Que dire sur Bloodborne qui ne l’ait pas déjà été, presque deux ans après sa sortie ?


Il n’y a probablement plus grand-chose à t’apprendre, lecteur, sur ce jeu. Une succession de clics t’a mené jusqu’ici, sur cet avis perdu au milieu d’un océan d’autres avis, plus anciens, plus aimés, plus commentés. J’ai pleinement conscience que tu en as lu d’autres avant le mien. J’en déduis que la note t’a orienté. Tu t’attends donc à une profusion de compliments, un encensement généralisé.


Permets-moi de douter de l’intérêt d’un tel choix de texte. Tu connais déjà très bien les qualités et les défauts de ce jeu. Tu les as découverts par toi-même en jouant ou un test/avis t’en a fait la liste.


Pour une fois, je vais te parler de mon expérience, plus que te donner un avis tendant péniblement vers l’objectivité. Et autant te dire que tu as plutôt intérêt à te préparer un bon café ou un bon thé, à ta convenance, on en a pour un moment.


Le mieux est d’abord de préciser à quel type de joueur tu as à faire. Ce que tu dois savoir avant toute chose, c’est que j’ai le profil du joueur lambda, qui se lasse vite, qui aime les jeux bien rythmés mais pas trop longs, qui déteste avoir l’impression de refaire plusieurs fois la même chose, qui abhorre les allers-retours, qui n’a pas un univers de prédilection et dit oui à tout (ou non à rien, c’est selon) à l’exception des jeux d’horreur, qui n’a en moyenne qu’une heure par jour à consacrer au jeu vidéo après le boulot, qui n’aime pas trop les boss dans les jeux, qui stresse vite, qui préfère sa compagne à sa console et qui n’est surdoué dans aucun genre.


Ce que tu dois surtout savoir, c’est que je n’avais jamais touché à un Souls’ like, malgré l’emballement populaire et médiatique à l’égard de ce type de jeux (re)mis au goût du jour par From Software.
Non pas que les Souls ne m’intéressaient pas, mais le temps à consacrer à ce type de jeu et l’exigence de leur gameplay m’ont toujours tenu à l’écart. J’appréciais de temps à autre regarder une vidéo d’un youtubeur quelconque s’adonnant aux rixes dans un Dark Souls, et cela me suffisait.


Rares sont les jeux qui ont réussi à me captiver au point d’inonder mes rêves, que je leur consacre presque tout mon temps et mon énergie. Aucun, par contre, n’avait su absorber mon âme et me hanter comme l’a fait Bloodborne.


Excuse-moi pour cette très longue introduction, qui n’est d’ailleurs pas terminée ; elle a, crois-moi, son utilité. Car tu l’as bien compris, je n’étais pas destiné à jouer à ce jeu. Et il est important (pour toi) et utile (pour moi) de rendre compte de la curiosité qu’il m’a inspirée, de la fascination puis de l’obsession qu’il a ensuite générées chez moi.


Le premier trailer m’avait intrigué. C’était noir et glauque. Le ton promettait d’être encore plus sombre que dans les Dark Souls. À cela s’ajoutait une forme de démence et de purulence enrobées d’horreur qui aurait normalement dû me faire fuir.
Curieux de voir ce que donnerait le projet en bout de course, j’ai continué d’en suivre le développement jusqu’à la sortie. J’ai alors fait ce que je n’imaginais pas faire concernant un jeu de ce genre : emporté par l’engouement médiatique autour du jeu, entraîné par la hype, je l’ai commandé d’un courageux clic. Et je l’ai aussitôt regretté !


Étais-je fait/prêt pour ce genre de jeux ?


Lorsque le jeu m’a été livré, les critiques positives pleuvaient mais relevaient des soucis techniques importants (temps de chargement interminables etc...). Considérant le jeu inabouti et anticipant la sortie de patchs et DLC, je décidais de le revendre immédiatement en attendant une version plus solide techniquement. J’étais soulagé, aussi, de ne pas avoir à m’y plonger de suite. Étrangement, Bloodborne m’inspirait autant de crainte que d’envie.


Et ce n’était pas terminé. Quelques mois plus tard, j’ai dégoté sur internet une version collector du jeu et j’en ai fait l’acquisition. À peine m’était-il expédié qu’à nouveau, je le regrettais ; une version Game of the Year, contenant le seul et unique DLC, avait été annoncée pour l’Europe presque en simultané. J’ai donc revendu la version collector (en me faisant un peu de blé au passage).


