Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

Des citations, bouts, bribes, extraits trop longs pour tenir dans le cadre restreint de la longueur de caractères des annotations des listes de lecture.

[+ d'autres bouts encore plus longs en commentaires]

Liste de

460 livres

créee il y a environ 4 ans · modifiée il y a 2 jours

Le Débat des dames
7.3

Le Débat des dames (2024)

Le Chevalier aux épines, tome 3

Sortie : 24 janvier 2024. Fantasy

livre de Jean-Philippe Jaworski

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« – Devin, je t’ai commandé un roman, pas un prêche.
– Un roman ? Tel est le nom que vous donnez au dithyrambe et au panégyrique !
– C’est quoi, ça ? De la magie ?
– Le plus grossier des illusionnismes : celui qui aveugle en prétendant éblouir.
– Ça m’a l’air pas mal. Si c’est le truc que tu as déjà utilisé, je suis preneur.
– L’art que j’ai mobilisé était tout autre. Sous couvert de divertissement, Le Roman du Bel Églantier n’était que miroir des vanités : à travers la farandole des morts et des vivants, j’ai tendu une psyché à mon lecteur afin qu’il y contemple en pied sa finitude, ses frivolités et ses ridicules. Que cette satire m’ait conféré un tel prestige est la plus folle des ironies. Appliqué à votre personne, je doute que le procédé satisfasse vos attentes… Mais vous n’avez rien à craindre. La contemplation des divins mystères m’a détourné depuis longtemps de la peinture de mes semblables. Désormais, je ne sais plus louer que le silence, l’effacement de soi et l’absence de passions.»

« Ma magie est autrement sacrée ! Mon art donne longue vie et non sa parodie ! J’ai retissé votre destinée en lui restituant l’originelle harmonie ; votre rose a été bouturée dans les treillages secrets de mon jardin des cœurs. Mes plantes ont l’éclat de vos vertus, votre vie s’abreuve de la sève de mes fleurs. Par quel rapprochement saugrenu pouvez-vous associer votre sort à la non mort ? »

« Le conte est flatteur, grommela-t-il, mais il me semble cousu de fil blanc. Un passage secret dont vous ignorez tout mais dont vous seul détenez la clef ? Et tout cela aurait été prévu par un enchanteur des siècles passés ? Moi, j’y vois moins la main de Cennargin que je ne sais quelle piperie de votre trop belle maîtresse. »


« Les Aventureux du Bois oiselé voyageaient selon leur habitude, c’est-à-dire selon la coutume des elfes qui ne ressemble qu’en apparence à la façon de se déplacer des autres peuples. Chez ces êtres anciens et passablement évaporés, la frontière entre le monde physique et la réalité immatérielle est très mince : il n’est pas rare qu’ils passent de l’un à l’autre comme une maîtresse de maison circule entre son âtre et son jardin. Usent-ils d’un art subtil pour vagabonder ainsi dans les marges ?
[...]
À leurs yeux, le voyage incite à la rêverie et la rêverie devenant voyage, leur déplacement épouse indifféremment les contingences du terrain ou celles du songe. Il en résulte que leurs vagabondages s’affranchissent parfois de la distance. »

« Incorrigible

Bleu Bacon

Bleu Bacon (2024)

Sortie : 10 janvier 2024. Récit, Peinture & sculpture

livre de Yannick Haenel

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« La nuit contient des éclats qui se contredisent : on se noie dans des mares d’angoisse, les couleurs se crispent en un jus acide où coagule l’absence, et quelques secondes plus tard on se retrouve au contraire aspergé de nuances ; c’est un torrent de violets pâles et de rouges crépitants qui nous inonde alors le cœur. On ne craint plus le prochain tableau, celui dont on redoutait la violence ; on se laisse maintenant porter par ces coulées rose lavande où la lumière se baigne comme dans un miroir ; on évolue de salle en salle, gratifié par le velours des couleurs ; la joie est retrouvée. »

« Je voulais maintenant entrer dans cette peinture, sentir cette chair, à la fois son velours et sa pourriture ; mais comment entre-t-on dans la peinture ? Au fil des années, cette question est devenue ma vie, et peut-être vaudrait-il mieux ne pas se la poser : en elle, quelque chose d’absurde ne cesse de rire, mais ce rire me plaît, il résonne en moi.
En écrivant des livres sur le Caravage et sur Adrian Ghenie, en étudiant la peinture de Bonnard et celle de Delacroix, je me suis lancé dans une aventure qui ne cesse de relancer ces questions : Que voit-on quand on regarde de la peinture ? Que se passe-t-il lorsqu’on se tient face à ces rectangles de couleurs où le visible se dépose si passionnément ? À quoi nous ouvrent ces impacts ?
Je cherchais ce point où, comme en amour, la réciprocité s’allume : il ne s’agit plus seulement d’un dialogue, ni même d’un simple partage : l’émotion vous mêle à l’objet qui la suscite, et cette émotion vous procure une clarté que vous n’aviez jamais connue, elle vous prodigue des battements de cœur plus amples. »

The Art of Journey
8.8

The Art of Journey

Sortie : septembre 2012 (France). Beau livre, Jeu vidéo

livre de Matthew Nava et Chris Melissinos

Nushku a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"One of my personal interests is architecture. I love the idea of the "architectural canon," a system of proportions often used by classical architects to construct buildings that maintain a harmony among elements. Dif-ferent cultures and societies modeled these systems on various natural phenomena, such as the golden ratio, the human body, and even musical scales. For Journey, I wanted the architecture to have its own canon of proportions and design. It was great fun to study Greek, Islamic, and Japanese architecture to analyze how they constructed form. I created a set of rules for Journey in which I blended elements of these styles with , own motifs and designs, some of which were inspired by Native American art. The result was a completely new architectural canon that felt familiar due to its ties with these ancient cultures, while at the same time mysterious and otherworldly because of the new elements and forms that I added. In lots of games, I notice that the architecture is very silly. How ma, times have you asked yourself while playing a game, "Who would ever build a room like this?" No one would put spikes, flames, lava, or traps in his or her own castle. Of course, the reason is that these games are mechanics-centric, and gameplay is often prioritized above architectural integrity in development. For a game like Journey, where immersion is very important for deliver-ing the message, any game element that makes a player ask those kinds of questions can be seen as a problem. Despite this, the architecture ()I Journey needed to be interactive and entertaining to explore. However tempting it was for us to place platforms and ladders wherever they were most convenient for jumping, I made a point of going through and first figuring out what the purpose of each element was in relation to Journey's world history and how it could be designed to fit into the architectural style. This often made the process of designing interactive buildings more arduous, and required a lot of close teamwork with the game designers. However, I think that this method is wry important for maintaining im-mersion and cohesiveness across Journey's environments. Creating the architectural style ofJourney was a daunting task, but it was just the kind of design problem I had always wanted to solve. This chapter iuillptiuutthu art that went into creating Journey's architectural canon."

Sweet Harmony
6.6

Sweet Harmony

Sweet Harmony

Sortie : 18 janvier 2024 (France). Nouvelle, Science-fiction

livre de Catherine Webb (Claire North)

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Enfin, quand elles réaliseront qu’elles peuvent simplement atténuer le bruit de fond, désactiver les brins de protéines, les assemblages dansants d’acides aminés et de globules de matière qui alimentent leurs hôtes, elles rêveront elles-mêmes.
Elles rêveront de matière qui n’a besoin d’aucun nom, et de sens qui n’a sur lui aucun poids plus ou moins lourd que le simple acte de voir.

Elles rêveront de la couleur rouge, qui ne représentera pas une mise en garde, le sang, la peur ni la mort, mais sera tout simplement un cramoisi extraordinaire, une pensée qui se noie.

Elles rêveront du parfum de la mer, et n’y trouveront aucune notion de tempête ni de terreur, du rugissement de l’océan sur une plage qui s’effrite ; elles n’y verront que de l’eau, infinie.

