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Notes de lecture

Notes de lectures diverses et variées, au fil de mes lectures suivant mes divers intérêts successifs — il est vrai, à la fois obsessionnels et instables. Ô que je n'aime la spécialisation... ! J'espère, cher lecteur, que cette liste vous sera au moins utile autant qu'à moi !

Liste de

56 livres

créee il y a plus de 2 ans · modifiée il y a environ 14 heures

L'Edda poétique
8.2

L'Edda poétique

Sortie : 15 janvier 1995 (France). Mythes & épopée

livre

Antrustion a mis 6/10.

Annotation :

Le titre est fort trompeur : il ne s'agit pas d'une édition de l'Edda poétique à proprement parler mais un mélange d'extraits de différents textes (dont on a du mal à savoir d'où ils viennent exactement) ordonnés thématiquement devant permettre un tour d'horizon de la littérature scandinave ancienne. Si on peut apprécier la qualité des textes en eux-mêmes, bien que l'ensemble soit assez décousu (bon courage pour la partie sur la légende de Sigurd), faute d'être restitués dans leur contexte matériel et, en outre, d'être édités en entier pour la plupart d'entre eux, on a du mal à savoir « quoi en faire », si je puis dire.

Quand notre monde est devenu chrétien
7.1

Quand notre monde est devenu chrétien

(312 - 394)

Sortie : 22 février 2007 (France). Essai, Histoire

livre de Paul Veyne

Antrustion a mis 8/10 et a écrit une critique.

Expériences coloniales

Expériences coloniales (1995)

La Nouvelle-Calédonie (1853-1920)

Sortie : 1995 (France). Histoire

livre de Isabelle Merle

Antrustion a mis 10/10 et a écrit une critique.

Résurgences

Résurgences (1986)

Mythe et littérature à l'âge du symbole (XIIe siècle)

Sortie : septembre 1986. Essai, Histoire, Littérature & linguistique

livre de Daniel Poirion

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Comme le souligne Daniel Poirion, l'écrit au Moyen Âge a été un moyen de transmettre de vieilles traditions orales populaires de toutes origines. Ce qui vaut aussi bien pour les mises à l'écrit des mythologies irlandaises, galloises ou islandaises (par Snorri Sturlurson pour cette dernière, par exemple) que pour les romans de chevalerie ou d'autres textes plus divers, comme les lais de Marie de France, transmettant dans une forme écrite moyenne (Béroul explique ainsi avoir harmonisé différentes versions qu'il avait pu recueillir du conte de Tristan et Yseult) d'anciens contes celtiques ou germaniques remontant du fond des âges. Dans un même ordre d'idées, et sur un même plan, plusieurs auteurs se sont efforcés de réadapter en langue vulgaire d'anciens textes latins ou grecs, comme Virgile ou Sophocle — phénomène qu'on retrouve jusqu'en Islande avec des textes comme la Saga des Romains. Le Moyen Âge s'est ainsi conçu comme l'héritier d'antiques traditions d'origines variées, aussi bien Celtes (Erec et Enide), Romaines (L'Enéide), Grecques (Œdipe) que Germaniques (La légende de Sigurd/Siegfried), sans établir de frontière imperméable entre littérature orale et écrite, populaire et élitaire. Les auteurs, cependant, ne cachaient pas leur désarroi face à des textes obscurs qui paraissaient évidemment avoir un sens profond mais insondable. Souvent, les motifs et les symboles tirés de ces vieux récits ont été réinterprétés à l'aune des enjeux de l'époque, comme la courtoisie ou la féodalité. Une vaste entreprise qui rappelle fortement celle des romantiques plusieurs siècles plus tard, ou même de Tolkien.

L'Ère des soulèvements

L'Ère des soulèvements (2021)

Émeutes et confinements. Les derniers soubresauts de la modernité

Sortie : 6 mai 2021. Essai, Politique & économie

livre de Michel Maffesoli

Antrustion a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Mythologie chrétienne

Mythologie chrétienne (2003)

Fêtes, rites et mythes du Moyen Âge

Sortie : 18 février 2003. Essai, Histoire, Littérature & linguistique

livre de Philippe Walter

Antrustion a mis 7/10.

Annotation :

En introduction, Philippe Walter cite la lettre d'un évêque à un missionnaire au Haut Moyen Âge dans laquelle le premier recommande au second de ne pas détruire les cultes mais de les christianiser pour convertir les païens. Considérer que les fêtes chrétiennes sont d'anciennes fêtes païennes ne relève donc pas de la pure spéculation théorique. Partant de ce principe, Ph. Walter a rassemblé de nombreuses données médiévales relatives aux grandes dates qui rythment le calendrier rituel celtique (mieux connu grâce aux sources irlandaises), tâchant de deviner les vestiges d'anciens mythes dans la culture populaire du Moyen Âge. Un travail monumental qui donne cependant l'impression de n'accoucher que d'un savoir bien maigre. Se dessine ainsi en négatif les contours très vagues d'un ancien culte tournant notamment autour d'un géant qui devait s'appeler... Gargantua ! (les différents « mont Gargan » en France se réfèrent au même personnage) Mais voilà à peu près tout ce qu'on peut savoir. Pour le reste, Ph. Walter use et abuse des méthodes interprétatives de l'histoire des religions tâchant de donner sens aux sources les plus muettes à partir d'un certain nombre de concepts archétypaux clefs (« fécondité » — qui s'applique vraisemblablement à tous les rites et à toutes les divinités —, « héros solaire » etc.), ce qui peut susciter un certain scepticisme, certains rapprochements paraissant en outre un peu gratuits. En conclusion : on sait qu'il y a quelque chose qu'on ne sait pas, ce qui n'est pas si négligeable, cela dit !

Le Principe de raison
7.8

Le Principe de raison (1957)

Der Satz vom Grund

Sortie : 1962 (France). Essai, Philosophie

livre de Martin Heidegger

Antrustion a mis 10/10.

