Cover On the row (2023)

On the row (2023)

Cette année-là, sur ma table de chevet...

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89 livres

créee il y a environ 1 an · modifiée il y a environ 2 mois

Proust, roman familial
7.8
1.

Proust, roman familial (2023)

Sortie : 24 août 2023 (France). Autobiographie & mémoires

livre de Laure Murat

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Évidemment, c’est plutôt marrant de découvrir la lecture que peut avoir une enfant du sérail de La Recherche. Et pas n’importe quel enfant, puisque née princesse Murat, Laure croise à chaque coin du roman des membres de sa famille ou des amis de ceux ci. Il y a donc un effet miroir assez troublant pour elle, de voir non pas ce qu’a de fictionnel ce qui voudrait paraître vrai, mais bien plutôt ce qu’a de vrai ce qui pourrait passer pour si fictionnel. Et comme elle est, par dessus le marché, en opposition radicale avec sa caste, Proust et la lente démystification qu’il met en scène dans sa saga ne peut que faire résonner (et raisonner) l’autrice, qui finalement a suivi le même cheminement sauf qu’elle l’a fait en sens inverse, de dedans vers dehors. Oui oui oui, certes. Mais l’exercice dans la longueur m’a très fortement lassé : Murat n’aime pas les aristos, moi non plus, mais elle semble beaucoup aimer parler d’eux, ne serait-ce que pour les débiner, alors que moi franchement après 2 chapitres le sujet m’ennuie. C’est là évidemment que Proust est un magicien, d’en faire un roman de plus de 3000 pages en arrivant toujours tellement plus haut que la cible qu’il fait semblant de viser mais qui n’est qu’un prétexte pour montrer la force diluante de l’intelligence, et le pouvoir pétrifiant de la bêtise. Plus il parle des aristos et plus on les oublie. Murat non, preuve peut-être que malheureusement elle n’en a pas fini autant qu’elle le dit avec sa propre malédiction familiale.

Les Soldats de la mer
8
2.

Les Soldats de la mer (1968)

Sortie : 1968 (France). Roman, Science-fiction

livre de Yves Rémy et Ada Rémy

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Ce roman en forme de nouvelles, ou ces nouvelles formant roman, est la première œuvre du couple Rémy, par ailleurs assez peu prolixe puisqu’ils étaient parait-il plus accaparé par leur autre métier, sinon leur vrai, de réalisateur et trice de films institutionnels. Ouais j’ai l’air de tout savoir d’eux, mais c’est juste parce que j’ai lu la quatrième de couverture, où il est aussi précisé qu’en son temps, 1968, ces soldats maritimes connurent un joli succès critique. Pour ne rien vous cacher, je n’avais jamais entendu parler du bouquin ou de ses autrice et teur avant la semaine dernière. C’est d’ailleurs une lacune qu’on comble sans déplaisir car les histoires sont emplies de petites trouvailles et l’écriture en est toujours irréprochable. A vrai dire la première et la dernière nouvelles sont très très belles, mais le reste est parfois un brin redondant : les principes narratifs ont tous un air de famille et on a l’impression d’avancer dans un palais des glaces où tout se répète et se reflète - les lecteurs et trices les plus tenaces sauront à la fin pourquoi.

« On dit ton nom chez les partisans et en Niedernau, comme une malédiction ; on le dit chez nous avec une admiration folle dans la voix. Tu es le plus brave d’entre nous, le plus audacieux. Un seul relève ton défi, mais est-ce bien seulement un homme ? Il est sans passé, sans ami, sans ambition, un homme impair ; tu es l’endroit quand il n’est que l’envers, il est l’écho quand tu as été la voix. »

En ménage
7.5
3.

En ménage (1881)

Sortie : octobre 2007 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Dans son aspect le plus direct, une sorte de tableau sociologique du marié-séparé-qui-profite-mais regrette, ce roman de la première période de Huysmans ressemble fort à du Balzac, remis au goût du jour (on est trente ans après la mort du Maitre). C’est qu’avec le siècle qui avance, la puissance de refoulement est de moins en moins vaillante : ça craque de toute part, ça pousse, ça fuit. La Société est toujours cette force despotique et coercitive, mais elle s’essouffle, on le sent bien. Et plutôt que de scruter les ficelles qui l’animent, puisqu’elles sont décidément bien molles, Joris préfère encore se pencher, de très près sur les marionnettes qui branlent presque malgré elles. Et sur ce point là, on a comme une continuation du Flaubert de l’Éducation sentimentale, mais où l’idéal n’est pas simplement mort, il est comme dissout, comme s’il n’avait jamais existé. Remplacé par le vague flux des humeurs, pulsions épuisées par trop de générations contraintes et rabrouées. Restent les détails, car l’écriture de Huysmans déjà est une écriture de myope qui s’accommode du flou, ne cherchant pas la ligne de fuite mais jouissant de l’étrange pouvoir du sable mouvant.

«  Elles poussaient à la chute de leur amie, pour s’enorgueillir d’elles-mêmes, qui ne succombaient point; elles poussaient à sa chute par une lâcheté de gamines qui, n’ayant point le courage de faire le mal, persuadent à la plus bête d’entre elles qu’elle devrait le commettre, quitte à la repousser ou à la dénoncer après. »

Je suis un monstre
4.

Je suis un monstre (1952)

Sortie : 1952 (France). Roman

livre de Jean Meckert

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Oui oui, ok, c’est un peu mal fichu, enfin surtout c’est très répétitif, disons que le récit bégaie. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir une énorme tendresse pour la prose de Meckert, qui par contre coup me rend assez indulgent pour les petits ratés. A tel point que je pourrais presque aller jusqu’à dire que les dérapages font partie intégrante du charme vénéneux du livre, étrange voyage dans la violence adolescente, vécue, attisée et racontée par un tout jeune éducateur nettement borderline, dans un établissement retiré au fin fond des Alpes. Après tout, vu à quel point la subjectivité du narrateur, surnommé Narcisse par ses coturnes, est envahissante et incontrôlable, pas étonnant qu’on se retrouve dans un tel bordel. Bref, au moins Meckert essaye des pistes, se permet des incartades, joue avec les limites, d’une façon que je trouve très réjouissante.

