Cover Papillonnements littéraires 2023

Liste de

31 livres

créee il y a plus d’un an · modifiée il y a 4 mois

L'Affaire Charles Dexter Ward
7.9

L'Affaire Charles Dexter Ward (1941)

(traduction Jacques Papy)

The Case of Charles Dexter Ward

Sortie : octobre 1956 (France). Roman, Fantastique

livre de H. P. Lovecraft

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

C'est la première fois que je termine un livre de Lovecraft. J'avais déjà lu quelques-unes de ses nouvelles, qui ont fait office de mise en bouche, mais ne sachant pas trop par où prendre son œuvre, j'optais alors pour son texte le plus long, à savoir l'Affaire, présenté comme son unique roman, mais qui tient beaucoup plus de la longue nouvelle pour moi. Mises à part des descriptions (magnifiques) de la ville de Providence ou de la caverne finale, tout est réduit à l'essentiel, les personnages sont peu nombreux, les lieux principaux aussi, et l'atmosphère, surtout, est assez homogène et baigne tout le récit de sa moiteur inquiétante, que ce soit dans la partie du passé avec Curwen ou au présent avec Charles et le docteur Willett.

Charles Dexter Ward est un jeune homme passionné d'histoire et d'archéologie d'abord, de chimie et de magie ensuite, et son amour pour le passé lui apprendra qu'il est un lointain descendant de Joseph Curwen, qui a défrayé la chronique un siècle et demi plus tôt. Ayant fui Salem au moment de la chasse aux sorcières, ce dernier est venu s'installer à Providence, ville de Ward et de Lovecraft. On apprend ça au début du livre, et déjà ça vous pose l'ambiance. Il est facile de deviner que Curwen trempait dans des trucs louches liés à la sorcellerie et à la magie noire, voire pire. Et à la découverte de ce lien, c'est le début de la fin pour Charles, une lente et sinueuse descente aux enfers qui commence. En vérité, Lovecraft ne semble pas tenir au suspense tant que ça, le lecteur comprend assez vite ce qu'il se passe bien avant les personnages principaux. On suit alors l'enquête du docteur en en sachant plus que lui, ce qui renforce encore plus le sentiment d'oppression face aux horreurs qui vont bientôt être découvertes. Cette manière de faire du suspense est génialement maîtrisée par l'auteur, parce qu'il ne dit JAMAIS RIEN ! Il est toujours question de choses "innommables", d'apparitions "indescriptibles", et il illustre cela... en ne décrivant rien, justement. Ou indirectement, par des impressions, des émotions que ressentent les personnages à leur vue. Un grand talent d'évocation. De même durant le voyage de Charles en Europe, où presque rien n'est divulgué de ses recherches. On garde toujours ce grand mystère qui sied si bien aux histoires d'alchimie et de nécromancie, ce grand secret des abîmes dans le décor de la Nouvelle-Angleterre un peu gothique, fantasmée, calme et inquiétante, de Lovecraft.

Le Désespéré
8

Le Désespéré (1887)

Sortie : 1887 (France). Roman

livre de Léon Bloy

Kavarma a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Voir critique.

L'Ombilic des limbes
8

L'Ombilic des limbes (1925)

suivi de Le Pèse-nerfs et autres textes

Sortie : 23 juillet 1925. Poésie

livre de Antonin Artaud

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Ce recueil d’une trentaine de pages, au titre génial, a quelque chose d’insolite. Il y a de la poésie, des lettres, des petites textes dans lesquels Artaud raconte son mal, quelques invectives, une micro-pièce de théâtre (très) surréaliste et néanmoins intéressante, une pâmoison magnifique à propos d’un tableau, le tout placé sous le signe du Chaos et de l’opium. On dirait un petit journal, où Artaud s’essaie, où il a jeté des idées en vrac pour des projets futurs, mais aussi où il semble nous parler comme à un ami. Comme des fragments d’être où l’on saisit par bribes la profondeur de l’angoisse.

« Poète noir, un sein de pucelle
te hante,
poète aigri , la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au cœur de la vie.

Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.

Les yeux ragent, les langues tournent
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigre durs. »

Le Livre de Job
8.1

Le Livre de Job

ʾIyyōḇ

Poésie, Récit

livre

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

Commencer de lire la Bible, c’est aussi se poser un tas de questions. Les plus importantes étant : pourquoi, et comment. Le pourquoi est simple, la Bible est un canon textuel qui a influencé le rapport au monde et la culture de nos peuples durant les deux derniers millénaires (et même plus, les textes de l’AT datant bien sûr d’avant JC). C’est par la littérature que j’ai envie de découvrir la toile de fond qui a tapissé la vie spirituelle et culturelle de nos ancêtres. Les mythes bibliques sont aussi importants pour nous que ceux de l’Odyssée, de l’Enéide ou des Métamorphoses, à ce titre je veux lire la Bible comme je pourrais lire Homère, Virgile ou Ovide.
Et donc, comment ? Dans l’ordre chronologique, dans l’ordre du canon traditionnel, au pif ? Je tranche par sensibilité, et choisis d’abord la section des "livres poétiques et sapientiaux".

Job, le premier livre sapiential, a apparemment été composé au début du Ve siècle avant JC, d’auteur inconnu. De ce que j’ai compris, les livres de sagesse faisaient partie de la tradition littéraire du Proche-Orient ; l’histoire de Job puise donc dans cette tradition et propose un enseignement spirituel. Job est riche, heureux, c’est un homme bon et charitable suivant les préceptes de Yahvé, qui est satisfait de lui. Mais Satan lui lance un défi, et Dieu accepte qu’il retire à Job tout ce qu’il possède, pour voir s’il lui reste fidèle dans le malheur et la pauvreté. Ses amis arrivent et s’ensuit trois cycles de discours dans lesquels ils s’affrontent. Les trois amis tentent de faire comprendre à Job qu’il a forcément péché puisque Dieu rétribue selon le mérite de chacun. Mais Job se défend jusqu’à la fin, faisant émerger la question alors paradoxale du malheur omniprésent sur terre et celle du juste puni.

A la fin, Yahvé répond directement à Job, montre sa puissance surnaturelle et donne la leçon religieuse : l’homme n’a pas à questionner les desseins divins, leur transcendance dépasse la raison humaine. Job se soumet alors au jugement, et Dieu le récompense pour lui avoir été fidèle même dans le malheur. Ni Job ni ses amis n’ont jamais su qu’il venait du diable, Dieu n’ayant pas jugé bon de s’en défendre : c’est tout l’intérêt de la leçon.
Le style est lyrique, épique, tragique, toujours grandiose, la traduction a une valeur poétique elle aussi, et c’est très intéressant que le livre contienne en lui-même un côté débat théologique. J’apprends qu’on questionne la justice de Dieu dans la Bible elle-même.