Enfin, j’ai fini par trouver une version GotY à un prix raisonnable, en occasion, à deux pas de chez moi. N’ayant plus aucune excuse, j’achetais pour la dernière fois Bloodborne. J’ai rencontré le vendeur. Ce qu’il m’avait alors dit ne m’avait pas rassuré. Il semblait avoir le même profil que moi, avait longtemps tourné autour du jeu avant de céder à l’achat...pour finalement très vite abandonner, la faute à une trop grande exigence du jeu et à un manque de temps. Je n’étais donc pas en confiance en revenant avec le précieux sésame, au point que je l’ai vite mis dans un coin, toujours à portée de vue, jamais à portée de main.


Tu dois comprendre, lecteur, que tout ce que j’avais vu du jeu, à ce stade, me fascinait. Ce style graphique, ce mélange architectural d’influences victorienne et gothique me paraissait être l’une des plus belles réussites artistiques de cette dernière décennie. Le système de jeu, intégrant une dimension de RPG avec montée de niveaux et distribution de points de compétence, n’était pas pour me déplaire non plus. Et la gueule des armes, des ennemis et des personnages, au premier rang desquels de l’avatar, me confortait dans mon choix. Je me suis au passage commandé un livre avec les artworks du jeu. Sans déconner, au-delà du style qui peut ne pas plaire, il faut reconnaître qu’un tel choix sans la moindre concession et qu’une telle minutie dans le jusqu’au boutisme sont rares et forcent le respect. Bloodborne est une réussite artistique indéniable.


Tout faillit très vite s’arrêter. Un jour, dans un élan de courage et ne sachant trop quoi faire d’autre, j’ai lancé le jeu. Après l’inévitable création d’avatar et ma première mort (presque obligatoire) face à la bête dans la clinique, je me suis plongé dans les ténébreuses ruelles de Yharnam.
À ma grande surprise, je ne suis pas mort. Pas rapidement, en tout cas. J’ai même plutôt bien avancé. Et puis, alors que je prenais confiance, je me suis approché d’un ennemi légèrement plus dangereux que les autres. J’en avais déjà battu un comme ça, quelques minutes auparavant. Je pensais que ce ne serait qu’une formalité. Il m’a corrigé d’un rapide enchaînement qui ne m’a laissé aucune chance. Je suis mort et, en réapparaissant, j’ai mesuré la distance à parcourir pour retrouver mes échos de sang. J’ai voulu rusher et je me suis fait lamentablement coincer par une horde d’ennemis faiblards qui m’ont démoli dans une joyeuse partouse SM à base de coups de fourches, de faux ou autres outils agraires. J’avais d’ores et déjà perdu tous mes échos de sang précieusement acquis.
Frustré et déçu de ne pas avoir su faire mieux, j’ai quitté brutalement le jeu, trop fier pour reconnaître que tout était de ma faute, comme un enfant gâté qui ne supporte pas qu’on lui dise non. J’ai désinstallé le jeu et l’ai mis en vente. Pour immédiatement le regretter !


C’était de plus en plus évident, ce jeu et moi allions entretenir une relation amour-haine pour un long moment encore.


J’ai rapidement retiré le jeu de la vente. Quelque part, il était hors de question d’abandonner si facilement. Mais je devais prévoir du temps pour ce jeu. Alors j’ai attendu le moment parfait.


Après s’être tournés autour si longtemps dans une interminable parade de séduction, Boodborne et moi allions enfin entamer notre danse macabre.


Note, lecteur, qu’à compter de maintenant, quelques spoilers pourraient émailler le texte !


Première danse à Yharnam


Quasiment un an après ma première tentative, j’ai remis la galette dans la console. Et il y a immédiatement quelques constats à faire.


Tout d’abord, esthétiquement, le jeu n’a pas vieilli. La direction artistique sublime littéralement le jeu dont chaque plan fascine. L’aventure se déroule sur une nuit, chaque combat important faisant légèrement avancer la time line.
Cela a permis aux développeurs de laisser libre cours à leur imagination en ce qui concerne les éclairages. Démarrant dans une ambiance de fin du monde, le jeu fait rapidement place à un flamboyant crépuscule pour s’enfoncer peu à peu dans la nuit noire, sous l’influence progressive d’une lune particulièrement malfaisante. Chaque changement est une raison suffisante pour retourner dans les niveaux précédents. Impossible de ne pas tomber sous le charme de ces décors lugubres qui hypnotisent, transfigurés par leur nouvel habillage lumineux.