Annotation :

Le texte regroupe un cours (!) et une conférence en forme de méditation sur deux passages clefs de la pensée moderne : d'abord, l'affirmation par Leibniz du « principe de raison » — « rien n'est sans raison » — puis l'institution de ce principe comme fondement de toute connaissance possible par Kant. En remontant l'histoire du mot raison, Heidegger montre les rapprochements qu'il établissait entre ses différents sens de cause, de rationalité et, celui-ci perdu, de comptabilité (ou de calculabilité). En conséquence, « rien n'est sans raison » au sens de « rien n'est sans cause » a glissé insensiblement avec Kant à « rien n'est connaissable en-dehors de la raison qui compte ». En instituant ce principe, Kant tâchait d'établir une distinction nette entre ce qu'il est possible de connaître et ce qui ne peut que relever de la croyance ou de la foi. Comme on le sait, on a préféré ce qui relevait de la première catégorie au détriment de la seconde. En conséquence, n'a été considéré comme véritable, et même comme réel, que ce qui était susceptible de répondre au principe de Raison, c'est-à-dire à la question : « Pourquoi ? » remontant toujours plus loin dans l'origine des causes, « si loin que [la science moderne] court le risque d'être un jour allée trop loin. » La raison qui compte devenant l'être de l'étant, toute la vie humaine est sommée de s'y soumettre, celle-ci n'étant plus jugée qu'à l'aune de son efficacité ou sa rentabilité. « L'homme d'aujourd'hui écoute constamment le principe de raison en ce sens qu'il est de plus en plus à ses ordres. » Cependant, le principe de raison souligne aussi la proximité évidente entre l'Être et la raison, en ce sens où celle-ci est une manifestation spontanée du premier. Mais la raison a fini par être le seul critère de l'être, appauvrissant notre conception du monde. « Nous disions que l'homme est l'animale rationale, mais cette définition épuise-t-elle l'essence de l'homme ? » Si la pensée rationaliste a mis en garde contre les aspects trompeurs des sens, Heidegger, plus que de la rejeter, met en garde contre un rationalisme qui, lui aussi, peut tromper, et plus sûrement qu'il est institué comme unique critère de la vérité.

Naissance de la nation France
8

Naissance de la nation France

Sortie : 12 septembre 1985 (France). Culture & société, Histoire, Essai

livre de Colette Beaune

Antrustion a mis 5/10.

Annotation :

Fleurs de lys, origines troyennes, saint Denis, langue, patriotisme... Colette Beaune s'emploie à délimiter et à décrire les principaux thèmes et motifs ayant contribué à la formation d'un sentiment national français à la fin du Moyen Âge. Mais, et c'est un défaut récurrent de l'histoire culturelle, le propos souffre d'être beaucoup trop descriptif, ne se bornant presque qu'à constater des faits culturels doctement rétablis dans leur apparition et leur développement chronologique. Chapitre après chapitre, le livre se développe ainsi sous la forme d'une longue liste d'auteurs et de sources généralement pas même introduits (après tout, tout le monde sait qui était Robert Blondel et Juvénal des Ursins !) Ce défaut est bien caractéristique d'une historiographie qui, ayant eu depuis le début du XXe siècle tendance à ne considérer les textes et leurs auteurs que comme des manifestations impersonnelles de « la société » de leur époque, ignore complètement toute dimension psychologique. Le style poussif et laborieux peine à soutenir cette longue énumération sans interprétation, sans analyse, sans réflexion, sans même la moindre démonstration, incapabe de pénétrer ni même de faire ressentir l'esprit de l'époque et les sentiments des hommes qui l'ont vécue. L'ouvrage demeure tout de même d'une grande érudition et, dans un cadre universitaire tout du moins, a cet intérêt d'offrir de bons résumés chronologiques des différents thèmes abordés, en plus de fournir les principales sources relatives. Une bonne base de travail, en somme, mais qui ne fait qu'à peine effleurer la surface de son sujet. Précisons peut-être que l'intérêt pour les aspects culturels, dans une historiographie dominée par l'économicisme marxiste et libéral, était encore neuf en 1985.

Forgerons et alchimistes
8.1

Forgerons et alchimistes (1956)

Sortie : 1995 (France). Essai, Culture & société

livre de Mircea Eliade

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Ce recueil d'articles réarrangé pour en assurer la cohérence permet à Mircea Eliade d'exposer ses principales thèses sur les rites et les croyances relatives à la métallurgie. Toujours selon son approche comparatiste, le savant roumain s'attache à rassembler et à décrire un ensemble cohérent de croyances concernant les métaux et les métiers de la forge à travers le monde avant d'étudier les traditions alchimiques européennes, indiennes et chinoises en en soulignant les similitudes. Se dégage ainsi un noyau de conceptions communes. Auréolé d'une forte dimension sacrée, les métaux ont été à l'origine conçus comme des organismes vivants qui, dans le sein de la terre, murissent jusqu'à leur forme achevée : l'or. Tout autre métal n'est donc qu'une étape intermédiaire dans ce processus de maturation qu'interrompt le mineur en extrayant la matière de sa matrice tellurique. Ce faisant, le forgeron qui façonne des alliages a pu être conçu comme participant du processus de génération de la nature en l'accélérant. L'alchimie serait née de cette idée : l'objectif de l'alchimiste est ainsi de trouver une méthode permettant de précipiter le processus naturel par lequel le plomb devient de l'or. Le but n'est nullement l'enrichissement personnel. Au contraire, la pratique de l'alchimie, qu'Eliade refuse de voir comme une simple chimie embryonnaire, ne se comprend qu'à l'aune de la mystique qui l'imprègne entièrement. En précipitant les processus naturels, l'alchimiste espère rajeunir le monde, faire revenir l'Âge d'or, voire abolir la mort et trouver la vie éternelle. Ces enjeux philanthropiques se conçoivent pour l'alchimiste comme une véritable conversion personnelle, un chemin spirituel nécessitant ascèse et pureté où le salut de l'âme est en jeu. En mentionnant brièvement les sectes alchimistes des XVIIe-XVIIIe siècle et les travaux alchimiques méconnus de Newton, Eliade évoque sans la résoudre la question du rôle de l'alchimie dans la formation des idéaux (et non pas seulement des pratiques) de la science moderne. Ce qui nourrit une des intuitions les plus stimulantes du livre : les pratiques industrielles métallurgiques comme les pratiques scientifiques de l'étude de la chimie naissent d'abord et avant tout de croyances qu'elles ne précèdent pas.

