Cover Citations en vrac

Citations en vrac

[LISTE EN PERPÉTUELLE CONSTRUCTION]

Recensement non-exhaustif de citations issues de livres que j'ai lues.
Descriptions particulièrement savoureuses, aphorismes, tournures de phrases bien senties ou tout simplement passages qui m'ont marqués pour je ne sais quelles raisons sont ...

Afficher plus

Liste de

319 livres

créee il y a plus de 6 ans · modifiée il y a 1 jour

Le Roi des Aulnes
7.8

Le Roi des Aulnes (1970)

Sortie : 1970 (France). Roman

livre de Michel Tournier

Fat_Old_Sun a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"Il n'y a sans doute rien de plus émouvant dans une vie d'homme que la découverte fortuite de la perversion à laquelle il est voué."

"Le désespoir se donne irrésistiblement comme seule réponse authentique au non-sens de la vie. Toute autre attitude - passée ou future - paraît relever de l'ébriété. La vie n'est tolérable qu'en état d'ébriété. Ébriété alcoolique, amoureuse, religieuse. Créature du néant, l'homme ne peut affronter l'inconcevable tribulation qui lui advient - ces quelques années d'être - qu'en se saoulant la gueule."

"Mais si, comme il est plus probable, l'Allemagne victorieuse cimente ses conquêtes avec les cadavres de plusieurs générations de jeunes hommes, alors opposons les avantages d'une défaite confortable aux honneurs d'une victoire meurtrière. Pendant que les derniers allemands valides veilleront sur les confins du grand Reich millénaire, nous fertiliserons sa terre et ses femmes de notre sueur et de notre semence."

"La pureté est l'inversion maligne de l'innocence. L'innocence est l'amour de l'être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l'alternative pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et comme native, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l'inverse : la pureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l'homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état complètement contre nature. L'homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l'instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l'enfer."

"Cette musique triste et obsédante, le piétinement sourd des légions en marche, les travées régulièrement soulevées par la même houle, les étendards à croix gammées qui se caressent soyeusement sous la brise - tout ce rituel d'envoûtement agit en profondeur sur leur système nerveux, et paralyse leur libre arbitre. Une douceur mortelle les prend aux tripes, mouille leur regard, les immobilise par une fascination exquise et vénéneuse qui s'appelle : le patriotisme. Ein volk, ein Reich, ein Führer."

La Goutte d'or
7.3

La Goutte d'or (1986)

Sortie : 3 janvier 1986. Roman

livre de Michel Tournier

Fat_Old_Sun a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"Les mères de Tabelbala négligent volontairement leurs bébés, et les maintiennent dans un certain état de saleté pour qu'ils n'excitent pas l'admiration à un âge particulièrement vulnérable. L'homme qui exhibe le couteau flambant neuf qu'il vient d'acquérir a toutes les chances de se couper dès qu'il s'en servira. La nourrice étalant une poitrine plantureuse, la chèvre d'une fécondité ostentatoire, le palmier à la floraison opulente s'exposent aux coups de soleil dont le pouvoir tarit, stérilise, dessèche. Toute image avantageuse est grosse de menace. Que dire alors de l’œil photographique et de l'imprudence de celui qui s'offre complaisamment à lui !"

"A l'opposé des pendeloques qui imitent le ciel, la terre, les animaux du désert et les poissons de la mer, la bulle dorée ne veut rien dire qu'elle même. C'est le signe pur, la forme absolue."

"Sex Shop. Live Show. Peep Show. Les trois mots jaillissaient tour à tour en lettres lumineuses sur les façades. Leur triple grimace rouge promettait au jeune célibataire, condamné à la chasteté par sa solitude et sa misère, des assouvissements nerveux dans des gerbes d'images obscènes."

"Entre la cage confortable et la misère de la liberté, tu as choisi la cage, et tu ne t'en plains pas."

"En vérité, l'image est bien l'opium de l'Occident. Le signe est esprit, l'image est matière. La calligraphie est l'algèbre de l'âme tracée par l'organe le plus spiritualisé du corps, sa main droite. Elle est la célébration de l'invisible par le visible. L'arabesque manifeste la présence du désert dans la mosquée. Par elle, l'infini se déploie dans le fini. Car le désert, c'est l'espace pur, libéré des vicissitudes du temps. C'est Dieu sans l'Homme. Le calligraphe, qui dans la solitude de sa cellule prend possession du désert en le peuplant de signes, échappe à la misère du passé, à l'angoisse de l'avenir et à la tyrannie des autres hommes. Il dialogue seul avec Dieu dans un climat d'éternité."

Gaspard, Melchior et Balthazar
7.5

Gaspard, Melchior et Balthazar (1980)

Sortie : octobre 1980 (France). Roman

livre de Michel Tournier

Fat_Old_Sun a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« J’allais me lever, quand un souffle parfumé passa dans les branches des térébinthes. Puis aussitôt après éclata, à une incroyable proximité, le sanglot solitaire d’une flûte de berger. La musique entrait en moi avec une indicible tristesse.
- Qui est-ce ? demandai-je.
- C’est Satan qui pleure devant la beauté du monde, répondit le vieillard d’une voix attendrie qui contrastait avec la dureté de ses paroles précédents. Ainsi en va-t-il de toutes les créatures avilies : la pureté des choses fait saigner de regret tout ce qu’il y a de mauvais en elles. Prends garde aux êtres de clarté ! »

« La salle était vide. Une fois de plus, il arrivait trop tard. On avait mangé sur cette table. Il y avait encore treize coupes, sorte de gobelets peu profonds, très évasés, munies d’un pied bas et de deux petites anses. Et dans certaines coupes, un fond de vin rouge. Et sur la table traînaient des fragments de ce pain sans levain que les juifs mangent ce soir-là en souvenir de la sortie d’Égypte de leurs pères.
Taor eut un vertige : du pain et du vin ! Il tendit la main vers une coupe, l’éleva jusqu’à ses lèvres. Puis il ramassa un fragment de pain azyme et le mangea. Alors il bascula en avant, mais ne tomba pas. Les deux anges, qui veillaient sur lui depuis sa libération le cueillirent dans leurs grandes ailes, et, le ciel nocturne s’étant ouvert sur d’immenses clartés, ils emportèrent celui qui, après avoir été le dernier, le perpétuel retardataire, venait de recevoir l’eucharistie le premier. »

Le Coq de bruyère
7.3

Le Coq de bruyère (1978)

Sortie : 14 octobre 1980 (France). Recueil de nouvelles

livre de Michel Tournier

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

« Tremblante d’excitation, elle accrocha la corde à la poutre maîtresse de la toiture, le noeud coulant se balançait à deux mètres cinquante du sol, hauteur idéale, car il suffisait de se mettre debout sur une chaise pour pouvoir y passer la tête. Mélanie plaça en effet la meilleure chaise qu’elle possédât à l’aplomb du nœud. Puis elle s’assit sur l’autre chaise de la maison - bancale celle-ci - et admira son œuvre.
Ce n’était pas que ces deux objects - la corde, la chaise - fussent en eux-mêmes bien admirables. Il s’agissait plutôt de la perfection de la réunion de ce siège et de cette sorte de fil de plomb de chanvre, et de la signification fatale qui s’en dégageait. Elle s’abîma dans une contemplation béate et métaphysique. En préparant sa propre mort, en imposant à la perspective désertique de sa vie une barrière visible et palpable, en arrêtant par une digue les eaux stagnantes du temps, elle mettait fin d’un coup à l’ennui. L’imminence de sa mort, concrétisée par la corde et la chaise, conférait à sa vie présente une densité et une chaleur incomparables. »

