Bibliophilie pas vraiment obsessionnelle — 2023

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2022 :
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Liste de

15 livres

créee il y a plus d’un an · modifiée il y a 3 mois

Amis américains
8.9
1.

Amis américains (1993)

Entretiens avec les grands auteurs d'Hollywood

Sortie : novembre 2008 (France). Beau livre & artbook

livre de Bertrand Tavernier

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

En cours, et encore pour un bon moment...

Le Mythe de l'entrepreneur
7.7
2.

Le Mythe de l'entrepreneur (2023)

Défaire l'imaginaire de la Silicon Valley

Sortie : 12 janvier 2023. Essai

livre de Anthony Galluzzo

Morrinson a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Construction originale d’un essai qui semble d'abord chercher à définir les termes d'un sujet, explicites en apparence (tout le monde a déjà entendu parler de la notion d'entrepreneur, même si la distinction avec celle de patron n'est pas si claire a priori et nécessite des précisions) mais en apparence seulement. Les deux premiers chapitres s'attachent donc à exploiter une étude de cas avec l'histoire de Steve Jobs, un régal de décorticage de deux aspects du mythe, le côté créateur (le génie visionnaire sortant du néant, dans une conception schumpétérienne) avec en l'occurrence l'image assimilée par tout le monde des deux gamins, avec Steve Wozniak, dans leur garage et le côté héroïque du capitaine allant contre les idées reçues et contre les obstacles jetés sur son chemin pour illuminer les masses.

J'ai toujours été fasciné par ces talk-shows américains montrant ce genre de personnages sur une estrade qui annonce une "révolution" (dans une version parodique qu'on croirait pompée sur un sketch des Guignols), à quel point ils pouvaient avoir une influence immense sur des gens à travers le monde. C'est un peu la version tech de la messe, et le bouquin s'intéresse beaucoup à la contribution d'Apple à la réécriture de l'histoire, comme si Jobs avait inventé from scratch l'ordinateur personnel — avec une invisibilisation totale de tout ce qui permet la création et l'industrialisation de ce genre d'objets, à commencer par les développements précédents, nombreux, et la contribution de l'état, qui a largement participé à la subvention. Je n'avais pas ou peu conscience du récit autour du personnage (l'enfance, le génie, la chute, la renaissance, la mort), et Galluzzo s'est farci une quantité de biographies vomitives assez hallucinante pour en faire un tel compte-rendu, chapeau. L'aperçu donné des poncifs journalistiques est délicieux.

Ce que j'ai le plus apprécié je pense, c'est la suite : le travail sur la violence d'une telle industrie (avec l'exemple de Foxconn notamment, archétype parfait de la fausse innocence du capitalisme néo-libéral qui délocalise toutes les horreurs et qui nie toute connaissance du sort réservé aux travailleurs à l'autre bout du monde), l'histoire récente de la construction du mythe à deux grandes époques (en remontant à la fin du XIXe avec les figures de grands industriels comme John D. Rockefeller ou Andrew Carnegie, avec notamment la grève et la fusillade marquantes de Homestead, et la différence entre entrepreneur supérieur ...

Steve Jobs
7.2
3.

Steve Jobs

Steve Jobs - The Exclusive Biography

Sortie : 2 novembre 2011 (France). Biographie

livre de Walter Isaacson

Annotation :



et vil capitaliste), et la légitimation d'un ordre social (avec en particulier l'opposition entre Jobs et quelqu'un comme Gates, le premier ne s'étant jamais préoccupé de travailler son image de philanthrope).