Elles rêveront de langage et, avec ce langage, s’exprimeront ; elles exprimeront l’infini de leur création, l’absence de bornes de l’imagination et de la pensée, et dans leur langage il n’y aura pas de prisons, seulement une vie sans fin. »

« – Je… non." Enfin, la voilà. Voilà la vérité, la soudaine prise de conscience de la situation qui la frappe tel un bouton sur le menton, une explosion de sang et de pus dans la nuit, tandis que son corps s’ouvre et se répand sous les coups de la dure réalité : elle n’est faite que de chair et de tissus entre lesquels serpentent des fluides luisants, miroitants. »

« Jiannis dit "Donne-moi ton téléphone", elle obéit et, tout en murmurant "C’est parfait, chérie, tu es vraiment parfaite, ça va être un parfait…", il achète une autre appli à l’aide de son crédit à elle, et elle regarde par-dessus son épaule tandis que s’effectue le téléchargement du wifi à son téléphone, du téléphone aux nanos qui habitent son corps, et elle s’émerveille des millions de machines microscopiques qui courent dans ses veines, qui s’autodupliquent, qui soutiennent, soignent, entretiennent, et elle se dit soudain que, lorsqu’elle sera enceinte — et elle le sera évidemment un jour —, elle n’est pas sûre de vouloir faire entrer en jeu les nanos, car il y a quelque chose de quasi obscène à imaginer un bébé conçu par du code binaire, un bébé dont la moindre caractéristique est déterminée par un ajustement ADN prénatal, un régime de données siphonné à travers le placenta. »

Zelda, le jardin et le monde
7.8

Zelda, le jardin et le monde (2021)

Sortie : 3 décembre 2021. Essai, Jeu vidéo

livre de Victor Moisan et Alex Chauvel

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Ce n’est pas un hasard si Miyamoto dit que The Legend of Zelda inaugura chez lui le concept des jeux conçus "à la façon des hakoniwa".

Le créateur en chef de Nintendo envisage ces univers comme des aires de jeux concentrées qui s’animent, vivantes, lorsqu'on ouvre la malle ou le tiroir aux trésors, et qui débordent dans notre monde en faisant de ce dernier l'équivalent d’une cour de récréation. En cela, la miniature est proprement libératrice puisque sa petitesse permet l'évocation débridée d’un monde plus grand, né de l’activité d’imagination. Nous voilà revenus à l'un des plus beaux moments de l'enfance, où le fait de se représenter le monde en miniature — qui sur une feuille coloriée, qui dans un jeu de figurines, qui par la construction de petites maisons en carton — est une façon de s’approprier le monde, de le faire sien. Aussi faut-il considérer le jouet non pas comme une copie vulgaire et inoffensive de la réalité mais comme une puissance d’expérimentation. "Ce que j'appelle jardin miniature, c'est un lieu d'expérimentations", précise naturellement Miyamoto, pour qui la conception du ludus est à l’origine bien plus proche des ravissements du bac à sable que du choc esthétique produit par le jardin paysager japonais. »

« L'immensité du jardin japonais doit donc être comprise comme l'effet ressenti devant son fourmillement de miniatures, ouvrant entre elles d'innombrables distances, détours et interstices qui créent du jeu entre les éléments de la composition. Celui qui fait l'expérience d'un jardin à la japonaise se retrouve projeté dans un espace où les échelles de notre monde sont dévalorisées (souvent, on bannit les référents extérieurs qui, par leur taille "réelle", trahiraient l'effet de miniature) afin que le monde puisse être recomposé à partir de subtils rapports d'échelle. Le jardin décrit une forme de microcosme virtuel qui, comme un monde de jeu vidéo, cherche à faire corps au-delà de sa portée symbolique : un arbuste de vingt centimètres au bord d’un filet d’eau ne symbolise pas un arbre au bord d’une rivière ; il le devient par la concentration de notre regard posé sur ce tableau en trois dimensions, "concrétisé", comme le formule Irmtraud Schaarschmidt-Richter. »

Titus n'aimait pas Bérénice
6.6

Titus n'aimait pas Bérénice (2015)

Sortie : 20 août 2015.

livre de Nathalie Azoulai

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Le babil de sa convalescence se modifie. Entre les aphorismes se glissent désormais des vers de douze syllabes, appris au lycée ou non, des vers de la Comédie-Française, raides et vieillots, étrangers, tellement étrangers qu’ils lui donnent tantôt l’envie de faire le voyage et d’atteindre ce pays où les gens se parlent ainsi ; tantôt l’envie de se moquer, d’y plaquer dessus des rires gras, des intonations grossières qui les démantèlent, des syllabes familières, mal articulées, en tout point contraires, si tant est que le contraire d’une langue pareille existe. »

« Jean a dix ans. C’est son premier automne à l’abbaye de Port-Royal des Champs. Il regarde longuement la terre brune reluire au milieu des bandes de verdure. Il n’a jamais vu les labours de si près. La terre reluit tant qu’elle en devient presque rouge. Le rouge et le vert s’allient à merveille. Un peintre devrait peindre cela, pense-t-il, lui qui ne connaît de la peinture que les quelques portraits sévères qui ornent la galerie du réfectoire. Quelqu’un devrait juger important de rendre cette alliance de couleurs qui raconte le dynamisme organique de la terre, les semis, les repousses, la vie des hommes dans la nature. Hamon lui apprend que le sang a parfois ce même aspect gras, qu’il change de couleur selon l’endroit où on va le chercher dans le corps. »

« Dans l’obscurité, les couleurs lui reviennent, grasses, luisantes, le rouge et le vert déposés l’un près de l’autre, apposés. Jean songe que la plupart des choses qui ont du sens s’affirment et se lient de cette façon. À côté et ensemble. Il aimerait parler avec la même densité, poser ses mots comme on pose ses couleurs, avant tout mélange. Car les mots sont pareils à la terre, ils sèchent quand ils sont trop remués, perdent en sens et en force, ont besoin de toujours plus de mots entre eux pour signifier. Il se demande ce que seraient des mots frais puis, las de tant de confusion, enfouit cette question dans un coin de son esprit et s’endort. »

Pour en finir avec la nature morte

Pour en finir avec la nature morte (2020)

Sortie : 19 novembre 2020. Essai

livre de Laurence Bertrand Dorléac

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Là comme ailleurs, les archéologues ont dépassé l’étude des grands monuments prestigieux pour aller plus loin dans la connaissance de ce monde, unifié par l'émergence de l’État vers la fin du JV° millénaire avant notre ère. Mais chaque découverte ne remet pas en cause la place importante des formes dans l’ancienne Égypte, y compris pour l’usage privé. Ainsi, pour ce fossile d’oursin (Echinolampas africanus) de plus d’un millier d’années avant notre ère, découvert par l’égyptologue Ernesto Schiaparelli à Héliopolis en 1903 : il porte une ligne de hiéroglyphes qui peut se traduire par «trouvé au sud de la carrière (k) par le père divin Tjanefer ». Dans la mesure où cette offrande appartient à ces choses conservées dans un dépôt d'objets votifs destinés au dieu Soleil (Rê), dont la forme n’est certainement pas étrangère à leur valeur, Alain Schnapp suggère que ce prêtre découvreur mériterait bien une place dans la galerie des premiers collectionneurs de l’humanité : il fait partie de notre paysage contemporain où les monuments d’éternité sont adorés. »

« C’est la raison pour laquelle les artistes puisent dans l'imagerie du monde ce dont ils ont besoin pour résoudre leurs problèmes urgents sans se soucier de "styles". [...] La liste est bien plus longue des artistes qui puisent dans l’histoire indistincte du passé le plus ancien des formes étrangement amies et familières. Leurs découvertes marquantes demeurent singulières et se produisent parfois in situ mais plus souvent lors des expositions en galerie ou au musée, au marché des antiquités (vraies ou fausses !), dans les ouvrages ou les revues qui assurent la reproduction plus ou moins fidèle des pièces anciennes. Surtout, s’il faut toujours se demander de quels événements l'artiste est contemporain, il vaut mieux avoir en tête qu’il mêle cette actualité à beaucoup d’autres sources anciennes : c’est bien ce mélange détonant qui produit les formes au présent. »

[+ extraits longs en commentaires]

Autorité - La Trilogie du Rempart Sud, tome 2
6.9

Autorité - La Trilogie du Rempart Sud, tome 2 (2014)

The Southern Reach Trilogy - 2

Authority

Sortie : octobre 2017 (France). Roman

livre de Jeff VanderMeer

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Le fantôme était juste là, dans les transcriptions depuis son retour de la Zone X, allant et venant dans le texte. Des choses qui s’étaient montrées dans les espaces vides, rendant Control réticent à prononcer à voix haute les mots de la biologiste, de crainte de ne pas vraiment comprendre les courants sous-jacents et références cachées. Une description isolée d’un chardon… Une mention du phare. Une description en une ou deux phrases de la lumière sur les marais. »

« Certaines rumeurs sur la Zone X étaient compliquées et dans leur complexité, ressemblaient pour Control à des bancs des plus mortelles mais volumineuses méduses de l’aquarium. Quand on les regardait, quand on suivait des yeux leur évolutions onduleuses, elles semblaient à la fois réelles et irréelles, dans le bleu pur de l’eau.