Sardaigne et Méditerranée
5.

Sardaigne et Méditerranée (1921)

See and Sardinia

Sortie : 1921 (États-Unis). Récit

livre de D. H. Lawrence

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Depuis la fin de la guerre, David et Frieda vivent une existence d’exilés volontaires, d’abord en Europe puis à partir de 1922 en Australie et en Amérique du Nord. On retrouve évidemment la trace de ces différents séjours dans les romans de Lawrence, de la Fille perdue au Serpent à plumes, en passant par la Verge d’Aaron ou Kangourou et Jack dans la brousse, mais avec ce récit de voyage, l’écrivain nous donne accès à un témoignage plus direct et plus intime de sa mécanique personnelle.
Ce qui est clair dans cette étrange promenade (car parler d’un voyage serait un peu exagéré, il ne s’agit que d’une escapade de cinq jours en terre sarde) c’est la propension de Lawrence à se laisser submerger par des impressions, des sensations, des vibrations. Il en tire des conclusions et des analyses certes, mais qui restent tout imprégnées de ce premier contact sensuel. Et il n’est pas étonnant dans ce contexte que la Sardaigne, avec son côté brut et sauvage, « parle » tout particulièrement à l’auteur. Pour le reste, de façon plus anecdotique (mais pour le coup, ce carnet de croquis assume le futile et l’accidentel), c’est assez amusant de partager le quotidien des arpenteurs aventureux en 1921, par bateau, train, bus. Aucune idéalisation, mais un quasi reportage sur les petits tracas des backpackers d’antan : Nous avons vu des astres Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

Que notre joie demeure
6.6
6.

Que notre joie demeure (2022)

Sortie : 18 août 2023 (France). Roman

livre de Kevin Lambert

Chaiev a mis 4/10.

Annotation :

C’est marrant, dans l’interview que j’ai entendue, Lambert disait ne pas du tout aimer les bouquins qui ne laissaient pas leur lecteur penser, les textes où tout était cadré, bordé, souligné, expliqué. Je suis bien d’accord avec lui, mais malheureusement j’ai justement trouvé que c’était encore la meilleur façon de qualifier son roman : un truc étouffant, sur-signifiant, où tout est dit au premier degré, sans sous texte aucun, sans ambigüité possible : on sait toujours ce qu’il pense de ce qu’il raconte, et pourquoi il le raconte. Le hic, par dessus le marché, c’est que ce qu’il pense de cette histoire mêlant architecture, capitalisme, et milliardaires n’est quand même pas très original, à tel point d’ailleurs que sur la fin il est même obligé d’appeler à son secours Proust pour tenter de sauver quelques meubles. Alors ok, la naïveté vaut mieux que la roublardise, n’empêche que passé 50 pages je n’en pouvais plus, et c’est pas allé en s’arrangeant.

(Bon du coup, pardon Kevin, mais j’en profite pour redire tout le bien que j’ai pensé de Prélude à une guerre, le magnifique roman d’Ivan Repila, pour ceux que le sujet urbain intéresse).

Ce que nous savons depuis toujours
7.

Ce que nous savons depuis toujours (2001)

Dura madre

Sortie : 9 août 2003 (France). Roman, Policier

livre de Marcello Fois

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

J’ai trouvé ça très chouette la façon dont Fois construit son polar, autour de la figure d’un inspecteur du « continent » qui se fait muter en Sardaigne pour être sûr d’être le plus loin possible de ses souvenirs. Des dialogues ciselés, une histoire à tiroirs qu’on croit comprendre avec un peu d’avance alors que tout est fait pour qu’on se fourre le doigt dans l’oeil, et une voix lancinante et nostalgique qui se plait à jouer les parques désabusées entre passé traumatisant et avenir bouché. Reste cet étrange présent quasi immobile, où à la fois rien n’arrive mais dans un tel silence que le moindre froissement s’entend.

« Costantino bondit, mais il déguisa son élan en une tentative de s’asseoir plus confortablement, comme les chats lorsqu’ils tombent des chaises et feignent d’être descendus exprès, puis, au bout d’un instant de désarroi, font semblant de rien. »

Accabadora
7.1
8.

Accabadora (2009)

Sortie : 18 août 2011 (France). Roman

livre de Michela Murgia

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Le choix du titre est presque regrettable, car il pourrait lancer sur une fausse piste : cet « accabadora » qui désigne en Sardaigne les femmes venant euthanasier les anciens en bout de course, sorte de sage-femme à l’envers, n’est finalement qu’une donnée parmi toutes celles qui composent le roman. Évidemment, le motif est d’importance, mais plus comme une cheville discrète autour de laquelle pivote l’existence de la jeune héroïne, Maria. Secret que tout le monde connaît sauf elle au départ, point d’achoppement entre elle et sa mère d’adoption ensuite, ce point aveugle deviendra sur le tard une sorte de seuil infranchissable comme pour tendre au dessus de l’abime ce magnifique récit initiatique, que l’autrice rend à la fois très simple et très incandescent.

« Salvatore Bastíu, en revanche, ne songeait qu’à une chose : son fils passait et le faisait passer pour un imbécile. Et les imbéciles étaient, à Soreni, objet de moquerie et d’exclusion, car si la ruse, la force et l’intelligence peuvent être combattues à armes égales, l’imbécilité n’a pas de pire ennemi qu’elle-même et constitue, par son imprévisibilité fondamentale, un danger chez les amis, plus encore que chez les ennemis. Il était de toute façon impossible que cette réputation fût associée au respect, bien de prédilection dans un endroit qui n’en avait pas beaucoup d’autres. »

J'ai confiance en toi
9.

