Le top 100 des plus beaux films français selon Les Inrockuptibles

Ce classement a été réalisé à partir de 18 classements individuels de critiques écrivant ou ayant écrit au service cinéma des Inrocks (on trouvera leurs noms à la fin). Il photographie donc le goût d’une bande (avec ses particularismes, ses goûts partagés…), déterminé par l’appartenance à une ...

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Liste de

97 films

créee il y a environ 10 ans · modifiée il y a plus d’un an

La Maman et la Putain
7.9
1.

La Maman et la Putain (1973)

3 h 40 min. Sortie : 17 mai 1973. Drame, Romance, Comédie

Film de Jean Eustache

David Mennessier a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Quand est-il devenu le plus beau film français de tous les temps ? L’engouement pour La Maman et la Putain fut immédiat, mais il passa d’abord pour celui d’une génération, celle qui avait fait Mai 68 et rentrait la tête basse dans sa chambre pour tenter de ne pas perdre la dernière des batailles : réinventer l’amour. Peine perdue. Au fil des décennies, le film est devenu de plus en plus compliqué à voir – une querelle d’ayants droit a sans cesse reporté son édition en DVD en France. Nul doute que cette rareté a amplifié le déploiement mythologique de La Maman... (Rareté relative néanmoins puisque le film est visible sur YouTube). De film d’une génération, il est devenu la quintessence de ce que peut le cinéma français en terme de fouille spéléologique des territoires les plus intimes. L’enfant de la Nouvelle Vague a fini par dépasser ses parents dans le cœur de plusieurs générations de cinéphiles. Alexandre, le garçon qui écoute Damia prostré dans sa chambre, fait de l’ombre à Antoine Doinel. Et Veronika la tragique arpente à jamais et en robe longue notre cinémathèque imaginaire.

Le Mépris
6.8
2.

Le Mépris (1963)

1 h 43 min. Sortie : 20 décembre 1963 (France). Drame, Romance

Film de Jean-Luc Godard

David Mennessier a mis 8/10.

Annotation :

A sa sortie, présence de BB oblige, le film fut un événement médiatique, mais un succès public insuffisant. Certes, plus d’un million d’entrées en France, c’était un bon score pour un Godard, mais un chiffre moyen pour un BB movie. Surtout, Le Mépris ne fut pas immédiatement considéré par le large cercle de ses adorateurs comme le sommet du grand œuvre godardien. Un peu trop psychologique et narratif pour la fan base, mais encore pas assez pour le grand public : Le Mépris a un peu tardé à trouver son aura de chef d’œuvre. Mais le temps a retourné en atouts ce qui semblait des faiblesses jusqu’à faire du Mépris le film de Godard que peuvent supporter les anti-Godard, mais qui finalement fascine aussi les grands godardiens. Normal : le film est sublime. Sublime comme Brigitte Bardot en 1963 (et c’est désormais comme si l’actrice n’avait tourné qu’un seul film). Comme Capri irradié de soleil par Raoul Coutard. Comme les cordes entêtantes de Georges Delerue. Comme un diagnostic de ce qu’est, en direct, le cinéma moderne du milieu du XXe siècle (la mort de la star, le scénariste en panne, le producteur déphasé…). Un film que, comme le corps nu de Bardot découpé en blason dès la première scène, on peut aimer par morceaux (et sa lumière, vous l’aimez sa lumière ? Et sa musique, vous l’aimez…? et son actrice…?), tout en l’aimant “totalement, tendrement, tragiquement”.

La Règle du jeu
7.7
3.

La Règle du jeu (1939)

1 h 50 min. Sortie : 8 juillet 1939. Comédie dramatique

Film de Jean Renoir

Annotation :

Le film fut un temps champion en titre de la catégorie meilleur film français de tous les temps. Evidemment pas depuis sa sortie à la veille de la Guerre, puisqu’il connut un échec cinglant et fut amputé par ses distributeurs. Le négatif ayant été perdu dans un bombardement, il fallut attendre 1958, tandis que sous l’influence de la jeune cinéphilie d’après-guerre, le film gagnait ses galons de chef d’œuvre maudit, pour que La Règle du jeu soit remonté de façon conforme aux vœux de Renoir. Bien sûr, dans certains cercles (cf. le classement de l’académie des César réalisé à la fin des années 70, celui initié par Canal + au début des années 90), on trouva longtemps des gens pour croire très sincèrement que le Meilleur film français de tous les temps était Les Enfants du Paradis de Marcel Carné. Ces temps semblent révolus et dans des Top 100 plus récents (celui de Time out, celui de Sight and sound…), La Règle du jeu a fini par mettre KO les arlequinades de Carné. C’est donc maintenant contre sa descendance (Godard, Eustache…) que Renoir doit se battre pour garder son titre de “patron”. Et sinon, le film est génial.