Les Chants de Maldoror
8.2

Les Chants de Maldoror (1869)

Sortie : 1869 (France). Poésie

livre de Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse)

Kavarma a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Une semaine d’hospitalisation, durant laquelle m’ont accompagnées les pages sombres et pleines de poison du damné Maldoror qui chante le vice pour nous donner le goût de la vertu en remède. La prose poétique du comte valdingue, elle renverse tout, joue avec la langue et la logique pour donner des images oniriques et morbides, une prose qui forme la matrice du surréalisme à venir. Pourquoi alors ai-je apprécié cette exhalaison foutraque alors que j’ai globalement peu de goût pour le surréalisme ? Je ne sais pas vraiment, peut-être le contexte du moment. Je sais juste que j’ai trouvé ça très créatif et franchement beau, à ce titre le texte gagne à être lu à haute voix car c’est réellement de la poésie, ça sonne très bien à écouter. Il y a des miroirs, des vols d’oiseaux, de la cervelle plein la barbe, un viol impliquant un bouledogue. Il y a très peu Satan bizarrement, et beaucoup le Créateur. C’est que Maldoror ne s’insurge pas par satanisme, il ne veut juste pas croire en la bonté de Dieu. Et si Dieu n’est pas parfait, alors il peut employer son génie à peindre les délices de la cruauté.

Le livre ayant été publié en Belgique sous le radar de tout le monde, c’est apparemment Léon Bloy, entre autres j’imagine, qui a sorti Lautréamont de l’oubli à la fin du XIXe siècle, le voyant comme un grand génie qui a revigoré la littérature française. Et en effet, le tonus des Chants a quelque chose d’indéniablement révolutionnaire.
Bloy a donc probablement lu là-dedans l’injonction à la vertu par contraste (et apprécié la teinte pamphlétaire qu’il y a aussi, à demi-mot), mais il me semble réducteur de n’y voir que cela. Selon les témoignages de ses anciens camarades de classe, Ducasse était quelqu’un d’un peu dérangé, fantasque, plein d’insolence certes mais aussi de pensées morbides étant jeune (il a publié les Chants à 23 ans), je crois donc que Maldoror est tout autant une grande parodie qu'un livre sincère. Lautréamont meurt l’année d’après dans des circonstances non élucidées. Sa vie et son œuvre demeurent une énigme fascinante encore aujourd’hui.

Poésies I et II
7.2

Poésies I et II (1870)

Sortie : 1870 (France). Poésie

livre de Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse)

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Il meurt donc en 1870, mais prend la peine de faire publier juste avant les Poésies I et II, qui sont en fait deux petits recueils de maximes détournées. Ducasse emploie ici (dans II) une technique de collage littéraire en s’appropriant les pensées des moralistes avant lui afin de leur faire dire l’inverse de ce qu’elles disent, ou les rectifier en les tournant d’une autre manière pour en révéler des nuances. Pascal, La Bruyère, Vauvenargues et d’autres se voient donc bafoués dans le plus grand des calmes par un jeune homme à l'insolence nonchalante, et quoique l’entreprise revête son aspect d’immaturité, on y prend un certain plaisir, d’autant plus que ce n‘est pas toujours complètement gratuit, il y a de beaux aphorismes aussi, et aussi profonds que leurs modèles. Je me suis beaucoup demandé si Ducasse était sincère dans ces opuscules ou s'il s'amusait simplement à la parodie, et apparemment il l’est bien. Souvenez-vous, à la fin des Chants, il s’agit de déconstruire le genre du roman, eh bien dans les Poésies, il s’agit de détruire les Chants de Maldoror, l'exorcisme du passé que l’auteur renie désormais. Les Poésies, jusque dans leur titre, sont un grand NON adressé à un pan de la culture qui a précédé, et à son siècle. C’est l’entrée dans le monde d’Isidore Ducasse, qui a abandonné son costume de Lautréamont et qui impose sa personnalité. Mais elles sont aussi un SOS. A la suite d’icelles, la correspondance de Ducasse est publiée et on y lit un passage très intéressant :

« Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes hideux. Chanter l’ennui, les douleurs, les tristesses, les mélancolies, la mort, l’ombre, le sombre, etc., c’est ne vouloir, à toute force, regarder que le puéril revers des choses. Lamartine, Hugo, Musset se sont métamorphosés volontairement en femmelettes. Ce sont les Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Toujours pleurnicher ! Voilà pourquoi j’ai complètement changé de méthode, pour ne chanter exclusivement que l’espoir, l’espérance, LE CALME, le bonheur, LE DEVOIR. Et c’est ainsi que je renoue avec les Corneille et les Racine la chaîne du bon sens et du sang-froid, brusquement interrompue depuis les poseurs Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. »

Son Excellence Eugène Rougon
7.1

Son Excellence Eugène Rougon (1876)

Sortie : 1876 (France). Roman

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Reprise des Rougon-Macquart avec ce sixième volume. Depuis le début du cycle, l’ombre d’Eugène, premier fils de Pierre et Félicité Rougon, plane sur l’histoire. D’abord petit avocat de province dans la Fortune des Rougon, parti à Paris tremper dans des histoires politiques et aidant ses parents à s’imposer dans leur ville ; frère imposant et invisible d’Aristide Saccard dans la Curée ; commanditaire secret de l’abbé Faujas dans la Conquête de Plassans, c’est dans ce tome enfin que l’on voit à l’œuvre le « grand homme », comme l’appelle sa coterie.

Homme large, robuste, puissant, intelligent, sans vice apparent, Eugène est plus ou moins le bras droit de Napoléon III. Ça commence en 1856, soit 5 ans après le coup d’Etat (auquel il a activement participé), et ses manœuvres politiques émaillées de polémiques le font d’abord passer de président du Conseil d’Etat à haut fonctionnaire à la retraite, avant de prendre le poste de ministre de l’Intérieur, devenant alors « Son Excellence ». Il serait l’homme politique parfait, s'il n'était aussi épais, et s’il n’était un Rougon. Comme toute la famille, et malgré les apparences initiales, il y a la fêlure inscrite en lui. Certes chaste, non buveur, non gourmand, non joueur, cette absence de vice combinée à une nature brutale cache en réalité un instinct de domination qui écrase tous les autres. Il aime son intelligence et sa force, sa seule ambition est d’être au-dessus des autres, se sentir supérieur, mener les hommes à la baguette. Que sa disgrâce le destitue, il change son fusil d’épaule et revient au combat en brandissant d’autres idées.