J'ai confiance en toi

Sortie : 6 mai 2010 (France). Roman, Policier

livre de Massimo Carlotto et Francesco Abate

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Polar plutôt bien tourné, même si l’intrigue reste des plus classique - en fait elle conviendrait presque mieux à un film dont les Transalpins ont le secret, mêlant fait de société et suspens. Car la vraie bonne idée du livre, c’est de choisir une toile de fond fortement ancrée sur le réel (on sent que les auteurs se sont renseignés), et un réel qui fait froid dans le dos : plutôt que la mafia et les réseaux de drogue, de prostitution ou de jeux, ici l’occupation première du héros, cynique et désabusé, est de vendre et d’écouler des stocks inépuisables de nourriture frelatée, périmée, ne respectant pas les normes de sécurité européennes. Gigi évolue dans une Sardaigne paradisiaque mais l’envers du décor est dantesque : tout n’est qu’arnaques et trafics, organisation gigantesque d’un empoisonnement camouflé mais généralisé. Les pauvres, les riches, tout le monde trinque, puisque la seule obsession orchestrée par le capitalisme marchand est de toujours acheter plus en dépensant moins : seuls les organisateurs de ce chaos alimentaire semblent conscients de la menace qui gangrène de l’intérieur la société « de consommation ». Ou quand la Malbouffe remplace la Grande Bouffe.

Petites choses
6.3
10.

Petites choses (2023)

Sortie : 2023 (France). Roman

livre de Benoît Coquil

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Coquil s’appuie sur l’histoire véridique de Gordon et Valentina Wasson, des passionnés de champignons (elle les mange, lui les étudie) qui vont « offrir » aux Etats Unis la découverte du psilocybe par le truchement d’une chamane mexicaine d’Oaxaca, au même moment précis – pas de petits hasards en ce bas monde - où commencent à apparaître LSD et autres synthèses hallucinogènes. La façon dont l’auteur parvient à flirter avec le roman, sans jamais vraiment y plonger à deux pieds est plutôt plaisante : l’écriture est fluide, et les allers retours entre les faits et l’interprétation subjective convaincants. Mais il m’a semblé que le résultat, malheureusement, manquait un peu de chair, comme si le sujet ne parvenait pas totalement à enflammer la plume de Coquil, ou bien qu’à force de prendre de la distance il se faisait piéger à son propre jeu. Sage et tellement cadré, à mille lieux des extases psychotropes, et sans grand relief quant aux abîmes sociétaux que toute cette aventure pourrait recéler.

« Est-ce la wanderlust, l’appel du lointain, que l’un reconnaît dans l’œil de l’autre, et qui va les lier pour les décennies à venir ? Peut-être aussi que, dans les années vingt, ceux qui ont déjà fait dans leur jeunesse de si longs voyages se reconnaissent entre eux à la ride de l’aventure ou de l’exil au coin de l’œil, comme les membres d’une grande communauté silencieuse. »

Tiens ferme ta couronne
6.7
11.

Tiens ferme ta couronne (2017)

Sortie : 17 août 2017. Roman

livre de Yannick Haenel

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

J’étais content de retrouver Haenel aux prises avec Melville, et le cinéma (qui via Apocalypse Now rapproche Conrad d’Herman mais pour une fois pas en enfonçant la porte ouverte du roman océanique, non plutôt par le biais de l’écriture du Mal). Je sors de la parenthèse, elle devient trop longue. Content donc au départ, et forcément, ça va tellement souvent de paire, un peu déçu à l’arrivée. Pas tant que l’auteur de Moby Dick disparaisse bien vite des préoccupations (à part Giono, en fait c’est plutôt casse gueule et inutile de se lancer dans le sujet, et Haenel ne tombe pas dans le piège) mais plutôt de trouver Haenel bien moins dextère (on dit dextère ? Non ? On devrait) que dans son dernier roman en date, le Trésorier-payeur. D’ailleurs « Tiens ferme ta couronne » , très beau titre je trouve, eût mieux convenu à ce livre là. Mais il était déjà pris donc, et qui oserait appeler deux de ses romans différents par le même nom ? Ça serait marrant ! Bon, et sinon, pour revenir à ma déception, c’est une histoire d’alchimie peut-être – thème qu’on retrouve en filigrane dans cette histoire de quête initiatique, voyage immobile au cœur des ténèbres intimes. D’alchimie car tous les ingrédients y sont, mais à mon sens (je parle en tant que lecteur en train de suivre un jeu de piste) pas très bien dosés, par très bien mêlés.Il y a comme une inadéquation entre l’ambition et les moyens mis en œuvre (et à la limite je pense que le livre aurait gagné à garder ces moyens là et à rabaisser un peu l’ambition, curieusement). Je ne sais pas à quoi sert de mettre cette dernière remarque entre parenthèse, mais je l’y garde, on ne sait jamais peut-être que l’hiver sera froid.

« Un jour, dit Léna, il n’y aura plus d’animaux. Les humains auront eu leur peau à tous ; il n’existera plus de silhouette furtive, plus de regards tremblés dans les feuillages ni de sous bois qui frémissent ; plus rien ne sera fugitif : les forêts, les montagnes, les plaines glisseront lentement dans la démence, et nous tremblerons, livrés à la férocité de nos propres mâchoires. »

Western
6.5
12.

Western (2023)

Sortie : 23 août 2023. Roman

livre de Maria Pourchet

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Pourchet, en prenant ostensiblement de la distance avec son histoire (le vieux truc de l’instance narratrice qui commente et ironise) essaye peut-être de faire passer les personnages avant l’intrigue – et on peut la comprendre car cette double disparition volontaire est à la fois fine comme du papier à cigarette et un peu tirée par les cheveux. Restent donc les deux paumés, condamnés à se rencontrer pour que quelque chose arrive (il y a une troisième protagoniste mais elle a moins de chance, la pauvrette). Or non en fait il n’arrive rien, ou pas grand-chose, mais c’est plutôt à mettre au crédit de la romancière qui au moins va jusqu’au bout de son processus.

« Oui, pourquoi ? Le XXIe siècle n’est pas un miracle, ça se saurait. »

L'Herbe des talus
13.

L'Herbe des talus (1984)

Sortie : 1984 (France).

livre de Jacques Réda

Chaiev a mis 9/10.