De Thomas Edison à Elon Musk, la vision d'ensemble donne quand même le vertige, à préciser comment tout cela est rendu possible et diffusé à travers le monde, d’autant que le bouquin ne laisse guère de place à l’optimisme (tout gourou est voué à être remplacé, peu importe les démonstrations concernant ses escroqueries type Elizabeth Holmes, et on se moquait déjà à l’époque de Carnegie par exemple). Tout le monde se fout complètement qu'on en vienne à tendre des filets autour des immeubles d'une usine chinoise pour limiter les suicides d'ouvriers fabriquant des composants à la source de 90% du matériel informatique mondial. Le sang des travailleurs se dilue dans l'eau des océans traversés par les porte-conteneurs, et on n'aura jamais de documentaire sur l'intérieur de ces entreprises où tout est effroyablement contrôlé. Le niveau de cynisme qui règne est inimaginable, allant chez certains de ces héros à affirmer que ce sont les plus pauvres les plus chanceux car ils auront vraiment le goût de la réussite conquise sur des conditions difficiles (des discours aussi passionnants que ceux de Reagan). Je n’avais pas du tout conscience de l’étendue de la puissance d’un tel mythe et "Le Mythe de l'entrepreneur" aura donc eu aussi cette vertu-là.

L'Odyssée de l'Endurance
7.9
4.

L'Odyssée de l'Endurance (1919)

South

Sortie : 1919. Autobiographie & mémoires

livre de Ernest Shackleton

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

"We failed to reach the South Pole. I turned back. I chose life over death for myself and for my friends, which is why I am here to tell you about it tonight."

Les deux grandes aventures exploratoires britanniques au pôle Sud qui ont marqué le début du XXe siècle ont été racontées dans deux documentaires muets, L'Éternel Silence (1924, sur l'expédition Terra Nova menée par le Capitaine Robert Falcon Scott de 1910 à 1912 pour atteindre le pôle et devancée par celle de l'équipe norvégienne de Roald Amundsen) et South (1919). Dans le prolongement de ce dernier, "L'Odyssée de l'Endurance" est le récit autobiographique de l'explorateur Ernest Shackleton au sujet d'une autre mission magnifiquement et doublement ratée, de 1914 à 1917 : elle était composée de deux bateaux, l'Endurance (en partance des îles de Géorgie du Sud) censé déposer une équipée sur la côte nord du continent Antarctique pour une traversée en traîneau de mer à mer, et l'Aurora (en partance de la Nouvelle-Zélande) censé déposer des vivres sur le trajet de l'autre mission en partant du sud.

Et ce fut un véritable fiasco, autant l'Endurance que l'Aurora subirent les pires intempéries imaginables sous ces latitudes. Jamais l'Endurance n'accéda ne serait-ce qu'au point de départ de l'expédition sur la neige ferme, le bateau s'étant retrouvé prisonnier des glaces de mer (les fameux "packs" qui peuvent immobiliser un navire en une nuit et le broyer à petit feu) dans des conditions extrêmes (on parle de températures inférieures à -45°, des vents violents à plus de 200 km/h en rafales, des blizzards vecteurs d'engelures profondes et de gangrène). Jamais les dépôts de vivres et de matériel de l'Aurora ne servirent à quiconque, en conséquence, et à la différence de l'équipage de Shackleton, plusieurs personnes périrent sur la banquise dans des conditions assez dramatiques.

Mais "L'Odyssée de l'Endurance" parvient tout de même à trouver les ressources pour raconter, dans la douleur, l'histoire d'une exploration ratée transformée en une mission de sauvetage réussie, et ce d'autant plus que l'épopée a atteint des sommets de rocambolesque qui n'ont rien à envier à la fiction.

Il faut quand même relever un obstacle majeur à l'immersion dans le récit de Shackleton : la profusion de détails techniques sur la météo, sur l'état de la mer, sur l'orientation des différentes embarcations, sur l'horaire et les durées d'une multitude d'événements, et tout un tas d'éléments particulièrement accessoires qui ...

Endurance
8
5.

Endurance

L'incroyable voyage de Shackelton

Endurance: Shackleton's Incredible Voyage

Sortie : 19 janvier 2018 (France). Récit

livre de Alfred Lansing

Annotation :



... rendent souvent pénible la lecture, à l'instar des cinquante premières pages essentiellement constituées d'observations sur la navigation entre la Géorgie du Sud et la banquise du pôle Sud. Shackleton ne brille pas par sa plume dans ces moments-là malheureusement assez nombreux.