Une femme cependant : la belle Clorinde, jeune comtesse italienne extravagante, mystérieuse et aux mœurs faciles, la seule femme qu’Eugène a désiré. Lui qui méprise les femmes verra en elle son plus redoutable adversaire, l’ayant formée à la politique à son insu sans jamais n’avoir pu la posséder.

Mais le roman est le prétexte de Zola pour peindre les coulisses du pouvoir politique sous le Second Empire. On suit son évolution par les scènes de débats et de discours enflammés à l’Assemblée, passant des lois répressives (après l’attentat de 1858) aux mesures plus libérales. On voit surtout à l’œuvre le système de cooptation, la corruption, la traîtrise des amis ingrats pour qui on a tout fait et qui vous lâchent quand ils sentent la chute arriver. Rien de bien nouveau en somme. Sans le dernier chapitre j’aurais eu encore plus de compassion et d’estime pour le personnage d'Eugène.

L'Assommoir
7.1

L'Assommoir (1877)

Sortie : 1877 (France). Roman

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Septième tome des Rougon-Macquart et premier grand classique chronologiquement.

On suit ici le destin de Gervaise Macquart, fille d’Antoine Macquart, le demi-frère de Pierre Rougon. Après avoir quitté Plassans avec Lantier le chapelier, le ménage s’installe à Paris, très malheureusement. Auguste Lantier lui a donné deux fils, Claude (qu’on a vu artiste dans le Ventre de Paris) et Étienne (qu’on retrouvera dans Germinal), puis il devient une loque et quitte Gervaise. C’est son premier pas vers la nouvelle vie, le deuxième étant son mariage avec Coupeau, qui lui donnera une fille, Anna (qu’on retrouvera dans Nana). Elle réalise son rêve et s’établit blanchisseuse à son compte, ne rêvant que d’une vie tranquille, pouvoir élever ses enfants, avoir un trou à soi, manger à sa faim. Mais c’est le début de la fin.

Le roman s’étale sur une vingtaine d’années, de 1850 à 1869, il commence donc avant le coup d’Etat, qui est à peine mentionné dans le roman, tant celui-ci s’attache le plus possible à rester proche de son sujet, la vie ouvrière parisienne, pour laquelle la différence entre un empereur ou un président n’est pas assez présente pour les empêcher de toucher leurs francs à la fin de la journée. A sa parution, l’Assommoir a fait scandale et on comprend aisément pourquoi. La peinture des ouvriers est extrêmement saisissante, on suit leurs tracas, leurs joies, leurs petitesses, leurs gueuletons, leurs démons. Et au final ce sont les démons qui l’emportent, symbolisés par l’Assommoir du père Colombe, le bar distillant son poison vitriolé aux ouvriers, jusqu’à les faire s’arrêter de travailler. Zola épouse son sujet jusque dans son style, émaillé d’argot, plein de ce bagou parisien délicieux, comme si c’était ses personnages qui racontaient l’histoire, et la forme est un des reproches qu’on lui a fait à l’époque. L’autre étant la peinture peu reluisante du peuple (cf. le père Bijart, qui ne mérite qu’une balle dans la nuque).

Il y a aussi beaucoup de scènes très drôles, bizarrement, contrebalancées par l’horreur de ces destins. En fait on rit beaucoup en lisant l’Assommoir, mais on rit en pleurant. Les derniers chapitres sont particulièrement éprouvants, la chute totale de Coupeau et de Gervaise sombrés dans l’alcoolisme le plus sordide, devenus des déchets humains. C’est sans doute l’un des livres les plus durs psychologiquement que j’ai pu lire.

Descendez-le à la prochaine
6.8

Descendez-le à la prochaine (1953)

Sortie : 1953 (France). Roman

livre de Frédéric Dard et San-Antonio

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

M’étant récemment refait un petit stock de San-Antonio à lire, puisque le mien commençait tristement à s’amenuiser, je m’autorise pour la forme une petite pause avec mon commissaire préféré, histoire de se changer un peu les idées.

Sorti en 1953, celui-ci est donc encore empreint des marottes du début de la saga, c’est-à-dire un focus sur l’intrigue élaborée et des nazis en tant que méchants. Il y a déjà les bons mots, l’argot, la gouaille, le sixième sens de limier, et le septième sens du devoir ancillaire bien sûr, ce serait moins drôle sinon.

Notre commissaire des services secrets est ici réquisitionné pour mener une enquête pleine de quiproquos, de ricochets, où l’on ne comprend le fin mot de l’histoire qu’à la toute dernière page, en même temps que notre héros, ce qui est assez rare. La famille Bunks, riches industriels allemands francophiles, trouvent leur fils claqué dans leur jardin au milieu de la nuit. Comment est-il arrivé là d’un coup alors qu’il sent déjà le mort de quinze jours ? Simple, c’est notre bon Tonio qui l’a gentiment posé là. Mais on pense que ce sont des représailles, et tout se met en branle. Cependant, sous couvert de rapprochement franco-allemand, il se trouve que les Bunks sont en fait à la tête d’un réseau d’espionnage et d’influence qui recrute tous les pro-nazis européens d’après-guerre. En un mot comme en cent : on recherche tour à tour un attaché à l’ambassade soviétique kidnappé par les nazis en représailles, un frère disparu, des témoins qui se font saucer avant d’avoir parlé, même Sana se met à assassiner. Les Soviets pensent que les nazis ont fait le coup, ces derniers pensent que ce sont les Français, et les Français traînent la patte en essayant de démêler tout le bordel. Sauf que personne n’est qui il semble être, et les identités flottent au-dessus des personnages et de tous les cadavres qui jalonnent le roman. C’est vraiment dommage que les aventures de San-Antonio n’aient pas plus été adaptées que ça au cinéma, j’aurais bien vu un bon film des années 50-60 avec Belmondo ou Delon dans le rôle.

