NieR: Automata
8.1
NieR: Automata

Jeu de Platinum Games, Yoko Taro et Square Enix (2017PlayStation 4)

Quand le jeu vidéo devient œuvre philosophique

Il est des jeux vidéo qui font date dans une vie de gamer, NieR:Automata occupera une place sur mon podium pour encore longtemps, pour plusieurs raisons, entre autres son gameplay nerveux et rapide, les questions que son scénario soulève, et le fait qu'il aille très loin dans son propre concept.

Je voudrais bien ne pas coller d’étiquette sur NieR:Automata, ce serait presque offensant, au regard de l'énorme proposition qu'il nous fait. Mais jouons d'abord avec les règles qu’il nous propose. Au départ, je me suis cru à l'aise dans un Shooter Action-RPG. On m’a confié le personnage de l’androïde 2B, aux commandes d’un module de vol, avec une mission simple : intervenir dans une usine désaffectée et débusquer un ennemi. Nous sommes en 11 945 et je prends part à une guerre interminable : des robots ont colonisé la Terre et ont poussé les derniers hommes à s’exiler sur la Lune. Dans l’espoir de libérer la planète bleue, l’humanité a envoyé des androïdes se battre à sa place. Implacable, sûre de sa mission, robe noire trop sexy et bandeau sur les yeux, je suis 2B, l’un de ces soldats infaillibles sur qui repose l’espoir de l’humanité. J’ai deux lames acérées dans le dos, avec lesquelles j’envoie tourbillonner des robots en pièces détachées sur un ciel trop gris. J’ai un pod de soutien tactique à mes côtés : un petit robot aux ressources non négligeables. Il me guide et me conseille, me permet d’attaquer mes ennemis à distance. Les règles sont assez claires, donc : au contact et à distance, à pied et en vol, dans un environnement désert où la végétation a repris ses droits, il faut éradiquer ces innombrables robots. Les plus petits, qu’on dirait faits de boîtes de conserve empilées. Et aussi les plus colossaux, plus hauts que des gratte-ciels. En cela, le jeu me propose des affrontements d’anthologie : de mémoire de joueur, j’ai rarement vu ça.


Mais abattant ma lame sur une carcasse, puis sur une autre, d'un combat à l'autre, d'une partie à l'autre, je me mets à douter du bienfondé de ma mission.

La structure des jeux de Yoko Taro est ainsi faite : la première fin que l'on obtient est rarement suffisante et satisfaisante. Pour apprécier pleinement NieR:Automata, il faut avoir conscience que le jeu libèrera plus de secrets si on le recommence. Plusieurs parties seront nécessaires pour saisir toute la sinistre beauté du scénario et la complexité du questionnement qu'il nous propose. Certains robots, que ma mission me demande de considérer avec une cible sur le cœur, ne me sont pas hostiles. Ils me regardent, moi le joueur, de leurs yeux jaunes interrogateurs. Quelques-uns me prient de ne pas les tuer ou me demandent de l’aide. D’autres se comportent comme des hommes, comme ceux dont je suis justement le bras armé : au nom de quoi les mettrais-je en pièces ? Je suis une androïde, après tout. Un robot, moi aussi. Et pourtant, ma quête est sans fin : si je meurs, la base me donne un nouveau corps et me renvoie au combat.

Au parc d'attractions, que font ces robots qui jettent des confettis en l’air et prétendent « s’amuser » et « être heureux ensemble » ? Je ne veux, ou plutôt je ne peux plus leur taper dessus. Qu’est-ce que je veux vraiment, d’ailleurs ? Mes certitudes continuent de s’effriter. Ecrasée par mon objectif de mission, ai-je finalement la liberté d'échapper à ma programmation ? Là est la question.

J'en ai déjà dit beaucoup, et vous dérober encore un peu la surprise de la découverte de ce magnifique jeu qui par moments explose son propre cadre, serait vraiment dommage. Rédiger quelque chose sur NieR:Automata, c'est ni plus ni moins que parler d'une vision d'artiste. Et c'est plutôt difficile.


En dépit de la noirceur pessimiste de son histoire, le jeu est fait avec une tonne d’amour, cela transpire dans toutes ses lignes de code. C’est un plaisir de manier 2B : les combats sont nerveux, fluides. Pendant un moment, ça flatte mes bas instincts de joueur qui a acheté un jeu de shoot et qui veut péter du robot. C’est un plaisir de prendre part à des phases de shoot’em up où le nombre affolant de projectiles ennemis nuisent volontairement à la lecture de mes objectifs. Mais NieR:Automata sait aussi casser le quatrième mur au bon moment, avec force et style, pour faire vaciller mes acquis de joueur. Il m’a poussé à ne pas être qu’un joueur, un consommateur. Son incroyable structure narrative m'a questionné ; je ne savais alors pas, à ma première partie, que les différentes fins se complètent et qu'il est nécessaire d'aller tout au bout, même s'il faut se farcir quelques redondances.

J'ai aimé que NieR:Automata me bouscule, me confronte à moi-même, me mette occasionnellement mal à l'aise. J'ai été subjugué par la musique de Keichi Okabe, tantôt épique pour accompagner les combats, tantôt support de la simple contemplation. Ces personnages d’androïdes que j’ai incarnés ou rencontrés étaient là pour parler de nous. Ils nous aident à ne pas perdre de vue ce qui fait de nous ce que nous sommes.

NieR:Automata m'a invité à mieux regarder le monde, à mieux considérer les autres. Chacun d'entre nous a un cœur pour aimer, des oreilles, un nez, une bouche, des mains pour ressentir, une mémoire pour se souvenir, des semblables à aimer, à qui parler, avec qui construire des histoires et bâtir des civilisations. Nous devons rester soudés et solidaires, nous ferons des erreurs, dont certaines irrémédiables, mais nous avancerons ensemble. Parce que quelle que soit la fin qu’on obtiendra au grand jeu de la vie, nous ne mériterons le repos qu’après avoir fait une série de choix, affronté une série de gênes. Et être allé jusqu’au bout.

Encredesidees
10
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le 16 juil. 2022

Critique lue 14 fois

Encredesidees

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