Assassin's Creed: Unity
6.1
Assassin's Creed: Unity

Jeu de Ubisoft Montréal et Ubisoft (2014Xbox One)

Comme quoi les redécouvertes ont toujours du bon.


Lorsque j’ai pour la première fois joué à Assassin’s Creed Unity, un bon mois après sa sortie, j’ai d’abord été extrêmement enthousiaste avant de progressivement décanter jusqu’à subir ce que l’on pourrait appeler un “AC burn out”. Il faut dire qu’à l’époque, Ubi enchaînait les épisodes de manière annuelle et peinait à renouveler sa recette en profondeur malgré des incartades comme le génial Black Flag qui occupe toujours une place à part dans mon cœur. Mais la next gen était l’occasion pour la licence de se réinventer et Unity a clairement laissé l’impression de rater le coche. Malgré des améliorations bienvenues, le système de jeu restait le même avec les mêmes défauts et un niveau de finition plus douteux que jamais - je vous renvoie au véritable scandale entourant la sortie tellement le bousin était bugué. L’échec relatif du jeu envoya un signal à Ubi, celui de la nécessité d’une réinvention qui aboutit logiquement à la sortie de la “prélogie” formée par Origins, Odyssey et Valhalla.


Toutefois, comme à chaque fois qu’une saga prend une nouvelle direction, la fanbase trouve une nouvelle appréciation pour les épisodes plus anciens les plus décriés (coucou Star Wars) et c’est le cas pour Unity qui semble désormais perçu très positivement par une bonne partie des fans, au point que l’on pourrait parler de réhabilitation ? Il faut dire que l’opus de 2014 est peut-être le dernier représentant d’une vieille formule : des environnements exclusivement urbains, un accent mis sur le parkour et un scénario faisant la part-belle au fameux conflit Assassins/Templiers. J’ai moi-même fini par décrier cette formule appartenant au passé, d’autant plus que j’apprécie beaucoup la tournure prise par Origins et Odyssey qui intègrent judicieusement une dimension RPG (Valhalla c’est plus compliqué hélas…). Mais j’ai malgré tout voulu redonner une chance à la bête en me jurant de passer au-delà de ses inévitables défauts pour voir si ce jeu était bel et bien le produit anecdotique de mon souvenir ou, comme beaucoup le fantasment désormais, le “dernier Assassin’s Creed”.


Je tiens d’abord à préciser que le fameux burn out que j’évoque en introduction est dû en grande partie à une obsession qui était la mienne à l’époque : celle de faire le plus de contenu secondaire possible. C’était un peu un fantasme dans les vieux AC, il faut dire que le second opus avait fait ça plutôt judicieusement avec un contenu annexe présent mais pas étouffant (on pouvait finir le jeu à 100% en moins de 30 heures). Au fil des épisodes, Ubi a pris la fâcheuse habitude de remplir ses jeux à ras-bord, histoire de gonfler artificiellement ses durées de vie et de satisfaire un consommateur moyen persuadé d’avoir rentabilisé son achat. ACIII était déjà déraisonnable en la matière et Unity fait encore pire. Je vous invite à admirer ce screen de la map du jeu, vomitive tellement elle est surremplie d’icônes : A-zoomed-out-view-of-the-Paris-cityscape-of-Assassins-Creed-Unity-complete-with-most.jpg
Le problème étant souvent que ces activités secondaires sont relativement inintéressantes, répétant la boucle de gameplay pas super variée du jeu et surtout sans offrir à ces apartés un vrai contexte permettant au joueur de s’y impliquer émotionnellement - ce que réussissaient plutôt bien Origins et Odyssey par exemple. J’ai donc pris la décision de faire l’impasse sur une grande partie du contenu annexe : exit les histoires de Paris, les coffres en tous genres, les enquêtes, missions coop et j’en passe. Je n’ai fait que les missions du Café Théâtre et celles des clubs sociaux, parce que je voulais quand même faire un peu de secondaire et que j’ai tendance à préférer les quêtes qui nous mettent vraiment dans la peau d’un Assassin plutôt que celles qui nous font croiser des PNJ random.