Vendredi ou les limbes du Pacifique
7.2

Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967)

Sortie : 1972 (France). Roman

livre de Michel Tournier

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

"Chacun de ces hommes étaient un monde possible, assez cohérent, avec ses valeurs, ses foyers d'attraction et de répulsion, son centre de gravité. Pour différents qu'ils fussent les uns des autres, ces possibles avaient actuellement en commun une petite image de Speranza -combien sommaire et superficielle!- autour de laquelle ils s'organisaient, et dans laquelle se trouvaient un naufragé nommé Robinson et son serviteur métis. Mais pour centrale que fût cette image, elle était chez chacun marquée du signe du provisoire, de l'éphémère, condamnée à retourner à bref délai dans le néant d'où l'avait tirée le déroutage accidentel du Whitebird. Et chacun de ces mondes possibles proclamait naïvement sa réalité. C'était cela autrui : un possible qui s'acharne à passer pour réel."

"En un instant, le ciel devint céruléen. Les fleurs qui inclinaient vers l'Ouest leurs corolles roses pivotèrent toutes ensemble sur leurs tiges en écarquillant leurs pétales du côté du Levant. Les oiseaux et les insectes emplirent l'espace d'un concert unanime. Robinson avait oublié l'enfant. Redressant sa haute taille, il faisait face à l'extase solaire avec un joie presque douloureuse. Le rayonnement qui l'enveloppait le lavait des souillures mortelles de la journée précédente et de la nuit. Un glaive de feu entrait en lui et transverbérait tout son être. Speranza se dégageait des voiles de la brume, vierge et intacte. En vérité cette longue agonie, ce noir cauchemar n'avaient jamais eu lieu. L'éternité, en reprenant possession de lui, effaçait ce laps de temps sinistre et dérisoire. Une profonde inpiration l'emplit d'un sentiment d'assouvissement total. Sa poitrine bombait comme un bouclier d'airain. Ses jambes prenaient appui sur le roc, massives et inébranlables comme des colonnes. La lumière fauve le revêtait d'une armure de jeunesse inaltérable et lui forgeait un masque de cuivre d'une régularité implacable où étincelaient des yeux de diamant. Enfin l'astre-dieu déploya toute entière sa couronne de cheveux rouges dans des explosions de cymbales et des stridences de trompettes."

Vues de dos

Vues de dos (1981)

Sortie : novembre 1981. Photographie

livre de Michel Tournier et Edouard Boubat

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

"Il avait emporté un livre afin de meubler ce bref moment de répit au jardin public entre la cantine et l'atelier. Et puis, non, décidément, le soleil sur les jeunes pousses, un brin de muguet timide, les moineaux faisant poudrette dans la poussière, la main bénissante d'un marronnier dans le vent, une torpeur paisible tombant du ciel de midi, un bonheur un peu triste mais confiant tout de même dans l'ordre des choses, tout cela méritait un laps de méditation, le dos tourné à la lointaine rumeur de la circulation, aux promeneurs, au photographe, à nous enfin, lecteurs de cette page. Pas plus que le livre, tous ces indiscrets ne l'intéressent pas pour l'heure : il s'absorbe dans la sourde palpitation du monde."

"Le couple de marbre blanc veille sur le petit couple vivant. Philémon et Baucis, Tristan et Iseut, Roméo et Juliette... Ces grands amants tutélaires éclairent et guident nos chétives amours. Quand la caissière d'un café dit au serveur je t'aime, ils se comprennent, mais ils n'entendraient pas la même chose par ce mot si Platon n'avait pas écrit le Banquet, et Goethe Werther, bien qu'ils n'aient lu ni l'un ni l'autre. Le mythe nous enseigne la parole, la statue la nudité, les héros qu'il n'y a de sentiment un peu fort que contre l'ordre social. "Je n'aurai jamais pensé que des gens aussi ordinaires que nous puissent vivre une aussi grande passion", dit la dactylo au comptable de l'établissement où elle travaille. Mot touchant et profond qui mesure l'exaltation divine que le surhomme imaginaire nous communique en nous touchant la main."

Petites proses
7.9

Petites proses (1986)

Sortie : 1986 (France). Essai

livre de Michel Tournier

Fat_Old_Sun a mis 5/10.

Annotation :

"Ce que j'ai vu en Inde de plus beau, exaltant, émouvant à pleurer, enthousiasmant à crier, ce n'était ni le Taj Mahal d'Agra, ni les grottes d'Elephanta, ni les bûchers funéraires de Bénarès. C'était un vieux camion-citerne tout bringuebalant et tintinnabulant que l'étroitesse de la route nous empêchait de doubler. Il cahotait de village en hameau et s'arrêtait en des points apparemment prévus, car on l'y attendait. Des groupes d'enfants hailloneux se rassemblaient sagement derrière la citerne. Le chauffeur descendu actionnait un gros robinet qui lâchait une bouillie de riz dans le petit bol que tendait un enfant, lequel, aussitôt servi, s'asseyait sur ses talons et y plongeait un museau brun.
J'ai cru d'abord qu'il n'y avait rien de plus enviable au monde que le rôle de ce chauffeur-nourricier, et j'ai ardemment envié son sort. Mais, sous l'influence peut-être de cet air indien saturé de mystères et de monstres, j'ai rêvé d'une métasmorphose plus exaltante encore : être le camion-citerne lui-même et, telle une énorme truie aux cent tétines généreuses, donner mon ventre en patûre aux petits indiens affamés.
Ainsi, l'Ogre, sous le coup d'inversion bénigne, au lieu de manger des enfants, se fait manger par eux."

"Il n'y a de vérité que légère et chantante. La pesanteur est du diable. Il n'y a de dieu que dansant et riant sur la surface des grands lacs alpins..."

Canada : Journal de voyage

Canada : Journal de voyage (1984)

Sortie : 1984 (France). Journal & carnet, Voyage

livre de Michel Tournier

Annotation :

"Plaisir de retrouver au Canada du bon café léger, abondant, parfumé, désaltérant, comme en Angleterre, en Allemagne, en Islande, aux USA, comme partout en somme, sauf en France, envahie par les ignobles percolateurs italiens. Ils distillent dans tous les "cafés" un jus gras, bitumineux, visqueux, qui vous empoicre la bouche pour la journée. Sottise du consommateur français qui réclame partout où il va du vin léger et du café lourd. En vérité, le bon vin n'est jamais lourd - ni léger d'ailleurs - et le café lourd est toujours mauvais."

À rebours
7.6

À rebours (1884)

Sortie : 1884 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir !"