Madame de...
7.6
4.

Madame de... (1953)

1 h 40 min. Sortie : 16 septembre 1953. Drame, Romance

Film de Max Ophüls

Annotation :

“Rien ne serait arrivé, si ce n’est un bijou…”, nous dit le carton liminaire. Ce bijou, c’est une paire de boucles d’oreilles, qui va presque faire le tour du monde, passer de main en main jusqu’à revenir aux oreilles de celle qui avait voulu s’en défaire. Entretemps, le bijou a transcendé sa fonction de simple apparat social, ornement non investi d’affect, pour devenir l’objet transitionnel suprême, le fétiche ultime d’un amour absolu. Le petit cœur en diamant n’est que cristallisation. Dans les cristaux d’Ophuls, compositions tout en miroirs, cadres biseautés, plans multi-facettes, tout le monde tourne, la comédie chevauche sur le manège des faux-semblants. La vie et son reflet se confondent. Seul le Grand Amour peut faire voler en éclats la boule de verre. Mais le Grand Amour a la mort pour doublure. Nulle autre que l’étourdissante Danielle Darrieux ne pouvait camper une telle coquette métaphysique, passée de la grande valse du jeu social à la plus folle sublimation. Dans sublimation, il y a sublime.

Les Nuits de la pleine lune
7.2
5.

Les Nuits de la pleine lune (1984)

1 h 41 min. Sortie : 29 août 1984 (France). Comédie dramatique, Romance

Film de Éric Rohmer

Annotation :

Les Nuits de la pleine lune, c’est un peu le Mépris d’Eric Rohmer : le film que même les anti-rohmériens farouches peuvent accepter. Celui qu’on peut aisément aimer pour d’autres raisons que les grandes lignes de force du système Rohmer (voire malgré). Le film est appropriable par beaucoup d’entrées, à commencer par la nostalgie des années 80. Personne n’a su si bien encapsuler leur essence, leur glamour, les rendre désirables (merci à Jacno aux platines et Elli bord-cadres). Le récit est aussi un des plus précisément charpentés, un des mieux twistés de ce grand conteur de Rohmer. Et puis il y a les acteurs : Luchini dans son meilleur rôle (encore à des années-lumière de l’auto-guignolisation) ; Tcheky Karyo, qui apporte une puissance physique, une brutalité, assez exogènes ; et la plus belle étoile filante du cinéma français : Pascale Ogier. Une poignée de films (dont deux dans ce top 100), une disparition prématurée (à 26 ans, deux mois après la sortie de ces Nuits… qui lui valurent un Prix d’interprétation à Venise et une nomination aux César) puis l’adoration de jeunes filles qui voulurent lui ressembler (certaines sont devenues des actrices connues), l’amour pâmé des cinéphiles et l’émerveillement renouvelé de générations de spectateurs qui découvrent un jour son corps de brindille, sa voix en gouttelettes, ses yeux excavés et son allure – à jamais moderne.

Belle de jour
7.2
6.

Belle de jour (1967)

1 h 40 min. Sortie : 24 mai 1967. Drame, Romance

Film de Luis Buñuel

David Mennessier a mis 9/10.

Annotation :

Deux films de Buñuel figurent dans ce top 100 et tous deux appartiennent à l’œuvre tardive du cinéaste (L’âge d’or ne s’y trouve pas donc). Parmi les films français de la fin, écrit avec Jean-Claude Carrière, Belle de jour n’a pas cette tonalité de farce satirique qui fait la drôlerie tout en grincements de La Voie lactée, du Charme discret de la bourgeoisie ou du Fantôme de la liberté. L’humour n’y est pas absent, mais feutré. C’est le trouble qui domine. Celui d’une jeune femme qui entrevoit soudainement sa jouissance comme un précipice. Celui d’un cinéaste qui a trouvé le parfait modèle blond pour assouvir ses fantasmes hitchcockiens (un plan où Deneuve s’approche d’un œilleton se réfère explicitement à Psychose). Celui d’une actrice (Deneuve) qui rencontre le rôle de sa vie.

Les Demoiselles de Rochefort
7.1
7.

