Cover Cinéphilie obsessionnelle — 2022

Cinéphilie obsessionnelle — 2022

Longs métrages uniquement.
↑↑ Robert Steffey en prison dans "Life of Crime 1984-2020" de Jon Alpert (2021) ↑↑

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Mois après mois, pour le meilleur et pour le pire des découvertes :

Janvier ...

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Liste de

564 films

créee il y a environ 2 ans · modifiée il y a environ 1 an

Ils aimaient la vie
7.4
1.

Ils aimaient la vie (1957)

Kanal

1 h 37 min. Sortie : 12 mars 1958 (France). Drame, Guerre

Film de Andrzej Wajda

Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.

Annotation :

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"Cendres et Diamant", le premier long-métrage vu de Andrzej Wajda (sorti l'année suivante), n'était déjà pas un sommet d'optimisme et joyeuseté, en prenant pour cadre, déjà, les derniers temps de la Seconde Guerre mondiale (les derniers jours en l'occurrence, en mai 1945). "Ils aimaient la vie" (Kanał en version originale, référence aux égouts dans lesquels se passera l'essentiel du film) en rajoute une couche dans ce registre et se fait encore plus noir en suivant la lente agonie d'un groupe de résistants polonais, illustration des derniers moments de l'épisode historique de l'insurrection de Varsovie. La plongée dans le labyrinthe des égouts de la ville, ultime geste de la résistance, se fera dans la douleur, la crasse, la désillusion et l'horreur la plus totale. On n'en ressort pas indemne.

C'est le récit d'un étouffement, au sens propre (les protagonistes sont acculés et épuisés dans les égouts) et au sens figuré (on voit mourir les dernières traces d'espoir au sein du groupe de résistants), focalisé sur des réfugiés sous-terrain encerclés par les Allemands. Chaque membre dispose d'une histoire personnelle, de peurs et de secrets, et dans le piège constitué par ce marécage poisseux et mortel, tous se trouveront unis dans la crainte de la mort. On ne peut pas dire que Wajda fasse un portrait héroïque de la cause pourtant éminemment noble de la résistance : il film ces héros comme des rats en voie d'extinction et le résultat est vraiment terrible.

Au sein de la compagnie éprouvée par les combats à l'air libre, c'est clairement un sentiment d'abandon qui domine. Des hommes et des femmes désorientés, asphyxiés par un air irrespirable, en proie à un découragement grandissant et à une folie inextinguible. La lutte est belle mais la fuite est vaine dans cet enfer où les conventions morales s'effondrent les unes après les autres. Rares sont les huis clos à présenter un épisode traumatique avec autant de vigueur, de pertinence formelle et d'immersion saisissante dans ce microcosme fétide. Un désastre bien éloigné des films de propagande exaltant l'héroïsme de la résistance.

Eureka
6.6
2.

Eureka (1983)

2 h 10 min. Sortie : 5 mai 1983 (Royaume-Uni). Drame, Thriller

Film de Nicolas Roeg

Morrinson a mis 5/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Nicolas Roeg n'a décidément pas fini de me surprendre. Une filmographie franchement hétéroclite, iconoclaste, partagée ente des parfums australiens et des bizarreries britanniques, et s'il est avant tout reconnu pour ses œuvres sorties dans les années 70 (le magnifique "Walkabout", l'intrigant "Ne vous retournez pas", l'épileptique "Performance"), la décennie des années 1980 recèle également son lot de pépites biscornues et attachantes, à ce titre. Il faudra ensuite parcourir ses productions des années 90 et 2000, mais en l'état, "Eureka" est un ovni très difficile à appréhender qui se classe très clairement du côté des films les plus étranges que compte sa filmographie, du côté de pépites méconnues comme "Castaway" qui s'intéresse lui aussi à une île, mais dans une dimension toute autre — Oliver Reed et Amanda Donohoe en néo-Robinson.

Il est quasiment impossible de produire un résumé concis qui serait cohérent. L'intrigue se décompose en 3 grands temps, 3 époques, 3 styles, 3 ambiances qui n'ont rien à voir.
Une introduction absolument erratique, morbide, surréaliste, fonctionnant par fragments glacés, parsemée de suicide et de séquences sorties d'on ne sait où, constituant le passé du récit en 1925 tandis que Jack McCann (Gene Hackman) cherche de l'or en Alaska et tombe sur le plus grand filon, faisant de lui l'homme le plus riche du monde.
Puis le cœur du film, sur une île paradisiaque éponyme des Caraïbes 20 ans plus tard. Le mythe du chercheur d'or à la Le Clézio prend ensuite le pas, avec la fameuse mélancolie de l'homme qui n'a plus rien à chercher et qui se morfond dans sa condition désabusée. Il vit reclus avec sa femme alcoolique, il est plein de suspicion quant à son beau-fils (Rutger Hauer) et il est harcelé par la mafia (Mickey Rourke et Joe Pesci) qui souhaite construire un casino pour on ne sait quelle raison sur cette île.
La dernière demi-heure est sous la forme d'un procès, suite à la mort du milliardaire, très verbeuse et au style beaucoup plus ampoulé que tout ce qui a précédé.

Suite
https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1983/373467

Les Olympiades
6.8
3.

Les Olympiades (2021)

1 h 45 min. Sortie : 3 novembre 2021. Drame, Romance

Film de Jacques Audiard

Morrinson a mis 3/10.

Annotation :

Alors là, Audiard (fils) engagé dans la mise en scène d'un chronique banale de la jeunesse et de la modernité, il y avait de quoi perdre un gros pari tant je ne l'attendais absolument pas sur ce terrain. Avec son noir et blanc arty un peu prétentieux (et pas totalement justifié je trouve) et son exploration très prosaïque des élucubrations sentimentales et sexuelles d'une poignée de personnages, on ne peut pas dire que le réalisateur ait joué la carte de la continuité. Mais difficile aussi d'y trouver un intérêt quelconque en ce qui me concerne, et c'est là que le bât blesse : c'est tout de même bien triste de voir Audiard réciter une sorte de catéchisme de Nouvelle Vague encapsulée dans une peinture aussi stéréotypée et vaine, vide, de notre époque.

Il y a manifestement un petit côté conte moral que n'aurait pas renié Rohmer par exemple, avec ces tentatives du côté de la volupté, sur le thème de la séduction, du sexe, et de tout ce que le marivaudage contemporain peut compter comme discours amoureux. Audiard s'essaie à la sensualité mais on a bien du mal à se départir de ce sentiment qu'il s'agit d'un regard un peu déplacé, en retard sur son époque, sans grand-chose de fondamental à dire — oui, les réseaux sociaux contiennent pas mal de merde, oui, le harcèlement est dramatique, oui, beaucoup de jeunes font des boulots de merde. Comme si tout cela était abordé de loin, sans s'en soucier vraiment, plus occupé par ses effets, pas sa volonté de faire moderne, à grand renfort d'enfoncements de portes ouvertes.

Si c'est ça, le souffle nouveau du cinéma d'Audiard, avec incrustation de SMS à l'écran et dénonciation de la violence de la vie numérique, non merci, ce sera sans moi. On ne l'a pas attendu pour s'interroger sur la vacuité des applications de rencontre. Très peu d'intérêt à mes yeux, car les personnages sont quasiment inexistants, seulement des faire-valoir entre lesquels on saute de manière inopinée et opportuniste. Il y a aussi un effet d'accumulation de signes de l'époque qui enferme malheureusement le film dans un traitement extrêmement superficiel : la légèreté du film permet à l'ensemble de passer sans difficulté, mais ça reste un tableau sur l'incommunicabilité vraiment pauvre et sans consistance.

Les Amours d'une blonde
7.1
4.

Les Amours d'une blonde (1965)

Lásky jedné plavovlásky

1 h 21 min. Sortie : 16 février 1966 (France). Comédie dramatique, Romance

Film de Miloš Forman

Morrinson a mis 6/10.

Annotation :

"Les Amours d'une blonde" me replonge quelques années en arrière, au moment où je défrichais la partie tchécoslovaque de la filmographie de Miloš Forman, avec "L'Audition" ou encore "Au feu, les pompiers !". Je n'étais pas grand client à l'époque, je ne le suis sans doute pas beaucoup plus aujourd'hui (un peu toujours les mêmes choses qui me posent problème dans ce cinéma féroce sous ses allures calmes, avec ses bouts de satire), mais j'ai trouvé le contenu de ce film beaucoup plus équilibré que les deux autres. En revanche, ce n'est pas le meilleur film à regarder pour se remonter le moral car il est d'une acidité vraiment soutenue en ce qui concerne les illusions de l'amour : c'est bien plombant et ce n'est pas exactement ce que je recherchais.