"Dans la salle à manger tendue de noir, ouverte sur le jardin de sa maison subitement transformé, montrant ses allées poudrées de charbon, son petit bassin maintenant bordé d'une margelle de basalte et rempli d'encre et ses massifs tout disposés de cyprès et de pins, le dîner avait été apporté sur une nappe noire, garnie de corbeilles de violettes et de scabieuses, éclairée par des candélabres où brûlaient des flammes vertes et par des chandeliers où flambaient des cierges.
Tandis qu'un orchestre dissimulé jouait des marches funèbres, les convives avaient été servis par des négresses nues, avec des mules et des bas en toile d'argent, semée de larmes. On avait mangé dans des assiettes bordées de noir, des soupes à la tortue, des pains de seigle russe, des olives mûres de Turquie, du caviar, des poutargues de mulets, des boudins fumés de Francfort, des gibiers aux sauces couleur de jus de réglisse et de cirage, des coulis de truffes, des crèmes ambrées au chocolat, des poudings, des brugnons, des raisinés, des mûres et des guignes; bu, dans des verres sombres, les vins de la Limagne et du Roussillon, des Tenedos, des Val de Penas et des Porto; savouré, après le café et le brou de noix, des kwas, des porter et des stout."

"L'artifice paraissait à des Esseintes la marque distinctive du génie de l'homme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a définitivement lassé, par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses ciels, l'attentive patience des raffinés. Au fond, quelle platitude de spécialiste confinée dans sa partie, quelle petitesse de boutiquière tenant tel article à l'exclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et d'arbres, quelle banale agence de montagnes et de mersêt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des décors inondés de jets électriques ne produisent ; aucune cascade que l'hydraulique n'imite à s'y méprendre ; aucun roc que le carton-pâte ne s'assimile ; aucune fleur que de spécieux taffetas et de délicats papiers peints n'égalent !
A n'en pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usé la débonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu où il s'agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l'artifice."

Là-bas
7.9

Là-bas (1891)

Sortie : 1891 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 8/10.

Annotation :

"En fait de poussière, considérée alors comme rappel des origines et souvenance des fins, sais-tu qu'après notre mort, nos charognes sont dépecées par des vers différents, suivant qu'elles sont obèses ou qu'elles sont maigres ? Dans les cadavres des gens gras, l'on trouve une sorte de larves, les rhizophages ; dans les cadavres des gens secs, l'on ne découvre que des phoras. Ceux-là sont évidemment les aristos de la vermine, les vers ascétiques qui méprisent les repas plantureux, dédaignent le carnage des copieuses mamelles et le ragoût des bons gros ventres. Dire qu'il n'y a même pas d'égalité parfaite dans la façon dont les larves préparent la poudre mortuaire de chacun de nous !"

"Par instants, après certaines lectures, alors que le dégoût de la vie ambiante s'accentuait, il enviait des heures lénitives au fond d'un cloître, des somnolences de prières éparses dans des fumées d'encens, des épuisements d'idées voguant à la dérive dans le chant des Psaumes. Mais pour savourer ces allégresses de l'abandon, il fallait une âme simple, allégée de tout déchet, une âme nue et la sienne était obstruée par des boues, macérée dans le jus concentré des vieux guanos."

"Ah! Devant ce Calvaire barbouillé de sang et brouillé de larmes, l'on était loin de ces débonnaires Golgotha que, depuis la Renaissance, l'Eglise adopte ! Ce Christ au tétanos n'était pas le Christ des Riches, l'Adonis de Galilée, le bellâtre bien portant, le joli garçon aux mèches rousses, à la barbe divisée, aux traits chevalins et fades, que depuis 400 ans les fidèles adorent. Celui-là, c'était le Christ de Saint-Justin, de Saint Basile, de Saint Cyrille, de Tertullien, le Christ des premiers siècles de l'Eglise, le Christ vulgaire, laid, parce qu'il assuma toute la somme des péchés et qu'il revêtit, par humilité, les formes les plus abjectes.
C'était le Christ des Pauvres, Celui qui s'était assimilé aux plus misérables de ceux qu'Il venait racheter, aux disgraciés et aux mendiants, à tous ceux sur la laideur ou l'indigence desquels s'acharne la lâcheté de l'homme ; et c'était aussi le plus humain des Christ, un Christ à la chair triste et faible, abandonné par le Père qui n'était intervenu que lorsque aucune douleur nouvelle n'était possible, le Christ assisté seulement de sa Mère qu'il avait dû, ainsi que tout ceux que l'on torture, appeler dans des cris d'enfants, de sa Mère, impuissante alors et inutile."

A vau-l'eau
7.4

A vau-l'eau (1882)

Sortie : 1882 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 9/10.

Annotation :

"C'était une cousine à lui qu'il avait autrefois aperçue, dans son enfance ; jamais, depuis vingt ans, il n'avait songé à elle et la mort de cette femme lui porta cependant un grand coup ; elle était sa dernière parente et il se crut encore plus esseulé depuis qu'elle était décédée, dans le fond d'une province. Il envia sa vie calme et muette et il regretta la foi qu'il avait perdue. Quelle occupation que la prière, quel passe temps que la confession, quels débouchés que les pratiques d'un culte ! — Le soir, on va à l'église, on s'abîme dans la contemplation, et les misères de la vie sont de peu ; puis les dimanches s'égouttent dans la longueur des offices, dans l'alanguissement des cantiques et des vépres car le spleen n'a pas de prise sur les âmes pieuses."

"M. Folantin descendit de chez cette fille, profondément écoeuré et, tout en s'acheminant vers son domicile, il embrassa d'un coupd'oeil l'horizon désolé de la vie ; il comprit l'inutilité des changements de routes, la stérilité des élans et des efforts ; il faut se laisser aller à vau-l'eau ; Schopenhauer a raison, se dit-il, "la vie de l'homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui. Aussi n'est-ce point la peine de tenter d'accélérer ou de retarder la marche du balancier; il n'y a qu'à se croiser les bras et à tâcher de dormir ; mal m'en a pris d'avoir voulu renouveler les actes du temps passé, d'avoir voulu aller au théâtre, fumer un bon cigare, avaler des fortifiants et visiter une femme ; mal m'en a pris de quitter un mauvais restaurant pour en parcourir de non moins mauvais, et tout cela pour échouer dans les sales vol-au-vent d'un pâtissier !
Tout en raisonnant de la sorte, il était arrivé devant sa maison. Tiens, je n'ai pas d'allumettes, se dit-il, en fouillant ses poches, dans l'escalier; il pénétra dans sa chambre, un souffle froid lui glaça la face et, tout en s'avançant dans le noir, il soupira : le plus simple est encore de rentrer à la vieille gargote, de retourner demain à l'affreux bercail. Allons, décidément, le mieux n'existe pas pour les gens sans le sou ; seul, le pire arrive."

En rade
7.5

En rade (1887)

Sortie : 1887 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 6/10.