« Non, la vaste collection de textures de la directrice révélait 'seulement' qu’elle s’était absorbée dans son travail, comme si elle avait absolument tenu à consigner aussitôt ses observations, n’avait voulu ni oublier, ni avoir un rédacteur interne interrompre sa quête de compréhension. Ni laisser à un hacker la possibilité de voir les rouages de son esprit, résumés ou non dans un fichier DMP.
Il eut donc à trier non seulement des piles de "documents" de première main, mais aussi un récit désordonné de la vie de la directrice et de ses pérégrinations dans le monde extérieur au Rempart Sud. Informations utiles, parce qu’il n’avait trouvé que des rogatons dans le dossier officiel – soit parce que Grace y avait touché, soit parce que la directrice elle-même avait réussi à ce qu’il se réduise comme une peau de chagrin. »

« Les autres l’entouraient, telles des constellations, puis il y avait de préoccupantes phrases et locutions en une riche patine de biffures, recouvrements de peinture et autres marquages, comme si quelqu’un avait créé un compost de mots. Il y avait aussi une frontière : un anneau de flammes rouges qui se transformait aux extrémités en monstre bicéphale, avec la Zone X dans son ventre. »

« Comme Control détestait sa propre imagination, qu’il aurait voulu voir se flétrir, brunir et se détacher de lui. Il était plus disposé à croire que quelque chose dans ces notes l’observait, le regardait en restant caché, qu’à accepter que la directrice se soit fourvoyée dans des impasses. Il n’arrivait pourtant pas à le voir : il ne voyait toujours qu’elle en train de chercher, et se demandait pourquoi elle le faisait avec autant d’énergie. »

Les Petites Terres

Les Petites Terres (2008)

Bribes, fragments, parcelles

Sortie : février 2008. Récit, Autobiographie & mémoires

livre de Michèle Desbordes

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« J'ai pensé aux choses qui commençaient, au froid et au gris et à la tristesse de ces jours-là. À toi là-bas dans la petite chambre qui peut-être, quelque part autour du lit, autour des livres, dans la pénombre douce des lampes et l’air que tu respirais délicatement, si délicatement, percevais ce qui venait vers toi, arrivait lentement, à pas comptés, mesurés comme le fauve qui avance vers sa proie, de loin l’a repérée dans les buissons et le taillis. Le fauve avançait doucement et doucement tu te mettais à l’écart, tu te retirais comme on se retire pour ces choses-là sans se dérober, à peine un repli, un silence plus grand, et ce regard plein de fatigue et de lenteur qu'on voit à ceux qui renoncent, alors on comprenait, on se disait qu’une sorte de patience, de vaillance peut-être t'avaient fait tenir jusqu'aux derniers mois, aux derniers jours, que peut-être là sous le grand, le terrible dénuement quelque chose d’inconnu, quelque chose d’insoupçonnable t'avait fait résister, tenir comme tiennent les braves et même les autres, à ces moments-là on ne distingue plus rien de la bravoure ni de la faiblesse ni de toutes ces choses qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer, et qu'à présent tout ça, la vaillance, la patience et tout ce qu’il avait fallu pour arriver Jusque c'était fini, ça avait assez duré. Il y a eu ce moment j'ignore lequel où ton sourire a disparu pour ne plus revenir, je ne crois pas l'avoir pensé, fût-ce sans mots sans images me l’être dit comme parfois on se dit les choses. Un jour, une de ces dernières fois dont on ignore qu'elles sont les dernières tu as souri, ton visage a paru s'éclairer, il a paru dire Tu es là tout va bien, puis tu t'es éloigné sans te retourner »

Les Derniers Jours des fauves
7.4

Les Derniers Jours des fauves (2022)

Sortie : 3 février 2022. Roman

livre de Jérôme Leroy

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Mais ce sera pour une autre fois car l’exercice de l’uchronie est toujours délicat. Imaginer un cours différent aux événements politiques désormais connus de tous, comme l’élection de Nathalie Séchard, le 6 mai 2017, serait un défi que le narrateur ne se sent pas capable de relever. »

[Macron passe :] « Elle apprend, par la bande, qu’elle a grillé la politesse à un jeune mec arrogant qui avait eu la même idée qu’elle, la même analyse de la situation. C’est le secrétaire général adjoint de l’Élysée. Dépité, le type a démissionné de son poste et a rejoint la banque d’affaires d’où il venait. »

« Clio ne dit jamais de gros mots. Clio estime que c’est une preuve de faiblesse ou de mauvais goût. Elle aime seulement les insultes situationnistes, celles dans les lettres envoyées par Guy Debord à des destinataires qu’il méprisait. Elle fait son régal des deux minces volumes gris de La Correspondance de Champ libre :
– L’insulte est un art, mon Lulu, c’est-à-dire le contraire de la vulgarité.»

« Pourtant, ce roman est bref et désincarné comme il se doit chez l’éditeur aux couvertures blanches et au liseré bleu. Mais Lucien croit au style et seulement au style, comme Flaubert. Le problème, c’est que contrairement à Flaubert, il n’est pas rentier [...]»

« Quand le virus est arrivé, il y a quinze mois, Manerville a été sidéré, comme tout le monde, mais pas surpris. Il avait toujours pensé qu’il ferait partie d’une génération qui allait devoir vivre avec la perspective d’un effondrement.»

« Ce petit monde-là, au fil des années, s’était rencontré, croisé, reniflé dans les lieux habituellement fréquentés par l’hyperclasse : lobbys d’hôtels dubaïotes, expositions new-yorkaises, fêtes tropéziennes, festivals de cinéma à Venise, opéras wagnériens sur la colline sacrée de Bayreuth. Des connexions s’étaient produites autour d’une vision commune de l’avenir. La cristallisation s’était faite grâce au notaire Cardot qu’il faut imaginer comme un personnage balzacien où, derrière une allure passe-partout, agit un génial gestionnaire de fortunes, un vrai Mozart de l’optimisation fiscale dont l’étude parisienne, avenue de la Grande Armée, est l’Ultima Thulé de tous ceux, assez nombreux, il faut bien l’avouer, qui n’ont pas du tout, mais alors pas du tout l’intention de se soumettre à des impôts confiscatoires, même si ça va un peu mieux depuis que Séchard est à l’Élysée : elle ne peut pas avoir non plus tout raté, celle-là. »

Les Enfants de Dune
7.6

Les Enfants de Dune (1976)

Le Cycle de Dune, tome 3

The Children of Dune

Sortie : 1978 (France). Roman, Science-fiction

livre de Frank Herbert

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Là-bas, derrière ce mur qui les séparait du Bassin du Nord se trouvait le centre de tous ses problèmes.
Dans l’ombre brûlante, l’aube pointait, maintenant. Le soleil se glissait entre les turbans de poussière et de minces franges blêmes se dessinaient entre les replis rouges de la tempête qui s’éloignait. Fermant les yeux, Leto essaya d’imaginer la venue de ce jour sur Arrakeen, et la cité fut là, soudain, au centre de son esprit, comme un jeu de boîtes dispersées entre la lumière et les ombres nouvelles esquissées par le jour. Le désert… les boîtes… le désert…
Il ouvrit les yeux et seul le désert subsista. »

« Pouvait-il vraiment faire un tel choix ? Les enfants de Muad’Dib étaient-ils responsables de cette réalité qui occultait les rêves des autres ? Non. Ils n’étaient que les lentilles par lesquelles filtrait cette lumière qui révélait des formes nouvelles de l’univers. »

« Toutes les formes de son passé humain et non humain, toutes les vies auxquelles il commandait à présent étaient enfin intégrées en lui. Il était pris dans le flux et le reflux des nucléotides. Sur la toile de fond de l’infini, il était une créature protozoaire chez laquelle la naissance et la mort étaient virtuellement simultanées, mais il était à la fois infini et protozoaire, une créature aux souvenirs moléculaires.
Nous, les humains, sommes une forme d’organisme-colonie ! pensa-t-il. »

« Ils vendent des morceaux de marbre corrodé, dit Duncan en les désignant. Savais-tu cela ? Ils les déposent dans le désert et les vents de sable les sculptent. Parfois, les formes sont intéressantes. Ils disent que c’est une nouvelle forme d’art, très populaire, de véritables œuvres du vent de Dune. J’ai acheté une de ces pièces la semaine dernière, un arbre doré à cinq branches. Gracieux mais très fragile. »

Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science...

Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science...

Sortie : 16 mai 2018 (France). Jeunesse

livre de Loïc Mangin

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Venons-en à l'absence de Lune dans le reflet des eaux du fjord. Certains ont proposé des explications symboliques ou psychanalytiques. Pourtant, les lois de l'optique et de la réflexion suffisent. [...] La Lune réfléchie devrait être perçue selon le même angle, mais cette direction est déjà occupée par le reflet de la maison : la Lune disparaît naturellement. Ce phénomène explique également pourquoi le toit de la maison et son reflet ne sont pas identiques. Si la vie de Munch est jalonnée de drames, il n’en avait pas pour autant perdu tout discernement. »

« À sa décharge, Léonard de Vinci, qui fut le premier à représenter un tel édifice géométrique, n’avait à sa disposition que les instructions de son ami Pacioli. Il n’avait sans doute pas de modèle, du moins n’en connaît-on aucune trace. Aucun modèle ? Pourtant, sur le portrait de Luca Pacioli attribué au peintre Jacopo de' Barbari, le solide suspendu à sa droite est bien un rhombicuboctaèdre ! Regardons de plus près ce tableau, daté de 1495 et dont la paternité est contestée. Pacioli, habillé en franciscain, illustre sur une ardoise marquée Euclide un théorème de ce dernier. Sa main gauche est sur les Éléments d'Euclide, ouverts au niveau du livre XIII. À droite, sur la table, un dodécaèdre en bois est posé sur un livre, probablement la Summa de arithmetica, geometria, proportioni et proportionalita que Pacioli a publiée en 1494, à Venise. L'identité de l’homme, au second plan, est incertaine : certains reconnaissent Guidobaldo de Montefeltro, 3e duc d'Urbin, d’autres Albrecht Dürer.

Le rhombicuboctaèdre semble être en verre et devait donc être lourd, d'autant plus qu’il est à moitié plein d’eau. Comment un tel récipient pouvait-il être suspendu par un fil si fin ? Des artisans de cette époque étaient-ils capables de fabriquer des joints étanches pour un objet aussi complexe ? Ces questions jettent le doute sur la réalité de ce modèle. Autre indice, plus probant: le rendu du fil sur la toile, et notamment sa réfraction à travers l’eau et le verre, n’est pas réaliste, la version moderne du rhombicuboctaèdre en attestant : le fil devrait paraître coupé, à l'inverse de ce que l’on voit sur le tableau.
Ainsi, tant Barbari que Vinci ont dessiné le rhombicuboctaèdre sans modèle. Rendons-leur justice, pour un solide à 26 faces, c’est plutôt réussi ! »

Dans le visible

Dans le visible (2023)

Sortie : 9 novembre 2023. Poésie

livre de Christophe Langlois

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Certains jours éclatent singulièrement
entaille de la couleur dans la taie de l’œil
animation du sang sous la tessiture
oiseau comme une soie qu’on triture
dehors nos pas pressés l’ignoraient
martelaient la majestueuse torsion des tulipes
et ces signaux disparus soudain évidents à faire peur
à la fenêtre d’en face
  
C’est l’inversion tant attendue
la peau des nuits redevenue précieuse
d’où sortez-vous qu’on ne sente
depuis les caves jusqu’aux soupentes
tubercules et fruits pousser leur inexorable vie ?
maintenant à cloche-pied voici nos baisers maladroits
chaleur invisible au tissage de l’instant
reflet éblouissant — toi ! — »


« Tu te régales du simple surgissement de vivre
comme d’une essence trop tôt dérobée
dont il n’est donné qu’à toi de humer l’arôme
Alors interdit d’avoir vu la mer étale
l’immense mot dont chaque lettre est l’égale
tu nous ouvres les bras en cerisier magnanime
ô jour plein sonnant de l’éphémère clarté !
Prêt à danser manches bouffantes chemise blanche
devant la sainte prodigalité
arche aux merveilles d’une vie sentie
d’elle tu es le signe-servant fier
Ce bel orgueil à ton front nous apprend à chérir le demi-jour
ce bord indistinct cette quille où tu te tiens
où rien n’est sûr qu’espoir
afin qu’accueillis par toi nous avancions à notre tour
jusqu’au comble de vie qui est vie »

Adrienne Mesurat
7.8

Adrienne Mesurat (1927)

Sortie : 1927 (France). Roman

livre de Julien Green

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Aussi quel précieux spectacle c'eût été pour un observateur que ce jeu de cartes quotidien ! Ces trois personnes étaient réunies autour de cette lampe, que d'intérêts les divisaient, que de pensées hostiles dans leurs cœurs ! Le père craignant pour la paix et les habitudes de sa maison, une fille torturée d'amour, l'autre de jalousie et de curiosité. Et il semblait que tout cela fût représenté d'une manière concrète par ce jeu qui consistait à prévenir le voisin dans son plan d'attaque, à faire avorter ses projets et à triompher de lui. Dans le silence, les cartes s'abattaient sur le marbre avec un petit bruit sec et de temps en temps une voix proclamait un résultat, émettait une appréciation brève. »


Adrienne ne répondit pas. Il lui semblait que dans cette pièce qu'elle connaissait si bien, quelque « chose d'inconnu se glissait. Un changement indéfinissable avait lieu ; c'était une impression analogue à celle que l'on peut avoir dans les rêves ou des endroits que l'on sait n'avoir jamais vus paraissent familiers. A un premier mouvement de curiosité succède l'effroi puis la terreur de ne pouvoir s'enfuir, de se sentir immobile et prisonnier. Elle se demanda si elle ne devenait pas folle, et jeta un regard autour d'elle. Ce n'était pas l'aspect connu des choses qui la frappait mais plutôt leur caractère étrange et lointain; cependant, comme dans un rêve, elle éprouva l'horreur de ne pouvoir faire un mouvement, d'être retenue par une force invisible entre ce fauteuil et cette table. »


« Assurément, il était heureux : sa vie était des plus simples, mais elle était faite d'habitudes qu'il avait prises les unes après les autres, comme on choisit des fleurs, des cailloux rares au cours d'une longue promenade, et il les chérissait de tout son cœur. Le tour quotidien à travers la ville, l'arrivée des journaux du soir, l'heure des repas, autant de moments agréables pour cet homme qui semblait ne jamais devoir quitter ce monde, tant il mettait de joie et d'énergie à y tenir sa place. »

Demain, les animaux du Futur
8.2

Demain, les animaux du Futur (2015)

Sortie : 20 mai 2015. Essai, Sciences

livre de Jean-Sébastien Steyer

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Les simulations sont fondées sur des modèles. Pour faire simple, un modèle est un peu comme un énorme logiciel bourré d'équations qui mettent en jeu des variables (mouvement des masses d'air, taux d'épargne des ménages, etc.) et des lois (comme les lois de la physique des fluides dans un modèle climatique). Un modèle n'est jamais définitif, il est toujours perfectible en fonction des connaissances que l'on a du phénomène et de ses lois. Galilée a visé juste lorsqu'il a écrit que "le livre de la nature est écrit en langage mathématique". Aujourd'hui, à l'ère des supercalculateurs, tout ou presque est devenu quantifiable, modélisable, simulable. Les mathématiciens nous apprennent que même les systèmes chaotiques sont modélisables à l'aide de fractales. L'évolution biologique est-elle prévisible ou modélisable ? En écologie quantitative, l'évolution d'une population donnée peut être modélisable à court terme et dans une région géographique limitée. Mais, comme nous l'avons rappelé dès les premières lignes de l'ouvrage, ce n'est pas le cas de l'évolution des espèces. L'évolution est un phénomène contingent et chaotique (au sens physique du terme) faisant intervenir une Infinité de paramètres aussi bien biotiques (compétition entre espèces, mutations génétiques, etc.) qu'abiotiques (variations climatiques, impacts météoritiques, etc.). Elle n'est donc ni modélisable ni prédictible. »