La Folie de Charles VI

La Folie de Charles VI

Sortie : 2004 (France). Histoire

livre de Bernard Guenée

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Charles VI, dont le règne personnel commence en 1388, était promis à un avenir radieux. Roi chevaleresque amoureux des plaisirs de la vie, son règne débute avec la paix enfin retrouvée avec les Anglais. Tandis que lui-même et Richard II d'Angleterre croient avec ferveur dans la paix, tous les espoirs sont permis. Allait-on reprendre le flambeau de la croisade et repousser l'Ottoman hors d'Europe ? Hélas, en 1392, dans la forêt du Mans, Charles VI sombre dans une folie qui ne le quittera plus, sauf par intermittences, jusqu'à sa mort en 1422. Les « absences » répétées du roi laissent son autorité affaiblie, tandis que les rivalités entre les princes s'exacerbent. Ceux-ci s'organisent en deux camps, autour de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne, d'un côté, et de Jean de Berry (oncle du roi) et de Bernard d'Armagnac, connétable de France, de l'autre. La guerre entre Armagnacs et Bourguignons commence et aboutira, avec l'alliance du duc de Bourgogne et du roi d'Angleterre, au traité de Troyes en 1420, cédant l'héritage de France au roi d'Angleterre. Se focalisant sur le sujet a priori anecdotique de la maladie du roi, Bernard Guenée donne à voir une vision presque « panoptique » de la société de l'époque. Traitant de sujets aussi variés que la sorcellerie, la médecine, le rapport entre le pouvoir et la religion, la justice (où l'on apprend que, contrairement à nos jours où l'on obéit aveuglément et avec zèle aux ordres les plus absurdes et les plus monstrueux, les officiers refusaient d'appliquer des sanctions prévues par la loi qu'ils jugeaient trop cruelles) et la mystique royale, l'historien, particulièrement soucieux des mentalités, montre l'importance historique de cette longue maladie et de ses implications. Qu'un roi « inutile », selon l'expression consacrée depuis la déposition du dernier roi mérovingien par le pape en 751, ait pu régner jusqu'à sa mort naturelle, tandis qu'on assassinait Richard II en Angleterre et qu'on complotait contre l'empereur en Bohême, voilà qui constitue une « exception française. » Charles VI fut appelé par le peuple « le Bien-Aimé », signe de l'amour profond qui liait alors les Français et leur protecteur, dont les souffrances, évoquant celles du Christ, touchaient la piété. Un livre d'une incroyable richesse, servi par un esprit subtil et alerte, d'une grande utilité pour comprendre cette époque méconnue.

Le Voile d'Isis
7.8

Le Voile d'Isis (2004)

Essai sur l'histoire de l'idée de nature

Sortie : mai 2008 (France). Essai, Histoire, Philosophie

livre de Pierre Hadot

Antrustion a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Les Disciples à Saïs - Hymnes à la nuit - Chants religieux
8

Les Disciples à Saïs - Hymnes à la nuit - Chants religieux (1802)

Die Lehrlinge zu Sais - Hymnen an die Nacht - Geistliche Liede

Sortie : 8 avril 1980 (France). Poésie

livre de Novalis

Antrustion a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Les quatre branches du Mabinogi
8

Les quatre branches du Mabinogi

et autres contes gallois du Moyen-Age

Sortie : octobre 1993 (France). Recueil de contes

livre de Pierre-Yves Lambert

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

« Assurancetourix, notre barde » : voilà une phrase dont nous n'entendons généralement pas le plein sens. Le barde, équivalent celtique du scalde ou de l'aède, était au même titre que le druide l'un des personnages de la société celte chargé d'assurer le lien entre les hommes et le sacré. Encadré par une institution rigoureuse, le barde, au terme de son apprentissage, devait connaître des centaines de textes par cœur, certains avoisinant la centaine de pages imprimées, et également être capable d'en composer lui-même de nouveaux. Au Moyen Âge, la tradition bardique a lentement décliné, le barde étant confiné au rôle de poète-musicien attaché à la cour d'un prince. Plusieurs contes hérités de cette tradition ont été mis par écrit au Pays de Galles au XIVe et au XVe siècle, dont le présent ouvrage offre une traduction française de quelques uns d'entre eux. Des textes qui se lisent avec un certain recueillement, comme toute cette antique littérature du Nord aussi mal connue qu'omniprésente dans notre imaginaire. Tout de suite, un univers entier s'éveille, que l'auteur évoque avec assurance, comme si le lecteur devait lui être familier. L'Autre Monde, quoique rarement évoqué, est omniprésent pour qui sait en déchiffrer les signes, et le roi Arthur ne rôde jamais loin. Le ton est sec, âpre, brut, mais certains contes ne sont malgré tout pas dénués d'humour — l'un d'eux, parfaitement absurde, aurait pu constituer une quête dans Dofus. Par fulgurances, la beauté austère de la nature transparaît, ainsi que les effluves oniriques de l'Âge d'or enfoui dans l'oubli des siècles. Curiosité intéressante, le recueil comprend aussi des adaptations galloises de trois des contes de Chrétien de Troyes (à moins qu'il ne s'agisse de textes puisant à la même source ? ou les deux à la fois ?) Les différents récits sont, malgré tout, de qualité assez inégale.

Poésie des troubadours

Poésie des troubadours (2009)