Annotation :

Livre chopé complètement par hasard, ce qui finalement m’arrive assez rarement. Mais heureusement ça n’empêche pas les coups de foudre, voire ça les rend peut-être encore plus impressionnants. On ne tombe jamais plus amoureux que de totaux inconnus (je m’explique assez mal du reste pourquoi j’ai pu passer tant d’années sans avoir jamais entendu parler de Jacques Réda...). Bref, émerveillement total devant tant de poésie, de finesse, de savante attention. Cette façon de toujours faire un minuscule pas de côté, pour caresser sans froisser, pour rire sans se moquer, pour aimer sans déranger, « ça me tue, ça me fait du bien » comme disait l’autre. Qu’il raconte ses souvenirs d’enfance, ses voyages en Europe, ou en train, ou en motocyclette, Réda est toujours exactement présent aux choses et aux gens, ce qui explique surement la magie avec laquelle il les évoque dans l’entre-temps du souvenir. Le proche, le lointain, l’inconnu ou le familier, tout sous sa plume prend soudain une sorte d’étrange évidence, et l’empreinte laissée est d’autant plus forte qu’elle ne provient que d’impressions fugaces. Il y a ici, comme chez Giono mais avec des moyens tout autres, de la littérature à double détente : le bonheur d’expression (bonheur fou, évidemment) qui touche au moment de la lecture, et quelque chose de plus insidieux qui s’est glissé entre les lignes et qui transforme le regard, plus tard, alors que le livre n’est plus entre nos mains. Une contagion en somme, ou une amoureuse possession.

« Exempts de la bimbeloterie d’appliques, de coucous, de cocotiers ou de baromètres qui s’efforce de donner une âme au plus disgracié des bistros, et tout juste matérialisés par le calendrier des Postes, la Police des Débits, l’affiche d’un de ces apéritifs sanguins qui se coagulent depuis la IIIe République, les murs s’évanouissaient sous un badigeon dont la teinte à présent m’échappe. Quelque ton en âtre à coup sûr, tout à fait indéfinissable si l’on ne se souvient pas de ces scènes du roman russe où des personnages qu’on mélange n’arrêtent pas de sortir, pour tout de suite y rentrer, d’appartements sans meubles qu’ils se sous-louent les uns aux autres, y répandant de la neige fondue et d’infinis propos sur leur salut lié à la question du panslavisme, aux lettres d’une belle-sœur à demi folle (COMplètement folle ! hurle Piotr Ivanovitch), à de ténébreuses histoires de grades civils, kopeks rares, destins et boutons décousus. Je ne sais donc même plus si les murs étaient jaunes,

Station Eleven
7.6
14.

Station Eleven (2014)

Sortie : 24 août 2016 (France). Roman, Science-fiction

livre de Emily St John Mandel

Chaiev a mis 5/10.

Annotation :

Mouais, je reste un peu dubitatif. Moi je trouve ça un peu mou du genou, mais je vois beaucoup de louanges… Ca doit donc un être un problème de cible plutôt que de produit (j’utilise le mot sciemment) : c’est certes efficace et bien foutu, mais c’est d’un lisse un peu désespérant, non ? Et puis il commence à y avoir beaucoup de bouquins post-apo, et qui plus est post-apo pour cause d’épidémie (on se demande pourquoi) du coup on est quand même en droit d’attendre un petit regain d’originalité, dans le propos ou dans la forme – en l’occurrence ce point ci n’a pas trop l’air d’être le soucis majeur d’Emily. Le théâtre shakespearien aurait peut-être pu aider (et encore, vu que c’est déjà au centre de Et qu’advienne le chaos d’Hadrien Klent) mais finalement ça disparaît très vite. Bref, moi je recommanderai plutôt Plop, La Constellation du chien ou la Contre-nature des choses mais c’est sûr c’est plus trash...

Olimpia
6.5
15.

Olimpia (2010)

Sortie : 2010 (France).

livre de Céline Minard

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Le texte est très court, et Minard joue en virtuose sur la forme bi partite qu’elle invente pour l’occasion (sous le patronage choisi de Marcel Schwob, évidemment, et ses Vies imaginaires) : un torrent d’imprécations d’abord, auquel on ne comprend pas grand-chose, et qui ne déparerait pas sur la scène d’un théâtre, baroque évidemment. Puis quelques paragraphes d’une neutralité exemplaire pour nous présenter, après coup, la figure historique dont émanait cette brutale prosopopée. Tout est on s’en doute dans cet « après coup » qui vient questionner et mettre à mal la sacro sainte notion d’objectivité, la vider de son sens, de sa pertinence. Au commencement était le Verbe, et ce n’est pas l’écrivaine qui dirait le contraire, elle qui sculpte avec toute la dextérité d’un Bernin les cascades de mots qui s’empilent et s’empalent. The flow must go on !

« Si elle m’enlève le masque, cette ville de théâtre boursouflé, gonflée d’or et de stuc, hérissée de colonnes roides, de colonnes torses, gravées, plantées d’arcs à tout bout de champ grosse d’elle-même et de ses cirques innombrables, bouches et bouches de marbre purulentes, cette ville d’artifices avec sa grosse verrue dorée, sa perruque poudrée, le Vatican, je l’arrache, cette ville de carnaval continu, cette ville masque qui figura l’empire jusqu’à ce qu’il s’écrase, je l’arrache, cette ville masque que les papes remontèrent sur leur face sous les boucles de la coupole, le gros chapeau triple, la tiare, ce masque devant le monde, si elle me l’enlève, je l’arrache. »

Des diamants pour le prolétariat
16.