Les Demoiselles de Rochefort (1967)

2 h 05 min. Sortie : 8 mars 1967. Comédie dramatique, Comédie musicale, Romance

Film de Jacques Demy

David Mennessier a mis 9/10.

Annotation :

Peut-être le film le plus gai, le plus allègre, le plus illuminé de bonheur de toute l’histoire du cinéma français. Après avoir réussi l’impensable (un mélo pop entièrement chanté : Les Parapluies…), Jacques Demy catapulte la comédie musicale hollywoodienne en pleine Charente-Maritime. Dans un Rochefort arc-en-ciel, il mène allegretto un chassé-croisé amoureux extatique où chacun frôle sans cesse son idéal mais voit l’instant de la rencontre toujours différé. Si l’adjectif jubilatoire ne devait plus, suite à un arrêté de la police des mots dévalués, ne plus qualifier qu’une seule chose en ce monde, ce serait sans contestation possible, ce film.

Les Parapluies de Cherbourg
6.8
8.

Les Parapluies de Cherbourg (1964)

1 h 31 min. Sortie : 19 février 1964. Drame, Comédie musicale, Romance

Film de Jacques Demy

Annotation :

Jacques Demy est le seul cinéaste à placer deux films dans le top 10. Pour un total de 5 dans le top 100 (mais pas, de façon très injuste, Une chambre en ville !). Le film est une des deux Palmes d’or à se classer dans le top 100 (l’autre est beaucoup plus récente et beaucoup plus bas). C’est aussi un des deux films de ce classement à se composer en trois parties intitulées Le départ, L’absence, Le retour (mais celui-là est l’original). Un des trois films où des personnages avancent immobiles tractés par un chariot (mais c’est La Belle et la Bête le modèle). Et un des neuf films de ce top interprété par Catherine Deneuve, ce qui en fait l’actrice la plus classée (who else ?).

La Jetée
8.1
9.

La Jetée (1962)

28 min. Sortie : 16 février 1962. Drame, Romance, Science-fiction

Court-métrage de Chris Marker

David Mennessier a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Un des quatre moyen métrages de ce top 100. Un des deux films de Chris Marker. Le seul constitué (presque) uniquement d’images fixes (eh non ! Colloque de chiens de Raul Ruiz n’est pas classé – et c’est pourtant un beau film). La Jetée est un des films les plus adaptés, pillés, hommagés de l’histoire du cinéma, qui bien que fauché, arty et français a traumatisé Hollywood (de L’Armée des 12 singes à Looper). C’est aussi le premier à avoir cité et hommagé le film le plus cité et hommagé de l’histoire du cinéma : Vertigo d’Hitchcock. Un autre film absolu sur les boucles du temps. Chris Marker est décédé le 29 juillet 2012. Certains ont noté que c’était le jour de son anniversaire (de ses 91 ans). Mais personne n’a dit (à ma connaissance) qu’ainsi sa vie et sa mort formaient une boucle temporelle parfaite, que l’enfant et le vieillard se rejoignait ainsi à un instant T. Exactement comme en 1962, à Orly, sur la jetée.

Les Yeux sans visage
7.5
10.

Les Yeux sans visage (1960)

1 h 28 min. Sortie : 2 mars 1960. Drame, Épouvante-Horreur

Film de Georges Franju

Annotation :

Pour avoir filmé dans une forme documentaire le carnage quotidien des abattoirs parisiens (Le Sang des bêtes) ou les corps mutilés des rescapés de la guerre 14-18, Georges Franju savait que l’horreur n’était pas le grand Autre. Qu’elle se tenait tapie là toute proche. Et qu’on pouvait en France inventer un cinéma d’horreur délesté de toutes les ornementations baroques de la Hammer ou d’Hollywood. Un cinéma d’horreur tramé au réalisme et à la précision documentaire. En 1960, le film n’a pas tellement d’ascendance (si ce n’est fugitivement le souvenir de Feuillade). Sa descendance en revanche est sans fin – jusqu’à l’overdose de masques blancs – et son magnétisme ne cesse de croître.

Playtime
7.6
11.

Playtime (1967)

2 h 06 min. Sortie : 16 décembre 1967. Comédie

Film de Jacques Tati

David Mennessier a mis 9/10.