On distingue plusieurs parties presque cloisonnées dans le film, avec une première assez descriptive sur l'état de cette ville souffrant (selon les dires du patron d'une usine de chaussures) d'une surpopulation féminine, une seconde consacrée à la confrontation de cet univers à un régiment militaire censé apporter la masculinité tant convoitée, et enfin une dernière portant sur sur la quête éponyme qui se focalise plus avant sur un personnage féminin.

Quelques beaux passages sont à noter, comme celui en forêt où une femme attache une cravate à des arbres. D'autres beaucoup moins percutants, comme la scène du bal avec la description comique mais un peu plate du fossé qui semble séparer les femmes des hommes, dans leurs conceptions de la séduction, de la vie amoureuse, etc. quand bien même cela se ferait avec beaucoup de tendresse. Peut-être aussi que le côté burlesque de la satire n'aide pas, j'apprécie davantage les élans amers sur la jeunesse, en tous cas, dans la dernière partie. Le passage délicat à l'âge adulte, les conflits et incompréhensions entre génération... Sur une tonalité entre Nouvelle Vague française et free cinema anglais de la même époque, avec ses défauts en matière de structure un peu désordonnée et déconnectée, le film reste appréciable.

Le Mystère de la Tour Eiffel
5.

Le Mystère de la Tour Eiffel (1928)

2 h 17 min. Sortie : 6 janvier 1928 (France). Comédie, Thriller, Muet

Film de Julien Duvivier

Morrinson a mis 6/10.

Annotation :

Je connaissais le versant muet du cinéma de Duvivier à travers des films comme "Haceldama ou Le prix du sang" (un étrange western à la française) ou sa première adaptation de "Poil de carotte" de 1926, mais "Le Mystère de la tour Eiffel" apporte une nouvelle facette à ce segment. C'est un peu comme si Duvivier s'essayait au serial à la Feuillade, sous la forme d'un thriller d'époque en version comique. Le résultat est très étrange, très hétérogène, avec une introduction de facture très classique dans sa présentation d'un faux duo de siamois circassiens interprétés par le même acteur à l'aide de surimpressions, et puis le film déraille totalement à la faveur d'un héritage colossal et d'une manigance assez moche de la part d'un des deux. Un film de plus de 2h assez long il faut le dire, avec beaucoup de scènes un peu trop étirées, mais pas désagréable à regarder grâce à son humour gentiment désuet (le charme de la mode des années 1920) et à sa description particulièrement emphatique d'une organisation secrète de malfaiteurs. C'est là qu'il faut s'accrocher : une association de malfaiteurs qui communique grâce à des signaux émis via la Tour Eiffel, baptisée "association des Compagnons de l'Antenne" et parfois appelée "Ku-Klux-Eiffel", oui oui oui, avec bien évidemment l'accoutrement typé KKK qui va bien. C'est assez drôle, ici de manière involontaire donc, car cette vision du groupe maléfique est vraiment caractéristique de son époque et elle évolue au sein d'une intrigue particulièrement tirée par les cheveux et hautement improbable — mais on s'en amuse pas mal. Le film file tranquillement vers son climax final annoncé par le titre, un combat sur la structure de la tour éponyme, plutôt impressionnant pour l'époque (je n'ai pas vu de câbles ou de filets de sécurité, Duvivier a pris ou fait prendre des risques a priori). Cette séquence n'est pas aussi inventive et poétique que du Keaton mais elle n'en reste pas moins intrigante, conclusion étonnante d'une chasse à l'homme avec société secrète et membres masqués, nombreuses poursuites en automobiles (et même en avion siouplaît). Dommage simplement que Félicien Tramel ne soit pas davantage convaincant.

Mad God
7.1
6.

Mad God (2021)

1 h 24 min. Sortie : 26 avril 2023 (France). Animation, Épouvante-Horreur, Fantastique

Long-métrage d'animation de Phil Tippett

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Totalement hypnotisé par ce voyage en animation stop-motion dans un univers fantastique et horrifique au sens parfois obscur, grouillant de détails tous plus dégueulasses, angoissants et fascinants les uns que les autres. Phil Tippett, directeur d'effets visuels réputé pour son travail sur des films comme "Star Wars", "RoboCop", "Jurassic Park", "Piranhas" et dans une moindre mesure "Howard the Duck", s'est embarqué dans ce projet pharaonique il y a plus de 30 ans (avec de nombreuses péripéties, avec abandon et reprise). Le résultat est en tous cas passionnant, et l'immersion dans ce monde en ruines produit un effet sidérant.

"Mad God" est avant tout adressé aux amateurs de bizarreries horrifiques, et ces 80 minutes dépourvues de dialogues trouvent leur intérêt dans la richesse des décors aux détails foisonnants. Le scénario se positionne au niveau d'un point-selle, minimal et maximal, minimal de par l'absence volontaire d'explicitation et de contextualisation, maximal de par l'ampleur de l'histoire qui se déroule progressivement, avec quelques répétitions et de nombreux sursauts chaotiques. Quelques faiblesses toutefois : un certain côté répétitif, à travers la récurrence des opérations de ces missionnés à l'exploration, ainsi que l'intégration assez moche de personnages réels joués par de vrais acteurs, en contraste net avec l'ensemble.

Mais c'est bien peu de chose en regard de la bizarrerie générale, investie avec assurance, faite de paysages et de monstres tous captivants. C'est un film expérimental qui ne se laisse jamais déborder par ses excès, avec un côté glauque et foisonnant vraiment maîtrisé, en prise directe avec l'imaginaire gore des années 80. La dimension mystérieuse du voyage alliée à l'angoisse sourde qui traîne constamment, quand bien même il n'y aurait rien de fondamentalement nouveau dans le fond, débouche sur une œuvre de grand barjot — difficile d'imagine le nombre (de milliers) d'heures qu'il aura fallu pour atteindre ce résultat. D'un côté, sans véritable trame narrative hormis la mission de ces bonhommes à mallette, on se retrouve happé par ces tableaux de destruction et ces environnements de chair et de métal. De l'autre, de cette apocalypse horrifique d'où surgit de temps à autre une créature abominable ou même un tank, émerge un final résolument explosif, un big bang originel provoqué par une larve réduite...

Suite
https://www.senscritique.com/liste/Top_films_2021/2963640

Les Anges aux figures sales
7.8
7.

Les Anges aux figures sales (1938)

Angels with Dirty Faces

1 h 37 min. Sortie : 24 février 1939 (France). Drame, Gangster

Film de Michael Curtiz

Morrinson a mis 5/10.

Annotation :

Si "Angels with Dirty Faces" s'inscrit très bien dans son époque, les années 30, la Prohibition, les films de gangster, force est de contaster que le discours très moralisant prend des proportions gargantuesques dans la dernière partie et rend impossible ou presque l'adhésion. Il y avait Paul Muni dans "Scarface" (1932, Howard Hawks), Edward G. Robinson dans "Little Caesar" (1931, Mervyn LeRoy), et il y a donc James Cagney avec sa trombine et son jeu si caractéristiques, déjà présent dans "The Public Enemy" (1931, William A. Wellman) et "The Roaring Twenties" (1939, Raoul Walsh, en compagnie de Bogart ici aussi). Beaucoup de grands noms, côté acteurs et réalisateurs.

Peut-être est-ce dû aux contraintes posées par le code Hays, peut-être est-ce l'empreinte de Michael Curtiz (décidément insaisissable, protéiforme, entre "Les Aventures de Robin des Bois" et "Casablanca"), mais au final le résultat est un film bien trop pédagogique avec ses deux trajectoires opposées, deux gamins qui ont grandi différemment, l'un devenu prêtre généreux, l'autre devenu malfaiteur. Le film est loin d'être dépourvu de qualités : si la figure du curé est très prévisible et franchement antipathique vue d'aujourd'hui, celle du personnage de Cagney est beaucoup plus ambivalente, l'ex-taulard accueilli comme un héros auprès des jeunes du quartier souffrant de cas de conscience lorsque son activité professionnelle de malfrat entre en confrontation avec sa vie personnelle et sentimentale.

C'est surtout toute la consonance sociale qui retient l'attention, à mes yeux, car même si elle se fait totalement oblitérer par le catéchisme explicite, on sent bien que c'est ce qui animé le récit. L'idée selon laquelle les déterminismes et le hasard conduit deux personnalités dans des directions contraires, alimentant ainsi une fibre tragique élégante. Les enjeux sociaux auraient très bien pu supporter les schémas moraux, avec l'amitié remise en question, sans se coltiner cette morale au pas lourd. La spirale infernale que l'ami d'enfance essaie d'enrayer, l'espoir que fait miroiter l'argent facile des mafieux, autant de thèmes qui auraient pu s'épargner la trajectoire rédemptrice retenue, à savoir le remède miracle de la religion.

