Êtes-vous un homme, ou un esclave ?

NARRATION
Histoire : ★★★★☆
Un scénario marquant au service d'un univers magistral : nous sommes en 1960 et incarnons Jack, seul survivant d'un accident d'avion en plein cœur de l'Atlantique Nord. A sa grande surprise (et à la nôtre), il découvre que son vol s'est écrasé à quelques mètres d'un phare immense, perdu au beau milieu de l'océan... Ce phare est en réalité la porte d'entrée de Rapture, une cité sous-marine tentaculaire, issue des rêves mégalomanes de son fondateur Andrew Ryan. Après la Seconde guerre mondiale, ce milliardaire avait en effet imaginé la ville utopique parfaite qui épouserait ses aspirations ultra-libéralistes : dépourvue de gouvernement et de religion, les entrepreneurs n'y auraient pas à souffrir de l'impôt, les artistes de la censure et les scientifiques de la morale...

Seulement voilà : ce n'est pas ce paradis objectiviste que nous arpenterons, mais bien ses ruines corrompues ; tandis que ses habitants ont été déformés et rendus fous par l'Adam – une substance permettant d'acquérir des pouvoirs génétiques – des petites filles errent seules dans les couloirs de la ville, uniquement accompagnées de scaphandriers protecteurs géants, et récoltant le précieux nectar issu des cadavres... Rapidement contacté par Atlas, un habitant qui lui promet de s'évader, Jack va devoir s'enfoncer dans les tréfonds de Rapture pour en découvrir les secrets : comment la cité a-t-elle pu s'effondrer ainsi sur elle-même ? Que sont devenus Ryan, son créateur, et Frank Fontaine, l'homme qui s'était opposé à lui ? Et surtout quel secret semble le lier, lui, à cette fascinante et terrifiante Atlantide ?

Personnages : ★★★★☆
Bien que le héros Jack soit muet et dépourvu de personnalité, la galerie de personnages secondaires, hauts en couleur et superbement doublés en version originale, vaut sans aucun doute le détour. On retiendra en particulier Andrew Ryan, le fondateur mégalomane et ultra-libéraliste de Rapture, Sander Cohen, l'excentrique et sadique artiste rendu fou, Brigid Tenenbaum, l'ex-scientifique nazie en quête de rédemption, ou encore le docteur Steinman, chirurgien esthétique dégénéré qui pense accomplir la volonté d'Aphrodite en défigurant ses victimes…

Univers : ★★★★★
C'est sans risque que d'affirmer la splendeur de l'univers de Rapture : plus que par son originalité, illustrée par les iconiques Petites Sœurs et Protecteurs, c'est sa cohérence qui impressionne ; la cité regorge ainsi d'histoires à découvrir via les enregistrements audios de ses anciens habitants, nous révélant petit à petit le gigantesque puzzle de sa déchéance. En recollant les morceaux, on comprend comment les idéaux de la ville l'avaient progressivement conduite à sa perte : l'élitisme avait engendré la colère d'une classe inférieure naissante, alimentée par les dérives du scientisme et de ses modifications génétiques. Puis il a suffi d'un seul homme voulant exploiter le système, et d'un autre prêt à tout pour le préserver, pour mettre le feu aux poudres : ainsi débutait la guerre entre Frank Fontaine et Andrew Ryan...

JEU
Game Design : ★★★★☆
Dans les grandes lignes, BioShock est avant tout un jeu d'exploration et de tir, mais bâti sur des mécaniques plus profondes qu'on pourrait croire. En totale cohérence avec l'univers du jeu, les expérimentations scientifiques de Rapture nous proposent d'acquérir une panoplie de pouvoirs (électricité, pyrokinésie, télékinésie...) à combiner avec un arsenal d'armes à feu, de munitions, de pièges, voire de robots-tourelles à pirater via un mini-jeu... Ainsi, dans la pure lignée des immersive sim, il est offert au joueur d'expérimenter afin de s'adapter au mieux à chaque situation. A noter aussi l'introduction d'un des premiers systèmes de choix moraux du jeu-vidéo, puisqu'il sera possible de sauver ou sacrifier les Petites Sœurs, ce qui impactera (légèrement) le scénario et la progression du joueur.

Gameplay : ★★★★☆
Les déplacements du personnage et la visée, ainsi que les sensations de tirs, certes classiques, restent aujourd’hui encore très efficaces. Les différents pouvoirs et pièges sont aussi les bienvenus, puisqu’ils permettent de diversifier le gameplay.

Level Design : ★★★★☆
La dizaine de niveaux labyrinthiques de BioShock regorge de zones annexes, de secrets et d'objets à découvrir. Trois brillent en particulier : le Pavillon Médical, au design directement inspiré d'un survival-horror, Arcadie, ses fontaines et ses bosquets, puis sa sinistre version altérée, et enfin la Forteresse Folâtre, dont les déambulations au milieu des machines à sous et des corps artistiquement figés dans la chaux sont rythmées par les divagations et les lubies de Sander Cohen, le psychotique maître des lieux.

PERSONNALITÉ
Direction artistique : ★★★★★
Plus que par leur réalisation technique, les intérieurs de Rapture impressionnent par leur architecture et leur design : teintés d'art déco et de steampunk, qui rappelleront parfois Vingt mille lieues sous les mers, les différents quartiers de la cité fourmillent de néons et de trouvailles artistiques, toujours agrémentés de baies vitrées offrant de magnifiques panoramas sur les fonds marins. On retiendra en particulier le jardin enchanté d'Arcadie et son marché champêtre, les casinos et théâtres de la Forteresse Folâtre, les pêcheries inondées du Trésor de Neptune, ou encore les couloirs malsains et lugubres du Pavillon Médical.

Ambiance : ★★★★★
Entre émerveillement et terreur, c'est la fascination qui décrit le mieux les errances dans les tréfonds de Rapture. Son sound design angoissant, accompagné par quelques notes lancinantes et les chuchotements de ses habitants plongés dans la folie, constitue une expérience immersive de chaque instant. Au milieu des flaques et des fuites de la cité inondée, on notera aussi le travail sur les lumières, les brumes et les ombres, qui développe une atmosphère de mystère et de tension ô combien envoûtante et mémorable.

Musiques : ★★★★☆
Les splendides musiques orchestrales de Garry Schyman, tantôt mélancoliques (The Ocean on his Shoulders, Dancers on a String, Empty Houses…), tantôt plus inquiétantes (Welcome to Rapture, Step into my Garden…) sont accompagnées de chansons d'époque qui collent parfaitement à l'ambiance (Beyond the Sea, Bei Mir Bist Du Schön...). A noter aussi la superbe mélodie au piano Cohen's Masterpiece, qui viendra parfois hanter les couloirs de Rapture tout en illustrant sa démesure et sa grandeur passée.

Grand classique de son époque, la réputation de BioShock reste aujourd'hui tout sauf usurpée. Car BioShock, c'est avant tout Rapture, cette ville sous-marine aux mille visages, à l'architecture démesurée et flamboyante, aux quartiers à la fois poisseux et envoûtants, et aux personnages excentriques et inquiétants ; une cité qui fascine autant qu'elle révulse. Mais BioShock, c'est aussi un scénario diabolique, dont le twist intervenant aux deux tiers aura marqué bien des joueurs... BioShock, c'est enfin un très bon jeu de tir dopé à l'immersive sim, une aventure fun et inventive. Un chef d'œuvre, tout simplement.