Cela n'enlève en rien au grandiose de l'expédition et au caractère littéralement héroïque des 28 naufragés qui ont survécu pendant près de deux ans isolés sur un bout de glace, avec un stock de nourriture et de combustible extrêmement limité, vêtus d'une unique tenue et pourvus d'un unique sac de couchage. Inutile de préciser que le gore-tex n'existait pas à l'époque... Le sauvetage se déroula en plusieurs temps : d'abord, la dérive vers l'île de l'Éléphant pour établir un camp de fortune, puis un voyage en canot en équipe réduite de plus d'un millier de kilomètres (avec de grosses frayeurs : "À minuit, j'étais au gouvernail. Soudain, vers le sud, m'apparut une ligne claire dans le ciel. J'en prévins les autres ; puis, après un instant, je compris que la clarté en question n'était pas un reflet dans les nuages, mais la crête blanche d'une énorme vague ! Après vingt-six ans de navigation, je connaissais l'océan dans toutes ses humeurs, mais jamais je n'avais rencontré sur ma route une vague aussi gigantesque. C'était un puissant soulèvement qui n'avait rien de commun avec les hautes lames coiffées de blanc, nos ennemies inlassables") pour atteindre le sud de la Géorgie du Sud, la traversée de cette île à travers les glaciers et les crevasses digne d'une expédition d'alpinisme pour atteindre le nord et le point de rassemblement des baleiniers, pour finalement tenter de nombreuses missions de sauvetage (beaucoup de bateaux furent mobilisés sans succès) et récupérer le groupe resté coincé depuis 22 mois. Fatalement, au moment des retrouvailles, il y eut quelques difficultés à reconnaître un compagnon débarrassé de ses longs cheveux, de sa barbe, de sa crasse et de ses vêtements de gueux : "Chose curieuse, ils ne reconnurent pas Worsley ; le bandit sale et chevelu qu'ils avaient quitté revenait pimpant et rasé. Ils le prenaient pour un des baleiniers. Soudain ils comprirent qu'ils parlaient à celui qui, pendant un an et demi, avait été leur plus proche compagnon".

Sir Ernest Shackelton
6.

Sir Ernest Shackelton

1874-1922, grandeur et endurance d'un explorateur

Sortie : 19 février 2004 (France). Biographie

livre de Brigitte Lozerec'h

Annotation :



Ironie de l'histoire jusqu'au bout, l'équipage découvrit en renouant avec l'humanité en 1917 que la Première Guerre mondiale n'était pas terminée (une des raisons qui complexifia la mission de sauvetage) : tous furent impliqués d'une certaine manière et certains y moururent. Shackleton, c'est une part du mythe non-vérifiée, aurait recruté l'essentiel de l'équipage en ayant rédigé l'annonce suivante : "Men Wanted for hazardous journey. Small wages, bitter cold, long months of complete darkness, constant danger, safe return doubtful. Honour and recognition in case of success".

L'Erreur de Descartes
7.4
7.

L'Erreur de Descartes (1994)

La raison des émotions

Descartes' Error: Emotion, Reason, and the Human Brain

Sortie : 2000 (France). Essai, Psychologie

livre de Antonio R. Damasio

Morrinson a mis 3/10.

Annotation :

Le style littéraire de Antonio R. Damasio est particulièrement rébarbatif et ne parvient à aucun moment à dissimuler le fait que le titre est une arnaque de commercial désireux de vendre du livre à la tonne. Je ne sais pas ce que le neurologue a lu de Descartes, mais si le but du bouquin était de dire qu'il avait raconté des conneries au sujet de la dualité raison et émotion, ce n'était vraiment pas la peine d'étirer propos de la sorte. Merci pour l'enseignement : les émotions interagissent avec le domaine de la raison lorsqu'il s'agit de prendre des décisions. Loin de moi l'idée de penser que le contenu des recherches de Damasio est infondé, je ne suis d'ailleurs pas du tout compétent pour en juger, mais en revanche un bouquin comme "L'Erreur de Descartes" m'apparaît comme extrêmement pénible pour de multiples raisons.