Annotation :

Un budget stratosphérique, un tournage étalé sur près de trois ans, un accueil critique mitigé et un échec public sévère dont son auteur ne se remettra jamais tout à fait : Playtime dispute avec Lola Montès le titre de plus grand film maudit de l’histoire. Avec le temps, et depuis sa somptueuse restauration en 2002, le film est devenu le plus apprécié de son auteur. Il parachève, avec une puissance formelle sans égale, une entreprise de documentation de la France entamée avec Jour de fête, qui voit un pays passer non sans couacs de la ruralité au futurisme.

L'Atalante
7.4
12.

L'Atalante (1934)

1 h 29 min. Sortie : 24 avril 1934. Comédie, Drame, Romance

Film de Jean Vigo

Annotation :

Le seul long métrage réalisé par Jean Vigo. Sorti l’année de sa disparition (à 29 ans). Et aussitôt mutilé par des producteurs déçus par son infructueux box-office. Il faut attendre le début des années 50 pour qu’Henri Langlois restaure le film et rétablisse la version de Vigo. Et voilà L’Atalante voguant sur le cours tranquille d’une postérité éternelle.

À nos amours
7.4
13.

À nos amours (1983)

1 h 39 min. Sortie : 16 novembre 1983. Drame, Romance

Film de Maurice Pialat

David Mennessier a mis 9/10.

Annotation :

“Avant t’en avais deux. Elle est partie où, l’autre ?” C’est la père de Suzanne qui dit ça à sa fille, une nuit, où ils se croisent par hasard dans la cuisine. Il parle de sa fossette. C’est aussi Maurice Pialat qui dit ça par surprise à sa comédienne et arrache à Sandrine Bonnaire un rire contenu qui irradie tout le plan. Un accident heureux, la vie saisie par surprise, un micro-miracle à la Pialat. Cette fossette qui s’en va sans qu’on l’ait vue partir, c’est le Rosebud du film. A la fin, quelque chose s’est évanoui mais nul ne sait très bien quoi. Un père, qui a quitté la maison. Beaucoup de garçons dans la vie de Suzanne. Probablement un certain état d’innocence. Une appartenance organique à ce clan meurtrier que constitue une famille aussi. Quelque chose est parti, manque sans qu’on puisse le nommer. Mais indubitablement, quelque chose est passé. La vie sans doute.

Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles
7.8
14.

Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975)

3 h 21 min. Sortie : 21 janvier 1976 (France). Drame

Film de Chantal Akerman

David Mennessier a mis 9/10.

Annotation :

Jeanne Dielman est une veuve entre deux âges, qui vit à Bruxelles, avec son fils de 17 ans. Le film décrit une cinquantaine d’heures du quotidien de cette femme, dont la vie s’organise comme un ballet mécanique de gestes domestiques. Jeanne Dielman fait la cuisine, met la table, sert son fils, dîne, débarrasse la table, fait la vaisselle, range la cuisine. Jeanne Dielman défait son lit, s’endort, refait son lit, se lave méthodiquement dans sa baignoire, s’habille, cire les chaussures de son fils. Et cela ad libitum, rien moins que trois heures vingt. Il suffisait de filmer ses actions dans une durée proche du temps réel pour enregistrer quelque chose de jamais vu : une construction sociale (la femme au foyer) qui ne tolère aucune extériorité, une aliénation consentie qui, si on en dérègle les procédures, aboutit à une catastrophe. Un film marque une date dans l’histoire du cinéma parce qu’il découvre de nouveaux territoires du filmable, parce qu’il songe à s’intéresser à des sujets que personne ne jugeait digne d’intérêt : préparer une escalope panée, peler des pommes de terre, se coiffer plusieurs minutes devant une glace, introduire un gant de toilette dans ses oreilles afin de les nettoyer. Autant de gestes découverts sur un écran pour la première fois dans Jeanne Dielman et qui, par la simple retranscription par les moyens du cinéma, donnent lieu à une véritable sidération. Géniale extension du domaine du filmable.

Pickpocket
7.2
15.

Pickpocket (1959)