L'Horloge
7.6
8.

L'Horloge (1945)

The Clock

1 h 30 min. Sortie : 25 mai 1945 (États-Unis). Drame

Film de Vincente Minnelli

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Très surprenant de la part de Vincente Minnelli, qui remplace au pied levé Fred Zinnemann à la réalisation sur demande de l'actrice Judy Garland (sans séquence chantée ici). Une romance pur jus, aux légers accents mélodramatiques, faisant la part belle à la relation qui unit un soldat américain en permission pour deux jours à New York et une jeune femme rencontrée par hasard. Les années 40 laissent exploser toute la naïveté touchante d'une romance pure, en laissant de côté toute la rigidité que l'on peut ressentir dans d'autres registres. Robert Walker incarne à merveille l'idéalisme romantique du jeune soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, au creux d'une parenthèse enchantée qui lui fera visiter la ville et rencontrer la femme avec laquelle il se mariera comme par nécessité.

Tout le film est là, contenu dans ce trio : Judy Garland, Robert Walker, et New York (en décors de studio). Un récit entièrement consacré au tourbillon amoureux, qu'on voit venir de très loin et que seuls les deux protagonistes semblent ignorer jusqu'au moment où une étincelle allume le tout. C'est mon côté fleur bleue (souvent en stase il faut le reconnaitre) qui s'embrase aussi, à partir d'une histoire extrêmement simple mais sincère. Minnelli parvient à donner corps à un sentiment de solitude particulier chez Joe, et malgré tout le côté désuet de cette romance très premier degré, l'évolution de sa relation avec Alice et les différentes péripéties romantiques qu'ils traversent confère au film une dimension très chaleureuse.

Durant les 48 heures de permission, on compte quelques passages qui ont beaucoup moins bien résisté à l'épreuve du temps, et bizarrement ce ne sont pas des composantes liées à l'histoire d'amour. Le repas avec le laitier rencontré sur la route et sa femme, pour expliquer assez lourdement que l'amour peut arriver par coup de foudre, l'homme ivre dans le bar qui n'en finit pas de jouer l'élément perturbateur au sein de l'idylle, ainsi que les méandres de l'administration explorées en long en large et en travers dans le but d'obtenir les papiers nécessaires à leur mariage... Ces moments-là ne jouent pas en la faveur de la romance, mais ne parviennent tout de même pas à entacher le mouvement amoureux entre les deux, leurs jeux de cache-cache, la surprise quant à la rapidité des sentiments, ou la peur de ne pas se retrouver dans l'immensité de la ville.

Broadway Therapy
6.3
9.

Broadway Therapy (2014)

She's Funny That Way

1 h 33 min. Sortie : 22 avril 2015 (France). Comédie

Film de Peter Bogdanovich

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

La mort récente de Peter Bogdanovich aura eu un effet catalyseur et tristement bénéfique sur mon visionnage de sa filmographie, étant donné qu'un titre comme "Broadway Therapy" (She's Funny That Way) trotte dans mon esprit procrastinateur depuis 7 ou 8 ans. Je ne m'attendais à rien, et pourtant je ne m'attendais pas du tout à ça : une comédie sophistiquée farcie de références (on reconnaît bien le Bogdanovich cinéphile) chassant sur les terres de Woody Allen et dont un ressort comique essentiel du vaudeville centré sur Owen Wilson trouve son origine dans un film de Lubitsch, "Cluny Brown" — la réplique de Charles Boyer : "In Hyde Park, for instance, some people like to feed nuts to the squirrels. But if it makes you happy to feed squirrels to the nuts, who am I to say, "nuts to the squirrels?".

Si les références sont nombreuses, elles ne sont pas pour autant assommantes, et Bogdanovich a eu la délicatesse de les insérer en préservant la fluidité de l'ensemble. Les mises en abyme sont nombreuses, dès la confidence de Imogen Poots à une journaliste qui sert de base au récit, les croisements d'arcs narratifs sont omniprésents et vont crescendo avec en toile de fond la préparation d'une pièce de théâtre qui servira de défouloir hystérique : on pourrait penser, à la lumière de ce foutoir, que le film ne peut être qu'indigeste. Pourtant, "She's Funny That Way" est une comédie loufoque dont l'articulation complexe des différentes strates est vraiment bien maîtrisée, avec un effet cumulatif au potentiel comique très appréciable.

C'est un style tout de même très singulier. Il faut apprécier Jennifer Aniston en psychanalyste hystérique, Rhys Ifan en comédien narcissique lubrique, un large panel de seconds rôles farfelus, et surtout Owen Wilson au centre des échanges en chef d'orchestre du loufoque. Bogdanovich investit une screwball revisitée, alimentée par un tissu de mensonges et d'imbroglios faisant intervenir moult escort girls, dans une cacophonie grandissante assez jubilatoire. Le chassé-croisé burlesque est d'une densité telle qu'il pourra se révéler excessif aux yeux de beaucoup, mais à titre personnel c'est le genre de comédies sophistiquées contemporaines (influencées par Lubitsch qui plus est) que je n'attendais plus.

La Machine
4.8
10.

La Machine (1994)

1 h 34 min. Sortie : 30 novembre 1994 (France). Fantastique

Film de François Dupeyron

Morrinson a mis 3/10.

Annotation :

L'idée est originale et ambitieuse sur le papier, mais beaucoup trop ambitieuse en pratique dans les mains de François Dupeyron qui ne parviendra jamais à se sortir de l'ornière du ridicule. La sortie de route est presque inévitable dans ces conditions : un psychiatre joué par Gérard Depardieu construit une machine censée lire dans les pensées de ses patients mais par un grand coup de malchance, il se trouve qu'il a inventé la machine à échanger les corps et il se retrouve projeté dans celui d'un criminel interprété par Didier Bourdon. Toutes les lourdeurs de la caractérisation à la hache de la première partie (le médecin qui se creuse la tête pour percer les secrets du cerveau, le criminel psychopathe anesthésié par son internement, la petite famille aimante, etc.) se transforment progressivement en des maladresses gigantesques en termes de thriller et de suspense moisi.

3 ans avant "Volte/Face" (aka Face/Off) de John Woo, on avait donc un film qui s'essayait déjà à l'échange de corps, dans une formule totalement involontaire ici, et surtout relevant de la science-fiction de très mauvaise qualité, avec des trous immenses dans son scénario. Impossible d'accrocher à l'histoire, impossible d'être pris par la tension de l'échange des corps, et les deux acteurs en font des tonnes en matière de surjeu de leurs rôles (et changements de rôles) respectifs. Le concept ne prend jamais forme, la caricature enveloppe absolument tout, la femme est enfermée dans son rôle de compagne aimante trop compréhensible, les seconds rôles figurent parmi ce que le cinéma français peut faire de pire, et le crescendo de stupidité amorce une accélération rédhibitoire en fin de film. Un naufrage.

L'Arpète
11.

L'Arpète (1929)

1 h 47 min. Sortie : 19 juillet 1929 (France). Comédie

Film de Donatien

Morrinson a mis 6/10.

Annotation :

Une curiosité qui ravira les amateurs du style des années 1920, à l'époque du muet mature, en immersion dans le fonctionnement de la haute couture. Le scénario, s'il n'est pas ce qui retient le plus l'attention, n'est pas en reste : on s'amuse pas mal à voir cette femme, l'arpète éponyme travaillant pour un couturier au bord de la faillite, transformée pour l'occasion en bourgeoise dans le but d'appâter de vrais clients et les inciter à acheter des robes de la collection et renflouer les caisses de l'entreprise. Problème 1 : après ce petit jeu, ses camarades n'apprécient pas sa position de supériorité qu'elle s'est donnée l'espace d'un instant, et son patron la renvoie à cause de quelques libertés prises. Problème 2 : le client richissime qui devait acheter les robes demande par la suite à revoir cette charmante bourgeoise car elle lui a tapé dans l'œil. Problème 3 : cet acheteur n'est autre que le père de l'amant officiel de la jeune femme, ce qui ne manquera pas de créer des remous au sein de du couple et de la famille.

Scénario touffu, donc, mais qui ne prend pas le dessus, à mes yeux, sur l'ambiance graphique qui occupe tout l'espace. Donatien n'est pas L'Herbier, certes, et "L'Arpète" n'atteint pas le niveau de fascination de "L'Inhumaine" par exemple, mais on reste tout de même dans un imaginaire enchanteur, avec son siècle de retour dans le passé, bercé par l'univers de la mode parisienne du début du XXe siècle. Avec en prime quelques scènes mémorables, comme ce bal carnavalesque comme motif pour laisser libre cours à un festival de tenues diverses. Le film ne travaille pas tant que ça la composante sociale qu'on peut subodorer en lisant les grandes lignes, à savoir une petite employée projetée dans le microcosme de la haute société. Il s'attache beaucoup plus à mettre en lumière l'actrice, Lucienne Legrand, et on découvre ici une période étonnamment libérée, avec de très nombreuses séquences la montrant en petites tenues. Un film qui vaut le détour ne serait-ce que parce qu'il ne ressemble pas à grand-chose d'autre.