Des diamants pour le prolétariat (1971)

Sortie : 2010 (France). Roman

livre de Julian Semenov

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Limonov, dans son avant propos, souligne à quel point la prose de Semenov était novatrice, et j’avoue qu’il m’a fallu pas mal de pages avant de m’en rendre compte. Car, un peu stupidement, je me focalisai surtout sur le style, qui n’a rien de très exceptionnel, en tout cas en traduction. C’est net, sans esbroufe, assez sec mais sans être non plus rébarbatif. Non en fait l’originalité de l’auteur est plus à chercher du côté de la construction, et du rapport à son lecteur. Au fil des chapitres, qui relatent diverses tractations autour de pierres précieuses spoliées par les uns, convoités par les autres – on est dans la Russie soviétique de 1921, époque troublée s’il en est – j’avais l’impression de perdre de plus en plus pied. Mais je voyais bien que l’auteur lui semblait nager comme un poisson dans l’eau dans tous ces complots, ces filatures, ces jeux à double fonds, ou plus personne ne sait où est la frontière entre traitres et alliés. En fait l’agencement fait parfois penser à Manhattan Transfer (découpage, collage, heurts, contre temps et autres figures de style jazzesques) mais à la différence, de taille, qu’ici il s’agit bien de raconter une intrigue alors que chez Dos Passos les choses sont plus impressionnistes. Dès lors, le récit se diffracte mais tout le jeu pour le romancier est de voir jusqu’où il peut brouiller les choses sans faire exploser son fragile château de cartes. Jeu hypnotique et d’une acuité sans pareille dès lors qu’on s’attache à raconter les jeux de pouvoir en terrain révolutionnaire miné.

« Selon lui, les balades à pied, à ski ou sur l’eau, ainsi que l’équitation ne garantissent à personne qu’une brique ne vous tombera sur la tête ou que vous ne vous asphyxierez pas au gaz carbonique. Cependant, en prison, la gymnastique est une discipline indispensable. »

Habiter en oiseau
7.4
17.

Habiter en oiseau (2019)

Sortie : 2 octobre 2019. Essai

livre de Vinciane Despret

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Habiter en oiseau (il parait que le titre a été soufflé par Baptiste Morizot) vaut aussi pour l’écrivaine et son livre, qu’elle hante avec la légèreté et la non-continuité propre au(x) volatil(es). Car tous ceux qui croiraient un peu trop vite trouver ici quelques idées définitives sur les mœurs des oiseaux de nos campagnes font fausse route, et surtout vont au devant d’une sévère déception – je crois que c’est voulu, que ça fait partie du plan. Le propos est tout autre, qui avance par sautillements et caprices : scruter la façon dont les ornithologues étudient leurs sujets, pointer ce qu’ils voient, ce qu’ils occultent, mais là aussi il s’agit pour Despret de le faire en oiseau : surplomb, brusques envolées, disparition, réapparition. Démarche qu’on pourrait qualifier de scientifiquement chamanique, faisant évoluer subrepticement non notre regard mais plus notre façon de regarder. Et d’écouter, et de se laisser infuser à notre tour dans le grand continuum naturel qui nous entoure, nous enserre, nous porte et nous transforme.

« Combien de verbes et quels verbes peuvent faire territoire ? Et quelles sont les pratiques qui vont permettre à ces verbes de proliférer ? Je suis convaincue, avec Haraway et bien d’autres, que multiplier les mondes peut rendre le nôtre plus habitable. Créer des mondes plus habitables, ce serait alors chercher comment honorer les manières d’habiter, répertorier ce que les territoires engagent et créent comme manières d’être, comme manières de faire. C’est ce que je demande aux chercheurs.
Je dis habiter, je devrais dire cohabiter, car il n’y a aucune manière d’habiter qui ne soit d’abord et avant tout “cohabiter”. Et je dis “répertorier” car c’est délibérément le projet le plus modeste auquel je me suis attelée, celui de m’en tenir à lister des “habitudes”, ce qui ne veut pas dire des routines, mais des inventions de vie et de pratiques qui attachent l’agir et le savoir à des lieux et à d’autres êtres. Enquêter à ce sujet, rejouer les évidences, décrire avec curiosité ce qu’habiter suscite comme mises en rapport et comme manières d’être “chez soi”. »

Croix de cendre
7.3
18.

Croix de cendre (2023)

Sortie : 16 août 2023. Roman

livre de Antoine Senanque

Chaiev a mis 5/10.

Annotation :

Mélanger aventures et considérations philosophico-théologiques dans un roman a déjà été tenté de nombreuses fois, sous de nombreuses forme, la plus frappante restant, pour de bonnes ou de mauvaises raison, « Le Nom de la rose » évidemment. Sur le papier moi je suis plutôt pour, j’aime bien les aventures et j’aime bien les prises de tête savantes (ici il s’agit de rien de moins que de Maitre Eckhart, ouais autant viser haut) – mais le souci c’est qu’il faut quand même arriver à concilier du presque inconciliable, être léger d’un côté et profond de l’autre, imaginatif et synthétique, impertinent et documenté.Et malheureusement (pour moi, hein, pas pour lui) j’ai pas trouvé que Senanque remplissait tous les critères avec le même bonheur. Documenté certes, synthétique oui, mais pour le reste ça m’a paru terriblement appliqué et surtout d’un classicisme absolument étouffant. C’est à dire qu’on comprend tout, qu’on prévoit tout, qu’on suit le chemin tracé sans jamais ressentir l’envie d’en sortir tant tout est cadré et explicite. C’est d’autant plus décevant que le noyau de l’affaire (le parallèle entre la peste et la dissidence) laissait promettre bien plus de choses, des choses échevelées, effrénées, passionnées et incohérentes.

Le Roman de Jeanne et Nathan
5.6
19.

Le Roman de Jeanne et Nathan (2023)

Sortie : 23 août 2023. Roman

livre de Clément Camar-Mercier

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Le début fait peur, un peu. Du Houellebecq écrit par Virginie Despentes, ou un truc comme ça, à coup de défonce et de gang bang : envie de faire dans l’hyper réaliste mais en étant hyper moderne, comprenez « avec distanciation ». Tout décrire dans le détail, parce que c’est comme ça que ça se passe, et rajouter par dessus un petit commentaire détaché façon « n’oubliez pas pour autant que vous êtes dans un roman ». Hyper moderne, mais pas hyper neuf, en somme. Une fois les deux éponymes descendu au fond du trou (non, c’est une image) voilà qu’ils se rencontrent et en ce qui me concerne c’est la partie qui m’a le plus accroché, parce qu’on oublie deux secondes la thèse en sociologie appliquée (solitude, addiction, société de consommation, mort du spirituel) pour suivre la fragile idylle des personnages. Mais c’est un répit de courte durée, avant de repartir pour un finale façon dystopie d’influence nettement gaspardnoesque, qui se résout en vingt pages (on ne sait pas si on doit s’en réjouir, c’est toujours ça de pris, mais ça fait quand même un peu bâclé) à la suite de quoi on nous rappelle une dernière fois, pour ceux qui auraient sauté des pages, que tout ça n’est qu’un roman. Étrange insistance qui n’a peut être pas tant pour vocation de rappeler son statut au lecteur que pour donner une fonction au romancier.