1 h 16 min. Sortie : 16 décembre 1959. Policier, Drame

Film de Robert Bresson

David Mennessier a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Des six films dans le top 100 de Bresson, Pickpocket est le mieux classé. On ne se risquera pas à affirmer que c’est le plus grand. Ce n’est en tout ni le plus fou (L’Argent l’est d’avantage), ni le plus émouvant (moins que Mouchette, Le Procès de Jeanne d’Arc ou Au hasard Balthazar). C’est peut-être en revanche celui où la geste bressonienne, ses enjeux et ses effets, est la plus claire, la plus lisible. Pickpocket pourrait être le parfait objet de démonstration de la machine formelle Bresson, sa mécanique des corps et des gestes, son impressionnante entreprise de réduction du réel et sa fulgurante mise en rapport au métaphysique. Le dépouillement, au sens propre comme figuré, c’est le projet formel du film et son enjeu scénaristique. Les objets sont séparés de ceux qui les possèdent (montres, bijoux, argent). Les gestes sont séparés des corps (hallucinant ballet de mains en gros plan). L’image et le son fonctionnent sur le mode du contrepoint, parfois presque disjoints. Le film est un vaste principe de déconnection. Tout ce que le monde (ou le cinéma) donne dans l’illusion de l’unité sera ici défait, décomposé, analysé. Cette séparation faite système, c’est la condition pour qu’à la fin deux êtres soient réunis. Mais quel long chemin pour…

Cléo de 5 à 7
7.4
16.

Cléo de 5 à 7 (1962)

1 h 30 min. Sortie : 11 avril 1962. Comédie dramatique, Musique

Film de Agnès Varda

David Mennessier a mis 8/10.

Annotation :

Stefan Zweig isolait ving-quatre heures dans la vie d’une femme. Plus modeste, Agnès Varda n’en retient que deux. Mais plus ambitieuse aussi. Car ces deux heures sont passées au scanner du temps réel. Le temps de la fiction et celui de la projection feignent de se recouper. C’est en fait dans une image mentale du temps que le film nous projette, le temps interminable de l’attente d’un résultat médical, qui échappe à tous les métrages et les cadrans horaires. Fleuron de l’esthétique Nouvelle Vague (tournage en extérieur, souplesse des mouvements d’appareil, noir et blanc lumineux…), Cléo de 5 à 7 n’est pas seulement un grand film de son temps, mais aussi un des plus beaux films sur l’appréhension du temps.

Le Rayon vert
7.3
17.

Le Rayon vert (1986)

1 h 39 min. Sortie : 3 septembre 1986. Drame, Romance

Film de Éric Rohmer

Annotation :

C’est quoi le problème avec Delphine ? Ses copines sont bien en peine de répondre. Selon les communautés, le problème varie. Ici, on se désespère qu’elle ne trouve aucun mec, hypostase sur le précédent qui l’a largué il y a déjà deux ans. Là, on s’éberlue qu’elle ne mange pas de viande, préfère la salade, “parce que la salade, c’est léger, c’est aérien”. Le problème, c’est surtout celui des autres. Car de toutes les héroïnes des Comédies et proverbes, Delphine est un peu la préférée de son auteur. Là où Louise (Les Nuits de la pleine lune) était prise à son propre piège, là où Anne (La Femme de l’aviateur) et Sabine (Le Beau mariage) doivent composer avec les vicissitudes de l’existence, Delphine, donnée d’abord pour la plus loseuse de toute, se voit gratifiée d’un miracle. Le miracle (ce fameux rayon vert) est dans le film. Mais le miracle, c’est aussi le film. Avec Les Nuits de la pleine lune (84), Rohmer semblait avoir porté son système d’entrelacs d’intrigues, d’hyper maîtrise narrative et dialoguée, à son point de perfection absolue. Avec Le Rayon vert, il le pulvérise, court les plages de France avec une carte des marées en guise de scénario, ouvre son système au contingent et à l’impro, et touche à nouveau au sublime, mais par des chemins pour lui inédits.

La Belle et la Bête
7.6
18.

La Belle et la Bête (1946)

1 h 36 min. Sortie : 29 octobre 1946. Drame, Fantastique, Romance

Film de Jean Cocteau

Annotation :

Loin devant Pagnol, Guitry et Duras (tandis que ni Beckett, ni Genet, ni Robbe-Grillet, ni même Bernard-Henri Lévy ne sont représentés), Cocteau est donc le mieux classé des écrivains-grands cinéastes, spécificité très française. N’en déplaise à Vincent Cassel (qui déclarait en plein dérapage promo trouver la version de Cocteau lente et ennuyeuse), on ne s’ est jamais complètement remis des bras-chandeliers perforant des murs (des glory holes ?), des regards-caméras de statues, des noirs d’encre de Henri Alekan, de la majesté léonine de Jean Marais et de la nuance de perversité narquoise sur le visage de la belle, lorsque la bête métamorphosée en prince lui dit qu’elle n’a plus de raison d’avoir peur maintenant : “Mais j’aime avoir peur”.

La Femme d'à côté
7
19.