Annotation :

"Il était l'homme qui lit dans un journal, dans un livre une phrase bizarre, sur la religion, sur la science, sur l'histoire, sur l'art, sur n'importe quoi, qui s'emballe aussitôt et se précipite, tête en avant, dans l'étude, se ruant un jour dans l'Antiquité, tendant d'y jeter la sonde, se reprenant au latin, piochant comme un enragé, puis laissant tout, dégoûté soudain, sans cause, de ses travaux et de ses recherches, se lançant un matin, en plein littérature contemporaine, s'ingérant la substance de copieux livres, ne pensant plus qu'à cet art, n'en dormant plus, jusqu'à ce qu'l le délaissât, un autre matin, d'une volte brusque et rêvât ennuyé, dans l'attente d'un sujet sur lequel il pourrait fondre. La préhistoire, la théologie, la kabbale l'avaient tour à tour repris et tenu. Il avait fouillé des bibliothèques, épuisé des cartons, s'était congestionné l'intellect à écumer la surface de ces fatras, et tout cela par désoeuvrement, par attirance momentanée, sans conclusion cherchée, sans but utile.
A ce jeu, il avait acquis une science énorme et chaotique, plus qu'un à peu près, moins qu'une certitude. Absence d'énergie, curiosité trop aïgue pour qu'elle ne s'écachât pas aussitôt ; manque de suite dans les idées, faiblesse du pal spirituel promptement tordu, ardeur excessive à courir par les voies bifurquées et à se lasser dès qu'on y rentre, dysepsie de cervelle exigeant des mets variés, se fatiguant vite des nourritures désirées, les digérant presque toutes mais mal, tel était son cas."

"Quelle blague que l'or des blés ! se dit-il, regardant au loin ces bottes couleur d'orange sale, réunies en tas. Il avait beau s'éperonner, il ne pouvait parvenir à trouver que ce tableau de la moisson si constamment célébré par les peintres et par les poètes, fût vraiment grand. C'était sous un ciel d'un imitable bleu, des gens dépoitraillés et velus, puant le suint, et qui sciaient en mesure des taillis de rouille. Combien ce tableau semblait mesquin en face d'une scène d'usine ou d'un ventre de paquebot, éclairés par des feux de forges !
Qu'était, en somme, auprès de l'horrible magnificence des machines, cette seule beauté que le monde moderne ait pu créer, le travail anodin des champs ? qu'était la récolte claire, la ponte facile d'un bienveillant sol, l'accouchement indolore d'une terre fécondée par la semence échappée des mains d'une brute, en comparaison de cet enfantement de la fonte copulée par l'homme, de ces embryons d'acier sortis de la matrice des fours?

Croquis parisiens
6.7

Croquis parisiens (1880)

Sortie : 1885 (France). Poésie

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 5/10.

Annotation :

"Créée incomplète dans la prévision du rôle que l’homme lui assignera, la nature attend de ce maître son parachè¬ vement et son coup de fion. Bâtisses somptueuses aidant à l’aspect des quartiers habités par les gens riches, villas tachant de jaune beurre et de blanc frais des campagnes reposées et joyeuses, Parcs-Monceau maquillés comme les femmes qui s’y posent, hauts fourneaux et grandes forges se dressant dans des paysages épuisés et grandioses comme eux, telle est l’immuable loi.
Et, c’est pour l’appliquer, c’est pour réaliser l’instinct d’harmonie qui nous obsède, que nous avons délégué les ingénieurs afin d’assortir la nature à nos besoins, afin de la mettre à l’unisson avec les douces ou pitoyables vies quelle a charge d’encadrer et de réfléchir."

Trois primitifs

Trois primitifs (1908)

Sortie : mars 2006 (France). Essai

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 8/10.

Annotation :

"Ce local poudreux est infiniment doux. L'on s'imagine très bien l'un des treizes chanoines qui composèrent le Chapitre desservant jadis la paroisse de Saint-Germain, assis devant la table placée au milieu de la pièce, dépouillant les archives, relevant les dates des obits, extrayant des manuscrits les miracles des saints fondateurs de son église.
Et l'on se prend, à ce dégoût d'un début de siècle, à envier ce bon prêtre qui s'interrompt de son travail, pour essuyer ses besicles de corne, dans le grand silence de ses murs de pierres sourdes, seulement rompu par les souvenirs fatigués du bois.
Comme tout cela nous met loin !"

"Tout y est : murs blancs, comme poudrés d'une fleur de riz et treillis d'or, grand autel avec baldaquin et couronne, culbutis de menus anges relevant des tentures de marbre autour de colonnes à chapiteaux ; grand orgue avec tribune, à ventre renflé, tel que celui d'une commode, orné d'amours jouflus et de cartouches parés d'instruments de musique, en relief, flûtes et tambourins, violons et basses ; plafond peint dans le goût de Tiepolo, chaire surmontée d'une gloire d'or dans une envolée de séraphins bouffis. Ce ne sont partout que roses pompons, que chicorées, que volutes, que pots à feux, que rocailles ; c'est la babil doré du bois, la minauderie des marbres, le tortillage des chandeliers, et les pimpantes afféteries des appliques ; cela sent la bergamote et l'ambre ; c'est pompeux et exquis, théâtral et léger ; c'est anti-mystique, autant que possible, mais combien ce boudoir façonné pour une Estelle Céleste est supérieur à ces casernes divines et à ces pieuses halles, que les Ginain, que les Baltard, que les Ballu, que les Abadie, que tous les rhéteurs de la jactance monumentale moderne nous fabriquent !"

En route
8

En route (1895)

Sortie : 1895 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 10/10.

Annotation :

"Dans le chant liturgique créé presque toujours anonymement au fond des cloîtres, c'était une source extraterrestre, sans filon de péchés, sans trace d'art. C'était une surgie d'âmes déjà libérées du servage des chairs, une explosion de tendresse surélevées et de joies pures ; c'était aussi l'idiome de l'Eglise, l'Evangile musical accessible comme l'Evangile même, aux plus raffinés et aux plus humbles.
Ah ! la vraie preuve du Catholicisme, c'était cet art qu'il avait fondé, cet art que nul n'a surpassé encore ! c'était, en peinture et en sculpture les Primitifs ; les mystiques dans les poésies et dans les proses ; en musique, c'était le plain-chant ; en architecture, c'était le roman et le gothique. Et tout cela se tenait, flambait en une seule gerbe, sur le même autel ; tout cela se conciliait en une touffe de pensées uniques : révérer, adorer, servir le Dispensateur, en lui montrant, réverbéré dans l'âme de sa créature, ainsi qu'en un fidèle miroir, le prêt encore immaculé de ses dons."

"L'atmosphère devenait extraordinaire. Positivement le brasier des âmes tiédissait la glace de cette pièce ; ce n'étaient plus ces vêpres opulentes, telles qu'on les célébre, le dimanche, à Saint-Sulpice, c'étaient les vêpres des pauvres, des vêpres intimes, en plain-chant de campagne, suivies par des fidèles avec une ferveur grandiose, dans un recueillement de silence inouï.
Durtal se crut transporté, hors barrière, au fond d'un village, dans un cloître ; il se sentait amolli, l'âme bercée par la monotone ampleur de ces chants, ne discernant plus la fin des Psaumes qu'au retour de la doxologie, au "Gloria Patre et filio" qui les séparait les uns des autres.
Il eut un élan véritable, un sourd besoin de supplier l'Incompréhensible, lui aussi ; environnée d'effluves, pénétré jusqu'aux moelles par ce milieu, il lui parut qu'il se dissolvait un peu, qu'il participait même de loin aux tendresses réunies de ces âmes claires."

