Ne vous en déplaise, Leisure Suit Larry, c’est du jeu vidéo d’auteur. Al Lowe, le Jean Renoir libidineux de l’aventure pixellisée des débuts. Du point & click à l’ancienne, tellement à l’ancienne, d’ailleurs, que dans Leisure Suit Larry III, on ne pointe pas plus qu’on ne clique : on tape ses commandes – le dernier de la série sur ce mode. Un style de jeu aussi riche en possibilités qu’il est frustrant, qu’on ne souhaite pas voir revenir mais dont on se ravit qu’il ait existé.

L’histoire commence quelques mois après la fin de la précédente, et débute sur un ton similaire. Larry la lose se la joue jet-set et veut ken de la meuf pour noyer dans l’alcool et la mouille le dégoût que lui inspire son reflet dans le miroir. Pourtant, tout comme le deuxième Larry était incomparablement meilleur que le premier, ce troisième opus n’a rien à voir avec son prédécesseur. N’ayons pas peur des mots : si la saga a un chef d’œuvre, c’est Passionate Patti in Pursuit of the Pulsating Pectorals (PPPPP).

Ici, l’œuvre, son personnage principal et sans doute son créateur se confondent : Larry est un objet de moquerie qui veut être aimé, et je pense que, dans une certaine mesure, c’est aussi le drame de sa saga. On se souvient de Larry pour ses jeux de mots (douteux), son humour (gras), ses décors (kitsch), son protagoniste (pathétique), mais en fait-on assez souvent l’éloge ? Célèbre-t-on assez ce travail d’écriture, de création d’univers, ces énigmes dont, structurellement, les studios LucasArt n’auraient pas à rougir ? J’en doute. Larry navigue sur cette mer d’ingratitude où le public s’esclaffe avant d’aussitôt s’en excuser d’un hypocrite « Je ris parce que c’est nul. » Un peu d’honnêteté, mes amis : si vous avez ri, c’est que c’est drôle. Et si vous avez honte d’avoir ri, ce que je veux bien entendre, ne jetez pas la pierre au messager, réglez vos comptes avec vous-même en privé.

Mais cette ingratitude crasse envers la gaudriole, qu’on voudrait trop souvent séparer entre lol noble et lol bas, a de quoi changer son homme. On se regarde dans la glace, on examine sa calvitie naissante ou conquérante, on se demande si la chaîne en plaqué or ne susciterait pas plus de moquerie que de jalousie ces temps-ci, on se pince le gras en s’interrogeant sur la différence entre dad bod sexy et brioche qu’on évite à tout prix. Ces questions existentielles, et bien d’autres, on sent que Larry se les pose après avoir vu son mariage de la fin de LSL 2 virer à l’eau de boudin aussi rapidement que l’île paradisiaque où il avait élu domicile virait au resort de luxe. Après s’être laissé allé aux plaisirs superficiels d’une vie facile, notre « héros » passe à la salle de sport pour finir bodybuildé comme un culturiste des années 70. Mais pour s’épanouir enfin, il faudra qu’il dégonfle et atteigne un physique sain sans emphase ; qu’il refuse deux types d’excès pour trouver la voie du milieu. Vous l’aurez compris : Larry, c’est Bouddha.*

Vers le milieu de PPPPP, il y a un point de bascule très net qui s’opère, et qui manifeste un changement total de paradigme : pour la première fois, le joueur ne dirige plus Larry… Il dirige Patti. Une femme. Au royaume des jeux de mots graveleux. Et pourtant, contrairement à nombre des conquêtes de notre ami en costard de polyester, celle-ci n’est ni cruche, ni superficielle, et elle n’est même pas traitée comme un objet sexuel. Est-ce que ça rachète la misogynie intrinsèque de tout ce qui a précédé ? Non. Est-ce que ça laisse rêver à une rédemption ? Selon moi, oui. Car de toute manière, si l’on pense que tous nos beaufs sont des cas désespérés qui sont incapables de s’amender, autant passer tout de suite à l’euthanasie. Il est bien plus positif de croire aux vertus de l’éducation, et quel meilleur professeur que l’amour ?

Ce qui est fascinant, c’est qu’après deux jeux et demi passés à jouer les têtes chercheuses avec la bite de Larry, on aurait pu s’attendre à voir le jeu manquer d’inspiration une fois cette motivation évacuée au profit de quelque chose de plus profond. Il n’en est rien ; mieux encore, à partir de ce moment, et par la grâce de ce changement de personnage, PPPPP trouve un second souffle. On change de décor, les blagues se renouvellent, et on se retrouve même dans des situations complètement improbables dont l’apogée lorgne carrément du côté d’un 2001 : L’Odyssée de l’espace foutraque et décontracté du gland. Là où le sexe était devenu quelque chose de tristement mécanique, le sentiment lui a redonné des couleurs, mais ça n’a rien d’étonnant, car loin d’être antagonistes, nos organes favoris sont parcourus du même sang : à l’origine de toute érection, il y a un cœur qui bat.

On vient à Larry pour goûter le jus de l’enfant sale mais incontournable du jeu d’aventure, pour se réjouir de ne pas être ce tocard de protagoniste, pour voir de la baise en pixels ou pour s’outrer de son sexisme décontracté. Mais quelles que soient vos raisons, j’aime à croire que troisième opus, qui mérite vraiment d’être considéré à part dans la saga, saura vous surprendre si vous lui en laissez l’occasion. Et n’oubliez pas : si un rire vous échappe, c’est que le gag était bien écrit. Tout simplement.

* fun fact de circonstance : cette critique est écrite depuis le Népal.

Toats-McGoats
7
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le 21 nov. 2022

Critique lue 15 fois

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