Rue des macchabées
7

Rue des macchabées (1954)

Sortie : 1954 (France). Roman

livre de Frédéric Dard et San-Antonio

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Encore un vrai scénario, ou le point de départ est une mort qui semble naturelle, suivie d’une autre. Des affaires classées très vite donc, mais le commissaire flaire un truc louche quand même, la faute à un pauvre petit bout de papier qu’est tombé de la poche d’un des types sortant du centre des Chèques postaux, sur lequel est écrit « au secours ». Ce même type a le bon goût narratif de mourir 15 secondes plus tard, poliment, dans une voiture, sans faire de bruit ni de cochonneries sur le trottoir. Le malheureux était cardiaque... Son pote meurt le jour d’après, tout aussi discrètement, asphyxié par sa gazinière dans son appart. Et toujours ce bout de papier...

San-Antonio se lance dans une enquête officieuse, et contre la montre s’il vous plaît puisqu’une mission importante l’appelle aux USA 2 jours après.
Deux jours pour remonter le fil des ces macchabées suspects, aidé du légiste et d’une palanquée de concierges dont la moitié seulement est coopérative. Le timing est tellement serré qu’y a même pas le temps de butiner, ça se ressent dans l’humeur du commissaire, qui est sur les dents tout le long. C’est normal, il doit se farcir un médecin drogué, des allers-retours Paris-Normandie, une femme mystérieuse et introuvable au centre du secret, une tante menteuse puis disparue... Heureusement qu’il y a sa brave Félicie de mère pour lui faire des bons petits pieds-paquets au four. Quel beau personnage cette Félicie ! Riche idée de Frédéric Dard de l’avoir créé pour ses aventures.

Le Chef-d'œuvre inconnu
7.6

Le Chef-d'œuvre inconnu (1831)

Sortie : 1831 (France). Roman

livre de Honoré de Balzac

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

Enfin, mon premier Balzac. On est devant la Comédie humaine comme devant la Bible, on ne sait par où commencer. Comme pour la Bible, j’ai tranché par sensibilité, et j’entame la petite et officieuse trilogie des « Contes artistes ». Ces nouvelles sont des réflexions sur l’art, et plus spécifiquement sur les rapports esthétiques et métaphysiques à la création artistique. Il s’agit ici de peinture, et n’y connaissant moi-même que pouic dans ce domaine, c’était vraiment intéressant de lire les discours de Frenhofer, la figure de l’artiste sublime et génial... mais trop.

La nouvelle présente tout simplement l’éternelle dichotomie entre l’art incarné et l’art idéalisé, entre les sens et la pensée, en convoquant le mythe séculaire du créateur prométhéen. Par l’ancrage de l’histoire dans le XVIe siècle, Balzac prend pour exemples l’école italienne colorée et sensuelle, et l’école allemande, plus centrée sur l’imagination et la métaphysique. Frenhofer fait plutôt partie de cette dernière école, qui s’incarne à l’extrême (ou plutôt, se désincarne) dans son fameux chef-d’œuvre inconnu sur lequel il a travaillé dix ans en étudiant à fond toutes les techniques de peinture, un tableau qu’il garde jalousement puis dévoile enfin à ses disciples à la toute fin. Et devant la Belle Noiseuse de Frenhofer, un grand désenchantement arrive : c’est un amas de courbes, de traits, d’esquisses et de couleurs, duquel la seule forme figurative qu’on peut distinguer est un pied de femme, comme un accident de parcours. Un résultat hautement ironique pour un artiste qui cherchait le mouvement, le détail ultime pour donner une sensation vivante à la toile, pour y sentir « l’air qui circule entre les formes »... qui cherchait une incarnation sensuelle dans son art, en somme.

Le récit est assez ambigu en vérité. A trop étudier, à aller au bout du processus de déconstruction, à s’enfoncer toujours plus avant dans l’Idée au détriment du réel et du tangible, du sensuel, n’y a-t-il que la destruction de toute vie, de tout art et de toute beauté ? Ou bien le récit est-il prophétique et annonce les révolutions esthétiques à venir, l’impressionnisme de manière assez évidente, puis le surréalisme plus tard ? Je crois que c’est un peu des deux. Comme une conclusion, il donne, par la bouche de Porbus, un précieux conseil qu'il s'applique d'ailleurs à lui-même : « Un peintre ne devrait méditer que la brosse à la main. »

Gambara
6.7

Gambara (1837)

Sortie : 1837 (France). Nouvelle

livre de Honoré de Balzac

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

La deuxième nouvelle des Contes artistes, cette fois centrée sur la musique et plus spécifiquement sur la composition musicale. Le personnage de Paolo Gambara évoque le peintre Frenhofer, il est le compositeur de génie beaucoup trop en avance sur son temps, et coincé dans le domaine des Idées. La présentation et l’analyse de son opéra imaginaire Mahomet est mise en scène en tant que cacophonie totale, lorsqu’il est joué par Gambara au piano... et lorsqu’il est sobre. Mettez-lui un coup dans le nez et sa musique devient tout à coup sublime, jouée sur un Panharmonicon, l’instrument mécanique inventé au tout début du XIXème siècle qui imite les vents et les percussions de l’orchestre. L’ivresse lui rend une lucidité qui, en période sobre, se dilue dans les sphères célestes. Il imagine sa musique parfaite, mais cette perfection n’existe, et ne peut exister, que dans son esprit. Le comte Marcosini, le personnage que l’on suit dans le texte, essaie de « guérir » Gambara par l’alcool et par l’écoute d’autres œuvres dont la beauté devraient le faire redescendre sur terre. Ça marche un temps, mais Gambara restera finalement fidèle à son idéal jusqu’au bout. Juste par curiosité, j’ai plaqué les accords indiqués de l’opéra sur mon propre instrument et effectivement ça donne des progressions intéressantes.

Le style de Balzac est sensiblement différent du Chef-d’œuvre inconnu, on dirait qu’il compose ses textes par rapport au sujet traité. Les modulations atteignent ici quelque chose qui se rapporte à une structure musicale, de longs monologues, des parties descriptives très ramassées avec des personnages qui se déplacent en quelques mots. Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il y a un côté fugue dans la structure de Gambara.

« Ma musique est belle, mais quand la musique passe de la sensation à l’idée, elle ne peut avoir que des gens de génie pour auditeurs, car eux seuls ont la puissance de la développer. Mon malheur vient d’avoir écouté les concerts des anges et d’avoir cru que les hommes pouvaient les comprendre. Il en arrive autant aux femmes quand chez elles l’amour prend des formes divines, les hommes ne les comprennent plus. »

Dernière expression du déni ou authentique preuve de génie ? L’ironie de ce passage réside aussi en ce que Gambara n’a pas su déceler exactement ce dont il parle dans l’amour que lui voue sa propre femme.