La Femme d'à côté (1981)

1 h 46 min. Sortie : 30 septembre 1981. Drame, Romance

Film de François Truffaut

Annotation :

Certains films sont faits pour être fredonnés. Leurs mots tournent dans les têtes comme des ritournelles. “Ni avec toi, ni sans toi.” “Pour être aimé, il faut être aimable, et moi je suis bonne à rien.” “Tu sais ce que c’est toi, le chagrin?” Ultime développement de la vision truffaldienne de l’amour comme toxicomanie, La Femme d’à coté est une chanson. Une chanson d’amour. “A la radio, je n’écoute pas les nouvelles. Je n’écoute que les chansons. Parce qu’elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies. D’ailleurs, elles ne sont pas bêtes. Elles disent ‘Ne me quitte pas, ton absence a brisé ma vie ou Je suis une maison vide sans toi, laisse moi devenir l’ombre de ton ombre ou sans amour on n’est rien du tout’”. Et c’est Fanny Ardant, au plus exaltée d’elle-même, qui le dit.

Hiroshima mon amour
7.2
20.

Hiroshima mon amour (1959)

1 h 30 min. Sortie : 10 juin 1959. Drame, Romance

Film de Alain Resnais

Annotation :

Un peu en dessous de L’Atalante, au-dessus d’A Bout de souffle et des 400 coups, Hiroshima compte en tout cas parmi les quelques chefs-d’œuvre du cinéma français qui sont aussi des premiers longs métrages. 55 ans séparent ce premier long d’Aimer, boire et chanter, à sortir fin mars, et dont on a appris avec tristesse qu’il restera le dernier film d’Alain Resnais. Dans Hiroshima, on psalmodiait “Tu n’as rien vu a Hiroshima”. Le précédent s’intitulait Vous n’avez encore rien vu. Dès Nuit et Brouillard, l’œuvre jetait une terrible suspicion sur la nature du visible. Le moment est parfaitement choisi pour retourner y voir.

Céline et Julie vont en bateau
7.3
21.

Céline et Julie vont en bateau (1974)

3 h 13 min. Sortie : 18 septembre 1974. Comédie dramatique, Fantastique

Film de Jacques Rivette

Annotation :

Le mieux classé des quatre Rivette du top 100. Probablement le plus immédiatement réjouissant, où l’utopie de film permanent, sans début ni fin, le jeu aux confins de l’informe, du pur lâcher prise narratif (culminant dans Out 1) est à la fois flamboyant et domestiqué dans une forme de comédie entre screwball, Lewis Carroll et Henri James version drag-queen. C’est peut-être le cinéma indépendant américain, de Recherche Susan désespérément (deux filles et des tours de magie) à Mulholland Drive (deux filles mènent l’enquête), qui s’est le plus souvent embarqué sur le même bateau que Céline et Julie. A bord, c’est toujours le chahut et on tangue joyeusement dans ses roulis gracieux.

Notons que le film est un des cinq de ce top 100 traversés par la présence olympienne et la crinière léonine du grand Jean Douchet (à quand l’intégrale à la Cinémathèque française de son œuvre de comédien – trop souvent éclipsée par celle du critique ?). Ci-joint un trailer non officiel et reboosté electro par un fan inspiré.

L'Inconnu du lac
6.5
22.

L'Inconnu du lac (2013)

1 h 40 min. Sortie : 12 juin 2013 (France). Drame, Thriller, Érotique

Film de Alain Guiraudie

David Mennessier a mis 7/10.

Annotation :

Un dernier plan sur un personnage désemparé qui court dans la campagne en hurlant “Michel !”… La petite Brigitte Fossey dans Jeux interdits de René Clément ? Oui absolument, mais aussi (inattendue coïncidence !) le délicat Pierre Deladonchamps dans un des deux films de 2013 du classement. C’est à d’autres jeux interdits que se livrent les gars de L’Inconnu du lac, l’ébouriffant thriller naturiste d’Alain Guiraudie. Même s’il s’agit à nouveau de jouer avec la mort. Douze ans après son dernier film court, Ce vieux rêve qui bouge, le second chef d’œuvre d’Alain Guiraudie et d’ores et déjà un classique.

Lola Montès
7.1
23.

