Assassin's Creed Valhalla
6.3
Assassin's Creed Valhalla

Jeu de Ubisoft Montréal et Ubisoft (2020Xbox One)

Si j’entretiens un rapport amour-haine assez compliqué avec la saga Assassin’s Creed, je dois bien avouer que les dernières incarnations de la licence d’Ubisoft avaient trouvé grâce à mes yeux. Origins et Odyssey, malgré leurs défauts évidents, avaient rallumé une petite flamme en moi en puisant l’inspiration du bon côté (c’est-à-dire principalement chez CD Projekt Red) et en livrant des open-worlds massifs et addictifs. Autant dire que j’attendais Valhalla avec une certaine impatience au vu du contexte historique choisi. Après 70 heures de jeu, le constat est hélas assez amer.


Je vais commencer par la quête principale qui est un joli bordel. Alors qu’on avait reproché à Odyssey sa longueur parfois déraisonnable, Valhalla se permet d’étirer encore plus sa trame. Le jeu trouve en cela une astuce puisqu’il se divise en une série d’arcs narratifs, chacun correspondant à la conquête d’une région d’Angleterre. L’idée n’est pas mauvaise sur le papier et m’a d’ailleurs conquis dans un premier temps : les enjeux à la fois modestes et concrets de ces petits récits permettaient de varier les plaisirs et de s’éloigner un temps des schémas éculés de la saga. Certaines histoires m’ont même pas mal impliqué émotionnellement (je pense aux arcs d’Oswald, de Soma ou encore de Colbert). Le problème, c’est déjà que ces sous-trames sont beaucoup trop nombreuses et finissent par se confondre tant leurs ressorts sont identiques. Ensuite, l’implication dans la trame plus globale s’en trouve sévèrement diminuée. Les enjeux principaux restent assez nébuleux jusqu’à la fin (et même après…) et on passe finalement bien trop peu de temps avec les personnages principaux pour véritablement se soucier de leur sort.


A cela s’ajoutent les traditionnels écueils de la saga. Les Assassin’s Creed sont mal écrits, ça me semble indéniable et si quelques fanboys tenteront de défendre les vertus de la méta-histoire, je reste convaincu que bon nombre des épisodes de la série sont des échecs narratifs plus ou moins prononcés. Ici, l’écriture paraît plus boursouflée que jamais, jonglant entre de multiples personnages, différents niveaux de réalité et ne sachant jamais vraiment de quoi le jeu veut véritablement parler. Il y avait un beau potentiel avec cette histoire de deux frères (ou frère/soeur) qui s’éloignent progressivement l’un de l’autre, un joli écho avec Odyssey qui racontait lui comment une fratrie brisée tentait péniblement de recoller les morceaux. Sauf que les interactions entre notre Eivor et son frère Sigurd sont terriblement limitées, que le personnage du frère évolue de manière inexplicable pour les besoins du scénario et que l’implication dans la relation se délite fortement au fil du scénario et de ses multiples péripéties.


Et c’est comme ça pour à peu près tous les intervenants. Les personnages évoluent par à-coups et interagissent mécaniquement au fil de dialogues se réduisant souvent au minimum syndical, le tout manquant désespérément de substance. Rien n’est vrai (tout est permis lol) ou en tout cas rien ne semble vrai. Ça a toujours été le point faible d’Ubi mais ça ne m’a jamais paru aussi flagrant qu’ici, sans doute à cause de la longueur et du simple nombre de persos et de sous-intrigues. Et toute l’implication qui pouvait subsister malgré ces manquements flagrants s’en retrouve complètement balayée au cours d’un acte final qui rassemble balourdement les différents fils narratifs dans un gloubi-boulga inutilement alambiqué qui ne conclut rien de manière satisfaisante.


Que dire du présent, péniblement recyclé ici ? Ubi me semble vraiment en roue libre ici et relance artificiellement une intrigue qui aurait dû s’arrêter après le 3e volet à coup de rebondissements de plus en plus improbables. Je ne comprends vraiment pas comment on peut encore s’intéresser à ce pan de l’histoire, qui n’a jamais été le point fort de la saga mais que celle-ci traîne désormais comme un poids depuis bien trop longtemps.


En dehors de l’écriture en elle-même, le jeu est toujours autant à la ramasse en terme de mise en scène et s’avère incapable de donner un tant soit peu de gueule à ses passages les plus mémorables, qu’il s’agisse de ses phases spectaculaires ou de ses moments d’émotion, tout semble toujours terriblement bâclé, mécanique. La confrontation finale est désespérante dans son manque d’ampleur. L’immersion n’est certes pas aidée par un manque de finition global, hélas autre récurrence au sein de la série. Bugs à foison, scripts qui ne se déclenchent pas, animations approximatives… On sent encore une fois un jeu sorti à la va-vite pour respecter un cahier des charges et capitaliser sur l’unique nom de la licence… Ma session de jeu a d’ailleurs été interrompue par un bête bug m’empêchant d’avancer dans une quête, et je ne m’y suis remis que plusieurs mois après en ayant trouvé une astuce en ligne pour déjouer le problème.