Les premiers chapitres sont presque agréables à lire, on suit l'histoire de ces personnes ayant subi des traumatismes qui ont altéré le fonctionnement du cortex préfrontal avec plaisir et le tout reste compréhensible, on voit où Damasio veut en venir. Mais à partir d'un moment, à peu près la moitié du bouquin, on s'engage sur une pente très glissante sur laquelle l'auteur perd en concision, en direction, et en intelligibilité. Il s'écoute parler, monologue en professeur de manière inconsistante, et débite une quantité de paragraphes hallucinante tout ça pour débiter uniquement des données et résultats de travaux en vrac, à la chaîne, sans le connecter ni à une problématique clairement délimitée ni à la métaphore centrale du livre. Et c'est très désagréable.

Au final il ne restera que quelques anecdotes cliniques car elles ont le mérite d'être clairement énoncées, avec des hypothèses et des conclusions qui font sens, à la différence de la majorité du contenu. Il faut avouer que Damasio rabâche 15 fois la même chose au cours de plusieurs chapitres, se réfugie souvent dans l'énumération de concepts médicaux et plus précisément neurochirurgicaux, de sorte qu'il est sûr de paumer 99% du lectorat, la belle affaire. Très indigeste, quand ce n'est pas une succession de considérations vaseuses du type "Les pulsions biologiques, les états du corps et les émotions constituent sans doute le substrat indispensable de la faculté de raisonnement". Avec tout ça le concept / hypothèse des marqueurs somatiques n'est même pas clair (la rationalité requiert un apport émotionnel, clap clap).

Pour en finir avec le jugement de dieu
7.7
8.

Pour en finir avec le jugement de dieu (1948)

Sortie : 1948 (France). Poésie

livre de Antonin Artaud

Annotation :

Cet enregistrement de 1947, réalisé par Antonin Artaud dans les studios de la Radio diffusion française et censuré la veille de sa première diffusion, le 1er février 1948, est sans doute la chose la plus bizarre, inquiétante, hypnotisante que j'aie écoutée depuis un bon moment. Il suffit d'écouter les premières minutes, si ce n'est les premières secondes, pour comprendre qu'on ne s'aventure pas dans un endroit normal. "J’ai appris hiiiieeeeeer", "l’un de ces sales ragots comme il s’en colporte entre évier et latrines", "les Amérrrrricains" : cette intonation, cette voix, cet accent, ces bruits, ces cris...

Le texte :
http://archives.skafka.net/alice69/doc/Artaud%20Antonin%20-%20Pour%20en%20finir%20avec%20le%20jugement%20de%20dieu.pdf
L'audio :
https://www.youtube.com/watch?v=EXy7lsGNZ5A

On oscille entre les éructations d'un grand malade mental (il a subi de nombreuses séances d'électrochoc à Rodez) et les déclamations prophétiques d'un extra-lucide pris dans un tourbillon de pensées qu'il ne semble pas vraiment contrôler. Et qui passe par des chapitres comme "La Recherche De La Fécalité"... Je ne connais absolument pas ce qui a fait d'Antonin Artaud un personnage incontournable au théâtre, avec sa recherche de nouveaux types de langages artistiques, mais ça n'empêche en rien le pouvoir hypnotique de ces 40 minutes.

"L'homme est malade parce qu'il est mal construit.
Il faut se décider à le mettre à nu pour lui gratter cet animalcule qui le démange mortellement,
dieu,
et avec dieu ses organes.
Car liez-moi si vous voulez,
mais il n'y a rien de plus inutile qu'un organe.
Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes, alors vous l'aurez délivré de tous ses automatismes et rendu à sa véritable liberté.
Alors vous lui réapprendrez à danser à l'envers comme dans le délire des bals musette
et cet envers sera son véritable endroit."

"Dieu est-il un être?
S'il en est un c'est de la merde.
S'il n'en est pas un il n'est pas.
Or il n'est pas,
mais comme le vide qui avance avec toutes ses formes dont la représentation la plus parfaite
est la marche d'un groupe incalculable de morpions.
« Vous êtes fou, monsieur Artaud, et la messe? »
Je renie le baptême et la messe.
Il n'y a pas d'acte humain
qui, sur le plan érotique interne, soit plus pernicieux que la descente du soi-disant Jésus-christ
sur les autels."