Passé cette considération, attaquons-nous au monstre en commençant par le plus remarquable à mon sens : son terrain de jeu. Après deux épisodes aux maps plus “sauvages”, Unity marquait un grand retour à la recette urbaine consacrée par la trilogie Ezio. Tout le jeu prend donc place à Paris durant la révolution française et offre au joueur une reconstitution quasi-taille réelle de la capitale. Premier constat : le parkour, si imparfait qu’il soit, m’avait vraiment manqué. Le fait d’arpenter des grandes villes de toit en toit était mine de rien l’une des marques de fabrique de la saga à son inception, même si cette orientation a complètement disparu par la suite. Il faut dire que Paris incarne un terrain de jeu idéal pour mettre cette mécanique à profit avec ses nombreux toits au relief prononcé, ses ruelles qui garantissent de pouvoir passer aisément d’un bâtiment à l’autre, et ses nombreux monuments iconiques à escalader.


Et j’ai adoré retrouver cette sensation grisante, sélectionner l'enchaînement d'immeubles qu’on va emprunter pour arriver à destination, réussir un saut qu’on croyait impossible, se retrouver désespéré devant un grand vide pour finalement apercevoir une corde qui permettra de traverser la chaussée… Ubi avait compris à l’époque comment faire du déplacement d’un point A à un point B un plaisir en soi, ce qui est tout de même essentiel pour réussir un open-world. Alors oui le système, malgré les améliorations bienvenues sur cet opus, reste très imparfait. C’est souvent imprécis, notre personnage prend parfois un tout autre chemin que celui qu’on lui indiquait et il reste difficile d’effectuer quelques actions précises comme passer par une fenêtre. Ça reste toutefois la meilleure incarnation de ce concept au sein de la licence et il est regrettable qu’Ubi ait préféré le minimiser plutôt que de le perfectionner.


Deuxième constat : Paris version AC est sacrément immersive. J’avais oublié à quel point les développeurs avaient soigné l’ambiance de leur bébé. Les rues sont surpeuplées, les PNJ parlent, interpellent, dansent, il y a de la musique, des cris… On a vraiment l’impression de traverser une ville du passé en pleine effervescence. Et c’est même sans compter sur ces immenses foules de révolutionnaires rassemblées devant plusieurs bâtiments importants. Amasser autant de PNJ à l’écran était sacrément ambitieux à l’époque et je suis étonné de voir à quel point ça a bien vieilli. J’apprécie aussi beaucoup cette idée de pouvoir rentrer dans plein de bâtiments, quitter les rues encombrées pour tomber sur un modeste bouge ou bien un salon bourgeois hupp”, ça a quelque chose d’étrangement satisfaisant. D’une manière plus générale, les développeurs ont bossé leur terrain de jeu pour que chaque recoin de Paris ait sa propre ambiance : on passe de la moiteur poisseuse de la Cour des Miracles aux décorations extravagantes de Versailles en passant par le fourmillement des Halles… Tout est travaillé au poil de cul et je me suis souvent surpris à me balader en rue simplement pour profiter de l’ambiance au lieu de virevolter sur les toits.


Ça aide que la présentation du jeu reste assez impressionnante malgré le poids des années : il s’agit peut-être encore à l’heure actuelle du plus bel Assassin’s Creed. Cela passe bien entendu par des critères techniques comme la modélisation, la qualité et le détail des animations (mouvements des cheveux, expressions faciales, fluidité des mouvements en parkour et combat…) mais aussi par les partis pris artistiques d’Ubisoft. Il y a la volonté de faire un jeu à l’identité visuelle assez marquée qui passe notamment par une utilisation contrastée des couleurs et des éclairages. Parfois ce choix se retourne contre le jeu, par exemple durant les phases en extérieur l’après-midi, une lumière blanche sature complètement l’écran de manière assez disgracieuse. En revanche, les éclairages durant l’aube et le crépuscule sont assez sublimes, tandis que durant la nuit et en intérieur (notamment dans les égouts ou les catacombes), l’obscurité est très joliment contrastée par la lueur des torches ou des lanternes dans un rendu quasiment pictural. Ce soin apporté dans les visuels se ressent également dans les cinématiques, étonnamment plus travaillées que ce à quoi Ubi nous a habitués. Non seulement le rendu global est très satisfaisant grâce aux graphismes du jeu et à un petit grain pas désagréable mais en plus il y a parfois de vrais choix de réalisation et de cadrage qui donnent souvent l’impression d’être devant un bon film à la mise en scène pensée. Rien de révolutionnaire, on n’est pas chez Naughty Dog non plus, mais j’ai positivement apprécié ce côté soigné qui semble s’être perdu depuis.