Que l’on ne s’y trompe pas, Yharnam est le personnage principal de ce jeu. Chaque changement de luminosité, chaque bâtiment et chaque information sur son histoire révèlent une facette de sa personnalité.


Malade, dépressive, condamnée, Yharnam n’a plus que sa majesté architecturale pour impressionner. Comme suspendue dans le temps, elle va mourir à petit feu, sous vos yeux, après avoir transformé chacun de ses habitants, après avoir liquéfié le cœur de toutes les personnes qui auront foulé son sol.


En lisant les descriptifs des objets glanés çà et là, en écoutant les anecdotes de PNJ, en contemplant les bâtiments, en prêtant attention à la narration environnementale peaufinée par les développeurs, le joueur s’enfonce dans l’horreur et la décadence qui façonnent l’histoire de cette ville. Sombre et ténébreuse, même à découvert, tortueuse dans sa structure et son architecture, Yharnam est fascinante. Remarquablement pensée, chaque route ou couloir a un début et une fin. Aucun mur invisible ne bloque le joueur. Tout communique, tout est pensé, tout a un sens.


Je ne crois pas avoir déjà vu auparavant un level design de ce niveau.


La direction artistique ne masquant pas tout, certaines textures lointaines en basse résolution feront tiquer les plus regardants, sans non plus être immondes. Un patch pour la PS4 Pro aurait pu rendre ce jeu parfait. Dommage, du coup, pour le framerate qui n’est pas amélioré non plus. S’il est stable aux alentours de 30 fps la plupart du temps, avec quelques coups de Trafalgar de temps à autre, un réhaussement à 60 fps aurait rendu l’avancée particulièrement savoureuse.


Les temps de chargement, eux, ont été suffisamment optimisés pour ne plus durer que quelques secondes. J’avais à peine le temps de lire les informations sur les objets qui s’affichaient sur les écrans de chargement avant que ceux-ci ne se terminent. Et on parle de descriptifs de 6-7 lignes, pas de textes imbuvables envahissant tout l’écran. Le plus gros défaut du jeu à sa sortie, avec des temps de chargement qui avoisinaient la minute, a semble-t-il été corrigé. Reste la possibilité d’installer un SSD pour les plus pressés ; les temps de chargement actuels ne le justifient pas, selon moi.


Plus d’un an après ma première tentative, d’à peine une heure, j’ai été surpris de constater que j’avais toujours le jeu dans les muscles. Mes doigts savaient quoi faire, comme si une mémoire musculaire s’était imprimée à l’époque. Incroyable de constater que j’oublie certains jeux en deux jours, sans exagération, quand celui-là était juste resté en veille.


Dès les premières secondes, les sensations sont bonnes. Les coups sortent instinctivement, La somme importante d’actions à retenir n’est jamais un frein. Je tape dans le vide avec ma lame scie, histoire de comprendre chaque combo et son timing. Je la déploie en mode « arme à deux mains » et mesure comme cette seule idée est brillante. Impatient de tâter d’autres armes, je me jette dans les ruelles terrifiantes et scalpe du paysan possédé.


Aussi inoffensifs soient-ils, pris individuellement, un attroupement peut vite sonner la fin du run si l’on ne se méfie pas.


Valse avec la mort


La circonstance que je ne sois pas mort en boucle durant les premières heures a probablement dû me conforter et m’inciter à continuer. Une difficulté trop marquée dès les premières minutes m’aurait poussé à l’abandon ; je me connais trop bien.


Mais clarifions un point : si le jeu est tout à fait accessible, je ne suis absolument pas d’accord avec ceux qui qualifient le jeu de « pas difficile ».


Au regard des standards actuels, ce jeu est complexe. Toutefois, la difficulté est tout sauf insurmontable. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le jeu a été pensé pour être joué d’une manière, selon l’adage « la meilleure défense, c’est l’attaque ».


La dimension offensive de ce jeu est prégnante et le joueur trop passif, qui passera son temps à tenter de fuir le combat, sera immanquablement sanctionné.