Sortie : 24 septembre 2009. Poésie

livre de Henri Gougaud

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

La pauvreté de l'édition de la poésie occitane du Moyen Âge central rend malheureusement bien peu honneur à ce courant artistique d'une importance fondamentale pour l'histoire de la culture française et européenne : c'est dans les cours du Midi que s'est constitué l'essentiel de la poétique et de l'art de vivre courtois qui ont servi de modèle au Moyen Âge tout entier, après son exportation dans les cours du Nord de la France, d'Angleterre et d'Allemagne. Ce petit recueil, agrémenté d'un commentaire passionnant, a au moins le mérite d'offrir un bref aperçu de la poésie des troubadours, hélas uniquement reproduite en français moderne. L'originalité profonde, étonnante et curieusement moderne de l'art des troubadours réside dans sa profonde foi en la liberté sexuelle, parée de vertus presque mystiques. « Maîtresse » entend à l'origine signifier que, dans le cadre des relations extra-conjugales, une femme devient maîtresse d'elle-même, qu'elle y acquiert une liberté qui l'affranchit des devoirs du mariage et, de ce fait, lui octroie la possibilité de se livrer sincèrement à un homme, dont elle devient ainsi l'égale. Or, pour les troubadours, c'est uniquement dans cette liberté et dans cette égalité des rapports que peut s'épanouir un amour authentique, dont le plaisir charnel est le cœur et l'apothéose, voire même l'acte par lequel on se rapproche au plus près du divin ou du sacré. Sont donc condamnés les femmes qui n'osent tromper leur mari si elles aiment un autre homme et les maris jaloux qui, s'ils étaient réellement courtois, accepteraient que leur épouse suive ses sentiments. Mais loin de faire l'unanimité, cette doctrine hautement sensualiste a immédiatement trouvé, parmi le clergé, des contradicteurs virulents. Après la croisade contre les Albigeois et l'institution de l'Inquisition, la répression de l'hérésie cathare (à laquelle il est possible que la doctrine des troubadours ait pu être liée, en tout cas chez certains auteurs) s'est accompagnée d'une volonté de moraliser les mœurs occitanes. Le Fin amor a progressivement été combattu avant d'être finalement officiellement condamné par l'évêque de Paris en 1277. L'amour courtois ne l'aura conservé que sous la forme plus sage (et raisonnable ?) de la célébration de l'amour conjugal, sans pour autant que les poètes aient cessé d'en questionner les limites, celles du mauvais mariage où, d'idylle, celui-ci devient un enfer pour l'un ou l'autre des époux...

La Transfiguration du politique

La Transfiguration du politique (1992)

Sortie : mars 1992. Essai

livre de Michel Maffesoli

Antrustion a mis 8/10 et a écrit une critique.

Discours sur le courage

Discours sur le courage (1808)

Sortie : 2018 (France). Philosophie

livre de Johann Gottlieb Fichte

Antrustion a mis 7/10.

Annotation :

La présente édition comprend le dernier des fameux Discours à la nation allemande qui ont valu à Fichte, pourtant grande figure de l'Aufklärung (les Lumières allemandes), une réputation sulfureuse outre-Rhin, pour les raisons quelque peu ridicules qu'on devine. C'est qu'il faut une certaine mauvaise foi, ou une sorte de savant alliage d'intellectualisme hors-sol et de zèle inquisitorial, pour faire de Fichte un « ultranationaliste » préfigurant inévitablement les « heures les plus sombres de notre histoire. » Fervent promoteur des Lumières, Fichte fut un grand admirateur de la Révolution française... jusqu'au jour où celle-ci, à coups de canon, voulut s'exporter en Allemagne. Face à l'occupation, Fichte entreprit d'éveiller la flamme patriotique chez ses compatriotes. Cette alliance du philosophe des Lumières et du nationaliste romantique n'est paradoxale qu'en vertu des reconstructions intellectuelles par le prisme desquelles nous interprétons notre époque. Pour Fichte, la France a échoué à concrétiser la Révolution et c'est aux Allemands de prendre la relève, après avoir terrassé le nouvel empire instauré en Europe. Dans cet appel vibrant au peuple allemand, Fichte tente de mobiliser les ressources perdues du courage : il s'agit rien de moins que d'ébranler ce siècle vieillissant et corrompu, de renouveler les temps et d'instaurer un nouvel Âge d'or gouverné par le droit et la raison. Puisque c'est bien la société qui est décadente, il est toujours possible de mobiliser au sein de la nature humaine les ressources du renouveau. Illusions que l'on pourra dire funestes ; il y a tout de même quelque chose de fascinant dans cette troisième voie, aujourd'hui oubliée, qui s'était dessinée à cette époque charnière qui n'a sans doute pas autant combattu qu'on ne l'a dit pour l'expansion de l'industrie et de l'intérêt mercantile. Au-delà de ces considérations historiques ou idéologiques, l'éditeur, François Bousquet, a sans doute raison de souligner le caractère universel d'un tel texte : face aux périls de l'histoire, quel peuple n'a jamais eu besoin de mobiliser un nouvel élan, un nouvel idéal dont il se ferait le porteur pour motiver le renouveau ? Comme l'indique Fichte, c'est ça ou disparaître.

L'Imagination symbolique
6.1

L'Imagination symbolique (1964)

Sortie : 27 octobre 2003 (France). Essai, Philosophie

livre de Gilbert Durand

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Gilbert Durand est connu pour avoir été le grand réhabilitateur de l'imaginaire en France, aspect de l'esprit humain que les lettres françaises ont particulièrement dénigré. Ce petit livre se veut une brève synthèse de ses travaux sous la forme d'un manifeste appelant à une nouvelle pensée réintégrant l'imaginaire et le symbolique à leur juste place. La pensée occidentale est en effet, d'après lui, victime d'un iconoclasme (un dénigrement de l'image comme fausseté) dont il retrace à gros traits l'histoire de l'Antiquité jusqu'à l'ère moderne. De Freud à Bachelard en passant par Jung et Cassirer, la même pensée rationaliste effectue ensuite comme un mouvement contraire où le symbole, d'abord abordé comme simple objet d'étude victime des ratiocinations propres au scientisme du XIXe siècle (chez Freud notamment), recouvre peu à peu sa dignité après la « découverte » par Jung de son importance dans l'économie psychologique de l'esprit humain. C'est ainsi par une double approche psychanalytique et anthropologique que G. Durand entend réhabiliter l'importance du symbolique. Reprenant Jung en le nuançant, le symbole est pour lui l'interface nécessaire entre un donné arbitraire et objectif (les conventions sociales, notamment, promouvant une vision symbolique du monde spécifique, à laquelle la science elle-même n'échappe pas) et le processus d'individuation par lequel la personne individuelle s'affirme. Le symbole suppose une libre interprétation perpétuelle, jamais résolue, toujours retrouvée, qu'il est impossible de figer définitivement. Dans cet espace d'interprétation où l'imagination et la rêverie jouent à plein, se loge une liberté nécessaire abolissant les limites imposées par la nature (la mort notamment) et les conventions sociales. Lieu d'épanouissement, de dépense, de l'esprit, des sens et de la poésie nécessaire non seulement à la vitalité des civilisations mais à la santé de l'esprit des individus. « Parce qu'il y a des sociétés sans chercheurs scientifiques, sans psychanalystes, des sociétés "non faustiennes", mais il n'y a pas de sociétés sans poètes, sans artistes, sans valeurs. » « Plus que jamais nous ressentons qu'une science sans conscience, c'est-à-dire sans affirmation mythique d'une Espérance marquerait le déclin définitif de nos civilisations. » A méditer.