« Jeanne entrevoyait nettement le résumé de l’histoire : elle se droguait pour supporter son travail qui lui servait à payer sa drogue qui lui servait à supporter son travail. Clairement, quand le résumé de sa propre vie peut tenir dans une boucle répétitive si restreinte, il est probable qu’il y ait un problème.»

La Distance qui nous sépare
20.

La Distance qui nous sépare (2015)

Sortie : 31 août 2017 (France). Roman

livre de Renato Cisneros

Chaiev a mis 4/10.

Annotation :

Benoîtement, en lisant la quatrième de couverture, je me suis dit que ça devait être intéressant, un fils de salaud qui écrit sa lente prise de conscience et son nécessaire détachement vis à vis d’un tortionnaire engagé d’abord dans une dictature violente et inique, avant de lutter férocement contre le Sentier Lumineux une fois un semblant de démocratie revenue dans le pays. Le livre commence d’ailleurs de façon assez progressive, en relatant les antécédents familiaux de ce père hors norme, Luis Cisneros Vizquerra, ministre de l’intérieur sous Bermudez… jusque là on ne soupçonne rien. Quand suit la description des exactions et des prises de positions fascistes (le mec est quand même un ami indéfectible de Pinochet au Chili et de Videla en Argentine, excusez du peu) on se met même à plaindre un peu ce pauvre Renato, à se dire qu’il en faut du courage pour assumer une telle descendance. Ah ce qu’on peut-être naïf, tout de même, à toujours croire que l’éthique et le bien sont du côté des écrivains. Parce que non, en fait arrivé au milieu du livre, la vérité se fait jour : tout le texte n’est là que pour réhabiliter et honorer le Pater Familias, nous expliquer que ce qu’il a fait n’est pas si terrible (en chargeant au maximum, en passant, les membres des guérillas d’extrême-gauche), et finir par conclure que Luis avait beau être un papa sévère et envahissant, c’était quand même un sacré chouette papa. Bon, si on lit le texte comme un roman ça pourrait être assez touchant, ce personnage falot totalement bouffé par un monstre ordinaire, qui lui écrit un tel tombeau sans se rendre compte de son asservissement, mais là non, il s’agit d’une tragédie sans aucun écran fictionnel, et c’est glaçant.

La Voix sombre
6.4
21.

La Voix sombre

Sortie : 15 novembre 2015 (France). Récit

livre de Ryōko Sekiguchi

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Un peu curieux, se sentiment en refermant le livre. D’être resté en lisière, alors que les idées, les sensations, les intuitions qui le composent sont emplies d’une vraie présence, présence à soi et à son diapason intérieur. Oui, peut-être voilà c’est une question de résonance, la note est lancée, pure, fragile, mais s’évapore en quelque sorte avant de m’arriver. Tombe à plat. Pourquoi ? Peut-être est-ce trop long, ou trop court, ou trop éparpillé, ou mal trié. Peut-être simplement n’étais-je pas d’humeur à me laisser imprégner par ces bouquets, de fleurs fanées autant que de fusées.

«  Ou bien, le contraire de la présence ne serait pas l’absence, mais la disparition ? Parce que la présence règne tant que dure la vie, tandis qu’après la mort d’un être, ce n’est pas l’absence, état statique, qui nous saisit, mais la disparition, perpétuellement renouvelée ? Ce serait cela qui nous déchire et nous agresse : non un état, mais une action qui se répète à l’infini ? »

Sarah, Susanne et l'écrivain
7.1
22.

Sarah, Susanne et l'écrivain

Sortie : 17 août 2023 (France). Roman

livre de Éric Reinhardt

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

J’aurais du mal à ne pas reconnaître à Reinhardt une dextérité à la fois diabolique et assez modeste dans la façon dont il agence son exercice de style. Diabolique car il semble prendre plaisir à disséminer les pièges narratifs, et modeste car il les contourne sans trop de forfanterie, avec une candeur qui si elle est feinte peut-être n’en fait pas moins illusion. Et l’illusion est un peu l’invitée d’honneur du texte, puisqu’on le sait sans doute (je dis on, mais je devrais dire vous ou tu, en réalité) le roman est une sorte de work in progress entre une lectrice et un romancier à qui elle a confié son histoire pour qu’il en fasse une fiction. On ne lira donc pas directement le roman en question, mais une sorte de tableau synoptique fait par l’écrivain à la femme « réelle » pour lui expliquer ce que les faits qu’elle a traversé sont devenus une fois criblés par son imagination créatrice. Miroir dans le miroir, on l’imagine (tout est là, n’est-ce pas) qu’Éric promène le long d’un chemin non seulement chaotique mais surtout qui ne cesse de bifurquer pour aller, dixit, au même endroit. Le jeu est bien mené, certes, mais au fait en valait-il vraiment la chandelle ? Il m’est resté l’impression tenace, le livre se déroulant, que le dispositif mis en place était tout de même un peu forcé, comme ces parties qu’on ne continue que parce qu’on les a commencées, mais qui la nuit s’éternisant deviennent un peu poussives, même pour celui qui est en train de la remporter.

Les Années douces
7.6
23.

Les Années douces (2001)

Sensei no Kaban

Sortie : 27 mars 2003 (France). Roman

livre de Hiromi Kawakami

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Une très grande partie du livre se passe dans un de ces boui-bouis japonais, comme les épisodes de la série (tirée d'un manga) Midnight Diner. Unité de lieu et de temps qui réunit des personnages de façon aléatoire mais pas par hasard, dans un espace à la fois public et intime. Dans un roman, à la première personne qui plus est, le dispositif permet d'évacuer beaucoup de « comment » et de « où », pour se concentrer sur le « quoi » (laissant d'ailleurs aux lecteurs et lectrices le soin d'y rajouter des « pourquoi » s'il l'entend). Et le « quoi » retracé par la narratrice est des plus fragiles, des plus évanescents, et pourtant représente en même temps quelque chose d'éminemment vital et signifiant pour elle. Cette rencontre, ce cheminement, elle a beau les avoir déjà vécus au moment de nous le raconter, elle nous les présente à nouveau (nous les représente) comme si elle les vivaient – justement - au présent, sans encore savoir l'a-venir. Cheminement hésitant, trébuchant, entre tendre ivresse et triste pressentiment.