J’en profite donc pour aborder l’histoire du titre. Comme 90% des jeux de la saga, Unity est à la fois une origin story et une histoire de vengeance puisqu’à la manière d’Ezio, Arno Dorian rentre dans la confrérie pour venger la mort de son père adoptif, François De La Serre. La petite subtilité par rapport à la formule habituelle vient de la composante romantique, inédite dans la saga. Arno est éperdument amoureux d’Elise, fille de De La Serre et si le scénario passe un peu rapidement sur leur idylle, il se dresse rapidement un mur apparemment infranchissable entre les deux personnages en faisant d’Arno un Assassin et d’Elise une Templière. Il y a quelque chose de shakespearien dans cette histoire d’amour made in AC, moteur principal à l’aventure. Arno est ainsi ravagé par la culpabilité puisqu’indirectement responsable de la mort de De La Serre et on comprend que c’est avant tout pour reconquérir sa promise et tenter de faire fi du passé qu’il se lance dans sa quête de justice. Mais tout en établissant une assez belle alchimie entre les deux personnages, le jeu nous rappelle régulièrement que leur relation est fragilisée par leurs obsessions respectives. Alors que c’est sa passion pour Elise qui fait d’Arno un Assassin, cette dernière poursuit une quête vengeresse aveugle qui ne pourra que l’entraîner sur une voie sans retour possible. Sans être bouleversant, le jeu parvient donc à créer un vrai cœur émotionnel qui meut sa narration, ainsi qu’à donner du corps à ses personnages et leurs dilemmes.


De manière plus large, le jeu parle à la fois d’union et de scission, notamment au travers de l’exploitation du conflit Assassins/Templiers. ACIII avait déjà tenté (maladroitement) de nuancer le manichéisme de la licence et Unity poursuit quelque peu cette entreprise en mettant en avant le caractère inéluctable du gouffre entre les deux factions. Ainsi, le jeu présente une situation inédite puisque les leaders des deux camps apparaissent comme des modérés prêts à faire un pas vers l’adversaire pour établir une paix fragile. Mais, de chaque côté, des radicaux condamnent cette ouverture et trahissent leurs propres rangs en vue de “purifier” une idéologie supposément souillée. Ce n’est donc pas tant la différence de philosophie entre les deux camps mais bien le radicalisme borné inhérent à une fraction de leurs partisans qui rend toute alliance impossible et condamne le monde à la division. Sans tomber dans un bête parallèle politique en taxant le jeu de pro-centriste, disons que voir la question traitée avec un peu plus de réflexion que d’habitude a quelque chose de rafraîchissant, surtout que les jeux de symétrie entre les deux camps sont assez habiles et qu’on tisse naturellement des parallèles entre l’histoire intime des deux personnages principaux et celle plus large des factions auxquels ils appartiennent.


Alors oui le jeu cumule malgré tout quelques défauts inhérents à la saga. Tout va toujours un peu trop vite et l’histoire, trop prisonnière de la structure AC classique voulant que chaque séquence équivale à un assassinat, sous-développe quelques personnnages et relations centrales. J’aurais voulu voir plus de scènes entre Arno et Bellec ou encore son passé romantique innocent avec Elise davantage exploré via des flashbacks par exemple. Et le jeu tire peut-être un peu en longueur passé la seconde moitié et un climax émotionnel assez bienvenu, on se met un peu trop à enchaîner les cibles au lieu de travailler les thématiques et les relations au coeur du scénario. Mais ça reste malgré tout dans le haut du panier d’une saga qui a très rarement été capable de concilier ses ambitions avec une véritable rigueur d’écriture. La narration a le mérite de se concentrer sur l’essentiel et de ne pas s’éparpiller et est servie par des dialogues souvent élégants et un doublage de qualité (j’ai joué en anglais, non-sens total mais la VO est tout simplement plus convaincante que la VF), ça rend les échanges très plaisants à suivre.