La Polyphonie du monde

La Polyphonie du monde (2022)

Conversations avec Maxime Reynel

Sortie : 11 avril 2022. Philosophie

livre de Jean-François Gautier

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Personnage déroutant que Jean-François Gautier, mais ô combien passionnant ! Docteur en philosophie, disciple de Lucien Jerphagnon, on lui doit quelques ouvrages dédiés à des disciplines aussi variées que la musicologie, la philosophie politique, la cosmologie et... l'étiopatie, la science des rebouteux, tradition qu'il a étudiée à fond et qui, selon lui, doit être prise avec sérieux. Un trait qui souligne toute l'originalité du personnage habitué à penser hors des sentiers battus. On lui doit notamment des chroniques philosophiques aussi passionnantes que stimulantes dans la revue Éléments. Je me souviens tout particulièrement de l'une d'elles, offrant une approche des plus étranges du doute cartésien comme façon de repenser continuellement le monde depuis les yeux qui l'observent dans l'immédiateté d'une spatialité vécue concrètement. Approche dont on peut dire qu'elle anime toute la pensée développée dans cet ouvrage d'entretiens où, au fil des questions, le philosophe développe une réflexion critique sur l'être-là de l'homme européen moderne. Dans un perpétuel mouvement de va-et-vient, partant d'une angoisse ou d'une ferveur sensible de notre époque, il remonte aux questions les plus difficiles, les plus fondamentales, pour re-présenter ensuite dans leur plus simple nudité la nature de nos représentations philosophiques et scientifiques, apparaissant d'un coup bien souvent sans fondement plus solide qu'une simple habitude assurée par la répétition. Remettre les concepts à nu, ébranler nos idées toutes faites, voilà la ligne directrice de ces entretiens. La pensée occidentale est de longue date fondée sur un a priori monolâtre tendant à tout ramener à l'unité, négligeant les richesses de la polyphonie du monde. Et quelle manifestation plus aboutie de cette monolâtrie sinon le concept ? Derrière le concept, il n'y a souvent rien : il faut dépouiller la pensée de ces représentations inutiles qui ne nous aident en rien, sinon qu'elles obscurcissent les choses. Ainsi pour l'histoire, la civilisation et même le temps, préféré, dans une réflexion assez sibylline, à la notion d'espace. Respatialiser notre rapport au monde, voilà, selon J.-F. Gautier, un impératif pour l'homme européen perdu dans les flux sans amarres de la mondialisation et de l'hallucination technologique. Malheureusement, décédé en 2020, l'auteur n'aura pas eu l'opportunité de développer plus amplement la pensée que livre cet ouvrage trop court, si à tout le moins il en ait eu le désir.

Introduction à la métaphysique
7

Introduction à la métaphysique (1935)

Sortie : 1958 (France). Essai, Philosophie

livre de Martin Heidegger

Antrustion a mis 9/10.

Annotation :

Ce cours de 1935 est considéré comme un texte clé du « Tournant » par lequel Heidegger reformule un nouveau départ tenant compte de l'échec (selon lui) d'Être et temps, tout en prenant ses distances avec une métaphysique et un langage philosophique dans lesquels il voit une impasse. Il y formule sa fameuse thèse : la philosophie occidentale aurait, dès son origine grecque, oublié l'être, se perdant peu à peu dans une métaphysique conduisant au nihilisme de la modernité. Une lecture d'extraits de Parménide, d'Héraclite et de Sophocle permet de dégager une appréhension renouvelée de quelques concepts grecs, dégagés d'une tradition herméneutique qui comprenait les présocratiques par rapport à ce qui les a succédé, et non pour eux-mêmes. La phusis, avant de désigner l'ensemble de l'étant sous l'idée de nature, serait ainsi, chez Héraclite, littéralement l'éclosion, ce par quoi ce qui est se manifeste, apparaît : c'est-à-dire l'être. Par rapport à cet apparaître, la vérité est aléthéia, c'est-à-dire dévoilement ; elle est ce qu'on appréhende, ce qu'on rend manifeste à partir d'une latence, d'un substrat caché, voilé. Le logos est quant à lui ce qui maintient cet apparaître ensemble. L'acte par lequel l'être est appréhendé est la parole qui, en un sens actif (poétique), et non en tant que bavardage, s'efforce de retenir l'apparaître en tant qu'apparaître. En ce sens, logos a pu signifier « discours ». Pour Aristote, la vérité n'est plus qu'un effet de discours : la vérité est contenue dans la justesse d'un énoncé qui doit être logique, c'est-à-dire non-contradictoire. Quant à Platon, c'est toujours par rapport à l'apparaître de la phusis qu'il voit la vérité dans l'eidos, l'idée, qui voulait plutôt dire « visage », c'est-à-dire ce qui se présente à nous. Mais en prenant l'énoncé et l'apparition pour l'être, on a pris la conséquence pour la cause. L'être est oublié, ne subsiste que l'étant. Platon, pour donner une valeur qui assure cet étant, le comprend par rapport à l’Agathon, le bien suprême. Ce qui veut dire que la vérité est désormais conditionnée par le bien, et in fine par un point de vue subjectif. Ce qui vaut aussi pour Aristote : la vérité est le fait d'un énoncé produit par un sujet. Toute la tradition occidentale n'a fait que dérouler le fil de ces présupposés, dans une profusion de concepts dont Heidegger parvient assez bien à rendre le caractère finalement assez absurde, ou à tout le moins peu intuitif en-dehors du langage de cette tradition.

Les Druides
7.2

Les Druides (2006)

Des philosophes chez les Barbares

Sortie : septembre 2006. Essai, Histoire

livre de Jean-Louis Brunaux

Antrustion a mis 6/10.