Lola Montès (1955)

1 h 56 min. Sortie : 23 décembre 1955 (France). Biopic, Drame, Romance

Film de Max Ophüls

Annotation :

Sur Lola Montès pèsent depuis presque soixante ans de terribles soupçons. Le film aurait à la fois contribué à la mort de son auteur (Ophuls disparaît certes de maladie, mais dit-on miné par le chagrin, un an et demi après la catastrophe commerciale) et brisé la carrière de son actrice principale (Martine Carol, reine du box-office début fifties, engloutie par le naufrage Lola Montès, et maintenue sous l’eau par le tsunami Bardot l’année suivante). Le storytelling autour du film, son aura de chef-d’œuvre maudit et meurtrier, n’est pas pour rien dans le mythe Lola Montès. Moins parfaitement gracieux que Madame de, le film est un des plus baroques que le cinéma français ait jamais conçu, barnum pré-fellinien, faisant s’entrechoquer dans la plus grande fureur le romanesque de la vie et les arabesques de la représentation.

Loulou
6.9
24.

Loulou (1980)

1 h 50 min. Sortie : 3 septembre 1980. Drame, Romance

Film de Maurice Pialat

Annotation :

Ils incarnent l’un et l’autre un certain génie de l’art de l’acteur. Ils ont porté (et portent encore – enfin, surtout elle) le meilleur du cinéma français sur leurs épaules. Et pourtant, étrangement, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert ne classent chacun que deux films dans ce top 100 (un score très en deçà de ceux de par exemple Belmondo, Piccoli, Seyrig, Bulle Ogier, Deneuve, Lonsdale ou Léaud). L’un de ces deux films classés pour chacun est Loulou, la première rencontre Pialat/Depardieu, la deuxième (après Les Valseuses) et étrangement dernière entre Depardieu et Huppert. Une jeune femme quitte un homme bourgeois et aisé pour un “loulou” sans profession. Le film, vraiment très ténu dans son récit, n’a pas grand-chose de plus à raconter. Il préfère proposer du partage, du temps commun, de la mise en présence. Tout flotte dans Loulou, mais la vie est là.

Les Hautes Solitudes
6.7
25.

Les Hautes Solitudes (1974)

1 h 20 min. Sortie : 15 décembre 1974 (France). Biopic, Expérimental

Documentaire de Philippe Garrel

Annotation :

Un des deux seuls films muets de ce classement, avec Les Vampires de Feuillade. Celui-ci a pourtant été réalisé anachroniquement au mitan des années 70, à une époque, où le cinéma parlait pourtant tout le temps et où Garrel jugea bon de lui réinjecter un peu de silence. Même les couleurs font trop de bruit. Silence et noir et blanc pour ne plus regarder qu’un seul visage, celui d’une star déchue de 40 ans, Jean Seberg quinze ans après A bout de souffle, aux prises avec l’alcool, la peur, la solitude, la camisole chimique et la démence. En une heure quinze de gros plans presque exclusifs, une vie entière affleure à la surface d’un visage. Trente-quatre ans plus tard, Garrel racontera (recomposées par la fiction) les coulisses de cette saisissante expérience de scan existentiel dans La Frontière de l’aube (2008).

À bout de souffle
7.2
26.

À bout de souffle (1960)

1 h 30 min. Sortie : 16 mars 1960. Policier, Drame

Film de Jean-Luc Godard

David Mennessier a mis 9/10.

Annotation :

26e, cela peut sembler une place un peu chiche pour un film généralement considéré comme l’exact point de bascule entre l’âge classique du cinéma français et son âge moderne. Avec ces jump cut abrupts, son travelling en caddie, ses accidents lumineux, ses faux raccord, ses adresses goguenardes à la caméra et sa gestion fantaisiste du récit, le film reste une révolution stylistique inouïe. Sa nature de série B, même hydrocutée dans les courants les plus vifs de la modernité, en fait un film peut-être moins fascinant, moins inépuisable, que d’autres de Godard (comme celui qui, par exemple, s’est hissé dans le top 3). Date absolue dans l’histoire du cinéma, A Bout de souffle ne pose pas au grand film, est exempt de toute forme de monumentalité. A la fois film génial et petit film, c’est toute sa force paradoxale.

Out 1
8.2
27.