Je n’ai pas grand chose à dire de précis sur le gameplay. Ubi semble à nouveau se reposer sur ses acquis et n’apporte que très peu de corrections à une formule qui en a pourtant bien besoin. Les mécanismes de parkour sont toujours aussi approximatifs, je ne comprends pas comment après tant d’années il est encore aussi laborieux de rentrer dans un bâtiment par une fenêtre… Le gros du jeu reste les combats, qui ne sont pas forcément horribles en soi mais disons qu’on en fait assez vite le tour. Ça manque clairement de finesse et le tout finit tout de même par bien se répéter, malgré quelques techniques et finishers sympas. Alors AC n’est pas le seul jeu avec une boucle de gameplay assez limitée mais les ténors du genre (je pense par exemple à RDRII ou même Ghost of Tsushima pour rester dans un genre similaire) font passer la pilule de ces limitations grâce au contexte même du gameplay, et donc en travaillant à fond la mise en scène, l’ambiance, l’écriture… Domaines sur lesquels, comme on l’a dit, Ubi a encore un long train de retard.


Un aspect plus particulier qui mérite mention est la dimension RPG du jeu. Origins et Odyssey assumaient assez clairement cette orientation avec tout ce que ça impliquait (arbres de compétences, gestion d’inventaire et capacités à améliorer…). Valhalla semble quant à lui faire machine arrière, comme pour à la fois satisfaire les fans de la première heure et les adeptes du nouveau tournant pris en 2017. En résulte un système bâtard où on ne gagne plus de niveaux mais des points de compétences à répartir dans un arbre bordélique et finalement assez inutile puisqu’on finit par tout débloquer au lieu de vraiment choisir une voie. Quant à l’inventaire, il est réduit à peau de chagrin avec une poignée d’armes et d’éléments d’armure entre lesquels choisir. Alors oui, on gagne du temps dans les menus, mais ce manque de personnalisation tend à mon sens à égratigner l’implication qu’on a pour son personnage et la motivation à se pencher sur le contenu secondaire. En fait je préférerais tout simplement qu’Ubi fasse un choix et assume le côté RPG ou bien le désavoue complètement et arrête de nous emmerder avec des zones au niveau minimum requis.


Du point de vue graphique, je suis assez mitigé. Certes, le jeu est assez beau et profite de jolis effets de lumière. Le monde ouvert bénéficie quant à lui de son effet d’immensité et du côté carte postale qui entoure ses lieux les plus emblématiques. Je regrette cependant que la direction artistique soit toujours aussi impersonnelle et qu’on n’ait visiblement fait qu’appliquer un skin nordique au moteur des deux précédents jeux sans travailler le rendu graphique, les couleurs, les designs, pour coller à l’univers explorer.


Bon point sans retenue cependant pour la musique qui est peut-être ma préférée de la saga depuis Brotherhood ! Non seulement j’adore les sonorités nordiques mais Ubi a eu la bonne idée de rappeler deux des meilleurs compositeurs de la saga : le légendaire Jesper Kyd qui a donné à la saga ses meilleurs thèmes sur les 4 premiers jeux et Sarah Schachner, quant à elle à l’oeuvre sur Origins. Le binôme revisite à sa sauce les sonorités folkloriques en mélangeant instruments traditionnels et arrangements modernes, et privilégient des compositions épurées mais aux textures sonores très denses. Qu’il s’agisse des plages d’ambiance très planantes ou des musiques guerrières plus entraînantes, les contributions de Kyd et Schachner sont pour la plupart mémorables et supportent très bien une écoute à part. De plus, la BO peut compter sur la participation d’Einar Selvik : le leader de Wardruna apparaît en featuring sur plusieurs pistes et livre même quelques titres à son nom, qui évoqueront forcément l’oeuvre de son groupe. Difficile de bouder face à un tel programme, dommage que la musique d’ambiance soit si peu présente lors des phases d’exploration, un choix complètement inexplicable à mon sens…


Difficile de dire pourquoi ce Valhalla m’a laissé un goût si amer après avoir beaucoup aimé les deux précédents volets. Peut-être qu’une lassitude a fini par se réinstaller en voyant Ubi continuer de se dépêtrer avec les mêmes défauts tout en trouvant une espèce d’entre-deux tiède au lieu de complètement assumer leur nouvelle orientation. Peut-être également que le jeu souffre d’une comparaison avec une concurrence de plus en plus rude - je pense notamment à Ghost of Tsushima qui reprend à son compte l’ADN de la saga mais à mon sens avec infiniment plus de soin. En tout cas je vais arrêter de croire qu’Ubi parviendra un jour à renouveler fondamentalement sa saga la plus plébiscitée et continuer de suivre les sorties avec curiosité, sans en attendre grand chose. Avant que le prochain jeu ne soit annoncé, que le contexte historique ne me vende du rêve et que je me dise de nouveau “ah cette fois ça a l’air vraiment bien !”.

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le 10 avr. 2021

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Yayap

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