Annotation :

Une lecture qui date un peu mais à l'aune d'une discussion récente il m'a semblé intéressant de reproduire quelques notes ici. C'est un livre très stimulant pour sa méthode : J.-L. Brunaux décortique la Guerre des Gaules de César pour montrer que l'essentiel du contenu « ethnologique » du texte est en fait repris d'un ouvrage (perdu) de Posidonios d'Apamée, écrit cinquante ans plus tôt au cours d'un voyage en Gaule. En combinant les observations propres à César et celles attribuées à Posidonios, J.-L. Brunaux tente de saisir une société gauloise déclinante mais en ébullition, de plus en plus tentée par la démocratie grecque. Pour l'archéologue, il est impératif de se passer d'a priori communs voulant qu'une société orale ou une société primitive soit « plus simple » que d'autres sociétés dites « plus évoluées ». En outre, il rejette les interprétations structuralistes qui tentent d'appliquer une structure sociale simpliste, posée a priori à partir de rien, sinon une théorie déterministe du progrès social, aux découvertes archéologiques. Selon lui, la Gaule est comparable au monde grec : divisée entre plusieurs cités-États où, d'après les témoignages latins ou grecs, les débats sur la nature d'une bonne Constitution sont vifs. La conscience de l'unité de l'ensemble gaulois, qui ne serait donc pas qu'une invention des latins ou des grecs, serait manifestée par la réunion annuelle des druides dans la forêt des Carnutes. Puisque les Grecs ont assimilé les druides aux philosophes, J.-L. Brunaux veut y voir des penseurs rationalistes, peut-être disciples de Pythagore comme l'a estimé un auteur grec. Leur grande invention serait d'avoir découvert l'existence... du bien et du mal. Promoteurs de la démocratie et de la raison, ils auraient initiés un irrésistible mouvement de progrès en Gaule. Ils n'auraient donc que peu à voir avec la religion et ne seraient qu'une invention strictement gauloise et récente. Pour écarter toute la littérature indo-européanisante d'inspiration dumézilienne, J.-L. Brunaux se contente d'affirmer que ces entreprises peuvent être soupçonnées de promouvoir une forme de nazisme, ou quelque chose comme ça. En outre, pour faire des druides des précurseurs de la Révolution française (presque explicitement avec l'idée d'y voir une expression du génie national français !), il est obligé de considérer que les druides de la littérature galloise et irlandaise ne sont que des inventions de moines ayant lu César... Original, à tout le moins.

La Société du Spectacle
7.3

La Société du Spectacle (1967)

Sortie : 1967 (France). Aphorismes & pensées, Essai, Politique & économie

livre de Guy Debord

Antrustion a mis 7/10 et a écrit une critique.

Le Système et le Chaos

Le Système et le Chaos (1973)

Sortie : 30 novembre 2012 (France). Essai, Écologie

livre de Bernard Charbonneau

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Ami de Jacques Ellul, Bernard Charbonneau est souvent présenté comme un précurseur de l'écologie politique. À la lecture de ce seul essai, « critique de la technique » me paraîtrait personnellement plus exact. Avec un style brillant, Charbonneau analyse et dénonce un système technicien dont la principale tare, selon lui, est de faire s'éteindre la liberté. La technique est d'abord un système sophistiqué de contraintes organisées en structures qui étouffent l'initiative individuelle ; la technique est elle-même légitimée et motivée par un idéal de rationalisation, d'objectivité, qui impose un type unique d'homme et de société auquel chaque individu est tenu de se conformer. Le modèle archétypique et le noyau historique de la technique, c'est l'armée : la société technicienne ne vise à rien d'autre qu'à enrégimenter la moindre parcelle de vie pour la contraindre à la réalisation d'un but ultime de domination objective. Reprenant les analyses de la Société du Spectacle (Guy Debord), Charbonneau s'emploie néanmoins à montrer l'écart du discours de perfection technique et de la piètre réalité de ses applications. La science est elle-même un discours prétendant dire l'ensemble du vrai alors que son champ est épistémologiquement limité par la nature de sa méthode. Il en découle que les promesses de la technique ne sont jamais totalement tenues : le résultat de ses applications demeure systématiquement en-deçà des espoirs de ses promoteurs. Ainsi donc la dialectique que Charbonneau décrit : chaque application technique créée un désordre nouveau qui, en retour, appelle de nouvelles applications techniques devant le résorber. La technique est essentiellement une volonté d'ordonner la vie dans un système afin d'en maîtriser les aspects imprévisibles. Mais la toute-puissance de la technique étant érigée en idéologie irréfutable, ses conséquences néfastes ne peuvent jamais être questionnées. Ainsi la fuite en avant que, faits concrets (et nationaux) à l'appui, Charbonneau s'emploie à décrire avec une ironie mordante. Il n'y a pas une phrase qui ne soit percutante. On comprend mieux le désastre qui se dénoue sous nos yeux, presque cinquante ans après.

De la connaissance historique
8.3

De la connaissance historique (1975)

Sortie : 1 novembre 1975. Essai, Culture & société, Histoire

livre de Henri-Irénée Marrou

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Après la bombe atomique, l'heure est au questionnement quant au bien-fondé de la science, ou, ici, quant au bien-fondé des fondements de la science. Mouvement de fond dans lequel s'inscrit H.- I. Marrou, dans cet essai publié en 1954, pour le cas particulier de l'histoire. Il s'oppose ainsi aux positivistes du XIXe siècle qui ont fondé l'histoire en tant que science visant à l'objectivité, au fait brut pur de toute interprétation. Reprenant les critiques de Heidegger, Marrou fait observer que la prétention à l'objectivité ne conduit en tout état de cause qu'à un subjectivisme masqué. Heidegger voulait proposer une alternative à la dualité objectif-subjectif, laquelle s'inscrit dans l'épistémologie posée par Descartes : l'objet est ce qui se tient en face du sujet pensant ; la vérité étant rendue manifeste par la raison du sujet, l'objet ne devient plus que l'instrument d'une raison raisonnante dont Nietzsche a montré le caractère volontariste. L'objectivité n'est en somme que le produit de la volonté du sujet pensant. L'« existentialisme » de Heidegger conçoit au contraire l'avènement de la vérité comme rapport au monde. C'est en tant que projeté-dans-le-monde que chaque personne est amenée à apprécier qualitativement le monde, mais non pas parce qu'elle le veut ainsi, mais parce que cette personne est ainsi qu'elle est en son intimité propre. Pour obscures que peuvent être ces considérations, Marrou en tire quelques conséquences pratiques pour l'historien : l'historien ne peut jamais atteindre pleinement la vérité de l'histoire, il ne fait que donner sa propre lecture des sources, et la confiance qu'il peut en avoir ne repose que sur un nécessaire acte de foi. Son investigation débute par une question posée aux documents, laquelle découle des questionnements propres à l'historien en sa qualité de personne humaine jetée dans le monde. Sans ce questionnement, les documents ne peuvent donner rien de plus que des faits sans valeur, incapables de dire quoi que ce soit de significatif. Assumer l'histoire comme questionnement d'un homme est la seule façon d'écrire une histoire pouvant faire sens. Il convient donc de garder à l'esprit que chaque travail historique est l'élaboration d'un questionnement propre à un individu en particulier, ce qui ne veut pas dire que ce travail est mensonger ou faux. Le reste ne tient qu'à une éthique d'honnêteté et de bonne foi — quoi d'étonnant que, profondément chrétien, Marrou laisse toute sa place au libre arbitre ?

