It Takes Two
8.2
It Takes Two

Jeu de Hazelight et Electronic Arts (2021PlayStation 5)

Le sémillant Josef Fares nous avait prévenus, son nouveau jeu serait une expérience toute particulière à vivre en couple. Et pour un jeu dont la thématique centrale annoncée était le couple, ça n’avait rien d’étonnant. Ce qui surprend le plus, c’est la fantastique réussite que constitue ce nouveau jeu tant dans son contenu que dans son approche.


Fares a toujours été fasciné par les mécaniques de gameplay liées. Dans Brothers : A tale of Two Sons, si chaque frère pouvait être contrôlé par un joueur, le jeu était parfaitement jouable seul et trouvait une résonance fabuleuse dans ses dernières minutes. Dès son deuxième jeu, A Way Out, le game designer entendait offrir une aventure entièrement tournée vers la coopération, sans toutefois convaincre entièrement. Avec It Takes Two, lui et le studio Hazelight se sont visiblement fixés comme objectif de produire le meilleur jeu coop qui soit. Et l’on peut affirmer sans sourciller qu’il s’agit d’une franche réussite.


S’ils n’ont pas toujours eu le vent en poupe, avec l’avènement des connexions internet stables et haut débit, les jeux jouables en coopération se sont multipliés. Qu’il s’agisse des MMO ou des MOBA de manière assez évidente, mais aussi des jeux compétitifs avec des modes en équipes ou encore des jeux d’action, rares sont aujourd’hui ceux qui ne contiennent pas un mode pensé pour être joué à plusieurs.
En revanche, les jeux pensés pour être joués exclusivement en coopération sont loin de représenter une part substantielle du marché. Car il y a une gigantesque différence entre jouer à plusieurs à une aventure parfaitement faisable en solo et une expérience tournée vers les mécaniques imbriquées auquel chaque joueur devra successivement recourir pour progresser. Hazelight a vu la brèche et s’y est engouffrée ; nul doute que le succès commercial et critique du jeu nous conduira à voir plus de productions de ce type.


De quelle réussite parle-t-on précisément ?


Artistiquement, le titre n’aura aucun mal à parler à la grande majorité, tant ses couleurs chatoyantes et sa réappropriation fantasmagoriques de lieux du domicile rendent l’expérience agréable, donnant l’impression de plonger dans un film associé à l’enfance (au hasard, Chérie, j’ai rétréci les gosses). Des parallèles ont été faits avec les productions Pixar ; le jeu semble toutefois suffisamment original dans son approche pour que l’on évite des rapprochements de ce type. L’on notera au passage que si rien n’interdit aux plus jeunes de s’y essayer, le propos et l’expérience ne les visent pas directement. Il s’agit bien d’un jeu pour adultes, rendant plus maligne qu’il n’y paraît une direction artistique propice à l’abandon, à l’éveil des souvenirs d’antan, pour retrouver une innocence et une neutralité qui font forcément défaut au public plus âgé.


Techniquement, It Takes Two s’avère également convaincant. En écran splitté, en dépit des nombreux éléments affichés et des environnements assez grands, le jeu est particulièrement stable (sur PS5 en tout cas). Cet affichage pourtant dégradé (alors que nous sommes habitués à profiter seul de nos écrans 55-65 pouces) n’entache jamais la visibilité pour l’un ou l’autre des joueurs.
Alors que le jeu demande aux joueurs d’être précis, la fluidité du jeu facilite grandement l’appréhension de l’espace et la précision des déplacements. Aussi, le touch mapping a été suffisamment bien pensé pour ne jamais perdre le joueur. Et ce dernier point a une importance considérable à mes yeux.


Car si d’aventure vous deviez vous retenir de lancer ce jeu avec votre pote habituel·le et le découvrir plutôt avec votre moitié, il y a de fortes chances que vous vous retrouviez dans une situation de déséquilibre de niveau entre joueurs, voire de vous confronter à une totale inexpérience en la matière pour l’un des deux. Alors un mapping intelligent peut réellement faire la différence, d’autant que le jeu ne vous proposera pas une aventure dénuée de challenge.
Soyez bien averti·e, It Takes Two n’est pas difficile pour un joueur expérimenté, mais son cœur de gameplay repose sur la coopération, la vraie. Il ne s’agit pas d’un mode deux joueurs. Alors ce qui pourra paraître facile à l’un pourra sembler insurmontable pour l’autre. Le studio Hazelight n’a pas entendu proposer une fausse expérience ; les joueurs doivent faire preuve de dextérité, de précision, tantôt de patience tantôt de rapidité, mais toujours de coordination et de réflexion menée en commun. Les échecs seront nombreux et l’expérience nécessite de l’investissement pour être terminée.


Bien conscient de son pari, le studio a entendu limiter la frustration en ne sanctionnant jamais sur le respawn. Lorsqu’un joueur meurt, il réapparaît presque devant l’obstacle sur lequel il a buté. En revanche, pour pimenter les choses et renforcer la coordination, certaines séquences interdisent aux deux joueurs de mourir en même temps, sous peine de revenir à un check point (pas très éloigné toutefois). C’est malin car ça oblige à communiquer et à s’encourager mutuellement à rester en vie. Et si vous ne l’aviez toujours pas compris, c’est bien tout le sujet du jeu.