Ségurant, le chevalier au dragon
7

Ségurant, le chevalier au dragon (2023)

Sortie : 6 octobre 2023. Conte

livre de Emanuele Arioli

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Le conte dit que Ségurant se leva de très bon matin, en Carmélide où il se trouvait avec le roi qui lui faisait tant d'honneur, comme je vous l'ai dit plus haut. Il s’habilla, se prépara, pit ses armes et les revêtit le plus vite qu’il put. Puis, il s'en vint armé de la sorte auprès du roi et prit congé de lui et de tous les autres, qui le recommandèrent à Dieu. Après avoir quitté le roi et les autres chevaliers, Ségurant s’approcha de son cheval, que son écuyer avait préparé pour qu’il l’enfourche. Il se mit en chemin avec son écuyer aussi directement qu'ils purent, vers le pont que gardait messire Galehaut le Brun, comme je vous l'ai raconté plus haut Mais si messire Galehaut avait connu l'identité du chevalier qu’il avait entrepris d'affronter en se postant sur le pont, il ne l’aurait pas fait ; cependant, étant donné les hauts faits d'armes dont il avait entendu parler, il se demandait avec grand étonnement qui ce pouvait être. Et s’il n'avait cru tous les preux chevaliers de son lignage sur l'Île Non Sachante avec son cousin Hector le Brun, il aurait aussitôt pensé que ce chevalier fût l’un d'eux, mais ce que je vous ai dit l’empêchait de le penser. » 


« En conséquence, ces chevaliers sont entrés en conflit avec moi, car ils ont l’arrogance de détenir mon héritage contre ma volonté, Je m'en étais allé à la cour du roi de Carmélide pour m'en plaindre : c’est alors qu'ils m'ont guetté pour me tendre une embuscade et me tuer, comme vous avez vu, et ils m’auraient tué pour de bon, si vous n'y aviez été. Et je vous déclare que je veux que ce pays que je gouverne soit à vos ordres ainsi que moi, tout ce qui m’appartient et tous mes hommes.

— Seigneur, fait Ségurant, je vous remercie. Je me réjouis, croyez-le bien, que votre querelle soit juste, car désormais je ne me soucie plus de ceux qui sont morts. Et je vous assure que, si cela m'était possible, je vous aiderais à tous les vaincre et les exterminer, avec l’aide de Dieu ou du sort. Je vous prie de ne pas le prendre mal : j'ai une chose à faire qui m'est très à cœur. Protégez-vous d’eux autant que possible, car, croyez-moi, ils vous mettraient à mal, s’ils en avaient la possibilité.

— Seigneur, fait Hoderic, je m’en protégerai de mon mieux, comme de mes ennemis mortels. »

Ainsi s’entretenaient Ségurant et son hôte, tout en mangeant. Après avoir mangé tout à loisir, ils se lèvent de table et restent un moment dans la salle avant d'aller se coucher. »

Térébenthine
6.7

Térébenthine (2020)

Sortie : 20 août 2020. Roman

livre de Carole Fives

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« En France, le dernier mouvement artistique qui a marqué les esprits, c’est Supports/Surfaces. En réduisant l’acte de peindre à son strict minimum, ligne, touche, support, Buren et ses acolytes ont tenté de mettre fin à la peinture. Ils ne sont pas les premiers, l’histoire de l’art du XXe siècle finissant peut tout entière se résumer à cette seule tentative : tuer la peinture par un dernier tableau, une ultime toile qui porterait un coup fatal à toutes les autres.
Comment peindre après la mort de l’art, après la barbarie, comment créer à l’ère du soupçon ? »

« Cindy Sherman. Martha Rosler. Laurie Anderson. Louise Bourgeois. Jenny Saville. Barbara Kruger. Marlene Dumas. Annette Messager. Joan Mitchell. Kiki Smith. Yoko Ono. Geneviève Asse. Sarah Moon. Adrian Piper. Katharina Grosse. Vanessa Beecroft. Mona Hatoum. Ghada Amer. Judy Chicago. Elaine de Kooning. Frida Kahlo. Valérie Belin. Dorothea Lange. Tamara de Lempicka. Rachel Whiteread. Tatiana Trouvé. Suzanne Valadon. Chantal Akerman. Françoise Vergier. Agnès Varda. Gina Pane. Eva Hesse. Marie Laurencin. Maria Helena Vieira da Silva. Wanda Gág. Sarah Lucas. Elizabeth Peyton. Agnes Martin. Mary Ellen Mark. Seton Smith. Nancy Spero. Valérie Jouve. Louise Lawler. Lisette Model. Martine Aballéa. Jana Sterbak. Rebecca Horn. Shirley Jaffe. Claude Cahun. Carole Benzaken. Sally Mann. Elizabeth Lee Miller. Sylvie Blocher. Diane Arbus. Laura Owens. Rosa Bonheur. Françoise Huguier. Annie Leibovitz. Eija-Liisa Ahtila. Martine Franck. Helen Levitt. Susan Rothenberg. Jane Atwood. Aurélie Nemours. Agnès Thurnauer. Alice Neel. Rosemarie Trockel. Magdalena Abakanowicz. Francesca Woodman. Barbara Morgan. Gertrud Arndt. Judith Rothchild. Anne-Marie Schneider. Berenice Abbott. Eva Aeppli. Mariko Mori. Camille Claudel. Yayoi Kusama. Sophie Ristelhueber. Bettina Rheims. Carla Accardi. Emily Carr. Sarah Morris. Germaine Richier. Claudine Doury. Dora Maar. Suzanne Lafont. Marie-Ange Guilleminot. Sylvie Fleury. Julie Mehretu. Orlan. Sophie Calle. Meret Oppenheim. Guerrilla Girls. Dóra Maurer. Niki de Saint Phalle. Charlotte Perriand. Tania Mouraud. Susan Hiller. Valérie Favre. Pipilotti Rist. Rineke Dijkstra. Jenny Holzer. Helen Frankenthaler. Gloria Friedmann. »

Les Lettres d'À l'Est d'Eden

Les Lettres d'À l'Est d'Eden (1952)

Journal d'un roman

Journal of a Novel: The East of Eden Letters

Sortie : 13 avril 2023 (France). Correspondance, Autobiographie & mémoires

livre de John Steinbeck

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Même si rien ne devait émerger de ce livre, je pourrais encore écrire. Il me semble que différents organismes doivent avoir des voies de symbolisation distinctes, par son ou par geste, la joie créative - la façon dont elle fleurit. Et si c’est le cas, les hommes aussi doivent avoir leurs voies distinctes - certains pour rire et certains pour construire, certains pour détruire et, oui, d’autres encore pour se détruire de façon créative. Il n’y a aucune explication à cela. La joie en moi a deux issues : l’une, une belle charge d’amour en direction du corps et de la douceur incroyablement désirable d’une femme ; l’autre - essentiellement les deux -, le papier et le crayon ou le stylo. Et il est intéressant de penser à ce que sont le papier et le crayon, et la torsion des mots. Ils ne sont rien d’autre que le déclencheur de la joie - le cri de la beauté -, les carcajadas de la béatitude créatrice. Et souvent les mots ne s’approchent même pas de l’intensité de la sensation, sauf en de rares occasions. Par conséquent, un homme rempli d’une joie débordante peut écrire avec force et véhémence sur quelque triste image - de la mort, de la beauté ou de la destruction d’une jolie ville - et il ne reste plus que l'efficacité pour prouver combien sa sensation était grandiose et belle. »