Le Magicien
24.

Le Magicien (1908)

The Magician

Sortie : 1938 (France). Roman

livre de Somerset Maugham

Chaiev a mis 3/10.

Annotation :

Maugham, en mondain de compétition, a croisé quelquefois le sulfureux Alisteir Crowley, à Paris j’imagine, et c’est là qu’il décide de planter le décor de son livre, prenant le mage sataniste comme modèle pour son personnage principal. Chouette chouette, c’était alléchant tout ça, mais bon inutile de tourner autour du pot, j’ai trouvé ça totalement nul (vu la note, pas la peine d'être devin pour s'en douter). L’histoire ne tient pas debout, les personnages n’ont aucun intérêt, c’est construit à la six-quatre-deux (on aurait préféré à la six-six-six en fait), et ça ne cherche même pas à être amusant. Malheureusement, car pour ça l’auteur est généralement délectable. Non non, rien à sauver, on dirait juste du Paul Bourget.

Les Grands Chemins
7.8
25.

Les Grands Chemins (1951)

Sortie : 16 mai 1951. Roman

livre de Jean Giono

Chaiev a mis 9/10.

Annotation :

Généralement, Giono réserve l’écriture à la première personne pour ses livres autobiographiques, il ne dit je que quand c’est lui le sujet qui parle, qui ressent ou se souvient. D’où le trouble à la lecture de ce roman où soudain un personnage prend la parole – il m’a fallu quelques pages d’ailleurs pour bien me convaincre qu’il s’agissait d’une fiction. Une fiction qui ne passera donc que par le truchement de ce étrange narrateur, qui semble particulièrement doué pour l’opacité : plus il se raconte, plus il cherche à comprendre ses réactions, et moins on parvient à mettre le doigt sur les choses qu’il traverse. Époustouflant travail d’écriture, tout au présent, fuyant et chatoyant. Le château de carte s’élève, tremble et fait trembler, fragile architecture belle de devoir bientôt s’écrouler. Giono pique ses phrases sur le tissu du réel, et écrit en passant une histoire d’amour hallucinée, hallucinante, avec la brutalité suave dont il a le secret.

« Ce qu’il joue me plaît beaucoup. J’ai l’impression que c’est moi qui parle. Je parle parfois de cette façon-là. J’en ai tout de suite agréablement, très gros sur le cœur. »

Journal russe
26.

Journal russe (1948)

(traduction Philippe Jaworski)

A Russian Journal

Sortie : 20 octobre 2022 (France). Journal & carnet

livre de John Steinbeck

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Il fallait pas mal de fougue et de courage pour décider, en 1947, d’aller voir de l’autre côté du rideau de fer fraîchement tombé comment vivaient les Russes. Steinbeck et Capa parviennent à convaincre le directeur du New York Herald Tribune de leur commander un reportage « in vivo » et les voilà parti pour un été entre Moscou, Kiev, Stalingrad et la Georgie, non pas pour enquêter sur la terreur stalinienne toujours plus ancrée dans ces années d’après guerre, mais pour relater le quotidien des soviétiques lambda. Cette séparation un peu forcée entre la vie et la politique qu’annonce le texte d’entrée de jeu n’a pas beaucoup de sens, car dans la Russie de Staline, le quotidien des gens c’est la politique, la peur, la délation, la coercition. De tout ça il n’en sera pas question, mais plutôt pour l’auteur humaniste de montrer qu’en pays socialiste un être humain reste un être humain. Plus les scènes racontées sont anodines et banales, plus il est question en sous main de dédiaboliser les images du Communiste qui hantent l’imaginaire des Étasuniens. Le Maccarthisme qui déferlera bientôt dans son pays montrera à quel point la belle idée de John n’aura servi à rien.

(NB : Gallimard se décide enfin, 75 ans plus tard, à rétablir la version intégrale du texte mutilé par Duhamel en en confiant la traduction à Jaworski. Et pour parfaire ce petit miracle, 69 photos de Capa viennent rythmer le journal et lui donner comme une part de mystère supplémentaire).

Les oiseaux s'envolent et les fleurs tombent
27.

Les oiseaux s'envolent et les fleurs tombent

Sortie : 1893 (France). Roman

livre de Élémir Bourges

Chaiev a mis 5/10.

Annotation :

Voilà plus de vingt ans que je voulais lire ce livre. A cause de son titre évidemment, je vous demande un peu ! Mais pas seulement : pour Elémir aussi, dont j’avais gouté les circonvolutions décadentistes de son Crépuscule des Dieux.
Résultat, une franche déception je dois l’avouer. Pas trop sur les talents stylistiques du bonhomme – il a le geste large, et des accents parfois noblement baudelairiens – mais sur l’étrange façon qu’il a de construire son roman. On dirait très fortement un dossier de travail où certains épisodes seraient encore atrocement trop longs (coupez, mon vieux, coupez) et d’autres simplement résumés. Si le début laisse l’espoir que le héros va nous entrainer dans la Commune de Paris, un coup de théâtre que seul Dumas pourrait faire passer lance le bouquin dans une Yougoslavie d’opérette et hop on se croirait chez Offenbach pour des menées politiques qui ne débouchent sur rien. Ou en tout cas rien d'autre qu’une errance désespérée qui annonce avec vingt ans d’avance les dernières heures de la Belle Epoque où tout un continent épuisé de plaisirs ou de misères ira se bruler dans un enfer patiemment préparé.