Cela ne veut pas dire qu’il faut bêtement se jeter dans la mêlée ; juste qu’il ne faut pas tergiverser.


La difficulté vient avec la volonté de prendre son temps, en particulier avec les boss et les packs de mobs. Le jeu sera beaucoup plus agréable et récompensant si vous affrontez directement les ennemis.
Il ne s’agit pas ici d’être irréfléchi ou décérébré, juste de prendre l’ascendant sur l’adversaire et ne pas laisser le jeu vous déstabiliser. Dès lors que vous romprez la ligne et paniquerez, vous mourrez.


Un signe fort est cette capacité à récupérer une partie de la vie perdue, lorsque vous contre-attaquez immédiatement après avoir encaissé un coup. Le choix des développeurs est clair : le joueur ne doit pas reculer !


Bien sûr, tout n’est pas si simple. Mais il s’agit de la philosophie du jeu. Le joueur incarne d’ailleurs un chasseur ; il y a bien une forme de logique à devoir traquer plutôt que subir.


Dans les autres jeux, j’ai plutôt tendance à soigneusement préparer mes offensives. Dans Bloodborne, je saute à la gorge des ennemis, car je sais que, si je ne le fais pas, eux le feront.


J’ai vu des lives d’autres joueurs, trop habitués aux Dark Souls, qui ne s’éclataient pas et pestaient, car ils essayaient d’apporter avec eux leur manière de jouer acquise/apprise dans cette prestigieuse saga de From Software. Au final, alors que je suis novice en ce genre de jeux, j’ai l’impression d’avoir moins galéré que certains d’entre eux.


C’est au joueur de se plier au jeu et pas l’inverse. Bloodborne devient plus simple dès lors qu’on accepte ses règles. Il est primordial d’apprendre et de comprendre le système de contre, bien plus que le backstab qui a de l’intérêt mais est difficile à placer dans un combat furieux où la vélocité prime et où la différence se fait sur la capacité du joueur à sortir un coup qui sera prioritaire sur l’ennemi.


Il faut d’ailleurs noter qu’une bonne majorité des ennemis peut mourir sur un enchaînement de coups bien placés. Je veux dire par là que si le joueur réussit à placer un coup prioritaire, il n’a plus qu’à enchaîner l’ennemi qui n’aura pas l’occasion de frapper une seule fois.
Par ailleurs, certaines armes peuvent interrompre certaines attaques ennemies. C’est le cas de l’épée de Ludwig transformée, faisant d’elle une arme particulièrement redoutable.


Prends note, lecteur, que tout n’est pas parfait et que certaines faiblesses de gameplay peuvent ne pas convenir à certains joueurs.
Tout d’abord, certains coups ont tendance à se perdre dans le vide, à la relevée des ennemis. Durant quelques fractions de seconde, ils sont intouchables et cela oblige le joueur à ne pas se précipiter. Mais c’est surtout un avantage précieux que peut perdre le joueur, surtout lorsqu’il combat de nombreux mobs simultanément et où chaque coup perdu est un pas de plus vers la tombe.
Également, il est possible d’abuser de la capacité à frapper à travers les murs. Certains ennemis étant programmés pour ne pas franchir le seuil d’une porte, ils resteront derrière et le joueur n’a plus qu’à les abattre salement. Rien n’oblige toutefois à le faire ; mais tu commences à me connaître, lecteur, et tu sais très bien que je l’ai fait à chaque occasion...
De même, lors de certains dashs ou de certaines esquives, il arrive que le coup de l’ennemi touche malgré tout. Selon la situation ou l’ennemi, alors que le timing était bon, la mort peut quand même frapper. La seule solution profitable est alors d’évacuer la frustration en criant à l’injustice.


Le ballet des âmes torturées


Avant d’entamer ma partie, ma crainte principale était de bloquer durablement sur un/plusieurs boss. Cette crainte était plus que fondée. J’ai en horreur les combats de boss et ceux de Bloodborne m’ont brutalisé.


Mais les développeurs ont pensé aux gens comme moi et ont offert la possibilité d’appeler à l’aide d’autre(s) joueur(s) ou, parfois, d’être soutenu par un PNJ qui, à défaut d’être efficace, attirera l’attention du boss.
Autant dire que ces solutions casseront toute l’intensité des combats. Chaque boss a été conçu pour être combattu seul ; l’attaquer à plusieurs le fera complètement disjoncter. Si tu veux te gâcher le plaisir, tu sais donc quoi faire.