« Il avance à une cadence très rapide, mais tout m’indique que ça va être, en effet, un très long livre. Je le sais parce que chaque facette que je déploie conduit à la longue route d’un personnage et à sa portée. Mon Dieu, comme c’est un livre compliqué. J’espère garder toutes les rênes en main et, en même temps, parvenir à le faire résonner comme s’il était un accident ou presque. Ce sera dur à obtenir, mais il le faut. De même il faudra que je conduise le récit de façon aussi graduelle que possible afin que mon lecteur ne voit pas ce qui va lui arriver jusqu’à ce qu’il se retrouve piégé. C’est la raison, Pat, du ton détaché - presque désinvolte. Comme un homme poserait un piège à renards, en prétendant de manière extravagante qu’il ignore même s’il y a un renard ou un piège dans tout le pays. Je me suis mis à travailler tellement tôt ce matin qu’il est encore tôt. Et je pourrais continuer encore un peu. Mais je crois que le noyau de l'énergie est en quelque sorte usé. Je pense, puisque j’en ai déjà tant fait, que ce sera tout pour aujourd’hui. Je ne veux pas être trop fatigué. Je veux prendre mon temps et éviter l'épuisement assez effroyable des Raisins de la colère. »

Le Dernier des aînés
7.8

Le Dernier des aînés (2021)

Elder Race

Sortie : août 2023 (France). Nouvelle

livre de Adrian Tchaikovsky

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« "La magie n’existe pas, petite fille stupide. Et les démons n’existent pas non plus. Il n’y a que le monde et sa manière de fonctionner. Je viens d’un peuple qui comprend le monde, et cela nous permet d’accomplir des choses qui vous sont impossibles. Je connais les paroles qui permettent de contrôler les serviteurs et les ouvriers des anciens temps, comme celles que cet idiot futé d’Ulmoth a dénichées. Je possède des instruments puissants capables de châtier mes ennemis et de me protéger. Mais ce n’est pas de la magie. Je ne suis pas un magicien, mais un enchanteur." Il fit une grimace. "Pas un enchanteur, mais un sorcier, un mage. Un…" Et il prononça un mot qu’elle n’avait jamais entendu ; un mot dur, étrange, irritant comme le frottement du métal sur une dent. Puis il fit une longue phrase en répétant ce mot, qu’il envoya en l’air, au-delà du plafond, vers le ciel indifférent. La malédiction d’un enchanteur. »

« Je suis envahi par une affreuse tristesse, pourtant salutaire, dans un sens. Ce n’est pas dû au lourd fardeau de mon apitoiement sur moi-même et de ma souffrance, aux effets biochimiques d’un métabolisme défaillant ou à mes connaissances, qui posent un filtre austère sur tout ce qui m’entoure. Je suis triste pour Lynesse Quatrième Fille, qui s’efforce de devenir quelqu’un qui n’a jamais existé dans le monde réel, qui n’y parvient pas, parce que c’est impossible, mais qui essaie encore. »

Dante en paysage

Dante en paysage (2023)

Sortie : 9 mars 2023. Essai, Littérature & linguistique

livre de Bernard Chambaz

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Par où commencer avec Dante ? 

Parce que, en tout état de cause, on ne commence jamais vraiment, étant donné la quantité innombrable des gloses et des exégèses, des scolies, des études, des apostilles, des mises en abyme fascinantes que son œuvre a suscitées. 

D'où repartir, où embarquer, où se mettre en route, parce que si La Divine Comédie est bien un récit de voyage, le récit commence au retour, au moment où le voyage s'écrit et, en ce sens, la fin renvoie au commencement. Dante est comme l'herbe. Il pousse par le milieu. 

Par quelle voie de traverse s’en aller à l'aventure car chaque chant nous donne mille possibilités? Par quel côté de Florence car tout vient de là. Par quels commencements parce que la poésie s'apparente aux fleuves. La source de l’Arno est un amas de rochers parfois à peine humides dans un bois de hêtres sur les pentes du mont Falterona. Une plaque de fonte a été apposée et on peut encore lire aujourd’hui une citation du chant XIV du Purgatoire : « frumicel che nasce in Falterona. » Ruisseau ou petit fleuve, mot formé à partir de fiume qui fait rime sept fois dans La Divine Comédie, notamment avec schiume et piume, qui nous inviterait à voir d’un autre œil, mais ce n'est pas le sujet, les remous de l’eau sous l'effet du vent. »

L'Invention de la solitude
7.1

L'Invention de la solitude (1982)

The Invention of Solitude

Sortie : 1982. Roman

livre de Paul Auster

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Cette vie lui convenait et je comprends qu’il y soit retourné après la rupture de son mariage. Pour quelqu’un qui ne trouve la vie tolérable qu’à la condition d’en effleurer seulement la surface, il est naturel de se contenter, dans ses échanges avec les autres, de rapports superficiels. Peu d’exigences à satisfaire, aucune obligation de s’engager. Le mariage, au contraire, c’est une porte qui se ferme. Confiné dans un espace étriqué, il faut constamment manifester sa personnalité et par conséquent s’observer, s’analyser en profondeur. Porte ouverte, il n’y a pas de problème : on peut toujours s’échapper. On peut esquiver toute confrontation désagréable, avec soi-même comme avec autrui, rien qu’en sortant.

La capacité d’évasion de mon père était presque illimitée. Le domaine d’autrui lui paraissant irréel, les incursions qu’il pouvait y faire concernaient une part de lui-même qu’il considérait comme également irréelle, une personnalité seconde qu’il avait entraînée à le représenter comme un acteur dans la comédie absurde du vaste monde. Ce substitut de lui-même était avant tout un farceur, un enfant débordant d’activité, un raconteur d’histoires. Il ne prenait rien au sérieux. »


« Solitaire. Mais cela ne signifie pas qu’il était seul. Pas dans le sens où Thoreau, par exemple, cherchait dans l’exil à se trouver ; pas comme Jonas non plus, qui dans le ventre de la baleine priait pour être délivré. La solitude comme une retraite. Pour n’avoir pas à se voir, pour n’avoir pas à voir le regard des autres sur lui.

Bavarder avec lui était une rude épreuve. Ou bien il était absent, comme à son habitude, ou bien il faisait montre d’un enjouement exagéré, et ce n’était qu’une autre forme d’absence. Autant essayer de se faire comprendre par un vieillard sénile. Vous disiez quelque chose, et il n’y avait pas de réponse, ou si peu appropriée que d’évidence il n’avait pas suivi le fil de votre phrase. Chaque fois que je lui téléphonais, ces dernières années, je me surprenais à parler plus que de raison, je devenais agressivement volubile, avec l’espoir futile de retenir son attention par mon bavardage et de provoquer une réaction. Après quoi, invariablement, je me sentais idiot d’avoir fait un tel effort. »

Archipel et Nord
8.3

Archipel et Nord (1974)

Sortie : janvier 2009 (France). Roman

livre de Claude Simon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« s’élevant parmi les fleurs sauvages la folle et pathétique végétation des étés éphémères m’attendant à la voir peu à peu se défaire s’en aller en morceaux s’écrouler la vaste maison comme rongée par d’invisibles termites une secrète mélancolie avec ses pignons rococo ses galeries ses balcons ouvragés dentelles de bois jaunies par le temps entre les feuillages pâles comme ces très vieilles dames à la peau desséchée momies sur lesquelles des oripeaux fanés

robe de bal aérienne on ne voyait que sa tache claire flottant sur le fond de bois noirs et les troncs blancs comme phosphorescents des bouleaux

mais c’était seulement sa bordure sa lisière bienséante qui se vêtait de bronze de volants de dentelle comme pour »

Steampunk
8.1

Steampunk (2013)

De vapeur et d'acier

Sortie : 10 octobre 2013. Beau livre & artbook

livre de Xavier Mauméjean et Didier Graffet

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Après avoir écarté toutes les hypothèses, y compris celles hautement improbables ; les savants se résignent à admettre que la zone est temporellement instable. Lorsque certaines conditions sont rassemblées, anomalies magnétiques et perturbations atmosphériques, il se crée un effet de cheminée, un vortex en forme de colonne pouvant produire trois types de torsion temporelle : une distension vers le passé immédiatement suivie d’un feed-back, ce qui explique la présence de bâtiments anciens ; une protension vers le futur d’où viendrait la nef inconnue ; et enfin une altération du présent pouvant provoquer vieillesse et rajeunissement. »