La Conjuration des imbéciles
7.6
9.

La Conjuration des imbéciles (1964)

Confederacy of Dunces

Sortie : 1981 (France). Roman

livre de John Kennedy Toole

Morrinson a mis 6/10.

Annotation :

Le style très argotique de John Kennedy Toole n'est pas une barrière en soi me concernant, mais je dois avouer que je ne m'attendais pas à une telle chose en m'attaquant à ce roman. Le portrait surchargé du grotesque Ignatius J. Reilly est bien entendu la pierre angulaire du livre, et on en bouffera des kilomètres de description de sa monstruosité, de sa difformité, de son mauvais goût, de son emphase, et de son anneau pylorique — tout cela étant systématiquement mis en balance avec son intelligence supérieure, surtout en comparaison avec son entourage, les lieux qu'il fréquente, et jusqu'à sa propre mère. Il en résulte un ton humoristique assez particulier, puisque Ignatius formule des constats voire des analyses qui sont souvent sensés, en tous cas en apparence avec les éléments dont on dispose, mais il s’engage dans des quêtes insensées, au creux de raisonnements qui finissent par sombrer dans les excès les plus divers et qui le poussent dans des situations de plus en plus incongrues, puisqu'il ne semble pas connaître la modération. En ce sens, "A Confederacy of Dunces" peut faire office de variation sur le thème du personnage de Don Quichotte, déplacé à La Nouvelle-Orléans.

La description de ces lieux, le sud des USA, est d'ailleurs une composante essentielle du roman. Une vision de la Louisiane des années 60 que je ne connaissais pas, mais qui semble baigner dans une crasse physique et intellectuelle effarante. Mais Toole y va avec une insistance et une lourdeur qui finissent par rebuter, faisant ressortir de longs tunnels interminables (notamment quand Ignatius écrit dans son cahier) et des répétitions qui usent. C'est dommage car au début je croyais à un roman proche de celui de Tristan Egolf, "Le Seigneur des porcheries" — très bon. Mais ce personnage qui se considère comme doté d'une intelligence suprême voue une profonde haine envers son époque tout en vivant comme un pacha chez sa mère (elle-même souffrant d'arthrose et d'alcoolisme). Le portrait est chargé, l'addition salée. Cela étant dit, j'ai l'impression d'avoir manqué de matière à d'autres endroits, comme lors de la séquence des vendeurs ambulants de hot-dogs, avec une histoire de manipulation avortée, et un patron qui ne voit pas tout de suite qu'il a affaire à un cas tout particulier. Idem dans l'entreprise des pantalons Levy. Peut-être qu'une composante transgressive s'est perdue avec le temps, laissant le champ libre à ses incessantes contrariétés. Pas assez loufoque à mon goût.

L'Hypothèse K.
6.6
10.

L'Hypothèse K. (2023)

La science face à la catastrophe écologique

Sortie : 18 octobre 2023. Essai, Écologie

livre de Aurélien Barrau

Morrinson a mis 5/10.

Annotation :

Autant j'apprécie Aurélien Barrau l'astrophysicien militant écologiste à ses heures (de moins en moins) perdues dans ses interventions et ses conférences, autant le passage à l'essai écrit s'est avéré douloureux et décevant. Plusieurs raisons à cela.

Premièrement, le style. Barrau en conférence, c'est un personnage, un charisme, une précision dans le langage qui s'autorise quelques envolées poétiques localisées, ça passe bien. Quand on passe au format papier, c'est autre chose. J'aime bien la structuration du discours, très aéré, très libre dans la mise en page, avec de nombreuses accroches incisives qui claquent comme des haïkus et qui change de sa prose orale. Mais en revanche je trouve qu'il abuse vraiment des registres excessivement soutenus, avec la répétition de termes techniques qui me paraissent lourds (mais peut-être cela illustre-t-il ma cuistrerie et mon inculture en matière de sciences sociales et de philosophie) comme praxéologie, axiologie, ontologiquement, etc. L'utilisation de ces termes n'est pas surprenante chez quelqu'un qui questionne autant les notions de sens et de valeur derrière le "progrès" et la "technique", mais disons que le ton très emphatique qui en résulte rend la lecture un peu pénible par moments, en éloignant l'attention des enjeux.