Pour autant, From Software a proposé cette solution pour éviter les abandons. Il serait dommage de voir les joueurs abandonner en masse, au motif qu’un boss les met en PLS.


Après avoir buté sur le monstre affamé (boss du Vieux Yharnam), j’ai voulu tester la fonctionnalité. Ce fut dommageable, car le boss s’est littéralement fait poutrer, lui enlevant tout caractère impressionnant et toute dignité. Il va de soi que l’utilisation de la cloche d’appel ne doit être réservée qu’aux cas extrêmes.
Beaucoup considéreront comme un hérétique tout joueur qui se risque à y recourir. J’avoue que la victoire est moins noble en pareil cas.


Mais ayant horreur de ce type d’affrontements et n’étant pas très persévérant, j’ai trouvé intéressant le compromis d’y recourir en cas d’absolue nécessité, pour m’éviter d’abandonner. Mais au final, j'étais suffisamment discipliné pour d'abord essayer seul, comme un grand.


Et dans ce monde malade, même une victoire sale et moche vaut mieux qu’un abandon pur et simple.


En ce qui concerne le monstre affamé, note que celui qui m’avait aidé n’a pas survécu au combat... Je m’étais servi de lui comme d’un appât pour occuper la bête et mieux la vaincre. Sale, je te dis.


Pour le reste, les combats de boss offrent une difficulté variable selon les cas. Certains sont pénibles et éprouvants quand d’autres sont vraiment des culs.


Ce qui ne change jamais par contre, c’est la sanction en cas d’erreur : le mot « MORT » qui vous renvoie à votre échec, histoire de titiller votre égo, et la nécessité de retraverser le niveau pour retrouver vos échos de sang.


Au final, durant toute cette aventure, la mort aura été votre plus fidèle partenaire ; avec la lune.


Un macabre tango pour la lune


C’est à une nuit de chasse pas comme les autres que convie Bloodborne.


Ivre de sang et extatique, les pieds ancrés au sol à l’endroit où se tenait à l’instant même la proie enfin abattue, le chasseur tremble sous l’effet à la fois de l’euphorie et des nerfs qui s’abandonnent. Entre terreur et jubilation, l’heure est au plaisir. L’écœurante et âcre odeur de la mort n’altère en rien celle, douce et salvatrice, de la victoire. Les sensations se mélangent et s’assimilent progressivement à celle du plaisir. Les mains tremblantes sur le tromblon et la scie lance dont les dents acérées laissent goûter quelques gluantes larmes de l’essence vitale de la bête disparue, le chasseur laisse la tension peu à peu disparaître. Le chemin est encore long, mais chaque victoire ici en vaut cent ailleurs. Alors il est nécessaire de se gorger de courage et de fierté, lorsque l’occasion se présente.


La chasse peut continuer.


Elle n’en finit plus de surprendre par sa rudesse. Elle n’en finit plus de surprendre par ce qu’elle révèle de l’Être. Galvanisé par la soif de sang, l’homme de chasse s’oublie, s'efface et laisse la place à sa part de bestialité. Les combats s’enchaînent, les déplacements sont plus prestes, chaque approche se veut toujours plus risquée. Les yeux embués par la soif d’hémoglobine, le chasseur frôle toujours plus les ennemis et découvre leurs insoupçonnées faiblesses. Les affrontements sont de plus en plus courts et ressemblent à une extermination de masse. Impossible pour le chasseur d’oublier que ces êtres furent autrefois des hommes. Pour autant, aucune main autre que la sienne ne semble en mesure de guérir Yharnam.


Tous ont péri, tous ont succombé. Ceux qui sont encore en vie sont soit cloîtrés chez eux, en sursis, soit n’ont plus rien d’humain. La lune approche ; elle semble de plus en plus grosse. A mesure qu’elle dévore Yharnam, le sang du chasseur bouillonne. La vérité se fait jour et il semble de plus en plus évident que sa malfaisance inonde les rues et corrompt les cœurs. Par-delà leurs différences idéologiques, qu’ils étaient religieux ou de science, les hommes ont poussé trop loin leurs expérimentations et ont crevé le voile qui nous sépare des autres, ces êtres que certains considéraient comme des déités.