Un archipel

Un archipel (2023)

Fiction, récits, essais

Sortie : 26 janvier 2023. Littérature & linguistique

livre de Maylis de Kérangal

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Pour décrire ces surfaces, je pars de loin, je pars dans la distance, d'un point hors de ma vie. Je rallie des mondes éloignés, des mondes physiques, sociaux, techniques, culturels, qui situent un questionnement intime, qu’il soit politique (Naissance d'un pont), métaphysique (Réparer les vivants) ou littéraire (Un monde à portée de main). J'approche une réalité méconnue, faite de mouvements, de processus et de métamorphoses, où le travail de la langue entre en résonance avec tout ce qui travaille le livre. Si j’accède physiquement à ces territoires (chantier de grands ouvrages, bloc chirurgical lors de l'opération, cuisine de restaurant à l'heure du service, studio de cinéma, atelier du fac-similé d'une grotte préhistorique), le terrain ne saurait être en soi un label de justesse, encore moins une légitimation morale envers un sujet, une garantie de probité. On se lance dans une enquête tout autant pour recueillir des données que pour éveiller les puissances de l'imagination, activer son monde intérieur, perturber sa vie. En ce sens, l'enquête, l'archive, l'expérience du terrain sont des intensificateurs de fiction : ça sert à imaginer. Néanmoins, ces pratiques issues de la recherche ou d'une tradition de reportage — pratiques pas si nouvelles en vérité, mais dont l'usage se répand et s’intensifie, comme en témoigne, entre autres, le travail d'Olivia Rosenthal, Philippe Artières, Philippe Vasset, Jean Rolin, Hélène Gaudy, Élisabeth Filhol — m'incitent à me tourner vers d’autres descripteurs — c'est l'ethnologue engagé sur un terrain, le géologue qui sonde un sol, l'archéologue sur son champ de fouilles — qui réinventent d'autres manières de voir le monde et de le raconter, qui stimulent la question de l'écriture — comment on écrit ? »

La Folie Forcalquier
5.7

La Folie Forcalquier (1995)

Sortie : 1995 (France). Roman, Policier

livre de Pierre Magnan

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Tout cela respirait l’improvisation éblouissante d’un cerveau qui avait distingué en un éclair le parti qu’on pouvait tirer, pour sa convenance personnelle, de l’effondrement d’un Empire. C’était du travail de désespoir de cause, entrepris sauvagement comme un cri de protestation et qui avait réussi par miracle comme tout ce que Dieu veut. Il y avait là de quoi trembler et surtout, de quoi n’avoir rien vu car la seule chose qui fût certaine dans cette péripétie, c’était que nous avions affaire à un caractère peu commun, d’une clairvoyance sans faille et qui avait veillé sans relâche à guetter l’occasion. Quelqu’un qui savait que les choses administratives suivent leur cours accoutumé quelles que soient les catastrophes dont souffrent les nations, semblables en cela aux segments d’un serpent qui continuent à se tordre dans l’herbe, ignorant que leur tête a été coupée il n’y a pas cinq minutes. »

« Tout ce beau monde sentait les grands chemins à plein nez. Entendez qu’ils ne parvenaient pas, quelque soin qu’ils en prissent, à grand renfort de patchouli et d’ilang-ilang, à chasser de leur personne, sous les habits de fête, cette profuse exhalaison des longues collines qui nous encerclaient, laquelle collait à leur peau et qu’ils avaient gagnée en chevauchant à corps perdu sur des sentiers bordés de buis centenaires, de lentisques géants, d’ajoncs épineux, enfin de tout ce qui fait l’austérité de nos déserts et leur poignante nostalgie. »

« — Mais non ! Y songez-vous ? Brûler la guillotine ? Nous ne sommes pas des poètes ! Il suffisait d’arracher Zinzolin à sa main-forte. Quoique… Nous étions fermement décidées à casser la tête à l’escorte en cas de résistance. Mais les gendarmes ont tout de suite levé les mains en nous criant qu’ils avaient des enfants. N’oubliez pas non plus que l’Empire s’écroulait pendant ce temps. La conviction de ses défenseurs s’éteignait d’heure en heure.

Elle se leva brusquement. Elle m’apparut nue, en pied, pour la première fois. La lumière caressante de l’unique chandelle estompait les courbes de Roseline dans sa pénombre et me proposait le modèle d’un grand peintre empreint d’une clarté qu’il ne retrouverait jamais plus. Je n’avais que mes yeux hélas pour graver cet exquis moment de vie sur ma mémoire. »

The Parisianer

The Parisianer (2021)

Chroniques du Muséum

Sortie : 10 juin 2021. Beau livre & artbook, Culture & société

livre de François Aulas et Camille Aulas

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Dans les galeries du Jardin des Plantes et le musée de l'Homme, au-delà des espaces d'expositions permanentes et temporaires, des réserves abritent, sur des kilomètres de rayonnages, des collections de tous types : des planches d’herbiers hors d'âge, des carottes de forages océaniques ou lacustres, des séquences d'ADN et des tissus vivants figés dans l’azote liquide, des fossiles en tous genres, des insectes, des minéraux, des échantillons de bois, des fragments de météorites. Comme une arche de Noé grandeur nature : la mémoire matérielle du monde vivant. Chaque spécimen est rangé avec soin pour qu’il ne se dégrade pas au fil du temps. Il est répertorié selon une méthode partagée par tous les muséums du monde. Classées pour être facilement consultables, ces collections se tiennent à la disposition des chercheurs, susceptibles d’être étudiées et réétudiées à tout moment. »

« E. G. : Avez-vous des preuves solides qu’il s’agit bien de transmission et non de hasards isolés ?

A.S.: Le premier exemple de culture animale a été observé au Japon dès le milieu du XXe siècle. Dans un groupe de macaques, une femelle a eu l’idée de laver une patate dans un ruisseau avant de la manger. La trouvant sans doute meilleure parce que débarrassée de ses grains de sable, elle recommença. Cinq ans plus tard, tout le groupe lavait régulièrement ses patates. Plus tard encore, d’autres individus préférèrent tremper leur patate douce dans l’eau de mer, pas loin de là. La patate devenait encore meilleure puisque salée ! Et cette tradition s’est poursuivie à la génération suivante. Si l'existence de cultures animales ne fait plus débat, c’est parce que, depuis des années, nous avons ouvert les yeux sur l’étendue et la diversité des comportements et des pratiques sociales du règne animal, très faciles à voir chez les grands singes notamment »

Immortelle

Immortelle (2023)

Vitalité de la jeune peinture figurative française

Sortie : 12 avril 2023. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Numa Hambursin et Amélie Adamo

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

[Note d’intention claire, directe] :

« Autant l'écrire immédiatement, pour qu'il n'y ait aucune méprise sur la question, aucun malentendu : Immortelle est une exposition de combat. Il ne s'agit pas de mégoter, de négocier ou d'accepter des compromis sur le registre "vous voyez, certains tableaux ne sont pas si mauvais"»; ou encore "la peinture n'est pas complètement morte en France, il reste un espoir" ; ou encore "voilà dix ans que les toiles s'améliorent enfin". Il s'agit d'affirmer une vérité simple aux ramifications nombreuses : la peinture est immortelle. Il est donc parfaitement inutile de se réjouir de son retour, ou de le regretter, comme il serait vain de gloser sur la mort de la littérature ou de la musique. À cette proclamation s'ajoutent des convictions bâties à chaux et à sable.

Non, la "peinture rétinienne" honnie par Marcel Duchamp n'a jamais cessé de produire des chefs-d'œuvre.

Non, la peinture figurative n'est pas réactionnaire et passéiste.

Non, la France n'est pas un pays hors de l'Histoire, celle que l'Allemagne, les États-Unis ou les pays émergents n'ont jamais quittée, où les peintres n'auraient créé que des tableaux récréatifs et décoratifs.

Non, Pierre Soulages n'est pas le dernier grand peintre français.

Oui, notre pays a enfance et accueilli des peintres de talent et même de génie au cours du dernier demi-siècle.

Oui, ces artistes ont dû mener leur barque à contre-courant, découragés par les écoles d'art, méprisés par les institutions, moqués par la majorité des critiques influents.