"Je suis hanté par le catholicisme, grisé par son atmosphère d'encens et de cire, je rôde autour de lui, touché jusqu'aux larmes par ses prières, pressuré jusqu'aux moelles par ses psalmodies et par ses chants."

La Cathédrale
7.5

La Cathédrale (1898)

Sortie : 1898 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 8/10.

Annotation :

"Il est à peu près certain pour moi, poursuivit Durtal, que l'homme a trouvé dans les bois l'aspect si discuté des nefs et de l'ogive. La plus étonnante cathédrale que la nature ait, elle-même, bâtie, en y prodiguant l'arc brisé de ses branches, est à Jumièges. Là, près des ruines magnifiques de l'abbaye qui a gardé intactes ses deux tours et dont le vaisseau décoiffé et pavé de fleurs rejoint un choeur de frondaisons cerclé par une abside d'arbres, trois immenses allées, plantées de troncs séculaires, s'étendent en ligne droite ; l'une, celle du milieu, très large, les deux autres, qui la longent, plus étroites ; elles dessinent la très exacte image d'une nef et de ses bas-côtés, soutenus par des pilliers noirs et voûtés par des faisceaux de feuilles. L'ogive y est nettement feinte par les ramures qui se rejoignent, de même que les colonnes qui la supportent sont imités par les grands troncs. Il faut voir cela, l'hiver, avec la voûte arquée et poudrée de neige, les piliers blancs tels que des fûts de bouleaux, pour comprendre l'idée première, la semence d'art qu'a pu faire lever le spectacle de semblables avenues, dans l'âme des architectes qui dégrossirent, peu à peu, le Roman et finirent par substituer complètement l'arc pointu à l'arche ronde du plein cintre.
Mais ce que la nature ne pouvait donner c'était l'art prodigieux, la science symbolique profonde, la mystique éperdue et placide des croyants qui édifièrent les cathédrales - Sans eux, [elle] n'était qu'une ébauche sans âme, un rudiment ; elle était l'embryon d'une basilique, se métamorphosant, suivant les saisons et suivant les jours, inerte et vivante à la fois, ne s'animant qu'aux orgues mugissantes des vents, déformant le toit mouvant de ses branches, au moindre souffle ; elle était inconsistante et souvent taciturne, sujette absolue des brises, serve résignée des pluies ; elle n'était éclairée, en somme, que par un soleil qu'elle tamisait dans le losange et les coeurs de ses feuilles, ainsi qu'entre des mailles de carreaux verts. L'homme, en son génie, recueillit ces lueurs éparses, les condensa dans des rosaces et dans des lames, les reversa dans les allées des futaies blanches ; et même par les temps les plus sombres, les verrières resplendirent, emprisonnèrent jusqu'aux dernières clartés des couchants, habillèrent des plus fabuleuses splendeurs le Christ et la Vierge, réalisèrent presque sur cette terre la seule parure qui pût convenir aux corps glorieux, des robes variées de flammes !"

L'oblat
7.4

L'oblat

Sortie : 1903 (France). Roman, Récit

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

"Ce sont des coulis d'imbécilité, des sublimés de sottises ; nous sommes en Province, Madame Bavoil."

"Malheureusement, il commençait à en être de cette cité de même que des autres villes qui s'ingénient à simuler la redondante laideur de Paris neuf ; les anciennes rues disparaissaient ; de nouveaux quartiers surgissaient de toutes parts, avec des bâtisses insolentes avançant des balcons chambrés, à l'anglaise, dans des boîtes de fer, aménagées de carreaux de couleur, distribués en cases de jeu de dame, par des losanges divisés de plomb ; l'impulsion était donné ; en trente ans, Dijon avait plus changé qu'en plusieurs siècles ; il était sillonné maintenant d'amples avenues baptisées de ces noms délabrés de Jean-Jacques Rousseau et de Voltaire, de la République et de Thiers, de Carnot et de la Liberté, et pour comble, une statue de cette bruyante ganache de Garibaldi s'élevait, évoquant, dans le coin d'un carrefour pacifique, le souvenir d'un chienlit de guerre, ignoble.
La vérité était qu'à l'ancien Bourguignon, religieux et boute-en-train, égrillard et frondeur, s'était substitué un autre Bourguignon qui avait conservé ses qualités de terroir mais avait perdu son étampe originale, en perdant la foi. Dijon était devenu en même temps que républicain, indifférent ou athée. La bonhomie et l'alacrité demeuraient, mais la saveur de ce mélange de naïve piété et de liesse rabelaisienne, n'était plus ; et Durtal ne pouvait s'empêcher de le déplorer un peu."

"Comment ne pas rêver, soupira Durtal, d'une existence, abîmée en Dieu, et aboutissant, par l'aide des prières liturgiques, à des oraisons colorées d'art"

Gilles de Rais
6.9

Gilles de Rais (1897)

Sortie : avril 2007 (France). Essai

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

"D'une voix sourde, obscurcie par les larmes, il raconta ses rapts d'enfants, ses hideuses tactiques, ses meurtres impétueux ; obsédé par la vision de ses victimes, il décrivit leurs agonies, leurs appels et leurs râles ; il confessa qu'il avait arraché des coeurs par des plaies élargies, ouvertes, tels des fruits mûrs.
Et d'un oeil de somnanbule, il regardait ses doigts qu'il secouait pour en laisser égouter le sang.
La salle atterrée gardait un morne silence que lacéraient soudain quelques cris brefs ; et l'on emportait, en courant, des femmes évanouies, folles d'horreur.
Lui, semblait ne rien entendre, ne rien voir ; il continuait à dévider l'effrayante litanie de ses crimes.
Puis, sa voix devint plus rauque ; il arrivait aux effusions sépulcrales. Il divulga les détails, les énuméra tous. Ce fut tellement formidable, tellement atroce, que, sous leurs coiffes d'or, les Evêques blémirent ; ces prêtres, trempés aux feux des confessions, ces juges qui, en des temps de démonomanie et de meurtre, avaient entendu les plus terrifiants des aveux ; ces prélats qu'aucun forfait, qu'aucune abjection des sens, qu'aucun purin d'âme n'étonnaient plus, se signèrent, et Jean de Malestroit se dressa et voila, par pudeur, la face du Christ.
Puis, tous baissèrent le front, et sans qu'un mot mot eût été échangé, ils écoutèrent le Maréchal, qui, la figure bouleversée, trempée de sueur, regardait le crucifix dont l'invisible tête soulevait le voile avec sa couronne hérissée d'épines."

Pages Choisies

Pages Choisies (1913)

Sortie : 1913. Anthologie

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 8/10.

Annotation :

"Autre originalité de sa part : il fut toujours fidèle à la rive gauche. Il demeura successivement rue de Vaugirard, rue du Cherche-Midi et rue de Sèvres, avant de partir pour Ligugé, et c'est encore sur la rive gauche qu'il refit son nid, à son retour du Poitou. Il ne se sentait réellement chez lui qu'au milieu de "ces quartiers morts enfermés dans le coin d'une active et grande ville." Quand il sortait de son ministère, place Beauvau, il se hâtait de traverser les ponts, de mettre la Seine entre lui et cette rive droite démoniaque, où résidait tout ce qu'il abhorrait : les hommes de proie, les gens de théâtre, la vie fébrile, la dépense et le luxe."