Comment on écrit l'histoire
7.7

Comment on écrit l'histoire (1971)

Sortie : 1971. Essai, Histoire

livre de Paul Veyne

Antrustion a mis 7/10.

Annotation :

Publié en 1971, le premier livre de Paul Veyne rompt brutalement avec l'atmosphère scientiste qui régnait dans les milieux académiques. Alors que les historiens tentaient d'élever leur discipline au statut prestigieux de science (au motif que seule la science dit vrai), Veyne défend qu'une telle prétention n'a en réalité aucun sens. En effet, là où les sciences de la nature peuvent étudier des lois que l'on peut estimer toujours vraies, l'histoire appartient par définition au domaine de la non-répétition, du désordre ou, pour reprendre les mots de la philosophie classique, de l'accidentel, par opposition au domaine des essences. L'histoire a lieu dans le « sublunaire », non pas dans le ciel des Idées où, abstraites du caractère chaotique de la matière, les lois peuvent être toujours vraies. Ce postulat admis, le principe de méthodologie appliquée à l'histoire perd son sens — et Veyne observe bien que les historiens n'en utilisent en réalité aucune. L'histoire est avant tout un exercice du regard aiguisé par l'érudition et l'expérience : l'historien ne fait qu'observer les hommes et rendre compte de leurs actions. Pour ce faire, il doit cependant se contenter des traces qu'ils ont laissées, les fameuses sources de l'historien. Nécessairement fragmentaires, l'historien est contraint d'en faire une « synthèse » où les différents faits recueillis sont « expliqués » au cours d'une « intrigue », nécessaire aspect littéraire du travail historique qui en assure l'unité et l'intelligibilité. L'histoire n'est donc pas une science mais un art ; une activité poétique, qui, par les mots, rend les choses sensibles. Pour combler les silences des documents et enrichir l'explication, Veyne défend fort habilement une approche comparativiste qui, cependant, le conduit à une difficulté fondamentale. Postulant un nominalisme radical (tout est accidentel, tout est individuel), Veyne n'accorde aux concepts que la qualité de facilités de langage, certes nécessaires au progrès de l'étude historique. Pour autant, le comparativisme suppose en lui-même l'existence d'une régularité chez l'homme. Deux principes se posent donc simultanément : 1° l'homme a toujours été le même, 2° l'homme n'a jamais été toujours le même. Contradiction tout à fait cruciale et que Paul Veyne laisse sans doute avec raison dans le champ de l'indicible. Qu'est-ce que cette chose, par exemple, que la religion, qui n'a cessé d'être radicalement autre à elle-même et qui, pourtant, a toujours été la même chose ?

Œuvres de Maître Eckhart
8.5

Œuvres de Maître Eckhart

Sermons-traités

Sortie : décembre 1987 (France). Essai, Art de vivre & spiritualité

livre de Maître Eckhart

Antrustion a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Dire que Dieu est bon est une erreur, c'est se tromper sur Dieu. Dieu n'est pas bon car Dieu n'est pas de ce monde : il en est l'inverse, étant entendu que ce monde est l'inverse de la perfection qu'est Dieu. Mais le dire ainsi est déjà erroné. Dire que Dieu est bon ou qu'il est parfait, c'est lui attribuer des qualités emprisonnées dans le vécu de notre propre réalité. Dieu étant au-delà de cette réalité, il est donc également au-delà du langage : on ne peut parler de Dieu que négativement, c'est-à-dire qu'il se caractérise par la négation de ce qui est. Par rapport à notre vécu, Dieu est négation, il est le Néant. Rechercher Dieu, c'est donc rechercher le Néant, ainsi se justifie l'ascèse monastique pour ce grand hérétique allemand du début du XIVe siècle. Mais Dieu n'est pas seulement la négation des choses terrestres : il en est également l'origine, la « source », ainsi que l'exprime Maître Eckhart en un vocabulaire dont la simplicité magnifie la compréhension de ces questions si difficiles. Il faut donc en conclure que l'Être (en tant que source de toute chose) est également le Néant. Le fond de la réalité repose sur la contradiction ; ou, pour anticiper les philosophes de la Renaissance (dont Maître Eckhart est l'annonciateur génial), elle repose sur la coïncidence des opposés (Nicolas de Cues). Le langage est ainsi lui aussi une contradiction en soi : en les nommant, en les rendant sensibles, il amène les choses à l'être. Mais dans le même temps il ne les dit pas, il professe une erreur continuelle sur elles dans la mesure où, étant crées par Dieu, elles conservent en commun quelque chose de la nature de leur créateur : comme à propos de Dieu, on ne peut donc parler des choses que par la négation, ou mieux encore, par le silence. La meilleure façon de dire la vérité, c'est encore de ne rien dire du tout. En son panthéisme chrétien, Maître Eckhart professe le mépris du monde comme recherche du Néant en tant que qualité de Dieu mais on peut aussi le comprendre autrement. Car quel est ce Néant niché dans l'Être des choses qu'exprime le langage, sinon l'invisible qui constitue cet autre versant du visible ? Ou pour le dire avec Rilke : « Le chant au-dessus de la terre est fête sanctifiante. »

La Légende du roi Arthur : 550-1250
6

La Légende du roi Arthur : 550-1250

Sortie : novembre 2007 (France). Essai

livre de Martin Aurell

Antrustion a mis 5/10.