Ensuite, j'aurais bien aimé voir à l'écrit le développement des prémices qu'il sert systématiquement en préambule sur l'état catastrophique de la biosphère. C'est un constat qui me paraît également avéré et documenté, mais la façon d'expédier la chose en un paragraphe et trois citations apparaît quand même assez brutale, et sans doute insuffisante. Le public visé s'en trouvé ainsi limité.

J'ai beaucoup apprécié le chapitre dédié à Alexandre Grothendieck, qui occupe sans surprise une place de choix dans son argumentaire (surtout sa conférence au CERN de 1972 "Allons-nous continuer la recherche scientifique ?"), puisque le mathématicien fait figure d'incroyable avant-garde dans le questionnement de la finalité de la science moderne et de son application, en plus d'une conscience écologiste nette et lucide il y a 50 ans déjà.

L'Hypothèse du bonheur
11.

L'Hypothèse du bonheur

La redécouverte de la sagesse ancienne dans la science

Sortie : 28 janvier 2010 (France). Essai

livre de Jonathan Haidt

Annotation :



Pour la suite, je reste sur ma faim concernant son hypothèse K éponyme. Déjà il faut attendre autour de la page 180 pour comprendre de quoi il s'agit, c'est un suspense pas hyper constructif je trouve et ce d'autant plus qu'elle repose uniquement sur karkinos, crabe en grec : tout repose donc sur la comparaison entre le cancer et la prolifération techno-scientifique de l'industrie capitaliste planétaire qui exhibe toute son absence de maîtrise. C'est le nerf de l'argumentation de Barrau : nous ne sommes pas tous d'accord sur la nature de ce que l'on nomme progrès, et sur ce point difficile de ne pas être d'accord avec lui. Reste que son appel à "habiter poétiquement le monde", d'une poésie féroce à l'image de son style nerveux, baigne dans des contours assez peu clairs, malgré ses appels à la trahison (pas n'importe laquelle évidemment, un appel à penser hors du carcan formé par ce qu'on attend de nous, chacun à son échelle) et sa formulation-variation de Rabelais, "science sans déviance n'est que ruine de l'âme", en conclusion.

Si je partage largement les constats formulés ici (et dans un domaine qui me concerne directement, "Des machines construisent des machines, des programmes conçoivent des programmes. Avec notre entremise et sous notre contrôle, naturellement. Si, néanmoins, quelque chose d’essentiel nous échappe dans cet emballement insensé, c’est peut-être parce qu’il a précisément acquis une dynamique propre qui ne semble plus obéir à un plan ou à un dessein préétabli."), en accord franc avec le fond, la dérive assez flippante de la réponse ingénierique à des problèmes fondamentaux, la nécessité de réinventer des sens et des valeurs, ce que "L'Hypothèse K." propose est assez décevant.

Le Plus Grand Défi de l'histoire de l'humanité
7.2
12.

Le Plus Grand Défi de l'histoire de l'humanité (2019)

Sortie : 2 mai 2019 (France). Essai, Écologie

livre de Aurélien Barrau

Morrinson a mis 4/10.

Annotation :

C'est à la fois drôle et intéressant, en un sens, de découvrir le Barrau pré-covid. Il y a les conceptions et les formulations qui sont restées inchangées en quatre ans, et puis il y a toutes celles qui n'étaient pas encore là, ou formulées différemment. Dans ce court livre qui ressemble davantage à un pamphlet militant qu'à un essai, les considération philosophiques et poétiques sont beaucoup plus réduites que l'expression qu'il leur accordera à partir de 2020, et il est également à noter que beaucoup de positions apparaissaient comme très tempérées à l'époque (pour ne pas dire naïves).