Massimilla Doni
6.9

Massimilla Doni (1839)

Sortie : 1839 (France). Recueil de nouvelles

livre de Honoré de Balzac

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Et le dernier roman de la trilogie. Encore une fois, il s’agit de la dissociation corps-esprit, non seulement au sein d’une réflexion sur la musique, mais doublée cette fois d’un triangle amoureux, voire quatuor amoureux. Les descriptions de Venise sont discrètes, à peine existantes, mais Balzac parvient à rendre une atmosphère vénitienne étrangement réussie, dans ses langueurs, sa grandeur passée, qui m’ont un peu rappelé celles de Bruges chez Rodenbach, même si la ville n’est pas tout à fait le sujet ici. On retrouve aussi la théorie des synesthésies mentionnée dans les deux précédents, l'idée non seulement que les arts se complètent, mais aussi qu'ils se ressentent et sont liés comme sont liés les couleurs, les sons et les parfums. Et aussi, que ces derniers peuvent être convoqués dans un seul art, selon ses modalités d'exécution. C'est toujours ainsi que j'ai ressenti la musique d'ailleurs.

Le sujet, c’est Emilio Memmi qui ne peut sexuellement posséder sa duchesse, par trop-plein d’amour idéalisé. Puisque l’ange raphéalite Massimilla Doni est trop pure dans son esprit, il doit prendre la prima donna Tinti pour maîtresse afin de satisfaire ses besoins charnels. Le sujet, c’est aussi le ténor Genovese, génie de l’opéra, qui ne peut chanter correctement lorsqu’il est accompagné sur scène de cette même Tinti, qu’il aime, parce qu’elle en aime un autre. C’est que l’art et l’amour se trouvent entremêlés dans le roman pour accentuer ce problème obsédant de l’impuissance à matérialiser l’idéal. Par des moyens détournés ils y arrivent cependant, Balzac semble conclure sa réflexion ainsi : « La duchesse est grosse ! », et le ténor est à nouveau le grand chanteur après avoir enfin pu posséder sa Tinti. J’aime la résolution qu’il a réussi à donner à son problème ; puisqu’en vérité si l’idéal n’arrive pas à se matérialiser, il n’est qu’une aporie. J’aime le triomphe du corps, et qu’Emilio ait trouvé le moyen d’incarner l’image idéalisée de son amour dans un corps de femme véritable, sensuel et vibrant. Cela dit, le récit souffre d’un certain manque de souffle, et même si l’analyse de l’opéra de Rossini est bien utilisée pour rendre compte de l’âme italienne, comme un outil pour instaurer une atmosphère, ainsi que pour montrer l’importance organique de l’exécution musicale, quand Gambara traitait plutôt de la composition, il y a un sentiment d'inachevé quand même.

La Rentrée du Petit Nicolas
7.5

La Rentrée du Petit Nicolas (2008)

Les histoires inédites du Petit Nicolas III

Sortie : 25 août 2008. Recueil de nouvelles

livre de René Goscinny

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

C'est toujours un bonheur de replonger dans les aventures du petit Nicolas.

Le Pèse-Nerfs
8.3

Le Pèse-Nerfs (1925)

Sortie : 1968 (France). Poésie

livre de Antonin Artaud

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Poursuite de la descente d’Artaud en lui-même, émaillée de réflexions qui peuvent aussi parler au lecteur. A la fin, on dirait même qu’il ressort un peu la tête de l’eau.

« Se retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel. »

Contes et légendes de Bulgarie

Contes et légendes de Bulgarie (1951)

Sortie : 1966 (France). Recueil de contes

livre de A. Bajdaev

Kavarma a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Un beau voyage féerique en Bulgarie. Comme ce sont des contes, il y a aussi cet aspect irréel et fabuleux qui tendrait presque à l’universel, n’étaient les petites touches qui enracinent bel et bien dans les Balkans. Baba Marta m‘apporte sa magie et sa nostalgie.

Les Poésies de A.O. Barnabooth
7.4

Les Poésies de A.O. Barnabooth

Sortie : 1913 (France). Poésie

livre de Valery Larbaud

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Ce petit recueil publié en 1908, révisé et republié en 1913, est une synthèse d’un type. Le type de l’écrivain bourgeois et cosmopolite de la Belle Epoque, polyglotte, voyageur par goût et par rébellion. Une certaine forme d’adolescence éthérée anime les poèmes de Barnabooth, pseudo et personnage littéraire de Larbaud. D’insouciance un peu désillusionnée mais amoureuse des villes traversées, et les portraits de femmes aimées qui s’y associent. On y trouve de petites peintures de scènes locales, très touchantes surtout en tant que clichés pris sur le vif ; qui de la paysanne de Kharkov donnant à boire à un petit garçon, qui des amies de Rotterdam s’aimant trop pour se quitter, qui de la jeune mendiante andalouse aux pieds sales faisant tournoyer sa jupe devant les messieurs... J’aime l’odeur de ces poèmes, ils sentent la mer, les plaines, les montagnes et le soleil européens, qui viennent d’une époque où le bourgeois avait encore le goût de l’aventure, l’âme un peu lyrique et le sens du beau vécu et senti à transfigurer. La fantaisie formelle des poèmes ajoute à l’évasion, ainsi que les anglicismes, hispanismes et autres emprunts directs de mots au portugais, à l’allemand ou à l’italien. Il y a même un poème composé en occitan, il semblerait.

Foi et Morphine

Foi et Morphine (1945)

Осъдени Души (Osadeni Dushi)

Sortie : 1945 (Bulgarie). Roman

livre de Dimitre Dimov

Kavarma a mis 8/10.

Les Caractères
7.1

Les Caractères (1688)

Sortie : 1688 (France). Aphorismes & pensées, Philosophie

livre de Jean de La Bruyère

Kavarma a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Plus d’un an de lecture pour terminer ce grand ouvrage. Comme ce sont des maximes, je ne sais jamais trop comment lire, du coup ça traînait en longueur. Je me suis astreint plus tard à 15 réflexions tous les matins avec le café pour que ça avance, et ce fut bon. La Bruyère figure parmi les meilleurs génies français du Grand Siècle, à mon humble avis (ce n’est pas une opinion si subversive vous me direz, mais j’avais envie de souligner le fait).