U-Turn, ici commence l'enfer
6.5
12.

U-Turn, ici commence l'enfer (1997)

U-Turn

2 h 04 min. Sortie : 14 janvier 1998 (France). Thriller

Film de Oliver Stone

Morrinson a mis 2/10.

Annotation :

Le mauvais goût volontaire est un exercice de style dangereux et délicat, et à mon sens Oliver Stone se prend magistralement les pieds dans le tapis avec ce thriller sous la forme d'un néo-noir empêtré dans ses caricatures dégoulinantes de tous les excès imaginables. Déjà que lorsque c'est fait avec tact je ne suis pas très bon client du grotesque de ce genre (j'ai beaucoup pensé à "Red Rock West", même si l'interprétation de Nicolas Cage valait infiniment plus que celle de Sean Penn ici, qui n'y est malheureusement pas pour grand-chose), mais alors quand c'est aussi volontaire dans le putassier, le cocktail est explosif. Bien sûr que le caractère outrancier extrême est revendiqué et affiché avec une constance volontaire, il n'empêche, ça ne passe pas. On pourrait prendre tous les personnages un par un pour mesurer à quel point ils véhiculent un rejet épidermique : Billy Bob Thornton en garagiste redneck idiot et à la dentition pourrie, Jon Voight en clochard indien aveugle, Joaquin Phoenix en caïd macho, Nick Nolte en mari violent... La liste des clichés tartinés en couches épaisses est interminable, et même les personnages plus approfondis comme ceux de Jennifer Lopez et Sean Penn finissent par exaspérer tant le scénario les malmène. On finit par très vite se foutre royalement des mésaventures du protagoniste citadin tombé dans ce coin paumé d'Amérique, avec sa malchance épique et son contraste trop grossier avec la ruralité environnante. Stone ne parvient à aucun moment, à mes yeux, à donner vie à cette situation de cauchemar éveillé, la faute à la tonalité de polar dégénéré jusqu'à l'indigestion et à un traitement de l'image hideux (une sorte d'approche irréelle qui donne la nausée). La vanité se veut carburant d'une certaine noirceur dans le propos, mais cette entreprise de destruction nihiliste est bien trop maladroite et gratuite pour susciter le moindre élan d'adhésion. Trop d'hystérie pour que la provocation fonctionne, un humour noir qui ne peut jamais bourgeonner, et un rythme trop épileptique pour se savourer. La bande originale est à la hauteur du reste : caricaturale et pas du tout originale (Ennio Morricone fait lui-même du sous Ennio Morricone caricatural, c'est troublant).

La Dernière Étape
7.3
13.

La Dernière Étape (1948)

Ostatni etap

1 h 46 min. Sortie : 24 septembre 1948 (France). Drame, Guerre, Historique

Film de Wanda Jakubowska

Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Difficile de rester insensible devant ce film-témoignage de Wanda Jakubowska, réalisatrice et résistante polonaise, adhérente du Parti communiste, qui finira internée dans le camp d'Auschwitz-Birkenau après avoir passé 6 mois dans la prison de Pawiak suite à son arrestation par la gestapo. La volonté de Jakubowska de réaliser un tel film remonte à ses premiers moments d'emprisonnement, et c'est en tant que rescapée d'Auschwitz qu'elle se lancera dans la réalisation de ce film, sur les lieux mêmes de l'horreur, seulement 2 ans après son évasion du camp de concentration. Cette force-là fait de "La Dernière Étape" une œuvre dont la portée est nécessairement unique, au-delà du fait qu'il s'agisse du premier film entièrement situé dans Auschwitz-Birkenau.

Si le film ne témoigne pas d'un talent de mise en scène hors du commun, et si son scénario n'est pas exempt d'écueils, il reste toutefois un témoignage intéressant sur la vie des femmes déportées dans sa première partie. Sans vraiment s'approcher du documentaire, le quotidien de ces femmes aux origines très différentes (et aux traitements tout aussi différents, en fonction de leurs origines et de leurs capacités linguistiques) est raconté avec un calme vraiment étonnant, sans excès, comme si Jakubowska bénéficiait d'un recul impensable en 1947 au moment du tournage. Les détails pragmatiques sont tous présents : l'arrivée des trains, l'appel dans les champs de boue, l'orchestre de camp contraint de jouer dans les pires moments, les sélections pour emmener des femmes aux chambres à gaz dont on perçoit les cheminées, etc.

La seconde partie est beaucoup plus orientée vers une tranche fictionnelle, gouvernée par une tonalité de propagande communiste avec ses personnages un peu stéréotypés. Autant dans la première partie on ressent sa volonté de ne pas montrer les aspects les plus morbides d'un camp de concentration (pas de tas de corps pour le dire crûment), autant la fiction de la seconde partie montre ses limitations en matière de dramaturgie — et ce malgré l'aval de Mikhaïl Kalatozov à l'encontre du gouvernement polonais. "La Dernière Étape" restera quoi qu'il en soit important pour son témoignage dans l'immédiateté, avec un casting entièrement polonais pour interpréter les différents rôles, prisonniers, kapos et SS.

The Beta Test
6.1
14.

The Beta Test (2021)

1 h 31 min. Sortie : 15 décembre 2021 (France). Comédie dramatique, Thriller

Film de Jim Cummings et PJ McCabe

Morrinson a mis 5/10.

Annotation :

"Thunder Road" m'avait vraiment dérangé à travers la prestation de Jim Cummings au centre d'absolument tout, avec ses monologues interminables, ses changements de tons soudains et son introspection expansive en guise de film. Peut-être qu'un aspect positif insoupçonné de ce visionnage aura été de me préparer psychologiquement à "The Beta Test", car j'attendais l'acteur-réalisateur sur son terrain et si les excès caractéristiques de son style sont toujours aussi présents et prédominants, je suis parvenu à ne pas le prendre en grippe.

Cummings interprète le même genre de personnage, extrêmement volubile, dont la loquacité dissimule ouvertement des failles existentielles qui ne demandent qu'à être explicitées encore davantage. Mais cette fois-ci cet humour vraiment particulier, à la fois intime et lourdingue, sert de carburant à un semi-thriller bizarre qui prend pour élément de base le très factuel piratage massif de la société américaine Sony Pictures Entertainment en novembre 2014 — on ne l'apprendra qu'à la fin. La face émergée de l'iceberg, c'est l'histoire d'un agent hollywoodien à succès (dents blanches, beaux costumes, grosse voiture, domination masculine, mariage en vue, etc.) qui reçoit un jour une lettre anonyme l'invitant à un rendez-vous sexuel. Une correspondance qui ne sera évidemment pas sans conséquence.

Je dois avouer que sur ce versant-là, le mélange des genres entre comédie et suspense, le film tire son épingle du jeu. La première scène est glaçante (le coup de couteau est horrible de rapidité), et la débauche volontaire de pathos pour dépeindre le mal-être du protagoniste tisse une toile insolite, avec pour horizon une dénonciation à la fois imparfaite et déjà vue du cynisme d'Hollywood. Le show de Cummings pose tout de même problème, partagé entre son narcissisme qu'il ne cherche même pas à cacher et son masochisme inhérent à une telle mise à nu. Le film passe 1h30 à dépeindre la vacuité de son existence et le caractère odieux de son comportement, tout ça pour filer tout droit vers le climax final dans un sous-sol avec la confession qu'il fait à sa femme, seul moment sincère de son existence semble-t-il. Le fantasme de l'adultère est toutefois bien exploité dans le cadre angoissant du thriller, plus que la satire d'Hollywood, même si le sentiment d'un manque de développement domine sur la fin.

Mais, encore une fois, il faut être capable de passer au-delà des outrances permanentes de Cummings. Un sacré défi.

Mouchette
7.3
15.

Mouchette (1967)

1 h 21 min. Sortie : 28 mars 1967. Drame

Film de Robert Bresson

Morrinson a mis 7/10.

Annotation :

Troublante première fois chez Bresson, sans y être préparé et sans l'avoir cherché. Son austérité "neutre" m'avait déjà bien remué dans des films comme "Un condamné à mort s'est échappé", pour la partie la plus accessible de sa filmographie si on peut dire, mais en revanche son austérité plus mystique ne m'avait jamais emporté, en témoigne ma distance prudente avec "Au hasard Balthazar". "Mouchette" partage d'ailleurs avec ce dernier la peinture d'une figure christique prenant sur elle la méchanceté et le désespoir du monde, mais à la différence de cet autre moment empreint d'un fatalisme très franc, sorti un an avant, le naturalisme de la mise en scène, le caractère amateur de la distribution et la noirceur du propos sont parvenus à moi de manière constructive. Autant dire que la dernière séquence sous la forme d'une triple tentative de suicide par la jeune fille ne m'a pas laissé pas indifférent.