Sans entrer dans les détails, It Takes Two nous met dans la peau de poupées, versions miniatures d’un homme et d’une femme dont le couple est en bonne voie d’explosion, au plus grand désarroi de leur fille. Bien aidés par un livre animé, le trublion Docteur Hakim, ils vont devoir s’entraider, se parler et surtout s’écouter pour à nouveau se comprendre.


Il y a bien sûr des expériences malheureuses, de joueurs s’étant engueulés en jouant. Et puis il y a des expériences comme la mienne. Ma chère et tendre joue parfois avec moi mais à des jeux simples, souvent estampillés Nintendo, parce que faciles à prendre en main et assez immédiats. Pour autant, jamais ne lui serait venue l’idée de poser les mains sur un jeu d’action en 3D. Parce que doutant de sa coordination, de sa capacité à se repérer dans l’espace, à maîtriser la caméra en même temps que ses déplacements, elle s’était toujours imaginée trop peu douée pour ce type de jeux. Et je concède que, jusqu’à l’arrivée d’It Takes Two, je n’avais jamais imaginé un jour pouvoir m’amuser avec elle à un jeu de ce genre. Mais la thématique et la perspective de vivre une expérience un peu unique avec elle m’ont convaincu de passer à la caisse, pour le meilleur.
Non seulement elle s’est assez vite appropriée la DualSense et les différentes touches utiles, mais elle s’est très vite amusée. Et moi avec elle. Je l’ai vue progresser, douter, insister, chercher et surmonter à chaque fois. Il y a des moments plus complexes que d’autres, mais je me suis surpris à lui retirer toute pression, à l’encourager à réessayer, en lui expliquant par exemple les timings de double-saut+dash qu’elle a fini par complètement maîtriser, mais aussi à arrêter de jouer lorsqu’elle fatiguait. Plus on avançait et plus on se comprenait vite. Mieux, elle m’a battu à la loyale sur certains mini-jeux dispersés çà et là dans les environnements.
Les personnages que l’on incarne sont d’ailleurs très drôles et touchants dans leurs réactions. Je ne peux que vous encourager à ne pas opter pour le mec parce que vous êtes un mec ou l’inverse. Bien au contraire, l’appropriation et la compréhension font partie de la thérapie de couple que propose le jeu. J’en profite, puisque le mot a été lâché, le jeu propose une réflexion sur le couple en tant qu’entité, lien indéfectible entre deux êtres. Et s’il ne dit rien de révolutionnaire et ne guérira pas les couples en crise terminale, il parlera à tous, car les problèmes abordés sont universels.


Et pour couronner le tout, véritable prouesse, le jeu vous propose une quantité de gameplays effarante. Très régulièrement, le jeu va vous attribuer des pouvoirs pour vous confronter à des séquences spécifiques et certains types de jeu, toujours avec la coopération en ligne de mire, pour mieux vous les retirer et vous en attribuer de nouveaux. Le renouvellement est permanent. Si l’expérience atteint facilement les 12-15 heures, selon l’habileté et la soif de découvertes, aucune heure ne ressemblera à une autre. Il est vraiment préférable de ne rien en dire pour que la découverte soit totale. Vous aurez nécessairement vos pouvoirs et mondes préférés, mais vous ne vous ennuierez jamais.


S’il fallait être un peu rabat-joie, pourrait tout d’abord être reprochée l’absence d’utilisation des spécificités de la DualSense alors que le jeu s’y prêtait tellement. De nombreuses séquences pourront évoquer les meilleurs moments d’Astro’s Playroom et il y avait vraiment une carte à jouer en incluant vibrations haptiques et résistance des gâchettes.
S’agissant des cinématiques dédiées à la fille du couple, si elles ne sont ni trop nombreuses ni trop longues, on notera qu’elles ont plutôt tendance à casser le rythme, sans jamais passionner. Le personnage de la fillette est utile pour tout ce que son statut offre comme possibilités d’univers et donc de variation de gameplay, mais l’ensemble est faiblard d’un point de vue narratif.
C'est tout.


Il s’agit tout simplement de la meilleure expérience en coopération que j’ai pu tester à ce jour. Elle va vous faire grandir. Jouez-y en couple, quitte à attendre, vraiment. Il n’y a qu’une seule première fois, ne la gâchez pas avec votre pote qui vous accompagne déjà sur tous les jeux. Au passage, si vous ne vivez pas (encore) sous le même toit, l’achat d’un seul jeu est suffisant pour y jouer sur deux consoles (ou pc). C’est bien pensé, ça colle avec l’esprit du jeu et c’est suffisamment cool pour un jeu frappé du sceau Electronic Arts pour être souligné.


Je précise que si un patch devait introduire (efficacement) à l'avenir vibrations haptiques et résistance des gâchettes, la note passera à 10 sans hésitation.

Flibustier_Grivois
9

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Terminés (ou abandonnés) en 2021

Créée

le 18 mai 2021

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