Les Caractères c’est plein de choses. Un recueil d’aphorismes ? Oui. Une galerie de portraits ? Aussi. Un essai philosophique et théologique ? Ça lui arrive. De la sociologie avant l’heure, indéniablement. La Bruyère est le peintre de sa société, et je ne suis pas sûr que j’aurais aimé le rencontrer, tant son regard est perçant et son esprit vif, tant il décrit avec précision les défauts des hommes. Le genre à vous mettre à poil en un coup d’œil et deux de plume. Un chirurgien des mœurs qui n’oublie pas d’être un grand écrivain, au style élégant, précis, concis, sophistiqué, comme le XVIIème siècle savait en produire. Comme chez Corneille, Racine ou La Rochefoucauld, la langue est condensée au maximum pour pouvoir signifier le plus de choses avec le moins de mots possibles, et en même temps en usant de tournures de phrases les plus simples et directes. En ressort un discours qui claque comme un coup de fouet, comme dans la forme poétique à vrai dire. Je me demande même si la langue classique n’est pas la forme ultime de l’ancien français finalement, en terme de condensation de sens, de forme brute qu’elle était au Moyen Âge devenue policée et raffinée au fil du temps tout en gardant une certaine force de frappe. Il y a un passage des Caractères où La Bruyère regrette d’anciens mots venant de la langue française médiévale tombés en désuétude, des mots poétiques, beaux, brefs, sonores et renfermant beaucoup de sens, justement. Et je ne peux qu’être d’accord avec lui sur cette perte, qui a fait gagner à la langue française en raffinement ce qu’elle a perdu en vigueur primitive.

Psaumes
8.7

Psaumes

Sefer Tehillim

Sortie : août 1977 (France).

livre

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Comme pour La Bruyère, pour avancer dans les Psaumes il fallait mettre en place une petite discipline, à hauteur de 5 psaumes tous les matins.

C’est un recueil liturgique en fait, la poésie des psaumes se fait louange de Dieu, de sa création et de l’histoire glorieuse des hommes. Comme Job, il fait partie de la section des livres poétiques et sapientiaux, et à ce titre propose des réflexions sur le bien, sur le mal, la nature humaine etc. Bien sûr, la moralité est souvent qu’il faut se tourner vers Dieu et le remercier pour ses bienfaits, son action sévère mais juste, et qu’il faut s’éloigner de l’impiété barbares des hommes d’avant l’arrivée de Jésus, tout comme de ceux qui ne l’ont pas encore accueilli en leur cœur par après. Mais les Psaumes c’est aussi tout simplement beau à lire, à lire à haute voix même, et quand le rayon du soleil matinal vient dorer le délicat papier bible pendant que vous lisez un vers magnifique, un certain sentiment de paix et de grandeur s’installe en vous et on ne peut s’empêcher de penser qu’après tout il existe peut-être bien quelque chose de cet ordre-là. Je pense que la véritable maison de Dieu, ce serait la nature elle-même et son formidable système d’interractions.

Le recueil regorge cependant de références à d’autres livres bibliques, et même si les annotations aident, j’aimerais poursuivre à l’avenir par la lecture de la Genèse au moins.

Histoire de la guerre d'Espagne
8.3

Histoire de la guerre d'Espagne

Sortie : 1939 (France). Histoire

livre de Maurice Bardèche et Robert Brasillach

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Je replonge dans Brasillach avec délice. Publié en 1939, on imagine bien que son livre est, plus qu’à proprement parler un livre d’histoire, un livre qui relate, un livre qui raconte le récit de cette guerre civile dont il fut le contemporain. Il a été sur place et a recueilli des témoignages, s’est beaucoup documenté dans les archives des villes, dans les journaux d’ailleurs autant anarchistes ou communistes que fascistes. Je précise parce que le point de vue de Brasillach, même s’il rend justice au courage des troupes républicaines quand il y a lieu, est résolument pro franquiste et il ne s’en cache pas. D’ailleurs, pourquoi pas ? non seulement les historiens ne sont de toute façon pas neutres, mais en plus Brasillach est un journaliste politique.

Le livre part de l’assassinat de Calvo Sotelo, expose le contexte social et politique, puis couvre toute la guerre de 36 à 39, jusqu’à la prise de Madrid par Franco, en laissant le soin aux générations futures d’écrire l’histoire de cette guerre avec plus de recul. L’intérêt qui ressort est justement l’absence de recul, le fait de vivre les événements par la plume de quelqu’un qui a vu le théâtre des opérations et qui est engagé au moins idéologiquement dans l’un des partis. Il y a quelque chose de plus authentique, et le style de Brasillach, comme dans son livre sur le siège de Tolède, fait ressentir toute la tension d’alors, montre la guerre comme un événement charnière du XXe siècle en ce qu’elle a été a posteriori le laboratoire de la Seconde. Un conflit où se meuvent les idéaux nouveaux et les anciennes passions de la vieille Espagne. Car oui, même si la Phalange de José-Antonio a joué un rôle dans la guerre, militaire ET social, Franco est un traditionnaliste et c’est lui le généralissime, celui qui a uni tous les mouvements de "droite", pour parler vite. Non un fasciste ou un national-socialiste comme le furent les gouvernements italien et allemand de cette époque, même s’ils ont envoyé des volontaires se battre aux côtés du général, toujours sous réserve que l’Espagne renaissante resterait parfaitement indépendante.

Mais l’auteur, toujours par son style, transforme un peu ce conflit en guerre médiévale, et il célèbre avant tout le courage, les valeurs chevaleresques des officiers et des soldats qui en ont fait preuve, peu importe le camp auquel ils appartiennent d’ailleurs. La beauté, la grandeur et l’éternité en tant que vérités de l’homme méritent louange, et c’est ce que j’aime le plus chez lui.

Terre des hommes
7.7

Terre des hommes (1939)

Sortie : 6 février 1939. Essai, Autobiographie & mémoires

livre de Antoine de Saint-Exupéry

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

Je crois qu’il existe deux sortes de littérature du XXe siècle. Il y a celle froide, introspective et paradoxalement désincarnée, de laquelle ressort un certain désespoir voire un certain nihilisme, une crise existentielle globale de l’époque – Blanchot, Gary, Céline, Drieu la Rochelle, Kafka. Et puis il y a celle poétique, introspective elle aussi mais au contraire très incarnée, dans laquelle cette crise de l’existence également présente prend plutôt la forme d’un retour à soi et à la beauté du monde, auquel on tente de se reconnecter par tous les moyens, souvent les plus dangereux – Brasillach, Colette, Giono, Jünger. Saint-Exupéry appartient à cette deuxième catégorie.