Dans ce registre des errements assez fous, je retiendrai notamment ses attentes quand même pas nulles en matière de véhicules électriques (non pas qu'il les décrive comme la panacée, mais tout de même, une position radicalement différente de ce que l'on sait aujourd'hui, à savoir la délocalisation de nos maux contemporains et à commencer par la pollution sur les sites de construction et de pillage des ressources nécessaires) ainsi que sa foi littéralement ahurissante en la capacité d'action voire même simplement de formulation du problème écologique chez les politiques. Aurélien n'était pas un macroniste convaincu en 2019, mais quand même, il y a de quoi s'étouffer à de nombreuses reprises en le lisant. Il s'est construit une culture politique depuis, visiblement, et heureusement.

Pour le reste, je pensais trouver ici un constat plus étoffé sur l'état des connaissances du délabrement du monde que dans "L'Hypothèse K.", mais finalement cela reste très limité (comme il le dit lui-même en introduction, certes). On a droit à des inventaires sans fin, peu étayés / argumentés / sourcés, quand bien même cela correspondrait bien à une vision admise. La série de recommandations sur les bons gestes a extrêmement mal vieilli, on dirait un manuel des années 80 par endroits. On n'enlèvera pas à Barrau sa lucidité et sa sincérité, mais il y a un degré de répétions assez désagréable dans ce livre, et plus dommageable, une faiblesse caractérisée dans la profondeur de l'essai — qui fait suite à une tribune dans Le Monde, avec Juliette Binoche (qui a par la suite pété un câble pendant la pandémie). Un personnage bien meilleur orateur qu’essayiste, manifestement. Cela reste intéressant car on a là un instantané d'avant covid, qui montre bien que la pandémie n'a évidemment pas du tout eu d'incidence sur la marche du monde.

L'Endurance 1914-1917
13.

L'Endurance 1914-1917 (2022)

Endurance

Sortie : 13 octobre 2022. Beau livre

livre de Ernest Shackleton et Frank Hurley

Morrinson a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"L'Endurance 1914-1917" est en réalité une réédition augmentée du récit d'aventures de Ernest Shackleton, "L'Odyssée de l'Endurance", initialement publié en 1919. La différence majeure : l'incorporation de photographies de Frank Hurley, qui sont quand même largement incontournables pour illustrer les différentes étapes incroyables du magnifique échec de cette expédition. La visualisation du voyage sur les eaux de glace dans la mer de Weddell permet de rendre beaucoup plus digestes les 50 premières pages truffées de détails techniques de navigation, et de mettre des images sur ces chenaux s'ouvrant dans les étendues glacées. De même, la fin de l'Endurance est décuplée en puissance tragique avec les clichés permettant de voir le bateau prisonnier de la banquise, au cours de son renversement et de son broyage. L'occasion aussi, lorsque les hommes sont coincés sur la banquise, de voir l'étendue du chenil : des dizaines de chiens (de traineau, principalement) et surtout quelques monstres (Samson est juste gigantesque, il doit faire plus de 2 mètres dressé sur ses pattes arrière). Et enfin, dernier intérêt manifeste de cette édition : les photos des océans de neige sur l'île de la Géorgie du Sud et sur l'île de l'Éléphant, avec ses crevasses aussi impressionnantes que ses montagnes de glace à gravir.

Foi, espérance et carnage
7.8
14.

Foi, espérance et carnage (2022)

Faith, Hope and Carnage

Sortie : 14 septembre 2023 (France). Entretien, Autobiographie & mémoires, Musique

livre de Nick Cave et Sean O'Hagan

Morrinson a mis 5/10.