"Notre époque, qui voulut soigner Notre Dame, s'est bornée, pour sa part, à la gratter et à la rafistoler du haut en bas. Le fameux Viollet le Duc l'a rajeunie, lui a râclé l'épiderme, l'a poncée de telle sorte qu'elle a complètement perdu sa patine de prières, sa rouille de cire, son hâle d'encens."

"La nature n'est intéressante que débile et navrée. Je ne nie point ses prestiges et ses gloires alors qu'elle fait craquer par l'ampleur de son rire son corsage de rocs sombres et brandit au soleil sa gorge aux pointes vertes, mais j'avoue ne pas éprouver devant ses ripailles de sève, ce charme apitoyé que font naître en moi un coin désolé de grande ville, une butte écorchée, une rigole d'eau qui pleure entre deux arbres grêles."

"le lait de chaux va masquer de son uniforme blancheur les ulcères diaprés du quartier souffrant."

Sac au dos
6.8

Sac au dos (1877)

Sortie : 1880 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

"Aussitôt que j'eus achevé mes études, mes parents jugèrent utile de me faire comparoir devant une table habillée de drap vert et surmontée de bustes de vieux messieurs qui s'inquiétèrent de savoir si j'avais appris assez de langue morte pour être promu au grade de bachelier."

"Ô sainte joie des bâfres ! j'ai la bouche pleine, et Francis est soûl ! Le fumet des rôtis se mêle au parfum des fleurs, la pourpre des vins lutte d'éclat avec la rougeur des roses, le garçon qui nous sert à l'air d'un idiot, nous, nous avons l'air de goinfres, ça nous est bien égal. Nous nous empiffrons rôtis sur rôtis, nous ingurgitons bordeaux sur bourgogne, chartreuse sur cognac. Au diable les vinasses et les trois-six que nous buvons depuis notre départ de Paris ! au diable ces ratas sans nom, ces gargotailles inconnues dont nous nous sommes si maigrement gavés depuis près d'un mois ! Nous sommes méconnaissables ; nos mines de faméliques rougeoient comme des trognes, nous braillons, le nez en l'air, nous allons à la dérive ! Nous parcourons ainsi toute la ville."

Marthe
6.6

Marthe (1876)

histoire d'une fille

Sortie : 1876 (France). Roman

livre de Joris-Karl Huysmans

Fat_Old_Sun a mis 9/10.

Annotation :

"une luisarde ramassée chez un mannezingue !"

"Léo et son ami s'orientèrent dans la rue. Ni l'un ni l'autre ne connaissait l'adresse exacte du comédien. Ils avisèrent enfin, non loins de la rue des Lyonnais, un marchand de tabac qui arborait fièrement à sa devanture, au dessus de blagues en cuir granuleux et en vessie de porc, des grappes de pipes blanches : têtes de jeunes filles et de turcs, de zouaves et de boucs, de bacchus et de patriarches ; une jeune fille mafflue, qui pesait des carottes à chiques, leur indiqua la maison qu'il cherchaient, une maison récemment barbouillée d'un couleur grumeleuse et rosâtre, quelque chose comme un écrasement de fraises dans du fromage blanc, de lie de vin dans du plâtre. C'était là, en effet, derrière un comptoir en zinc, troué de citernes minuscules pour l'écoulement des vins, que gesticulait et braillait le chanteur. Le ventre ceint d'un tablier noir, les bras nus, la bouche crénelée de bouts de dents, le groin rouge comme une vitelotte, Ginginet, cabotin et ivrogne par goût, cabaretier et coureur de filles par nécessité, buvait de quatres heures du matin à minuit, avec ses pratiques, qui travaillaient, pour la plupart, à trier des chiffons et à préparer des peaux de bêtes avec du tan."

"Elle se sentait écoeurée et lasse, comme au sortir de longues crapules. Par instants, ses douleurs semblaient s'apaiser et elle regardait d'un oeil ébloui les splendeurs qui l'entouraient. Ces girandoles de bougies, ces murs tendus de satin, d'un rouge mat, gaufré de fleurs en soie blanche, miroitant comme des grains d'argent, dansaient devant ses yeux et pétillaient comme de blanches étincelles sur la pourpre d'un brasier; puis sa vue se rassérénait et elle se voyait, dans une grande glace à cadre de verre, prostrée impudemment sur une banquette, coiffée comme pour aller au bal, les chairs relevées de dentelles pimentées d'odeurs fortes.
Elle ne pouvait croire que cette image fût la sienne. Elle regardait avec étonnement ses bras poudrés de perline, ses sourcils charbonnés, ses lèvres rouges comme des viandes saignantes, ses jambes revêtues de bas de soie cerise, sa poitrine ramassée et peureuse, tout l'appât troublant de ses chairs qui frissonnaient sous les fanfioles du peignoir. Ses yeux l'effrayèrent, ils lui parurent, dans leur cerne de pensil, s'être creusés bizarrement et elle découvrit, dans leur subite profondeur, je ne sais quelle expression enfantine et canaille qui la fit rougir sous son fard."

Sur les falaises de marbre
7.9

Sur les falaises de marbre (1939)

Auf den Marmorklippen

Sortie : 1942 (France).

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"Les maîtres étrangers pouvaient bien venir ou s'en aller, le peuple qui dans ses terres cultive la vigne en restait à sa coutume et sa loi. Et la richesse, l'excellence de la terre, avait tôt fait d'amener chaque régime à l'indulgence, si sévère qu'il eût été d'abord. Telle est l'influence de la beauté sur la force."

"Son cœur s'ouvrait seulement quand sur la ruine des villes la mousse et le lière verdissait, et que la chauve-souris sur les voussures crevées des cathédrales, voletait à la clarté de la lune. Il voulait voir à l'extrême bord de son domaine, les arbres baignés leurs racines dans la Marina, et sur leur cime le héron argenté devait rencontrer la cigogne noire s'envolant des taillis de chênes pour regagner le marécage. Il fallait que le sanglier fouille de ses défenses la terre noire des vignobles et que les castors circulent sur les étangs des couvents, quand par des sentiers cachés les bêtes sauvages s'acheminent au crépuscule pour étancher leur soif. Et sur les lisières, où les arbres ne peuvent s'enraciner dans le marécage, il voulait voir au printemps passer les bécasses et durant l'arrière saison la grive voler vers les baies rouges."

"Partout où les édifices que dresse l'ordre humain menaçaient ruine, son engeance surgissait telle un fouillis de champignons. Elle grouillait et s'agitait, là où les domestiques refusaient obéissance à la maison héréditaire et sur les navires où la mutinerie éclatait pendant la tempête, et dans les batailles où l'on abandonnait son seigneur et son roi."

"Profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les cœurs abjects."

"Qu'il suffise d'indiquer qu'entre le nihilisme amené à sa perfection, et l'anarchie sans frein, l'opposition est profonde. Il s'agit de savoir, dans ce combat, ce que le séjour des hommes doit devenir, un désert ou une forêt vierge."