Terre des hommes est un roman autobiographique, dans lequel il revient sur sa vie d’aviateur. Le jeune homme Saint-Ex est un ami et admirateur de Jean Mermoz, en qui il voit l’aventurier ultime. L’avion à cette époque est un métier extrêmement dangereux, et même s’il le nie à certain moment, je sais très bien qu’il a choisi cette vie pour cette exacte raison. Ou plutôt, l’avion, par le danger qu’il représente, est moins une fin qu’un moyen, celui de vivre pleinement et d’être pleinement un homme. Un homme qui craint pour sa vie revient à une forme de vérité essentielle, celle où les instincts reprennent leur vigueur, celle où le goût des beaux paysages, le goût des belles choses, le simple goût de s’assoir à table et de manger un bon plat, reprennent tout d’un coup leur goût de bonheur. Quand Saint Ex atterrit dans le Sahara et y passe quatre jours avec son copilote, presque en mourant de soif, on retrouve l’ancestrale sensation d’endurer l’existence avec un camarade. C’est par ce même besoin de violence que René, dans Comme le temps passe, s’engage à la guerre avant de partir aux colonies, c’est par le même besoin de reconnexion au monde que les personnages de Giono éprouvent les duretés de la nature et du monde paysan. Par la violence d’éprouver son corps et son esprit, on retrouve une beauté oubliée. Et donc, je pense que ce XXe siècle a aussi été une tentative de retour plus ou moins optimiste à un état d'esprit que la modernité a effacé.

Une page d'amour
7.1

Une page d'amour (1878)

Sortie : 1878 (France).

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Reprise des Rougon-Macquart avec le huitième roman.

C’est une parenthèse un peu poétique dans la série, qui porte d’ailleurs bien son titre. On suit Hélène Mouret, fille d’Ursule Macquart (la demi-sœur de Pierre Rougon), et surtout sa fille Jeanne. C’est en fait un triangle amoureux très tragique, mais analysé sous le prisme du naturalisme.

Hélène est une grande femme, veuve à 29 ans, du même tempérament calme que son neveu l’abbé Mouret et de la même délicatesse de traits que son autre neveu Octave Mouret. Son mari Grandjean lui a laissé une fille, qui elle a tout de ses aïeules : faible physiquement, psychologiquement instable comme la tante Fouque et phtisique comme Ursule. Zola décrit la vie pleine de dignité de cette veuve et la passion quasi amoureuse que sa fille lui voue et qui tourne à l’obsession, la jalousie maladive lorsque Hélène tombe amoureuse du beau mais marié docteur Deberle. Avec son hypersensibilité, Jeanne, du haut de ses 12 ans pressent tout ce qui se passe dans le cœur de sa mère, interprète toutes les fluctuations d’humeur, qui l’atteignent à un degré physique. Le jour où la mère consomme enfin cet amour avec le docteur, Jeanne contracte la phtisie qui la tuera quelques semaines plus tard, car son corps d’enfant a senti que l’amour donné à l’homme était autant d’amour et d’attention qu’elle recevrait en moins. La mort d’une enfant beaucoup trop protégée (et donc insupportable pour être sincère) vient clore l’histoire d’amour à peine commencée de Hélène, qui se résigne à épouser encore un autre homme qu’elle n’aime pas. Dans la monstration du côté destructeur de la passion, Zola écrit un roman beau et triste comme une tragédie, mais en y faisant entrer les considérations héréditaires de son projet. Ce n’est pas tant l’histoire d’amour qui tue Jeanne que les racines pourries de son arbre généalogique.

Nana
7.4

Nana (1880)

Sortie : 1880 (France). Roman

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

On retrouve Anna Coupeau, fille de Gervaise dans l’Assommoir. Déjà dépeinte comme vicieuse dans ce dernier, elle est devenue ici la Vénus de Paris.

Comédienne et chanteuse médiocre, elle a cependant tous les applaudissements du public par la grâce de son corps de déesse de l’amour. Avec les mots d’aujourd’hui, on dirait que Nana est le prototype de F pure, qui n’est qu’un corps à posséder, qui ne vit que pour et par ce corps, et donc par extension, il n’y a que les plaisirs de la chair qui la contentent (les parfums, le sexe, la nourriture, les vêtements délicats). Et paradoxalement, Nana est aussi la femme-enfant qui n’a jamais pu passer au stade supérieur de son évolution : elle mange n’importe quoi à n’importe quelle heure, a des goûts et une humeur changeants, un caractère de girouette, aime un homme puis le déteste dans la même minute, rit et pleure dans la même conversation, et in fine se vend pour payer son train de vie de reine, n’ayant de toute façon pas réellement de plaisir dans le sexe, aimant avant tout être adorée. C’est le roman sur la prostitution des Rougon-Macquart, dépeinte dans plusieurs de ses niveaux : autant la triste épave des trottoirs vivant dans la misère et la peur de la police, que les cocottes des grands salons ruinant les hommes riches qui les entretiennent. Zola parle d’un roman sur les « désirs du mâle, ce grand levier de la société », et même si on peut penser que les vraies victimes sont les pelletées d’hommes complètement ruinés par Nana, après réflexion on peut effectivement y voir que c’est bien l’absence d’hommes réels, ayant un empire sur eux-mêmes et de la dignité, qui mène à une débauche féminine aussi sordide. La simple loi de l’offre et de la demande ? en termes contemporains, c’est un roman sur les simps qui dépensent leur smic et leur temps d’attention sur onlyfans ; dans le projet zolien, c’est la fêlure des Macquart qui explique le personnage. Mais la beauté ne dure qu’un temps, quand on a fait l’erreur de tout miser dessus, vient le moment de désenchanter. Nana veut vivre par l’épée, elle périt par elle, dans un lit, abandonnée, purulente et complètement défigurée par la variole, morte par la corruption qu’elle a propagé autour d’elle. Son caractère de prototype est encore accentué par ce simple fait : Nana est toujours Nana, jamais son véritable nom n’est rappelé dans le livre. Même dans le récit lui-même, elle n’existe que par ce corps qu’elle s’est forgé. Flaubert a eu raison de parler de grand livre.

Pot-Bouille
7.5

Pot-Bouille (1882)

Sortie : 1882 (France). Roman

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Dixième roman et moitié de la saga lue !