Peut-être que j'arrive à un stade de maturité vis-à-vis du style Bresson, lié à une confrontation périodique avec ses films qui ne me brossent pas dans le sens du poil, et que ce n'est que depuis cette position que l'on peut apprécier le spectacle de cette rencontre quotidienne avec le mal. Dans un paysage rural brossé par seulement quelques traits (la chasse, les commerces, les paysans), tout ce qui entoure Mouchette en est un symbole potentiel : les braconnages, la maladie de la mère, le rejet des autres, la misère permanente, comme autant de sources mortifères qui la rongent. Je suis tombé sur cette citation de Tarkovski qui va dans le sens de ma réception du jeu de la protagoniste : "Nadine Nortier, l'interprète de Mouchette sous la direction de Bresson, ne paraît pas se soucier de savoir si le spectateur perçoit la profondeur des évènements qu'elle est en train de vivre. Au contraire, elle semble ne pas se douter que sa vie intérieure intéresse ceux qui la regardent. Elle vit absorbée par son univers personnel clos. C'est ce qui ne cessera de la rendre émouvante". Son apparence chétive, ses haillons décrépis, ses chaussures trop grandes, sont autant de prises sur son inadéquation à un monde mauvais et sur sa souffrance permanente.

Suite
https://www.senscritique.com/liste/Cinephilie_obsessionnelle_2022/3158495/page-1

La Continental : Le mystère Greven
6.8
16.

La Continental : Le mystère Greven (2017)

52 min. Sortie : 21 novembre 2017 (France).

Documentaire de Claudia Collao

Morrinson a mis 6/10.

Annotation :

Documentaire court, standard, pas particulièrement étoffé mais néanmoins intéressant sur le personnage que je ne connaissais pas derrière La Continental : Alfred Greven. Un studio de production créé à Paris pendant l'Occupation, à l'initiative de Goebbels, dirigé ainsi par un homme dont on ne connaît presque rien aujourd'hui. Mandaté par les nazis pour "produire des films légers" (le temps de cerveau disponible était quelque chose qu'on travaillait déjà au milieu du XXe siècle, l'ex-PDG de TF1 Patrick Le Lay n'a rien inventé), ne pas dire de mal de la propagande nazie, ne pas vanter les juifs et éviter les faits de guerre, et ainsi détourner les Français de la guerre, Greven n'en fit en réalité qu'à sa tête et détourna l'entreprise au profit d'un cinéma beaucoup plus ambitieux, avec des films comme "Le Corbeau" par Clouzot, des adaptations de Zola et Maupassant pourtant mis à l'index en Allemagne, tout en encourageant des scènes que la censure de Vichy aurait refusées. Histoire et périodes particulièrement passionnantes, racontées entre autres par un Tavernier aussi loquace que d'habitude, avec toutes ses anecdotes de conteur et sa cinéphilie malicieuse — la lecture de son "Amis américains" va totalement dans ce sens —, histoire qu'il adaptera d'ailleurs au cinéma en 2002 avec "Laissez-passer".

Un personnage que l'on a beaucoup de mal à cerner donc, pas du tout le collabo canonique, quelqu'un qui a pris des risques étonnants en allant à l'encontre des prérogatives de Goebbels et Goering, qui ne fut inquiété ni pendant ni après la guerre. Une personnalité difficile à saisir, un nazi pas comme les autres serait-on tenté de dire, dont l'amour du cinéma le faisait passer outre la censure et solliciter les talents français y compris juifs et communistes. Le cas du réalisateur Jean-Paul Le Chanois, aka Jean-Paul Dreyfus de son nom de naissance, est à peine croyable. Cet ilot de liberté dans la France occupée reste insaisissable, et il le restera probablement malgré l'appétit de certains intervenants pour les révélations que pourraient susciter l'exploration des archives internationales. Au final la question de la collaboration est très vite éludée (car très complexe) pour ce consacrer au portrait d'un homme assez fou qui désobéissait aux injonctions de Goebbels et qui ne tenait pas compte des rappels à l'ordre.

Les Camarades
7.6
17.

Les Camarades (1963)

I compagni

2 h 10 min. Sortie : 7 janvier 1966 (France). Drame, Historique

Film de Mario Monicelli

Morrinson a mis 6/10.

Annotation :

À la croisée du film de grève (de "Le Sel de la terre" 1954 à "Adalen 31" 1969) et du cinéma italien brassant autant le drame que la comédie, "Les Camarades" n'est pas un film particulièrement facile à appréhender. C’est le film le plus sérieux de Monicelli que je vois, au milieu de toutes ses comédies et d'un film entre-deux ("La Grande Guerre", 1959), l'histoire repose sur une grève bien réelle qui eut lieu à la fin du XIXe siècle dans le nord de l'Italie, et porte sur les conditions de travail des ouvriers d'une fabrique textile de Turin. L’absence de Sordi ou Gassman joue sans doute aussi dans le sens du film sérieux.

Le schéma narratif est assez conventionnel, au sens où on décrit la situation catastrophique, une péripétie dramatique survient et pousse les plus revendicateurs à catalyser un mouvement de grève, avec toutes les difficultés que l'on peut imaginer (les briseurs de grève, la grève sur la durée avec les difficultés économiques, la tentation de la reprise), et assorti d'une personnalité qui se détache du groupe — ici Marcello Mastroianni en professeur rouge, qui pourrait avoir un rôle proche des anarchistes dans "Germinal" (1993).

Le personnage de Sinigaglia est d'ailleurs très particulier (un peu caricatural dans son portrait d'idéaliste barbu, perdu, seul conscient mais persécuté), le seul porteur d'un peu de dérision dans le film, puisqu'il est celui qui donne au mouvement toute sa dimension politique, c'est lui qui parvient à remobiliser les troupes dans les moments de faiblesse, mais il est souvent présenté comme un antihéros, voire un bouffon. En contraste net en tous cas avec la dignité avec laquelle Monicelli rend compte des conditions de vie des ouvriers, avec leurs familles.

Suite
https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1963/374090

La Prison
6.2
18.

La Prison (1949)

Fängelse

1 h 19 min. Sortie : 11 mars 1959 (France). Drame

Film de Ingmar Bergman

Morrinson a mis 4/10.

Annotation :

Pas follement emballé par ce film de Bergman figurant au début de sa carrière, première réalisation pour laquelle il écrit également le scénario et donc premier film que l'on qualifie de "vrai" Bergman après des œuvres de commande. Difficile pour moi de d'extraire de ces considérations très théâtrales pour la mise en abîme de la réalisation d'un film (dans le film) sur le thème de l'enfer sur terre et du diable. L'arrivée de l'ancien professeur de mathématiques fraîchement sorti de l'asile faisant naître cette idée dans le cerveau d'un personnage est très artificielle, la montée en puissance de l'enfer banal de la vie quotidienne est à la fois préfabriquée et soporifique. La qualité technique de l'ensemble, avec notamment une séquence onirique réussie, ne parvient pas à ordonner tous les ingrédients qui restent non-liés dans cette sauce : des hommes faibles, du désespoir, le chagrin noyé dans l'alcool, la prostitution, la mort d'un nouveau-né, la prostitution. L'arrière-plan est particulièrement chargé, la présence suggérée de la mort qui flotte dans les parages peine à se matérialiser avec vigueur, et au final le discours que je pressens sur l'impuissance de l'existence ne m'atteint qu'à peine. Drôle de séquence avec un cinématographe dans laquelle on regarde avec les personnages un faux mini-film hérité du muet, sorte de mélange entre Chaplin et Méliès avec un locataire, un voleur, un policier, et quelques péripéties antiques faisant intervenir la mort personnifiée. En filigrane, aussi, le regret de l'enfance, les souvenirs passés, ces moments heureux qui ne reviendront pas (éventuellement évoqué à travers l'infanticide). Mais en tous cas un discours asséné avec une lourdeur intellectuelle certaine, c'est assommant, assorti d'un symbolisme vraiment handicapant.

Contes du hasard et autres fantaisies
7.1
19.

Contes du hasard et autres fantaisies (2021)

Guzen to sozo

2 h 01 min. Sortie : 6 avril 2022 (France). Drame, Romance

Film de Ryusuke Hamaguchi

Morrinson a mis 3/10.