"La noblesse fît son apparition, car c'est dans les coeurs nobles que la souffrance du peuple trouve son écho le plus puissant. Quand le sentiment du bien et du droit s'évanouit, quand l'épouvante trouble les sens, alors les forces de l'homme de la rue sont bientôt taries. Mais chez la vieille aristocratie le sens de ce qui est vrai et légitime demeure vivant et c'est d'elle que sortent les nouveaux rejetons de l'esprit d'équité. Il n'est pas d'autre raison à la prééminence accordée chez tous les peuples au sang noble."

"Il est des temps de décadence, où s'efface la forme en laquelle notre vie profonde doit s'accomplir."

Orages d'acier
7.7

Orages d'acier (1920)

In Stahlgewittern

Sortie : 1930 (France). Roman

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

« Elevés dans une ère de sécurité, nous avions tous la nostalgie de l’inhabituel, des grands périls. La guerre nous avait donc saisis comme une ivresse. C’est sous une pluie de fleurs que nous étions partis, grisés de roses et de sang. Nul doute que la guerre ne nous offrît la grandeur, la force, la gravité. Elle nous apparaissait comme l’action virile : de joyeux combats de tirailleurs, dans des prés où le sang tombait en rosée sur les fleurs. « Pas de plus belle mort au monde »… Ah ! Surtout, ne pas rester chez soi, être admis à cette communion ! »

« L’incertitude de la nuit, le papillotements des fusées éclairantes, les lents vacillements des feux de file suscitent une nervosité qui nous maintient dans une singulière vigilance. Par moment, une balle perdue passe avec un chantonnement frais et léger, pour s’égarer au loin. Que de fois encore, après cette première expérience du feu, ai-je marché ainsi, en proie à une émotion faite de mélancolie et d’énervement, à travers des paysages ravagés par la mort, vers la première ligne ! »

« Nous passâmes le soir de Noël dans la position et entonnâmes, debout dans la gadoue, des cantiques de Noël, que les anglais étouffèrent sous les salves de leurs mitrailleuses. Le jour de Noël, nous perdîmes un homme de la troisième section, d’une balle dans la tête. Juste après, les anglais firent une tentative de rapprochement amical en hissant sur leur parapet un arbre de Noël que nos hommes, furibonds, balayèrent en quelques coups de feu, auxquels les tommies répondirent à leur tour par des grenades à fusil. Notre fête fut donc célébrée de manière bien inconfortable. »

« On n’oublie pas de tels instants de reptations nocturnes. L’œil et l’oreille sont tendus à l’extrême, le frôlement de pieds inconnus, dans l’herbe haute, qui se rapproche, prend une intensité menaçante. […] On tremble sous l’effet de deux sentiments contradictoires : l’émotion du chasseur, portée à son comble, et l’angoisse du gibier. On est un monde pour soi, tout imprégné de cet état d’âme sombre et épouvantable qui pèse sur le terrain désert. »

“L’immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l’excès de bonheur.”

Les Abeilles de verre
8.3

Les Abeilles de verre

Gläserne Bienen

Sortie : 1957 (France). Roman

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 6/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

“Les vieux Centaures furent domptés par un nouveau Titan. J’ai vu mon vainqueur de tout près, quand j’étais couché sanglant dans l’herbe. Il m’avait abattu de ma selle. C’était un gringalet, un malfrat des faubourgs, un quelconque ouvrier des coutelleries de Sheffield ou des tissages de Manchester. Il était accroupi derrière son tas de gadouille, avait fermé un oeil et visait de l’autre par-dessus les barres et les tubes, cause de tout le malheur. Il tissait là en gris et en rouge un vilan drap. C’était le nouveau Polyphème, ou bien plutôt l’un de ses exécuteurs des basses oeuvres, avec une prothèse d’acier devant son visage borgne. Voilà l’air qu’avaient désormais les seigneurs. Le temps de la beauté sylvestre était révolu.”

“Ce qui avait occupé leur jeunesse, ce qui était resté depuis des millénaires l’office, le plaisir et la joie de l’homme : monter un cheval, labourer de bon matin derrière son taureau le champ fumant, faucher sous le soleil brûlant le blé jaune, tandis que des filets de sueur ruissellent sur votre poitrine hâlée et que les botteleuses peuvent à peine suivre la cadence, et le repas à l’ombre des arbres verts - tout ce que le poème a célébré depuis des temps immémmoriaux devait désormais disparaître. Plus de joie.
Comment donc expliquer cette quête d’une vie plus pâle et plus plate ? Certes, le travail était plus facile, bien que plus malsain, et rapportait plus d’argent, plus de loisirs et peut-être aussi plus de plaisir. Le jour est long et dur à la campagne. Et pourtant, tout cela valait moins que jadis un écu bien rond, un samedi soir, une fête rustique. Ils se détournaient du bonheur : on le voyait clairement à l’expression morose qui se répandait sur leurs traits. Le mécontentement ne tarde pas à étouffer tout autre état d’âme ; il devient religion. Là où les sirènes hurlaient, l’horreur avait son trône.”

“Excellence humaine et perfection technique sont irréconciliables. Nous sommes contraints, si nous tendons vers l’une, de sacrifier l’autre ; c’est de ce dilemne que divergent les voies. Le reconnaître, c’est travailler plus honnêtement, dans un sens ou dans l’autre.”

Feu et sang : Bref épisode d'une grande bataille
7.6

Feu et sang : Bref épisode d'une grande bataille (1925)

Feuer und Blut. Ein kleiner Ausschnitt aus einer grossen Schlacht

Sortie : 1925 (France). Récit

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 8/10.

Annotation :

"Ici devint visible une nouvelle race qui s'était formée elle-même à la rude discipline de la guerre - élevée à l'école des batailles et familiarisée avec les outils dont on se sert pour la besogne de mort. Ici la volonté avait fusionné avec l'usage des moyens en une unité du plus haut rang guerrier."

"Levons donc notre verre tant que la vie nous garde encore dans sa sphère. Pour l'instant, nous sommes encore les porteurs de cette grande force, mais bientôt, peut-être, nous ne serons plus que les fragments éparpillés qui la contenaient, pareil à ces bouteilles dont le vin rouge et enivrant se déverse à nos pieds sur le sol. Mais en attendant, nous voulons faire de notre perte une fête, une fête dans laquelle l'artillerie du monde entier nous saluera d'une salve assourdissante, telle que jamais on n'entendit. En face, la mort nous attend avec son gigantesque arsenal. Mais ce n'est pas le destin d'un guerrier de mourir dans son lit : son lit, c'est le champ de bataille où l'on engendre à travers la mort, à travers le combat et la perdition. Chacun doit mourir ; mais nous, nous voulons que la mort nous saisisse au moment où nous attaquons.
Les contrées ardentes qui nous attendent, aucun poète ne les a encore contemplées dans ses rêves. Ce sont des champs de cratères glacés, des déserts avec des oasis aux palmiers de flamme, des murailles roulantes de feu et d'acier, et des plaines dévastées par la mort où passent de rouges orages. Des troupes d'oiseaux d'acier y volent à travers les airs et des machines blindées y rugissent dans les champs. Et tous les sentiments qui existent au monde, de la plus atroce douleur physique jusqu’à la suprême exaltation de la victoire, s'y concentrent en une unité grondante, en un symbole foudroyant de la vie. Chanter, prier et exulter, jurer et pleurer - que voulons-nous de plus ?"