Annotation :

Cet ouvrage se propose de retracer la diffusion du légendaire arthurien entre 550 et 1250, bornes expliquées en trois parties : la genèse du mythe au Pays de Galles, sa diffusion sur le continent au XIIe siècle, et sa christianisation via les diverses continuations du Conte du Graal au XIIIe siècle. Historien, Martin Aurell entreprend une lecture « socio-historique » des textes dont il retrace la transmission. Cet aspect constitue le principal intérêt du livre, qui offre une synthèse remarquable de la diffusion du légendaire arthurien en ses différents textes. Quant à l'autre aspect, il peut susciter quelques réserves. L'approche consiste essentiellement à restituer le texte dans son contexte historique, en tentant de retrouver les motivations de l'auteur et ses diverses inspirations. Les auteurs de cette époque nous ayant généralement laissé rien de plus qu'un nom, la spéculation occupe une place considérable. Si la première partie, examinant la dimension patriotique du mythe celte, paraît tout à fait solide, le reste se dissout peu à peu dans la discussion d'hypothèses vagues et d'un intérêt assez relatif, si ce n'est pour expliquer (banalement) que la légende du Graal offre l'opportunité d'une christianisation du mythe arthurien. Les œuvres de Chrétien de Troyes sont ainsi lues pour connaître certains détails des mœurs de l'époque — mais pourquoi utiliser ces sources-là spécifiquement pour ça ? Un continent immense paraît oublié par l'étude : les textes eux-mêmes, leur matière, leur nature poétique. D'emblée, Aurell annonce que les interprétations comparativistes (J. Marx, J. Frappier, Ph. Walter) sont de toutes façons douteuses puisqu'on peut se demander si les écrivains médiévaux étaient eux-mêmes conscients des structures narratives qu'ils mettaient en œuvre. Certes, ce « structuralisme » cherchait effectivement à sonder l'inconscient des sociétés anciennes ! Dans l'ensemble, il manque à l'ouvrage un souffle, quelque chose qui ne laisse pas complètement inerte cette matière fabuleuse. Mais l'esprit souffle où il veut comme qui dirait. Se réclamant du positivisme, Aurell se créée après tout ses propres limites. Ainsi peut-il bavarder 700 pages sur la littérature sans prendre la peine de ne serait-ce amorcer une ébauche de phénoménologie de l'art ou de l'imaginaire. Mais ce livre n'a peut-être pas d'autre but que de dégoûter les rêveurs des légendes anciennes, de ne réduire ces dernières qu'à l'état de pages remplies d'encre, sans rien de plus.

Charles VII

Charles VII (2017)

Sortie : 20 avril 2017. Biographie, Histoire

livre de Philippe Contamine

Antrustion a mis 2/10.

Annotation :

Charles VII ! Le roi de Bourges, le Dauphin exclu de l'héritage du royaume de France à cause de la trahison du duc de Bourgogne avec les Anglais ! Le « gentil Dauphin » de Jeanne d'Arc grâce à laquelle il va, contre toute attente et en dépit d'un équilibre des forces largement défavorable, reconquérir le royaume pour finalement être sacré à Reims après des années d'exil... Philippe Contamine annonce d'emblée que tous ces évènements sont suffisamment connus et qu'il n'est pas besoin de les raconter — le lecteur aura donc acheté ce livre pour apprendre quelque chose qu'il savait déjà ! Sûr de ses longues années de recherche et de l'intérêt que son livre peut apporter à l'érudition, le bon vieux Philippe préfère citer in extenso un extrait de comptabilité avant de le commenter savamment... Le lecteur, transi d'ennui, aura abandonné à la vingtième page. C'est un bon travail universitaire, sans nul doute.

Julien dit l'Apostat
8.3

Julien dit l'Apostat (2008)

Histoire naturelle d'une famille sous le Bas-Empire

Sortie : avril 2008. Biographie, Histoire

livre de Lucien Jerphagnon

Antrustion a mis 8/10 et a écrit une critique.

La Survivance des Dieux antiques
7.1

La Survivance des Dieux antiques (1940)

Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l'humanisme et dans l'art de la Renaissance

Sortie : 9 novembre 2012 (France). Essai, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Jean Seznec

Antrustion a mis 8/10.

Annotation :

Publié en 1940 à Londres, le présent ouvrage s'intéresse à un fait de civilisation d'apparence si anodine qu'on n'en remarque pas même l'existence : la survivance des dieux de l'Antiquité tout au long du Moyen Âge jusqu'à la Renaissance, où se détermina définitivement leur apparence formelle jusqu'à nos jours. Il faut insister sur un point : c'est bien le Moyen Âge qui a transmis aux artistes et aux philosophes de la Renaissance les dieux païens, transmission que l'auteur se propose d'étudier, ramenant ensemble plusieurs disciplines éparpillées : iconographie, histoire des arts, histoire des idées, histoire des sciences, littérature... Le dieu antique est, d'après la doctrine ecclésiastique, perçu ou bien comme un héros divinisé par les hommes (c'est la thèse d'Evhémère) ou bien comme un démon pris à tort pour une puissance bénéfique (c'est la thèse d'Augustin). La question de leur existence réelle n'est donc pas exclue mais ce n'est pas cet aspect qui a le plus marqué les esprits du Moyen Âge et de la Renaissance. Au XIIe siècle, l'Ecole de Chartres voyait dans l'art poétique un effort du langage dans la saisie de la vérité : la poésie serait un mensonge vrai. Il devient ainsi possible d'exercer une lecture exégétique du mythe, cherchant derrière le symbole les vérités qui s'y cachent. Dans l'art symbolique qui s'épanouit avec le Roman de la Rose, les dieux païens tiennent leur place aux côtés d'autres personnifications, comme Raison, Amour, Nature, Noblesse, Bel Accueil etc... L'interprétation symbolique du mythe-poème trouve un second souffle dans le néoplatonisme de la Renaissance, tandis que l'étude des textes promue par l'humanisme aide à codifier une représentation distincte des dieux antiques. Dans les systèmes artistiques ou littéraires, les dieux forment presque un second panthéon, symbolisant les divers aspects du monde physique, ordonné et conduit par Dieu, ainsi que le font les dieux-astres de l'astrologie par ailleurs confondus avec ces derniers. Jean Seznec va plus loin, affirmant que certains artistes ou philosophes italiens étaient devenus authentiquement païens. A défaut, comme le notait à propos de ce livre Pierre Hadot, peut-être cette représentation polythéiste du divin témoigne-t-elle d'une nécessité d'expression pour l'esprit européen, en tout cas à ces époques.

Que ma joie demeure
7.7

Que ma joie demeure (1935)

Sortie : 1935 (France). Roman

livre de Jean Giono

Antrustion a mis 8/10 et a écrit une critique.

Antrustion

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