Annotation :

Le choix du titre français retenu par les distributeurs, "Contes du hasard et autres fantaisies", aurait pu me mettre la puce à l'oreille — le titre original signifie plus sobrement "hasard et imagination". On nage en plein héritage rohmérien et autant dire que je n'attendais absolument pas Ryūsuke Hamaguchi sur ce terrain-là, je déchante. Comme si le réalisateur japonais s'était mis à cette mode Nouvelle Vague franco-asiatique, dans la lignée des films de Hong Sang-soo, sans crier gare. Le film n'en est même pas un à proprement parler, tant l'impression qui domine est un assemblage de trois courts-métrages ayant une thématique vaguement commune. Le hasard, donc, l'inattendu, la coïncidence, les faux-semblants, sur fond de relations amicales et sentimentales en proie au doute et au désir. Le sujet est affreusement peu novateur, la forme non plus, et le résultat se situe sans surprise du côté de l'essai raté. Hamaguchi cherche à développer une amertume franche à travers les belles occasions manquées et les non-dits qui s'accumulent, mais jamais cette amertume ne se fait agréable, constructive, ou quoi que ce soit d'autre. Les personnages sont davantage des coquilles vides inintéressantes que des êtres dont on apprendrait à appréhender les vulnérabilités, les failles, les aspirations. De toute façon, sur ce territoire étriqué défini par d'un côté le Hong récent (qui était déjà dans la redite pénible) et de l'autre le Rohmer stéréotypé, il n'y avait pas énormément d'espoir en ce qui me concerne. Le temps de "Un jour avec, un jour sans" semble terriblement loin. Ici, les imbroglios amoureux apparaissent vains, les rencontres impromptues forcées, les jeux de séduction artificiels. Le sous-texte sexuel qui irrigue chacun des trois histoires est particulièrement dévitalisé, flasque même. On est bien loin de la chair de "Drive My Car", sorti avant en France mais postérieur dans sa filmographie.

The Wolf of Snow Hollow
6.3
20.

The Wolf of Snow Hollow (2020)

1 h 24 min. Sortie : 9 octobre 2020 (États-Unis). Comédie, Épouvante-Horreur, Policier

Film de Jim Cummings

Morrinson a mis 4/10.

Annotation :

Les trois films de Cummings (à ce jour) présentent tous les mêmes particularités, à savoir cette façon de se mettre en scène, avec des excès d'interprétation volontaires mais vite agaçants, malheureusement, dans le but affiché de dépeindre un certain mal-être. Trois films et trois registres différents, le policier, l'horreur, le thriller, mais la logique est rigoureusement la même à chaque fois : sous les apparences, il y a toujours cette composante dramatique concentrée dans le protagoniste qui s'exprime beaucoup et témoigne différentes faiblesses.

Dans "The Wolf of Snow Hollow" le dessein est un peu trop gros pour passer : derrière cette histoire de loup-garou et de meurtres en série, c'est clairement la portrait de ce père de famille divorcé, angoissé par sa relation avec son propre père, en difficulté avec sa fille et son ex-femme, qui intéresse le plus Cummings. L'acteur-réalisateur montre à mes yeux ses limites en matière de renouvellement : il s'agit encore et encore des atermoiements tragicomiques d'un trentenaire en crise existentielle qui cherche (parfois en l'ignorant) à se ressaisir et reprendre sa vie en main. La seule chose qui m'a ému, c'est la présence de Robert Forster, dans son dernier rôle.

Pourtant l'ambiance film d'horreur au fin fond de l'Utah en hiver avait ses atouts, en se frottant au style "Fargo" sans toutefois l'attendre. Même si le fond de l'histoire est affreusement banal et déjà vu, le style fait passer la pilule assez naturellement, sans problèmes. Le film de loup-garou est en soi très anti-conventionnel, mais on est trop souvent rappelé aux contingences de réalisation avec Cummings l'acteur qui en fait trop (dans le trop). Pourtant, côté montage par exemple, les idées sont là et produisent des effets sympas, avec un bon sens du rythme et une façon de filmer l'action plutôt habile. Seul l'habillage musical est trop insistant et convenu. Le film aurait pu capitaliser sur son humour latent qui n'arrive jamais vraiment.

Les Éternels
5.7
21.

Les Éternels (2021)

Eternals

2 h 37 min. Sortie : 3 novembre 2021 (France). Action, Aventure, Fantastique

Film de Chloé Zhao

Morrinson a mis 2/10.

Annotation :

Je trouve ça (presque) passionnant, cette surenchère que les studios Marvel se sont imposés tout seuls comme des grands : chaque nouveau film (qui ne soit pas un film anecdotique ou une autre exploitation ponctuelle d'un univers aléatoire) éradique pratiquement tous les enjeux du précédent afin de pouvoir produire le cadre qui permettra à des enjeux encore plus imposants d'émerger. Il y a un côté poupées russes assez drôle au final, à destination de tous les préposés à la lobotomisation consentie. Évidemment, moins on adhère à cet univers et plus on se trouve pris dans ce mouvement de rejet, mais cette logique purement commerciale a de quoi faire rire, ne serait-ce qu'au travers des séquences post-génériques qui annoncent l'obligation d'une suite et les séquences introductives qui expliquent en quoi le sujet de l'action, pourtant gargantuesque et prisonnier de son "toujours plus", n'avait pas été ne serait-ce qu'aperçu dans ce qui avait précédé.

Et donc : les Avengers ont vaincu Thanos, mais quelque chose d'encore plus gros se dessine avec l'Émergence et les Célestes envoyés sur Terre il y a 7000 ans. Joker : on n'en a jamais entendu parler auparavant car ils savent se tenir, ils étaient là mais avaient pour interdiction d'interagir avec les humains et le cours de l'histoire. Facile.

C'est donc avec un cynisme indépassable que Marvel vend successivement tous ses films à venir en minimisant la portée de celui qui se termine sous nos yeux (en tous cas pour les films qui apparaissent à la catégorie des pierres les plus "importantes" de l'édifice). J'ai beaucoup de mal à comprendre comment on peut se sentir concerné pour le sort de l'univers lorsque ça fait déjà 20 fois qu'il a failli être anéanti et 20 fois qu'il a été sauvé avant de voir s'imposer une menace appartenant à un ordre de grandeur supérieur, mais bon, c'est très subjectif comme ressenti bien sûr.

Suite
https://www.senscritique.com/liste/Top_films_2021/2963640

Speedcubing : Le duel
6.8
22.

Speedcubing : Le duel (2020)

The Speed Cubers

39 min. Sortie : 29 juillet 2020. Sport

Documentaire de Sue Kim

Morrinson a mis 5/10.

Annotation :

Plus qu'un documentaire sur les "Speed Cubers" annoncé par le titre original, il s'agit plutôt d'un portrait d'un (voire deux) champion de Rubik’s Cubes, Max Park, un Américain autiste détenteur de multiples records mondiaux en la matière, ainsi que sa relation avec le champion australien préexistant, Feliks Zemdegs. À ce titre la version française du titre est relativement mensongère car même s'il s'agit d'un duel à certains moments et dans une certaine mesure, les deux sont avant tout des amis et le film est essentiellement dédié à la description de cette amitié. Même si le court docu est taillé au format Netflix, peu ambitieux et très conventionnel, il reste quelques gourmandises à l'attention des non-initiés : tout d'abord la présentation relativement sobre de cet univers assez impressionnant vu de l'extérieur (sans doute que les aficionados auraient beaucoup à redire), et ensuite la présence d'une grande quantité de détails signifiants autour de ce monde forcément très particulier quand on n'en fait pas partie. Sur la relation amicale entre Max et Feliks, en revanche, le docu n'a pas grand-chose à dire en dehors des sentiers battus et des truismes à base de victoires, de défaites, et de larmes ("I don’t think Felix knows how big of an impact he has on Max’s life. Without a doubt, Felix is going to be Max’s hero. Forever."), sur le thème tout juste effleuré de l'amitié malmenée par la compétition. Avant tout une bio de Park donc, son admiration pour Feliks, le moment où il arrive à son niveau, et quelques aperçus de sa condition autiste. Y'a tout de même de quoi être fasciné par les aspects purement techniques, l'utilisation de ses mains et de ses doigts est vertigineuse.

La Peur au ventre
7
23.

La Peur au ventre (1955)

I Died a Thousand Times

1 h 49 min. Sortie : 3 février 1956 (France). Film noir

Film de Stuart Heisler

Morrinson a mis 3/10.

Annotation :

Remake plan par plan du film de Walsh "La Grande Évasion" (1941, High Sierra) 14 plus tard, difficile de se prendre au jeu de "I Died a Thousand Times" tant deux aspects plombent le projet : la reprise de l'histoire et du découpage, donc, même si cette fois-ci ce n'est pas John Huston adaptant le roman de William Riley Burnett mais Burnett lui-même qui est crédité aux commandes de l'écriture, et l'absence totale de vigueur autour du personnage interprété par Jack Palance (à la place de Bogart), que ce soit dans son rôle d'ex-prisonnier embarqué dans un dernier braquage ou dans sa relation avec Shelley Winters (à la place de Ida Lupino) avec qui j'ai toujours autant de mal. Remake inutile et inintéressant, donc, en résumé.