Oui, la résistance a payé ; oui, les plus jeunes peintres français récoltent les fruits d'une lutte injuste qui fut celle de la génération précédente ; oui, la bataille est enfin gagnée ; non, ses héros n'ont pas encore été récompensés.

Oui, la peinture française vit aujourd’hui un âge d'or.

Nous avons conçu l'exposition Immortelle avec pour objectif de révéler la vitalité ininterrompue de la jeune peinture figurative française, telle qu'incarnée par les artistes nés depuis 1970. Nous avons la conviction que cette scène foisonnante et complexe aurait dû faire l'objet depuis longtemps d'une présentation importante par une grande institution telle que la nôtre. »


+ bcp d'extraits en commentaires

Règne analogue

Règne analogue (2016)

Sortie : 18 août 2016. Essai, Peinture & sculpture

livre de Nicolas Darrot, Thierry Dufrêne, Meriam Korichi et J. Emil Sennewald

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Nicolas Darrot crée des mécanismes animaliers pour parler de la société des hommes à la manière des fabulistes Ésope ou La Fontaine. De façon plus générale, il se rattache à toute une tradition de la sculpture animée qui s'est développée un peu en marge, il faut bien le dire, de la ‘grande sculpture’. Sans remonter à Héron d'Alexandrie et aux automates de l'Antiquité, on peut évoquer les marionnettes, le mannequin articulé et les automates de l'époque classique comme la Francine de Descartes à laquelle l'artiste s'est d'ailleurs beaucoup intéressé, ou ceux des Jaquet-Droz ou de Vaucanson au XVIIIe siècle. Ce courant marginal est revenu dans les années 1950 au centre même de la sculpture avec Jean Tinguely ou Nicolas Schöffer, la machine à peindre Méta Matic du premier et le robot autonome CYSP1 du second, et en fin de compte avec l'art cinético-programmé. Plus récemment, dans les années 1980-1990, l'artiste allemande Rebecca Horn a 'créé' des oiseaux et des papillons animés en mettant en mouvement des plumes au moyen de dispositifs électromécaniques programmés. Sa Machine-Paon ou son Baiser des rhinocéros imitent les comportements des animaux pour en tirer un effet burlesque qui vise en réalité les humains.
Nicolas Darrot appartient à une génération plus jeune d'artistes-inventeurs comme Christiaan Zwanikken, Malachi Farrell ou Yanobe Kenji qui programment avec leur ordinateur la vie de créatures artificielles, d'entités qui ont à la fois des caractères humains, animaux, machiniques voire écologiques. »

« "Quoi ! La nature ne serait que l'art ?" s'exclame le Philosophe selon Voltaire. La nature que convoque Darrot, c'est celle à qui on a donné un nom, "nature", qui ne lui convient pas, parce qu'en réalité, elle est tout art. En effet, qu'est-ce que le givre qui dissimule les êtres, que sont les vapeurs qui s'exhalent de la terre, quels sont ces sucs, ce miel, ces habitats complexes que sont les ruches, quelle est cette lumière que capte le rideau qui va et vient comme un filet à photons, sinon de l'art ?

La fascination de l'artiste pour les milieux instables, en constante évolution, dont la forme paradigmatique est l'essaim, dont les pleins sont constamment vidés et les vides constamment remplis, milieux qui parfois semblent se fixer dans des concrétions, qui paraissent comme des créations de la nature, se marque dans sa célébration de la ruche. »

Arthur Rackham

Arthur Rackham

Sortie : octobre 2017 (France). Beau livre

livre de André-François Ruaud

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Le style de Rackham évolua au fil des ans, se nourrissant tout d'abord de toutes les influences de son époque, tout l'art qui pouvait aller dans la direction "féerique" vers laquelle il tendait : de Daumier à William Morris en passant par Richard Doyle ou George Cruikshank, sans parler des écoles italienne et amande, Holbein ou Dürer... Rackham, de sa manière méthodique, étudie, applique puis développe et affine tout un véritable langage pictural du merveilleux en illustration. Personne avant lui n'avait poussé aussi loin l'étude spécifique de cette matière, de cette thématique, et c’est ce qui fait de lui assurément un tel « géant » en son domaine, un artiste incontournable, une référence désormais canonique. Ainsi de ses arbres et de ses racines : ayant fusionné son inspiration de la nature avec les volutes de l’Art nouveau, Rackham a fait de ces lignes tordues, de ces silhouettes griffues, l’un des archétypes de la fantasy, une référence que l'on retrouve maintenant partout, chez Brian Froud comme chez Charles Vess, élément du langage esthétique du merveilleux. Si Dulac pouvait en quelque sorte être "résumé" à ses bleus, donc à une surface, Rackham pour sa part peut réellement l’être à ses formes, donc à une profondeur. »

« Quand arrive 1936, l'artiste lui-même réalise que sa muse l’a déserté, il ne sait plus trop quelles œuvres illustrer, comment il pourrait sinon se renouveler, du moins prolonger son travail de la bonne manière. Âgé de 69 ans, il ressent de la tristesse à l'évocation des jours d’avant la guerre, il se sent emprisonné dans cette Europe des passeports et des frontières, il lui semble n'avoir plus d'utilité même en art... Fort heureusement, un éditeur américain vient lui rendre visite et lui suggère le thème de sa prochaine œuvre : le Vent dans les saules de Kenneth Grahame. Bouleversé, Rackham est soudain au bord des larmes, il s’absente quelques minutes pour ne pas montrer plus avant son émotion à son visiteur. Car quel coup de génie que cette proposition : l'artiste n'avait pu répondre positivement à Grahame quelque vingt ans plus tôt, étant alors trop occupé. Lui qui adore The Wind in the Willow, la perspective qui s'ouvre devant lui le transporte, et de fait il s'agira de son ultime chef-d'œuvre. Souffrant depuis un an, il doit enfin être opéré et on lui découvre un cancer, qui ne peut qu'être fatal. Toujours stoïque, le vieil artiste persévère : il tient absolument à mener à bien cette dernière commande. »

Pour une critique du design graphique
7.7

Pour une critique du design graphique (2012)

18 essais

Sortie : avril 2012. Essai

livre de Catherine de Smet

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Les interrogations contemporaines sur le graphisme, comme celle relative au rôle joué par les femmes, transforment le regard porté sur le passé du livre, de l'écriture et de l’imprimé, et invitent à réviser sans relâche, au-delà de la nécessaire réintégration des œuvres ou des créatrices négligées, une histoire que sa jeunesse rend d’autant plus ouverte. Des voix féminines anciennes peuvent aussi, à l’occasion, faire entendre ce qu’il semble encore parfois malaisé d'exprimer aujourd’hui, et rappeler les vertus de l’altérité pour renouveler nos manières de voir. Dans le Japon du Xe siècle, la courtisane Sei Shônagon affirmait mieux que personne la puissance de la mise en forme visuelle de l'information. Le classement des objets, impressions et sentiments de ses Notes de chevet comprend une catégorie fondée sur l’image des mots, et qui souligne les conséquences de celle-ci sur notre perception du monde : "Choses qui n’offrent rien d’extraordinaire au regard, et qui prennent une importance exagérée quand on écrit leur nom en caractères chinois: la fraise, la fleur d’un jour, le lotus épineux, la noix, un professeur de style, le Vice-Chef des services qui gouvernent le palais de l’Impératrice souveraine, le myrte rouge". Un modèle de pensée inédit pour traiter du graphisme. »


*

« On peut aussi penser à Jean-Claude Lebensztejn, qui tisse des liens savants entre des formes de création très différentes et porte une vive attention à tous les aspects de la production graphique. Auteur d’un article critique sur les éditions successives du poème de Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, il y décrit minutieusement les variantes des diverses mises en pages du texte. Analyse d’un apport considérable: le poète français est invariablement cité par les historiens du graphisme comme l'un des pères de la typographie moderne, généralement sans que soit interrogée l’adéquation des multiples versions éditoriales du Coup de dés aux intentions initiales de Mallarmé. Or pouvoir mesurer la trahison visuelle que constitue l’usage d’un caractère Elzévir à la place d’un Didot n’est pas de moindre importance. »

Nushku

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