atmosphère qui n'est pas sans rappeler La Grande Illusion de Jean Renoir !). Et je suis certain que dans sa quarantaine de livres, il y a quelques autres bijoux méritant d'être remis en valeur.


Mais Koenigsmark dans tout ça ? Ce tout premier bouquin avait fait connaître cet auteur. Oui, il n'avait pas perdu de temps. Les ventes ont été astronomiques (un million d'exemplaires vendus ont été vendus de sa publication, en 1918, jusqu'aux années 2000, pour se faire une idée !). Et, honneur suprême et, bien sûr, unique, sur la tranche de son édition Livre de Poche, en bas, est inscrit le numéro "1". Ouais, c'est lui et pas un autre qui a inauguré la très fameuse collection.


Bon, ça parle de quoi ? On est sur le front, côté français, de 1914. Le premier narrateur, officier de son état, écoute son supérieur, le lieutenant Raoul Vignerte (donc second et principal narrateur !), lui raconter son histoire. Le tout débute en 1912. Raoul est promis à une carrière universitaire peu emballante points de vue avancement et avenir financier. C'est pour cette raison qu'il ne manque pas de sauter sur l'occasion inespérée, au détour d'un piston venant d'un ami bien placé, de toucher un salaire nettement plus confortable, tout en vivant dans les ors d'un palais, en acceptant de devenir le précepteur de l'héritier au trône du grand-duché allemand fictif de Lautenbourg-Detmold. Il va tomber follement amoureux de la grande-duchesse des lieux, Aurore (qui partage, elle aussi, son histoire, à un moment donné... de ce fait troisième narrateur !), et se retrouver mêlé, non sans danger, à une intrigue politique...


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Alors, il y a une romance, dans laquelle, à travers le regard du protagoniste, l'objet de sa flamme semble être une créature extraordinaire, impétueuse, inaccessible, d'une beauté à couper le souffle (dont on devine en filigranes l'asexualité... oui, l'implicite, les non-dits, en particulier dans les passions de la chair, sont des spécialités de l'auteur !). Le tout tartiné d'une teinte réaliste à travers les séquences, décrites avec crédibilité, sur les champs de bataille de la Der des Der (on sent bien que l'auteur, ayant lui-même connu le feu, sait de quoi il parle !) et son long approfondissement sur les us et coutumes magnificents de sa cour prussienne inventée (vous allez enrichir votre vocabulaire en ce qui concerne les costumes militaires !), vivant comme si elle en avait encore pour des siècles à exister alors que le revolver d'un simple activiste serbe s'apprête à changer à jamais la face du monde...


C'est dans ce climat que le lecteur est plongé pratiquement du début jusqu'à pratiquement la fin, à travers une élégante plume fluide et riche (l'ensemble se lit très bien et très vite... en un après-midi, ça peut être plié !).


Le seul reproche que j'ai envie de formuler, c'est que l'intrigue policière, même si elle s'ingurgite sans déplaisir, est tirée par les cheveux, exagérément rocambolesque, juste dans l'optique de justifier ce titre plein de mystères (oui, Koenigsmark est un personnage historique, ayant réellement existé, mais si vous ne savez pas qui c'est, rassurez-vous, Benoit prend le temps de vous l'expliquer !). Sans trop en balancer, vous croyez sérieusement que les connards de l'histoire se donneraient autant de mal avec un cadavre ?


Par contre, les dernières pages, à partir de la fuite de la cour, sont poignantes, d'une profondeur tragique marquante (non, je ne spoile pas, car c'est révélé, dès les toutes premières lignes, que le sort des personnages principaux ne va être heureux !).


Alors, certes, globalement, Pierre Benoit a écrit de meilleurs opus (au moins les deux que j'ai cités dans le début de ma critique !), mais cette œuvre, mélangeant allégrement les genres, est suffisamment prenante et bourrée de charme pour qu'on ne passe pas à côté.


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Plume231
7
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le 1 mai 2023

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