Impossible d'adhérer à l'empathie ressentie par le protagoniste Roy Earle à l'égard de cette jeune Lori au handicap à la jambe, lui qui est prêt à se décider pour un casse juste pour donner de l'argent à la famille pour corriger un pied-bot. Même chose lorsque la fille en question se détourne du héros lorsque l'opération est faite... Et même sentiment général au sujet du braquage, malgré la présence de Lee Marvin parmi les complices, à aucun moment leur côté idiot et amateur ne parvient à se frayer un chemin vers quelque chose de plausible ou agréable à regarder. Le film est censé mettre en scène un homme tout juste sorti de prison qui ne trouve plus vraiment sa place, mais Palance échoue majoritairement dans cet objectif, l'engrenage de violence dans laquelle il se trouve piégé, via le hold-up qui tourne mal, étant franchement vain, mal foutu, artificiel. Ne parlons même pas de la course-poursuite final, sommet de n'importe quoi. Remake mou avec un tour de force pas anodin : insérer un chien tout mignon dans un film noir.

Dikhav - Les Bords du fleuve
24.

Dikhav - Les Bords du fleuve (2017)

1 h 04 min. Sortie : 23 octobre 2017. Société

Documentaire de Mathieu Pernot

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Le documentaire de Mathieu Pernot illustre à merveille qu'un sujet simple mais bien mené suffit à faire un film passionnant et émouvant. Dès les premières séquences, sans que ce ne soit jamais signifié, on sent et comprend tout de suite que sa relation avec la famille Gorgan repose sur des années d'échanges, de contacts. Et de fait, comme il l'explique dans un entretien, il a rencontré cette famille de Roms vivant près d'Arles au milieu des années 90, d'abord comme photographe, ce qui fait que ce documentaire arrive sur la base d'une relation de plus de 20 ans. C'est le genre de chose qui se ressent instantanément à travers la confiance et la complicité qui apparaissent comme des évidences à l'écran. J'adore cette sensation, qui plus est lorsqu'elle s'accompagne de témoignages pareils.

Le sujet de "Dikhav - Les bords du fleuve" n'est pas intelligible aussi rapidement, sans que cela ne pose problème : on reçoit ça comme une incursion dans la vie de cette micro-communauté, et on apprend peu à peu que deux événements majeurs ont présidé à la création du film. L'emprisonnement de Jonathan (pour vol de cuivre) d'abord et ensuite la mort de son frère ainé, Rocky, constituent ainsi le centre névralgique du récit structurant, autour duquel se construit la vie de famille avec sa mère, son père et ses autres frères et sœurs. Pas de recherche de la belle image, pas de fioritures : Pernot cherche simplement à recueillir le témoignage de Jonathan et, de manière imprévue, devient une sorte de messager entre le détenu et sa famille, en aidant les uns et les autres à correspondre. D'un côté le terrain vague qui sert de maison à la famille, de l'autre la prison d'où Jonathan devrait bientôt sortir. Et grâce à la relation très particulière qu'il entretient avec eux, le réalisateur pénètre l'intimité sans effort, sans effets putassiers, pour dessiner en creux un croquis ethnographique — le terme n'est pas exagéré au sens où l'on apprend pas mal de choses sur des rituels en lien avec la mort. Très beau sujet assorti d'une perspective très pertinente.

Le Garçon de course
7.2
25.

Le Garçon de course (1986)

Kuryer

1 h 28 min. Sortie : 29 décembre 1986 (Union Soviétique). Comédie dramatique

Film de Karen Chakhnazarov

Morrinson a mis 6/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

De Karen Chakhnazarov je ne connaissais que le surréaliste, bizarre et excentrique "La Ville Zéro" : autant dire que je suis sur mes gardes en me lançant dans "Le Garçon de course" sorti 2 ans avant. Et c'est avec autant de plaisir que de surprise que je découvre ce récit d'apprentissage d'une sobriété nette en comparaison, sur une thématique proche (Perestroika et Glasnost) mais avec une approche radicalement différente : la découverte du monde adulte par Ivan lors de cette période charnière, et de l'abîme qui s'ouvre devant lui alors qu'il quitte celui de l'enfance.

Il se dégage du film une sensibilité surprenante, qu'on peut ne pas sentir venir (ce fut mon cas, en tous cas), à hauteur de cet adolescent face à la chute imminente du communisme en Union soviétique. L'acteur Fyodor Dunayevsky dans le rôle principal m'a beaucoup fait penser à un Jeff Bridges jeune, aussi, ça n'aide pas. Et la musique qui pointe le bout de son nez, de temps en temps, affreusement électronique typée 1980s, produit également un effet bizarre, indépendamment du goût douteux.

Situation parfaite pour que s'immisce le doute chez cet adolescent : ses parents divorcent, son père se barre en Afrique avec une femme plus jeune, et le voilà avec sa mère en pleurs. Après avoir échoué à la fin de ses études secondaires, on lui trouve un petit boulot éponyme de garçon de courses pour une revue littéraire, et c'est ce qui lui permettra de faire des allers-retours entre son monde et celui de la classe intellectuelle supérieure — chez qui il rencontrera la belle Katia. Et tout le film est positionné selon le point de vue de cet ado anti-conformiste, toujours prêt à sortir des blagues avec une belle mise en scène (le genre à déclamer du Pouchkine en prétendant que c'est de lui, et de prétendre demander la main de la fille d'un client sous prétexte qu'il l'aurait mis enceinte), sur fond de différence générationnelle et de milieux sociaux.

Sa façon de faire le pitre apparaît vite comme une façon d'exister, en même temps qu'elle précipite les différences de classe et débouche sur des situations délicates. La détresse économique plane en fond, avec quelques inserts symboliques (des guerriers Massaï, un soldat) et une séquence finale de break-dance très évocatrice de la dissonance à l'œuvre.

Les Enfants terribles
6.1
26.

Les Enfants terribles (1950)

1 h 45 min. Sortie : 22 mars 1950 (France). Comédie dramatique

Film de Jean-Pierre Melville

Morrinson a mis 4/10.

Annotation :

Si on ne m'avait pas dit qu'il s'agissait d'un film de Melville, je ne l'aurais jamais cru — sur un scénario de Jean Cocteau adapté de son roman, tout de même : à la limite j'aurais bien cru à un film de Cocteau, ce qui pose des questions quant à la paternité d'une œuvre et de la sacro-sainte position de metteur en scène.

"Les Enfants terribles" est un film très littéraire, très théâtral, trop, manifestement. Le niveau d'interprétation frôle la catastrophe, et au final il n'y a que la voix off de Jean Cocteau qui soit au niveau de ses ambitions. Peut-être est-ce un problème de radicalité de style, une forme de jusqu'au-boutisme avec lequel je ne suis pas du tout à l'aise. Zéro fascination ne ressort de cette récitation de textes et de concours d'outrance dans le jeu. L'emprise féérique n'a que peu d'incidence sur la réception de ce conte faisant intervenir des enfants trop grands qui filent vers leur tragédie trop grossière. Tout cela manque de pragmatisme, de chair, pour donner corps à cet amour fraternel qu'on veut nous faire ressentir comme maléfique, passionnel, consumant, et empreint de folie.

Un moment très artificiel en définitive, avec un enchaînement de séquences ennuyeuses interprétées par des acteurs en surjeu — certes volontaire — désagréable. La seule chose qui agisse en faveur de ce film, c'est son côté avant-gardiste dans la mise en scène. Mais franchement je n'arrive pas à apprécier et pas plus à m'en satisfaire, d'autant que la figure machiavélique qui se dessine dans les dernières mesures manque cruellement de profondeur psychologique. Ce n'est clairement pas ce qui intéressait Cocteau. La lourdeur reste, l'exagération aussi, malgré l'audace pour l'époque, et au final l'atmosphère hallucinogène typique de son cinéma occupe une place mineure dans ce fatras. Du tourment en toc crié par des enfants insupportables.

Le Complexe de Frankenstein
7.5
27.