Enfin, je ne peux décemment pas critiquer un jeu vidéo sans évoquer son gameplay. Là-dessus encore, Unity combine des bonnes idées tout en traînant certaines des casseroles les plus encombrantes de la saga. Comme évoqué, le parkour est l’un des plus aboutis et malléables de la saga, proposant enfin des mécaniques de descentes correctes. Dommage donc que l’ensemble manque de peaufinage et ne réponde pas toujours aussi idéalement qu’on le voudrait. D’autant plus qu’il n’y a rien de plus gratifiant vidéoludiquement qu’une série d’acrobaties réussies sans accroc. Les combats sont… Meh. Le jeu a clairement voulu opter pour un système plus exigeant et “réaliste” qu’auparavant. On n’enchaîne plus les finish moves à la pelle, à la place il faut timer ses contres avec précision pour espérer pouvoir faire des dégâts, et le niveau de l’adversaire a une vraie importance puisqu’il sera souvent difficile de venir à bout d’un ennemi au grade plus élevé que le nôtre. L’idée n’est pas mauvaise et le fait de rendre les combats moins faciles permet de mieux mettre en avant le versant infiltration du jeu. Mais, encore une fois, le tout manque de polish. C’est lent, c’est lourd et c’est souvent imprécis, sans les subtilités qui permettraient de rendre le gameplay intéressant à maîtriser. Bons certains finish restent très satisfaisants, une marque de fabrique de la saga.


L’infiltration est dans la même veine. Ubi a intégré l’idée révolutionnaire (!!) de pouvoir s’accroupir et se mettre à couvert, ce qui ouvre forcément un nouveau champ des possibles au sein d’un système autrefois terriblement limité. Le joueur dispose également de nouvelles options plutôt sympas (se déguiser par exemple). Tout ça rend le versant discrétion de l’aventure plus riche qu’à l’accoutumée mais il faudra à nouveau compter sur une IA ratée, un soldat est parfois capable de vous repérer à l’autre bout de la map mais à d’autres moments ne bougera pas le petit doigt face au cadavre de l’un de ses collègues, et il est toujours bien trop facile de se faire oublier. Enfin, le jeu est le premier de la licence il me semble à intégrer un vrai système de progression puisque le joueur a un niveau de 1 à 5 qui dépend de son équipement. Cette timide incursion dans le monde du RPG a ses limites puisqu’il suffit de devenir riche pour acquérir les meilleurs équipements et que pour cela il suffit d’acheter tous les clubs sociaux et d’attendre que l’argent rentre. Je préfère un système à points d’expérience plus classique, partiellement inclus d’ailleurs puisqu’on débloque des points de crédo en effectuant des tâches plus ou moins cool (assassinats aériens, disparaître dans la foule, etc.) qui permettent d’améliorer son équipement.


Assassin’s Creed Unity s’impose donc comme un jeu très perfectible à l’image de toute la saga. Il regorge de bonnes idées dont on sent qu’elles auraient pu pleinement aboutir si les développeurs avaient bénéficié d’un temps de développement conséquent au lieu de devoir obéir au planning de sortie déraisonnable de la firme. Toutefois, revenir au jeu des années après et surtout après les évolutions radicales qu’a connu la licence permet de mieux apprécier ce que cet opus avait d’unique et ce qu’il exécutait mieux que n’importe quel autre volet. Un monde ouvert vivant et immersif, une direction artistique avec de vrais partis pris et une narration engageante émotionnellement et relativement travaillée thématiquement. Alors que j’accueillais à bras ouverts la nouvelle orientation de la saga, je me mets à rêver d’un nouveau AC "vieille formule” remettant en avant l’assassinat et l’exploration urbaine. Mais surtout, il faut qu’Ubisoft sorte de cette logique de fast-food et donne enfin à ses développeurs les moyens de leurs ambitions, car je suis persuadé que derrière cette logique mercantile il y a des créateurs avec des choses à dire.

Créée

le 20 déc. 2021

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Yayap

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