Chaque créature est un sépulcre insatiablement ouvert. La jeune vierge la plus suave exhale l’odeur des hécatombes. Le vieillard le plus vénéré apparaît peut-être aux yeux des Anges tel qu’un affreux caillot de sang, qui dégoutte de la tête aux pieds. La loi de nature est le meurtre : et l’Homme, ainsi qu’un miroir vivant, réfléchit cette loi, naïvement. C’est sur elle qu’il a modelé ses mœurs, ses conceptions, ses croyances ; cet Ananké de la matière lui a servi de prototype, pour édifier son monde moral… Jusqu’à Dieu même, Monseigneur, jusqu’au culte qu’il nous faut lui rendre, nous l’épelons dans ce Livre de mort. Que sont les anciens holocaustes, les cilices, les flagellations, sinon des souffrances subies, pour que le Moloch s’en réjouisse ? Et sur tous les autels de la chrétienté, chaque matin, symboliquement, n’immole-t-on pas le Fils au Père, comme la seule hostie digne d’un Dieu ? Partout, le meurtre, la violence, l’Até féroce aux ailes noires.

Carnets : 1933-1963
8
28.

Carnets : 1933-1963

Sortie : 1 novembre 1996 (France). Journal & carnet, Cinéma & télévision

livre de Yasujirō Ozu

Chaiev a mis 9/10 et le lit actuellement.

Annotation :

C’est à la fois complètement absurde et éminemment magnifique d’avoir osé sortir ce pavé. Absurde car il s’agit de carnets de notes finalement très intimes, qui frisent la plupart du temps avec le simple mémo : restaurants, cafés, menus, séances de cinéma, horaires d’un train, météo, sieste, travaux de jardins. A tel point que sur la centaine de films il n’y aura que trois tournages un tout petit peu relatés (surtout les nombres de prises, les décors, la présence de tel acteur, telle actrice). Et force est de constater sur trente ans à quel point Ozu mange, dort, boit (et boit, et boit), s’ennuie, va aux studios, revient des studios. De tout autre diariste, cette patiente recension serait insupportable d’ennui, de monotonie, de platitude. Oui mais voilà, pour les amoureux d’Ozu et de son cinéma si opaquement transparent, on a là tout d’un coup comme un gouffre qui s’ouvre. Une projection en relief, une ombre portée, une aura troublante, toutes les journées vides autour d’une œuvre si pleine. Il s’agit bien d’une ascèse, d’une expérience ultime, à savourer très lentement. Un combat personnel, pour accepter de ne pas y trouver ce qu’on venait y chercher, pour se dissoudre en tant que lecteur-désirant et se couler dans ce courant si lent, sans même pouvoir se dire qu’on répond à une invitation de l’auteur puisque celui-ci n’aurait jamais pu imaginer qu’on publie ces pages arrachées au temps qui passe. Ce qui se dessine là se dessine tout seul, aussi discret qu'un coup de vent sur une dune de sable. Un coup pour rien, qui sont si souvent les plus beaux.

Borgestein
29.

Borgestein (2012)

Sortie : 13 février 2014 (France). Roman

livre de Sergio Bizzio

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Bizzio est un petit malin, dans le bon sens du terme. Un petit malin bien décidé à explorer la dimension ludique du roman, celle qui permet de montrer les brèches que forment toutes fictions au sein de la réalité et toute réalité au sein des fictions. Jeu de miroir et de reflets donc, qui commence dès le titre (Borges comme un caillou dans la chaussure), mettant en avant non le héros à proprement parler, mais celui qui va le mettre en branle, le faire fuir (dans tous les sens du terme, psychanalyse oblige) et qu’on ne verra jamais, ou pas vraiment, ou dans le noir : un moteur de fiction de l’ordre du fantasme en somme, toujours présent et jamais là. Enzo quitte pour de bon sa femme, et sa ville, préférant se réfugier dans les tréfonds de la campagne argentine, surface faussement paisible sur laquelle va ricocher, spectrales, ses peurs et ses faiblesses, alors que devant sa maison nouvellement acquise résonne (et raisonne?) une cascade de plus en plus envahissante. L’auteur parvient à nous tricoter une sacrée couverture où s’allient l’humour, l’inquiétude, le malaise, la tendresse grâce à une arme joliment maniée : l’art du sous-entendu tendu.

« Le perroquet descendait en effet de plus en plus souvent sur le plan de travail pour mettre une patte dans la prise : il était désormais accro à l’électricité. Et il maîtrisait avec une grande dextérité le temps d’exposition : jamais plus de trois secondes. Les barbes des plumes, immédiatement enflammées, se dressaient, il tremblait et ses yeux semblaient tripler de volume tandis que sa langue pendait de son bec entrouvert. Quelques secondes plus tard, il retirait sa patte de la prise sans aucun problème, ses plumes se plaquaient de nouveau à son corps et ses yeux retrouvaient leur centre. Satisfait, il retournait sur son étagère, la langue pendante. Il n’y avait, je crois, rien à en dire, car chacun d’entre nous court après sa propre drogue. »

Mes amis
7.5
30.

Mes amis (1924)

Sortie : 1924 (France). Roman

livre de Emmanuel Bove

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Premier roman du jeune Bove (mort à 47 ans, il n’aura jamais eu l’occasion d’être vieux), Mes amis se propose de donner la parole à Victor Baton, un anti-héros par excellence : veule, pusillanime et valétudinaire. Le plus étonnant avec tout ça, c’est que le gusse parle autant (là où son double littéraire d’outre atlantique, Bartleby, ne fait que se taire) : moins il en fait et plus il commente, il n’est pas seulement le centre du texte mais aussi le centre de son attention et croit-il le centre du monde. C’est dans ce décalage jamais mis en avant autrement que par la voix du personnage derrière lequel s’efface si habilement l’auteur que réside l’humour du texte (à commencer par le titre, d’une ironie cinglante vue la solitude à laquelle est condamné Victor). Un humour désespéré bien sûr, lancinant, qui voyage main dans la main, sans le vouloir mais en l’acceptant (peut-on vraiment faire autrement?), avec la cruauté.

« Aussi je marche vite, discernant, dans un coup d’œil, des mottes de beurre striées par un fil, des paysages sur les couvercles de camembert et un filet sur les œufs, à cause des voleurs. »

Chaiev

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