Pot-bouille c’est le pamphlet de Zola sur la bourgeoisie, la violence d’un homme qui éprouve le plus grand des dégoûts pour cette classe qui synthétise toute la vilenie d’une société mourante. On en trouve les relents putrides dans la Grande Bouffe : la manière de montrer la dégueulasserie des « honnêtes gens », sa crudité surtout, et même, si on veut, dans le côté pamphlétaire. C’est par la caméra que dans le film on les voit s’empiffrer pour combler leur vide absolu, et par la plume dans le roman qu’on voit les tristes Josserand rogner leurs repas pour pouvoir mieux apparaître en société, les histoires de filles à caser, d’adultères qui touchent presque tous les personnages masculins et la toxicité féminine omniprésente. C’est comme si pour Zola la position de bourgeois exacerbait les pulsions naturelles des hommes et des femmes, qu’elle leur permettait de poser un drap pudique sur leurs comportements. Car oui, tous les comportements sont autorisés si, et seulement si, ils ne donnent pas lieu à un scandale public. Berthe peut s’envoyer le petit Octave Mouret, à condition de ne pas se faire surprendre au milieu de la nuit par le mari Auguste, ce qui donnera lieu à une scène bruyante dans la respectable maison : pas bien. Le magistrat Duveyrier, tonnant dans les tribunaux pour la morale stricte, rejeté par sa femme qu’il dégoûte, peut prendre une maîtresse qui le maltraite et le trompe à condition que la chose reste confidentiellement connue : bien.

Zola est énervé dans ce roman, même ses amis de l’époque lui ont fait remarquer qu’il allait trop loin dans la caricature et perdait donc en justesse de caractères – même les victimes ne sont pas à plaindre. Il est vrai qu’absolument personne n’est à sauver dans ce long huis-clos où abonde l’immondice de l’honnête bourgeoisie, déversée par la bouche des domestiques qui chaque matin taillent un costume à l’hypocrisie et la faiblesse des « garants de la morale et de la famille ». Cela dit, une chose très juste en ressort : le confort est le terrible lubrifiant des pentes naturelles de l’homme.

Don Quichotte
7.9

Don Quichotte (1615)

(traduction Jean-Raymond Fanlo)

El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha

Sortie : 2008 (France). Roman

livre de Miguel de Cervantès

Kavarma a mis 10/10.

Annotation :

Deux mois de lecture pour venir à bout de ce monstre classique. Mais j’en suis pas mécontent, ça valait clairement le coup : c’est un bijou de style, de fantaisie, de panache, de drôlerie, de nostalgie.

Le roman est écrit du point de vue d’un narrateur qui raconterait l’histoire vraie du chevalier Don Quichotte qu’il aurait lue dans un livre d’histoire de Cid Ben-Engeli (transposition arabe du nom de Cervantes), ce qui apporte un côté biographie épique et une espèce d’aura un peu poussiéreuse. Enfin, pas seulement épique. Malgré les nombreuses moqueries du narrateur à l’encontre du chevalier, sur sa folie et ses extravagances, on ressent l’amertume de ce siècle qui se modernise. A l’heure où on se tire dessus à coups d’arquebuses et où le monde s’agrandit par les grandes découvertes, le temps des chevaliers errants, à l’honneur irréprochable, à la vaillance et à la fidélité à la dame inébranlables, revêt nécessairement un aspect pathétique. On rit de Don Quichotte qui prend les hôtelleries pour des châteaux forts et les vilaines pour des princesses, mais on l’aime pour son courage fou quand il défie un lion en combat singulier alors que son armure est faite de bric et de broc. On est obligé de s’en moquer mais aussi de l’admirer, tout comme Cervantes, qui eut lui-même une vie chevaleresque et pleine d’aventures (héros de Lépante, captif chez les Barbaresques). L’époque n’en est plus là, mais c’est triste, d’une certaine façon, et le regard que porte Cervantes sur son personnage devient le nôtre aussi. Un regard à la fois ému et résigné, qui touche au point d’orgue lorsque Don Quichotte abjure toutes ses aventures et redevient Alonzo Quijano, l’honnête hidalgo de campagne. Pour écrire ce roman qui se veut parodie des romans de chevalerie, il a fallu que Cervantes avale lui-même toute cette culture au point d’en truffer de références tout le texte, et très pointues, jusqu’au stade de réminiscences. C’est ce qui me fait dire que la parodie n’exclut pas la tendresse, et peut-être, sans doute, le regret et la nostalgie. L’ancêtre du Cyrano de Rostand a le même panache, le même esprit, et la même tristesse que son descendant.

Et Sancho est fabuleux !

Le vair palefroi

Le vair palefroi

Sortie : 11 mars 2010 (France). Roman

livre de Huon Le Roi

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Texte singulier du XIIIème siècle, le Vair Palefroi est une sorte de lai, un joli conte reprenant des codes du merveilleux en en proposant cependant une explication rationnelle. Il s’agit d’une histoire d’amour entre deux jeunes gens, contrarié par la trahison d’un vieil oncle et le refus du père de la dame. L’histoire se passe on ne sait quand, on ne sait exactement où, le seul personnage nommé est Guillaume, le jeune chevalier. Le respect des anciens et des convenances est le moteur du personnage, Guillaume accepte la trahison de son oncle et lui offre même son aide, sous la forme du palefroi. Ce dernier est censé amener la dame affligée à son mariage, mais le palefroi rétablit le juste cours des choses et retrouve son chemin dans la forêt jusqu’à Guillaume. La Providence, comme on pourrait y penser, est niée au profit du pur instinct animal. Les explications mythiques ou religieuses trouvent une résolution dans les mouvements naturels des hommes et des bêtes : ce n’est pas Dieu qui amène l’être aimé contre toute attente, c’est la simple inclination de l’animal à remonter un sentier forestier qu’il connaît déjà. Cet éloge de la nature, ainsi que l’éloge de la jeunesse et de l’amour, contre la vieillesse dont la caractéristique est moins la sagesse que l’avarice, l’accumulation des richesses et la duplicité, finit de donner un texte médiéval qui se pose où on ne l’aurait pas forcément attendu.

Erec et Enide
7.2

Erec et Enide (1170)

Sortie : 1170 (France). Roman

livre de Chrétien de Troyes

Kavarma a mis 8/10.

A tue... et à toi
7.2

A tue... et à toi (1956)

Sortie : 1956 (France). Roman

livre de Frédéric Dard

Kavarma a mis 8/10.

Du brut pour les brutes
7.1

Du brut pour les brutes

Sortie : 1960 (France). Roman

livre de Frédéric Dard

Kavarma a mis 8/10.

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