Out 1 (1971)

12 h 29 min. Sortie : 18 novembre 2015 (France). Comédie dramatique

Film de Jacques Rivette et Suzanne Schiffman

Annotation :

Comment voir Out 1, film à échelle inhumaine ? Comment dégager les 12 heures et 40 minutes que nécessite sa vision ? Certains ont pu le voir en salle, tout un après-midi durant et jusqu’au milieu de la nuit. La télévision a préféré le découper en 8 épisodes, ce qui sied assez bien à sa nature de sérial de Feuillade version hippie. Ceux qui ont pu se procurer en DVD pirate ce film rarissime peuvent vivre avec le film, en visionner en boucle certains passages hypnotiques. Le film est fait pour engloutir son spectateur, pour ne pas le laisser en sortir. Son argument est inspiré de L’Histoire des Treize de Balzac. Il y est question de conspiration et de société secrète. Il faut huit ou neuf heures de récit erratique pour qu’un sens se dessine, qu’on comprenne au détour d’un échange entre Fabian et Lonsdale, que le motif du film, tellement dilaté qu’il en devient difficilement déchiffrable, c’est Mai 68 comme révolution ratée. Mais il n’y au fond pas d’autre sujet au sublime Out 1 que sa durée. Le temps s’y fait matière et on s’enlise avec délectation dans ses folles excroissances.

Femmes, femmes
7.1
28.

Femmes, femmes (1974)

1 h 55 min. Sortie : 27 novembre 1974 (France). Comédie dramatique

Film de Paul Vecchiali

Annotation :

Lorsque Femmes, femmes est sorti en 1974, beaucoup de critiques en soulignèrent l’inactualité. Dans un appartement parisien du XIVe, dont les fenêtres plongent sur le cimetière Montparnasse, deux femmes entre deux âges se jouent toute la journée la comédie. Des images découpées dans des magazines de stars des années 30 (Garbo, Dietrich, Crawford, Darrieux, Morgan) tapissent les murs et semblent observer l’étrange manège de ces deux marginales mi-clochardes, mi-aristos. Inactuel, le film l’est forcément puisqu’il aspire le spectateur dans une faille, un espace-temps séparé, celui du monde chimérique que se sont construit ces deux Marie-Chantal alcooliques qui ne vivent que pour faire des (belles) manières. Le film est un peu un anti-Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (Aldrich, 1962). Le vieillissement des actrices et le ratage des carrières ne deviennent jamais une soupe à l’amertume que le cinéaste touille avec cruauté. Au contraire, les rêveries à voix haute, les minauderies extatiques ouvrent sur un espace infini, un labyrinthe imaginaire où la vie et son reflet échangent leurs propriétés jusqu’à se confondre.

Shoah
8
29.

Shoah (1985)

9 h 26 min. Sortie : 30 avril 1985 (France). Historique, Guerre

Documentaire de Claude Lanzmann

David Mennessier a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Trente ans après Nuit et brouillard, Claude Lanzmann refond entièrement l’appréhension cinématographique de la Solution finale. Aucune image d’archive des camps, pas de voix off ni de commentaire explicatifs. Juste la littéralité des lieux aux présent, où les stigmates de ce qui s’est joué s’effacent. Et la parole de ceux qui furent les acteurs de cet infernal théâtre où quelque chose de l’humanité s’est rompu. Plus de neuf heures, c’est le temps nécessaire pour que les images désertées par les faits et les mots arrachés au refoulement (celui des victimes, mais plus encore celui des bourreaux) peu à peu coïncident et fabriquent une image. Une image qui n’est pas sur l’écran, qui transcende toutes les procédures figuratives de la représentation. Une image qui, pour être seulement invoquée, n’en est pas moins terrassante.

Les Deux Anglaises et le Continent
6.8
30.

Les Deux Anglaises et le Continent (1971)

2 h 10 min. Sortie : 18 novembre 1971 (France). Romance, Drame

Film de François Truffaut

Annotation :

Dix ans après le succès international de Jules et Jim, François Truffaut revient à l’œuvre de Henri-Pierre Roché. Mais cette fois le succès n’est pas au rendez-vous. Mal aimé à sa sortie, le film est amputé de supposées longueurs. Et il faudra plus de treize ans pour que Truffaut établisse un director’s cut de 2h10. Sortie début 85, ce nouveau montage sera la dernière œuvre du cinéaste, disparu quelque mois avant sa sortie. C’est peu dire que le film est un des plus vibrants et fiévreux de son auteur (un seul autre se trouve en plus haute position dans ce top 100). Le tumulte romanesque truffaldien atteint son point de perfection épurée. Dans un plan de draps souillés de sang d’Esther Kahn (Desplechin, 2000), ou des lettres lues face caméra par leurs auteurs chez Pascale Ferran (Lady Chatterley, 2006) ou encore Desplechin (Maurice Garrel dans Rois et reine, 2004), on mesurera l’influence déterminante de ces belles Anglaises sur une certaine veine du cinéma français des années 2000

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