La morale est toujours la même : ils expérimentent et s’interrogent ensuite. L’éthique ne les intéresse guère et seule la sensation de puissance ou d’importance compte.


C’est alors à l’homme du peuple de s’élever, de se salir, de noircir son cœur et d’espérer mettre un terme à la folie qui a déferlé sur le monde. Un simple regard sur ce lac aux profondeurs insondables, reflétant tristement le sourire d’une lune si massive qu’elle en est grossière, dans ce sinistre calme, dos à cette Yharnam dévorée, et le chasseur s’avoue enfin à haute voix que ça ne finira pas bien. Le mal est profondément ancré. S’il peut être combattu, Yharnam n’oubliera jamais ; ses quelques survivants non plus. Le pire est à venir et il ne reste déjà que si peu à sauver.


Optant pour sa chère épée de Ludwig, le chasseur dégaine et entame une série de passes, enchaînant les moulinets sous les nuages toujours plus sombres. Alternant les coups avec son arme transformée ou non, un éventuel observateur aurait pu admirer sa technique et son aisance. Se pliant au silence pour ne pas troubler le calme funèbre des lieux, le chasseur n’était en réalité scruté que par cette présence lunaire perverse et vicieuse. Incapable d’échapper à son regard, le chasseur ne l’avait pas quitté des yeux depuis son arrivée dans la ville, voilà ce qui semble déjà des semaines. Avec le scintillant reflet de l’astre dans les yeux, il parait lui-même beaucoup plus inquiétant.


Le cœur brûlant de colère, il repense à ses découvertes. Les membres de l’Église du Remède, les érudits de Byrgenwerth, aucun d’entre eux ne mérite d’être sauvé. Seules les âmes perdues, au nom de leur quête de puissance, valent bien qu’il mette autant sa vie et son âme en danger.


Attiré par sa présence, un autre chasseur surgit des ombres et se jette sur lui. Comme ceux qu’il avait croisés jusqu’ici, à quelques exceptions près, il avait cédé à la folie. Conscient que son avenir ne s’annonce pas différent, l’homme de chasse tient son adversaire à distance.
Sentant que celui-ci va lui lancer une attaque ésotérique, il opte pour la lame à une main et casse brutalement la distance pour se jeter sur le chasseur fou. Fendant l’air de presque inoffensives attaques de taille, il profite d’une attaque trop prévisible de son adversaire pour le contrer. Déstabilisé, ce dernier ne fait pas illusion et encaisse de nombreux coups, tantôt de taille tantôt d’estoc.
Les dents serrées, possédé par l’irrésistible envie d’en découdre, le chasseur se jette sur lui en dessinant des arabesques. Il jubile en voyant son adversaire perdu sous ses coups, acculé. Le sang bat dans ses tempes ; de nouveau, le parfum du sang aiguise ses sens et le goût de la mort devenu délicieusement enivrant se diffuse en lui. Profitant de cet état de toute puissance qu’il atteint parfois, il décide d’en finir et transforme son arme pour la manier à deux mains. Lui-même se montre surpris des coups dévastateurs qu’il porte. L’autre chasseur n’a aucune chance. Lorsqu’il rentre dans cet état de transe, lorsqu’il sent qu’il ne fait plus qu’un avec son arme, quand chaque inspiration donne l’impression de figer le temps, quand il devient non plus chasseur mais traqueur, lorsque son adversaire lui donne l’impression de ne se mouvoir qu’au ralenti, alors il n’est plus qu’instinct féroce, animal sauvage, carnassier cruel. Froid et leste, il se glisse dans le dos de son adversaire et concentre son coup. De toutes ses forces, il frappe et le transperce. Fier de sa démonstration, mais souhaitant la rendre encore plus impressionnante, il se jette à une vitesse foudroyante dans le dos du chasseur fou, déjà mort, plonge le bras dans l’entaille laissée par sa lame gigantesque et en arrache le cœur de l’hère décimé et pour toujours oublié.


Plus qu’à une joute, c’est à une danse qu’il s’est livré. Face à la présence lunaire, son tango aussi sensuel que dangereux a donné le ton de ce qu’il coûtera désormais de l’affronter. Les yeux levés, il connaît désormais son ennemie.


Le chemin est encore long, mais l’étreinte promet déjà d’être passionnée et déchirante. La chasse ne fait que commencer.

Flibustier_Grivois
10

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le 1 févr. 2017

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