La paix
7.5

La paix

Sortie : novembre 1992 (France).

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 7/10.

Annotation :

"Le plus impitoyable est celui qui croît se battre pour des idées abstraites et de pures doctrines, et non celui qui défend seulement les frontières de sa patrie."

"Quel que soit le prétexte des idées au nom desquelles on réclame des têtes, les grandes fosses communes se ressemblent toutes."

"L'Homme ne doit jamais oublier que les visions terrifiantes d'aujourd'hui ne sont que le reflet de son âme. Le monde en feu, les maisons calcinées, les villes en ruines, les traces de la destruction ressemblent à la lèpre dont les germes prolifèrent en profondeur bien avant qu'elle n’apparaisse en surface. Il en allait ainsi depuis longtemps dans le secret des têtes et des cœurs. C'est l'enfer de l'homme qui se projette dans l'image du monde, tout comme la sérénité intérieure se reconnaît à la paix extérieure. C'est pourquoi la guérison doit tout d'abord s'opérer dans l'esprit, et la seule paix féconde est celle qu'aura précédée le désarmement des passions."

"Que s'effondrent les villes si la justice et la liberté en sont absentes ; que s'écroulent les cathédrales qui n'abritent plus la prière. La paix n'est désirable que riche de tout ce qui fait encore la gloire et le prix de l'homme."

Jeux africains
7.2

Jeux africains (1936)

Afrikanische Spiele

Sortie : 1936. Roman

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 6/10.

Annotation :

"C'est une chose singulière que la façon dont l'esprit chimérique, pareil à quelques fièvres apportant ses miasmes de bien loin, prend possession de notre vie et, une fois installé, enfonce de proche en proche sa brûlure. L'imaginaire seul nous apparaît à la fin comme réel, et les choses quotidiennes sont un rêve dans lequel nous nous agitons de mauvaise grâce, comme un acteur que son rôle embrouille. Le moment est venu, alors, où le dégoût exaspéré revendique l'intelligence et lui impose la tâche de chercher quelque part une issue."

"L'incursion dans l'anarchie est instructive comme la première aventure amoureuse ou le premier combat ; ces premiers contacts ont en commun la défaite, qui suscite des forces nouvelles et supérieures. Nous naissons un peu trop plein de force et guérissons les fièvres qui nous travaillent par des breuvages d'espèce amère."

Traité du rebelle, ou le recours aux forêts
7.4

Traité du rebelle, ou le recours aux forêts (1951)

Sortie : 1951 (France). Essai

livre de Ernst Jünger

Fat_Old_Sun a mis 5/10.

Annotation :

« L’inexorable encerclement de l’homme a été préparé de longue date, par les théories qui visent à donner du monde un explication logique et sans faille, et qui progressent du même pas que les développements de la technique [...] Nul destin n’est plus désespérant que d’être entraîné dans cette suite fatale, où le droit se change en arme. »

« Le mythe n’est pas histoire ancienne ; il est réalité intemporelle, qui se répète dans l’histoire. »

« Là où l’expropriation atteint l’idée de propriété, la seule conséquence possible sera l’esclavage. »

Ernst Jünger

Ernst Jünger (1995)

Rêveries sur un chasseur de cicindèles

Sortie : 1995. Biographie

livre de Jean-Michel Palmier

Fat_Old_Sun a mis 6/10.

Annotation :

« Alors que toute l’Allemagne est mise au pas, que la liberté a disparu, que les opposants sont assassinés ou internés, que Hitler a reconstitué une armée et prépare la guerre, Jünger rêve sur des fleurs et des paysages inconnus, commente Tacite et Hésiode. Il contemple les étoiles, certain qu’il y a des éclats de beauté que rien ne peut ravir »

« La fascination que l’entomologiste éprouve pour l’étrangeté des formes, la richesse des couleurs s’apparente à l’émerveillement de l’enfant. Jünger y voit aussi l’expression de l’ultime révolte contre la mathématisation de la Nature, qui ne le saisit plusqu’en termes de courbes et de statistiques, le désenchentement du monde dont parlait Max Weber. La passion de Jünger pour la nature, les roches, les plantes, les insectes, c’est son « recours aux forêts », son opposition ultime à l’univers du Travailleur. Les références obsédantes à l’image du cristal qui jallonnent tous ses écrits nous invitent à découvrir dans chaque facette la beauté de l’univers, le mystère des choses. »

Sartoris
7.5

Sartoris (1929)

Sortie : 1937 (France). Roman

livre de William Faulkner

Fat_Old_Sun a mis 8/10.

Annotation :

"Le mulet tournait en rond, interminablement, posant avec préciosité, parmi les moelles bruissantes, ses pieds menus comme ceux d'un cerf. Son cou flexible oscillait de haut en bas dans le collier comme un bout de tuyau d'arrosage ; les traits lui écorchaient les flancs ; ses oreilles battaient, comme mortes ; ses yeux mi-clos somnolaient maléfiquement derrière ses paupières blêmes, et il semblait endormi par la monotonie de sa propre marche. Quelque Homère des champs de coton devrait chanter un jour la saga du mulet, et dire la place qu'il occupe dans les Etats du Sud. [...] Il ne ressemble ni à père, ni à mère ; n'aura jamais ni fils, ni fille ; vindicatif et patient, - c'est un fait bien connu qu'il travaillera 10 ans avec endurance et bonne volonté pour la seule satisfaction de vous envoyer un unique coup de pied - solitaire, mais sans orgueil, il se suffit à lui-même, mais sans en tirer vanité, et son cri n'est qu'une moquerie qu'il adresse à lui-même. Proscrit et paria, il n'a ni ami, ni épouse, ni maîtresse, ni promise ; seul et invulnérable, il n'habite ni pilier ni grotte dans le désert, il n'est ni assailli par les tentations, ni flagellé par les songes, ni conforté par la Vision. La foi, l'espérance, la charité ne sont pas pour lui. Misanthrope, il travaille pendant 6 jours sans dédommagement pour une créature qu'il déteste, lié par les chaines à une autre créature qu'il méprise, et il emploi le septième jour à ruer contre ses camarades. Méconnu de l'être même dont les instincts et les pensées ressemblent le plus aux siens : le nègre qui le conduit, il accomplit des actes qui profitent à d'autres dans un milieu qui lui est étranger ; il procure du pain non seulement à une race mais à toute une forme d'existence ; [...] il s'acquitte sans se plaindre de son humble et monotone besogne et accueille les coups avec la même indifférence qu'une aubaine. Vivant, on le trimballe à travers le monde comme un objet d'universelle dérision. Sans pleurs, sans pompes et sans litanies, sa carcasse grotesque et accusatrice s'en va blanchir, parmi les boîtes de conserve, les tessons de vaisselles et les pneus hors d'usage, au flanc des collines solitaires, tandis qu'à son insu sa chair prend son essor à travers l'azur entre les serres d'un buzzard."

Fat_Old_Sun

Liste de

Liste vue 2.7K fois

24
15