Le Complexe de Frankenstein (2015)

Creature Designers - The Frankenstein Complex

1 h 47 min. Sortie : 18 novembre 2015 (France). Cinéma

Documentaire de Alexandre Poncet et Gilles Penso

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Ce documentaire de Alexandre Poncet et Gilles Penso est une immense friandise à destination de tous les amateurs d'horreur old shcool, avec tout ce que cela peut comporter comme effets spéciaux réels et animation en dur. Comme le dira un des intervenants, il ravira tous ceux qui ont un "soft spot for rubber, stop-motion and make-up effects"... Et de fait, les deux critiques et réalisateurs français ont donné la parole à une cohorte de grandes petites mains aux manettes derrière les effets spéciaux comme Phil Tippett (réalisateur du récent et excellent Mad God), Rick Baker ou encore Greg Nicotero, avec également des interventions de cinéastes réputés comme Joe Dante, John Landis, Guillermo Del Toro, Christophe Gans, et Kevin Smith — même si de leur côté ils sont plutôt là en tant que fan de cet âge d'or qu'autre chose. La bonne humeur d'un John Landis est toujours exquise.

"Le Complexe de Frankenstein" fait suite en quelque sorte à l'autre docu réalisé par Penso, "Ray Harryhausen : Le Titan des Effets Spéciaux" (2012), qui était tout autant passionné mais beaucoup plus sage et moins ambitieux. Ici on entre dans le vif du sujet tout de suite et on ne le quittera jamais, avec dans l'arrière-plan des restes de monstres aussi divers que le Predator, la reine Alien, des dinosaures de Jurassic Park, des Gremlins, des bouts de Godzilla, et tout un tas de bestioles exotiques en tous genres.

Suite
https://www.senscritique.com/liste/Top_films_2015/732263

Santa Sangre
7.7
28.

Santa Sangre (1989)

2 h 03 min. Sortie : 31 mars 1993 (France). Drame, Épouvante-Horreur

Film de Alejandro Jodorowsky

Morrinson a mis 4/10.

Annotation :

Jodorowsky avait déjà à l'époque de la sortie de "Santa Sangre" opéré un détournement des codes d'un autre genre, le western, avec "El Topo" 20 ans auparavant. Une dizaine d'années après le navet catastrophique "Tusk", le voilà qui réitère un détournement semblable, cette fois-ci de manière peut-être encore plus surprenante, du côté du giallo. Les références ne s'arrêtent pas là : on nage en pleine reprise de l'univers de Tod Browning ("Freaks" principalement) hybridé avec la thématique œdipienne d'un "Psychose", le tout encapsulé bien évidemment dans l'univers graphique fantasmagorique désormais très caractéristique de Jodorowsky. Et plus ça va, plus je suis intolérant à ce style clinquant, ces plans bariolés, cette surcharge esthétique et thématique permanent, cette recherche du symbole à tout prix. Browning + Hitchcock + Argento, ça commence à faire beaucoup.

La logique de la surenchère ne m'est pas rigoureusement intolérable, et des exemples comme le cinéma soviétique prouvent que certains excès ne s'accompagnent pas d'un rejet franc. Mais ici, franchement, sans la surprise de la découverte de son monde (sans doute aussi que j'en suis revenu depuis quelques années), cette accumulation d'effets devient très vite écœurante. L'omniprésence du sang rouge, les commentaires incessants des circassiens, ce rire excessif qui lorgne du côté de l'effroi : tous les curseurs sont poussés à leur maximum et ça en devient fatigant. Et pas qu'un peu. La saturation arrive vite et très vite je me sens incapable d'apprécier la surcouche de grotesque. Des images comme cette horde de gueux dépeçant un éléphant enfermé dans son cercueil auraient pourtant pu bénéficier d'une réception toute autre.

À la limite la première partie, même si on reste distant, peut divertir. En revanche la suite verse dans un psychodrame familial avec emprise maternelle bien trop putassière. Pourtant, là aussi, on voit le potentiel de cette femme tyrannique utilisant les bras du fils dans un numéro de ventriloquisme bizarre et captivant. Mais les compositions des deux personnages, sous la direction de Jodorowsky, fatiguent trop. L'illustration du traumatisme est lourdaude, dessinée par une main freudienne bien lourde. Je n'accroche plus à son goût plus que prononcé pour cet ésotérisme religieux et pour ces difformités monstrueuses. Une poésie morbide et étrange qui ne me parle plus, pire, que je trouve de plus en plus gratuite.

Roubaix, commissariat central, affaires courantes
8.1
29.

Roubaix, commissariat central, affaires courantes (2008)

1 h 30 min. Sortie : 23 avril 2008. Drame

Documentaire TV de Mosco Lévi Boucault

Morrinson a mis 8/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Ça prend aux tripes. On sort de ce reportage de France 3 secoué comme rarement... À côté, le film de fiction qu'en a tiré Arnaud Desplechin dans "Roubaix, une lumière" est une promenade de santé tant le contenu et la crasse de la réalité avaient en réalité été édulcorés.

Déjà, je n'arrive pas à comprendre comment Mosco Lévi Boucault est parvenu a obtenir les autorisations nécessaires pour s'immiscer dans le fonctionnement de ce commissariat, en prise directe avec un pragmatisme que je n'avais littéralement jamais vu. Ne serait-ce que pour ça, "Roubaix, commissariat central, affaires courantes" vaut énormément le détour. La position de la caméra, l'effet de celui qui filme sur le sujet, le comportement des personnes, n'a pas dû être évident à gérer. Le résultat est en tous cas renversant.

Plongée franche, nette, sèche, dans la misère du Nord à travers quelques affaires traitées par deux commissaires, avec d'un côté ce qui a trait davantage à des urgences et de l'autre une enquête au plus long cours qui occupera l'essentiel de la seconde moitié. D'abord, donc, la réalité sordide des urgences : un différend familial qui vire au règlement de comptes à coups de couteau, une tentative de vol avec violence avec hésitations de la victime et esquisse de l'agresseur, un incendie criminel (qui prendra une place plus conséquente plus tard), une fugue d'une ado qui ne se sent pas bien chez elle, et un viol dans le métro. C'est déjà bien garni en matière de misère humain, il faut avoir le cœur bien accroché.

Puis, une affaire d'homicide sur une personne âgée. Et là, on pénètre dans l'univers glauque et abominable de la misère d'un ordre de grandeur supérieur. L'évolution de l'enquête, les révélations, les aveux, la reconstitution : le fil rouge de l'enquête est noyé dans la pauvreté d'une banlieue et nous avec. La mémé assassinée par ses voisines pour deux bouteilles de javel... Et bien sûr l'occasion de voir le portrait fait de ces deux jeunes femmes tellement paumées, l'une plutôt misérable et l'autre étonnamment belle. Toutes les deux recouvertes d'emmerdes.

C'est triste à pleurer.

Compartiment n°6
6.8
30.

Compartiment n°6 (2021)

Hytti nro 6

1 h 47 min. Sortie : 3 novembre 2021 (France). Drame, Comédie

Film de Juho Kuosmanen

Morrinson a mis 4/10.

Annotation :

C'est un peu facile, mais c'est le film qui le cherche un peu : il est sur des rails. L'histoire d'une rencontre forcée entre deux personnes que tout oppose dans le compartiment éponyme d'un train reliant Moscou à Mourmansk. Elle est Finlandaise, chercheuse en archéologie, et a laissé sa petite amie pour aller se rendre seule sur un site en Mer Arctique près de la Finlande pour y voir des pétroglyphes. Il est Russe, il boit de l'alcool, il est lourd, et il se rend dans la même ville pour aller travailler dans une mine. Difficile de ne pas se focaliser sur ces rails atrocement programmatiques. On voit bien que les deux ne vont pas se supporter, et on voit aussi bien qu'ils vont finir par s'apprécier, après avoir franchi la barrière de leurs différences. Blablabla et blablabla. Franchement pas passionnant.

Sur fond de Desireless, on apprend pour la millième fois que le voyage peut se révéler plus important (plus enrichissant ici) que la destination, preuve en est que Juho Kuosmanen s'applique à ne pas montrer lesdits pétroglyphes pour mieux se concentrer sur l'union de deux êtres seuls au bout du monde dans un paysage glaciaire où personnes ne souhaitait aller.

Non pas que le film soit unilatéralement mauvais : quand la femme ramène un voyageur finlandais dans le compartiment, la réaction du Russe est très drôle (c'est beaucoup moins réussi lorsqu'elle se rend compte qu'en partant l'étranger compatriote lui a volé sa caméra — tellement moraliste comme cliché) ; le passage où les deux font une virée chez la mère (?) du gars, on a droit à une parenthèse attachante (quoique pas mal stéréotypée aussi). Mais franchement rien de suffisant pour dépasser ce saut dans les années 1990 qui fait évoluer un rapport hostile vers un rapprochement fragile : le voyage est tout tracé, sans dérive, avec cumul de scènes sans relief qui surexploite le thème du dépassement personnel à travers le voyage. Narration convenue pour un sujet convenu, intéressant en soi mais pas suffisamment creusé ici. Le discours sur les apparences (trompeuses, donc), est très peu novateur.

Morrinson

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