Annotation :

Pour quelqu'un davantage intéressé par la période 80s de Nick Cave (période " From Her to Eternity" et " Tender Prey" notamment), "Foi, espérance et carnage" peut se révéler très décevant. Il ne s'agit pas du tout d'une biographie exhaustive mais du fruit d'entretiens avec le journaliste Sean O'Hagan (plus de quarante heures d'échanges téléphoniques post-covid, de 2020 à 2022) qui détoure l'état d'esprit du chanteur sans que le but de ces échanges n'ait été fixé au préalable. Mais le résultat est très clair : Nick Cave témoigne sans filtre ses méditations (souvent au sens propre) spirituelles, ses lubies côté création, et tous ses tourments en lien avec le deuil. La période était clairement très particulière, coincée entre la mort de son fils Arthur en 2015 et celle de son autre fils Jethro en 2022 — au moment d'écrire l'épilogue du livre.

Les conversations sont donc marquées par la révélation mystique (Cave dirait plutôt religieuse, au sens le plus fort) du personnage, qui y a trouvé refuge suite à ces épisodes funèbres. Il y a une part intéressante, puisqu'on pénètre dans l'univers actuel de Cave en totale immersion, mais je dois dire que sur la durée le livre m'est tombé des mains à maintes et maintes reprises, tellement cette thématique est omniprésente. Je peux trouver un intérêt dans ces témoignages, de la part de personnes qui croient en une vie après la mort, qui disent ressentir la présence des êtres chers disparus, mais à ce niveau de répétition et de développement, sur des dizaines et des dizaines de pages et ce à plusieurs reprises, c'est tout particulièrement rébarbatif. Je préfère sans hésitation le Nick Cave qui prenait beaucoup de drogues (plutôt que celui qui fait et peint des figurines en céramique), même si ce n'était évidemment pas souhaitable pour sa propre santé.

Au cours des échanges entre les deux, d'autres événements surviendront : d'autres confinements, la mort de sa mère Dawn Cave, la mort de son ancienne femme Anita Lane. Nick cave a fait le choix de se concentrer quasi uniquement sur le temps présent, avec pour devise "You can shed your skin several times, but it will always remain the same snake". ...

Nick Cave - The Complete Lyrics
15.

Nick Cave - The Complete Lyrics

Nick Cave - The Complete Lyrics: 1978-2013

Sortie : 12 septembre 2013 (France).

livre de Nick Cave

Annotation :



... Reste aussi, malgré tout, une belle introspection sur la créativité, avec de très nombreux points d'accès sur ce qui nourrit son œuvre, sa conception des tournées qui décuplent le potentiel de ses chansons sur scène (il dira "Lorsque je suis sur scène, j’ai vraiment le sentiment que cela relève du religieux"), et plus globalement une forme d'hyperactivité du haut de ses 65 ans. Autre point d'intérêt, il développe (au moins en toile de fond) sa relation avec Warren Ellis, qu'on comprend beaucoup plus proche que n'importe quel autre membre des Bad Seeds.

Cette sincérité dans les réponses, on l'apprend en marge des discussions, est également le résultat d'un de ses projets, The Red Hand Files, un site pensée contre la bêtise de Twitter où Nick Cave répond à toutes les questions envoyées par ses fans ou autres. Le principe est le suivant : "The Red Hand Files began in September of 2018 as a simple idea – a place where I would answer questions from my fans. Over the years, The Red Hand Files has burst the boundaries of its original concept to become a strange exercise in communal vulnerability and transparency. Hundreds of letters come in each week, asking an extraordinarily diverse array of questions, from the playful to the profound, the deeply personal to the flat-out nutty. I read them all and try my best to answer a question each week. The Red Hand Files has no moderator, and it is not monetized, and I am the only one who has access to the questions that sit patiently waiting to be answered. Thank you all for being a part of what has become, at least for me, a life-changing, soul enriching exercise in commonality and togetherness."

Reste un bouquin qui parle trop, à mon goût, de puissance de communion, d'essence sacrée de la musique, de voyage émotionnel dont il ne sort que rarement indemne, de cheminement spirituel vers la pureté de l'émotion, c’est la musique qui par excellence nous élève et nous rapproche du sacré, toutes mes chansons naissent dans un espace d’élan spirituel puisque c’est celui que j’habite en permanence, etc. Pas du tout un livre sur la musique (ça ne l'intéressait pas), tout du moins pas uniquement, seulement à la marge.

Morrinson

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